Leçon 240. Recherches sur le modèle holographique de l’univers (2) 

    Nous prenons ici la suite de la leçon Recherches sur la conscience et le cerveau en raison de développements nouveaux parus depuis lors. Rappelons quelques éléments importants. Le cerveau contient 1014  synapses, si chacun portait un bit d’information et que l’on faisait le décompte, le cerveau comporterait un nombre de bits beaucoup plus important que ce que l’ADN humain peut gérer. De plus, à chaque seconde il se produit à peu près 1024  actions par seconde dans le cerveau. Si on ajoute la capacité de stockage nécessaire pour traiter l’ensemble, on arrive à la seule conclusion qui soit sensée : le stockage des souvenirs dans le cerveau est anatomiquement et fonctionnellement impossible.

    La solution de ce problème a en fait commencé à pointer le bout de son nez dès 1920. Karl Lashley  prouve à l’époque que les souvenirs ne sont pas conservés dans une partie ou l’autre du cerveau mais existent de manière globale. Mais c’est à Karl Pribam, par la suite, que revient le mérite d’avoir déniché le pot aux roses. Il découvrit en effet que les souvenirs ne pouvaient pas être conservés dans les cellules du cerveau, mais résidaient dans les schémas d’interférence des champs électromagnétiques des réseaux neuraux. La conscience globale qui enveloppe le cerveau est de nature holographique. Et, comme cela a été démontré, la capacité de stockage d’information d’un hologramme est gigantesque. 

    Karl Pribam venait de créer le paradigme holographique du cerveau et on n’allait pas à tarder à s’apercevoir qu’il fallait en étendre la portée. Nous avons vu en effet que David Bohm, proche de Einstein, de manière indépendante, développait une théorie de l’univers impliqué qui s’appuyait explicitement sur l’idée que l’univers était dans son essence holographique. La question est donc celle-ci : quelles perspectives ouvrent le modèle holographique de l’univers ? Nous supposerons ici la lecture de la première recherche et nous allons lui ajouter des références et tirer quelques conséquences.

A. Retour sur l’ordre impliqué

    Il nous faut revenir tout d’abord sur les thèses originales de David Bohm dans La Plénitude de l’Univers. Nous avons vu que selon lui, une grande partie des erreurs d’appréciation et des choix erronés que peut faire l’être humain provient de l’effet de fragmentation que produit la pensée, là où il n’existe en réalité pas de séparation, pas de division réelle. L’univers cohère avec lui-même et tous les événements qui se produisent en son sein sont liés. Nous avons vu, que du point de vue de la causalité, nous n’avons pas à chercher derrière un événement une ou plusieurs causes, ce qui est propre au raisonnement linéaire, mais nous devons envisager qu’une infinité de causes soient impliquées, ce qui nous a fait dire que l’Univers tout entier soutient l’apparition de chaque événement. Quand bien même, pour des raisons pratiques, nous ferions l’impasse sur cette complexité, il ne faut cependant ne jamais perdre de vue qu’aucune relation de cause à effet ne peut être extirpée de l’Univers considéré en tant que tout.

