On entend par catastrophe naturelle séisme, inondation, glissement de terrain, incendie, raz de marée, ouragan, tempêtes, canicule, éruption volcanique etc. bref tout phénomène naturel de grande ampleur ayant une incidence destructrice en particulier sur la vie humaine. Un séisme de magnitude 7 dans un désert où ne séjournerait personne ne passerait pas pour une catastrophe. Par contre, on qualifie de « catastrophe » un crack boursier en raison des incidences négatives qu’il entraîne dans l’économie et de catastrophe « naturelle » un ouragan qui dévaste une région habitée.
Nous avons tellement l’habitude de penser que la Nature est désormais domestiquée, par l’homme, que lorsqu’une catastrophe se produit, nous sommes comme interdits, tétanisés par l’événement. Notre maîtrise technique de la Nature a atteint une puissance remarquable et cependant, quand une catastrophe se produit, nous nous retrouvons face à une prise de conscience élémentaire : l’homme est vraiment peu de chose dans la Nature. « Il ne faut pas que la Nature s’arme pour le tuer » disait Pascal, « une goutte d’eau suffit », et avec un déluge de gouttes sous la forme d’un raz de marée, c’est une civilisation qui peut périr.
Toute la question est ensuite de savoir comment l’interpréter. Et la question est très intéressante, car elle nous oblige à préciser notre représentation de la Nature. Or ce qui est très curieux, c’est de voir à quel point elle ne cadre pas avec la rationalité que revendique notre culture. Même dans les magazines scientifiques les plus orthodoxes, on n’hésite pas à titrer que « la Terre est en colère », que « la Terre se révolte contre les méfaits de l’homme ». Mais comment appliquer un sentiment humain tel que la colère, à un être naturel, comme la Terre ? Quel rapport avec la géophysique ? Où allons-nous chercher ce type de représentation subjective de la Nature ? Jusqu’à quel point est-elle justifiée ? Est-ce une naïveté préscientifique que de penser que la Terre est vivante et qu’elle peut se révolter avec violence ? Une catastrophe naturelle est-elle susceptible d’interprétation ? De quel point de vue ?
Peut-on faire d’avantage que d’expliquer la Terre de manière scientifique ? Pouvons-nous la comprendre ? Pourquoi les hommes éprouvent-ils le besoin de donner des catastrophes naturelles une interprétation religieuse? Inversement, une explication scientifique est-elle dénuée d’interprétation ? Enfin, qu’est-ce que la prise en compte de la responsabilité humaine modifie, dans notre ...
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Nous avons vu qu’une interprétation consiste à donner un sens à ce qui se présente d’abord comme une énigme à résoudre, un puzzle à rassembler ou une obscurité à éclairer. Une interprétation a toute sa place quand son objet porte sur une production intentionnelle de l’homme, elle suppose implicitement, une forme de conscience. Nous pouvons interpréter un rêve à la manière de Freud, ou à la manière de Jung ; comme nous pouvons interpréter les dessins des grottes de Lascaux, les mythes présents dans les textes de Platon ou les tragédies de Shakespeare. Pour interpréter la Nature, il faut nécessairement lire dans les phénomènes naturels une intention à l’œuvre. De quel point de vue pouvons-nous le faire ?
Les religions monothéistes ont une réponse nette à cette question : c’est la volonté de Dieu qu’il faut voir dans les calamités de la Nature. En un sens, on pourrait presque dire : les phénomènes de la Nature ne sont pas naturels, ils sont la manifestation de la volonté de Dieu. (texte)
1) Quelle idée de Dieu est présupposée dans ce type de représentation ? Dans quel système théologique peut-on voir une catastrophe naturelle comme une volonté de Dieu ? Dans la version la plus simpliste, on dira que la catastrophe est une punition infligée par Dieu, un « fléau » envoyé sur la Terre, une malédiction porteuse de « calamités » à venir.