     1) Or, en raison du mode de pensée fragmentaire qui est l’ornière habituelle dans laquelle se meut la pensée, nous n’arrivons pas à nous défaire de l’idée que dans un système, ce sont les interactions des parties qui déterminent l’état du tout. Mais si on examine justement, comme on le fait en physique quantique, ces plus petites parties que constituent les atomes, on arrive à un constat complètement différent. Les travaux de Bohm sur les plasmas lui révélèrent à sa grande surprise, que les particules élémentaires, dès qu’elles étaient dans un plasma, cessaient d’apparaître comme des individualités séparées, mais se révélaient comme éléments d’un tout interconnecté. Bohm observa même que, un peu comme un protozoaire, le plasma isolait les impuretés et se régénérait en permanence. Comme le ferait un organisme vivant. D’où cette remarque dans laquelle il avouait son trouble d’avoir eu le très net sentiment dans cette mer d’électron, d’avoir affaire à quelque chose de « vivant ». En 1947, nommé à Princeton, Bohm continua les recherches commencées à Berkeley pour les étendre à l’étude des électrons dans les métaux. Et de nouveau, il pu que observer des effets généraux hautement structurés, indices de ce que dans la mer des particules, chaque élément semblait avoir connaissance de ce que faisait des milliards d’autres. D’où le terme de plasmons inventé par Bohm à l’époque et une large reconnaissance de ses travaux dans le milieu des physiciens. A ses yeux, peu à peu l’interconnexion se révélait la donnée la plus fondamentale de la réalité. A l’époque, pour mettre au clair ses idées, Bohm rédigea un manuel de physique quantique, la Théorie des Quanta, dont il envoya un exemplaire à Bohr et Einstein. Bohr ne répondit pas, mais Einstein prit contact avec lui. Bohm en conversation avec Einstein, poursuivit donc son enquête, avec ceci de commun avec lui, d’être insatisfait  de l’interprétation de la mécanique quantique  de Bohr (l’interprétation dite de Copenhague). Bohr la prétendait « complète », mais, suivant son intuition, Bohm estimait  qu’elle en venait à nier un niveau de réalité bien plus fondamental que le paysage subatomique. Le champ unifié subquantique omniprésent dans l’espace, quelque soit la distance des objets, qui pouvait rendre compte des phénomènes d’interconnexion au sein de l’univers. Bohm appela potentiel quantique  ce qui permettait que les particules garde un mouvement chorégraphique et ne soient pas complètement désorganisés comme dans les remous aléatoires d’une foule. Et très vite il lui apparu que le potentiel quantique impliquait une révision radicale de notre perception habituelle. En fait, nous pourrions dire, de l’entière représentation de l’espace-temps-causalité.

    Il s’agissait en particulier de la question de la non-localité. Nous en avons déjà fait l’exposé en développant la théorie de la synchronicité qui appelle directement ce concept. Disons que, du point de vue de notre état de veille, il semble que l’espace-temps-causalité est un cadre « réel », complètement indépendant de nous. Dans ce cadre, les choses, comme les tables et les chaises, existent en un seul endroit et dans un emplacement précis. Et on peut effectivement fonder une théorie philosophique sur cette idée que l’espace est fait d’emplacements séparés. Elle est chez Newton. Nous ne pouvons donc pas confondre les choses avec les idées qui n’existent pas sur le plan du relatif dans lequel nous vivons, mais disons-nous « dans l’esprit ». Toutefois, au plan subquantique, le concept de localisation cesse de valoir. Il n’est pas possible de parler de localisation séparée. Chaque point de l’espace est en effet consubstantiel à tous les autres et l’idée de séparation comme distinction n’a plus aucun sens. La même chose existe là ou là, sous une forme distincte, ou encore paraît distincte en raison de l’angle dans lequel nous la percevons.

    Bohm donne un exemple très éclairant. Imaginons que nous observions  deux écrans vidéo. Un poisson rouge y apparaît en train de nager dans un aquarium. Chaque écran est relié à une caméra vidéo, chacune filmant donc le poisson sous un angle différent, mais le spectateur n’en sait rien. Il est dans la pièce à côté et ne voit que deux scènes différentes sur deux écrans séparés. Les mouvements des poissons donneront l’impression qu’il s’agit de deux créatures distinctes. Les images sont différentes, comme dans les expériences d’optique conduites par Alain Aspect, des photons corrélés où il semble y avoir deux taches de lumière, une là et l’autre là-bas, donc deux « choses » différentes. C’est du moins ce que le sens commun dira sur la foi de la vigilance habituelle. Pourtant notre spectateur qui regarde va remarquer un virage du poisson à gauche, un mouvement simultané à droite et il aura finalement des soupçons et prendra conscience qu’il n’y a en réalité qu’un seul phénomène apparaissant et non pas deux objets séparés. La dualité n’est que dans la pensée des objets séparés, pas dans le phénomène qui est un et global. Si Le spectateur avait continué à raisonner en terme de dualité, il aurait conclu par ignorance qu’il devait y avoir une forme de communication ultrarapide entre les deux objets (les deux poissons). Une « action fantôme » à distance. Mais pour Bohm il n’en n’est rien parce qu’il n’y a jamais eu de communication. Même pas de communication instantanée : c’est le même phénomène fondamental qui est ici et . Voilà comment Bohm résout le paradoxe de l’intrication quantique. Il n’est pas nécessaire selon lui de supposer une communication parce qu’au niveau le plus fondamental tout est un, tout est lié dans une corrélation infinie. Nous pourrions dire qu’au niveau le plus fondamental, l’Univers informant est partout en contact avec lui-même. Le potentiel quantique fait que l’ensemble des particules est en interconnexion non-locale. Il faut donc complètement renverser la représentation habituelle : au lieu de dire que l’univers est fait de particules qui flottent et se déplacent on ne sait trop comment dans un vide infini, ce qui est une illusion produite à notre échelle, il faut reconnaître que l’univers est une Plénitude au potentiel infini se manifestant ici ou là sous l’aspect d’un phénomène, ici un phénomène nommé « particule » littéralement porté par la Plénitude dont il émerge. La non-localité est essentielle. Elle appartient à l’essence du Réel. Si nous poursuivons sur cette voie, nous devrions trouver que du point de vue de la Réalité, le temps et la causalité n’existent pas au sens où nous l’entendons. Mais n’allons pas trop vite. Notons seulement que c’est la lecture d’un article de Bohm sur ce point qui incita John Bell à imaginer le dispositif pratique pour tester le paradoxe EPR, l’argument de mise à l’épreuve de la mécanique quantique proposé initialement par Einstein. Projet qui devait réussir bien des années plus tard à Orsay avec Alain Aspect

    2) Revenons vers David Bohm. Si au niveau le plus subtil, la Réalité est une et indivise, il s’ensuit qu’il doit nécessairement exister un ordre sous-jacent aux phénomènes. Du point de vue classique, encore une fois fondé sur l’appréhension des choses à l’état de veille, il y a des « objets » qui sont très ordonnés dans leur structure, tel le flocon ne neige, la pomme de pin, ou encore la machine fabriquée par l’homme. D’autres semblent disposés de manière désordonné et aléatoire, comme la série des numéros qui sortent à la roulette au casino, la poignée de sable qui tombe sur le sol, ou les décombres d’un immeuble suite à une explosion. Mais cette opposition est assez factice, car il existe différents niveaux d’ordre. Certaines choses sont visiblement bien plus ordonnées que d’autres, mais il n’est pas interdit de penser qu’en fait de l’infiniment petit à l’infiniment grand, l’univers comportent une hiérarchies d’ordres, si bien que nous pourrions aller jusqu’à dire que le concept de désordre, envisagé du point de vue de la Réalité, est une illusion. Cela voudrait dire que ce qui pour nous parait chaotique et désordonné peut très bien appartenir à un degré d’ordre supérieur, mais que nous ne percevons pas.

    C’est au moment où il était plongé dans ces réflexions que Bohm vit à la télévision un appareil qui allait lui fournit l’analogie dont il avait besoin. Il s’agissait d’une boite cylindrique pourvue d’une manivelle. Au milieu, dans  le récipient, on avait mis de la glycérine, et une goutte d’encre. En tournant la manivelle, on voyait la goutte s’étirer, s’étirer pour finir par disparaître. Mais si on inversait le mouvement, on voyait le petit filet d’encre se rassembler et reformer la goutte primitive. A partir de cette image, la thèse de Bohm est facile à appréhender : la goutte d’encre conserve un ordre non-manifesté, implié, qu’elle était susceptible de manifester à nouveau, ou d’explier. (texte) Et nous pouvons fort bien imaginer que nous avons là sous nos yeux un exemple particulier d’un phénomène qui se produit partout dans la Nature.