---------------Prenons le contre-pied du traitement historique habituel de cette question en examinant d’abord des faits concernant l’actualité récente : L’ouragan Katrina de 2005 par exemple, selon Michael Marcavage, le directeur de Repent America, serait une « action de Dieu » pour détruire « une ville pécheresse », car il devait s’y tenir un festival homosexuel, « Décadence du Sud 2005 », une « infâme exposition de chairs nues ». Selon lui, « la Nouvelle-Orléans était une ville qui ouvrait ses portes toutes grandes aux célébrations publiques du péché ». Il ajoutait encore : « nous espérons que cette action divine nous fera tous réfléchir à ce que nous tolérons aux limites de nos villes et nous ramènera en tremblant devant le trône du Dieu tout-Puissant ». Sur le même événement, citons encore Le rabbin Ovadia Yossef, chef spirituel du Shass, parti religieux israélien, qui estime que l’ouragan Katrina, est un châtiment de Dieu consécutif à l’appui du président George W. Bush au démantèlement des colonies juives de la Bande de Gaza. L’ouragan, c’est « le châtiment du président Bush “pour ce qu’il a fait à Gouch Katif. “C’était un châtiment de Dieu”, a lancé le rabbin au sujet de la catastrophe naturelle, le mardi, lors de son sermon hebdomadaire. Il a même ajouté que les récentes catastrophes naturelles étaient le fruit d’un manque d’étude de la Torah et que les victimes de l’ouragan Katrina souffraient “parce qu’elles n’avaient pas de Dieu”.
Le lecteur pourra, à titre d’exercice, se référer à la presse, en ce qui concerne les catastrophes naturelles plus récentes et n’aura aucun mal à retrouver ce type d’interprétation, dès qu’un événement de grande ampleur surgit dans l’actualité. Pour voir à l’œuvre ce genre de logique, nous n’avons pas besoin nous situer dans un passé lointain. Il s’agit de la forme persistante d’un contenu théologique maintenu par les religions. Ce qui est supposé ici, c’est que Dieu est une entité personnelle qui a des exigences et même des besoins que l’homme doit satisfaire, sous peine de voir retomber sur lui la colère divine. Dieu serait assimilable à un monarque absolu (R) ayant imposé des règles inflexibles à son peuple et qui, lorsque l’observance en a été manqué, se retourne contre son peuple, dans une punition collective, sous la forme d’une expression terrible de la Nature capable de semer la mort et la désolation. Dans une société féodale érigée en théocratie, l’usage du châtiment corporel en représailles de la violation de la loi est somme toute assez banal. Dans la théologie, Dieu est assimilé à un « père » tout puissant et ses « enfants » sont ce qui est appelé son « peuple », il y a aussi souvent une distinction entre un peuple « élu » et l’humanité tout entière. La légitimation morale de la sanction s’impose d’elle-même : de même que le père aurait le droit d’infliger une « correction » à l’enfant qui a commis une faute, de même Dieu serait légitimement fondé à envoyer une calamité à son peuple fautif.
Le point le plus important, c’est que ce type de théologie est très visiblement une théologie de la peur. Elle enseigne l’obéissance, (texte) la crainte de Dieu, la soumission à l’autorité et brandit en permanence la menace d’une sanction. cf. Spinoza Traité théologico-politique. Bref, ce dieu là ne diffère en rien de l’homme et encore, pas d’un homme de la meilleure espèce. Plutôt choisir ici comme modèle d’un dieu courroucé et cruel, un tyran vindicatif et acariâtre. La conséquence s’ensuit d’elle-même : un esprit qui vit dans cette théologie de la peur, aura été conditionné dans cette vision pour en reproduire mécaniquement les jugements. Il verra donc très facilement des « signes » partout et ses montées d’angoisses lui feront chercher les prémices de l’apocalypse derrière tout phénomène destructeur ayant lieu dans la Nature.
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© Philosophie et spiritualité, 2006, Serge Carfantan,
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