    Et c’est peu de temps après avoir vu l’appareil à glycérine que Bohm tomba en arrêt devant  l’hologramme : la métaphore géniale permettant de rendre encore mieux son intuition. Les deux métaphores se complètent à merveille. La goutte d’encre dans son état diffus semble très désordonnée, mais le mouvement global lui redonne sa forme. De la même manière, sur une plaque  holographiques les franges d’interférence donnent une impression de désordre, ce sont des volutes et des moirures où rien n’est identifiable de l’objet photographié. Il faut les placer sous un laser pour qu’à nouveau la forme soit manifestée en 3D.  Un ordre impliqué est alors susceptible de se manifester en ordre expliqué. Pliure et dépliure, enveloppement et développement : l’univers ne suivrait-il pas un mode opératoire selon des principes holographiques ? Et c’est là que nous touchons une idée fondamentale : et si l’univers était un immense hologramme en perpétuel échange avec lui-même ? Un gigantesque hologramme impliquant en lui une information d’ordre qu’il déplie perpétuellement pour manifester des réalités ? Des réalités qui nous apparaissent, du point de vue de notre perception normale, comme autant d’objets séparés ? (texte)

    Ce qui permettrait de comprendre que là où dans l’expérience d’Alain Aspect on croit voir des objets séparés, des électrons capables de communiquer à une vitesse plus rapide que la lumière, nous devrions voir un seul phénomène indivisible de projection holographique. Mais ce qui retiendrait alors notre attention, c’est qu’il y a une réalité plus profonde qui porte les phénomènes. L’analogie de l’hologramme est tout à fait remarquable, parce que dans la plaque photographique l’information de l’image est impliée, enregistrée dans les franges d’interférences comme une totalité enveloppée dans les plis d’un tout. L’information peut s’explier dans l’apparition d’une forme de phénomène. L’électron qui semble se transformer en photon ne ferait alors que s’envelopper à nouveau dans l’impliqué, dans le non-manifesté, tandis que se manifeste le photon. Il n’y aurait alors plus de bizarrerie à ce qu’un quantum ait en quelque sorte le choix  de se manifester comme onde ou bien comme particule, car les deux aspects sont en permanence présent dans l’ordre impliqué dans le potentiel quantique et c’est la manière dont l’observateur interagit avec l’ensemble qui prescrit quel aspect va entrer dans la manifestation et quel aspect va rester implié. Il y a bien un rôle de l’observateur Bohr a parfaitement raison, mais après tout l’explication est peut être plus simple que nous le croyons. Il suffit de prendre en compte l’unité du réel. Chaque expérience que nous pouvons faire consiste à voir comme une facette après l’autre d’un diamant, une réalité une mais apparaissant sous des aspects différents.

    La difficulté est alors de comprendre toute une série de conséquences. Entre autre que nous faisons nous-même partie de l’hologramme de l’univers ou bien, autre aspect fondamental que nous avons déjà signalé : l’analogie de base étant un peu trop statique, le fait qu’en plus  l’univers est dynamique et même doué d’un dynamisme infini. C’est pour cette raison que Bohm introduit le terme d’holomouvement. (texte) Malheureusement, notre compréhension courante du dynamisme est entachée d’erreur, car nous ajoutons au déploiement d’énergie une idée de déperdition, voire de perte irrémédiable de l’information et de la forme. Ce qui n’est pas le cas dans la mémoire holographique de l’univers.

    Mais le foyer ce cette vision, l’insight, c’est la conscience d’unité que cette vision implique, complètement opposée à la fragmentation du mental qui est el lot de la conscience habituelle. L’intuition noétique que Bohm suit implique un saut de conscience au-delà de la vigilance habituelle.

    Dans le cadre de la physique, Einstein avait fait un pas de géant dans la compréhension de l’unité de l’univers en montrant qu’espace et temps était inséparable, puis qu’espace, temps et matière étaient indivis, enfin qu’une seule énergie se déployait dans le Réel. Disons que l’intuition de Bohm vient couronner cette unification : il n’existe rien dans l’univers qui ne soit pris dans la toile du Réel et de son continuum et l’univers conserve de manière holographique l’information. Dans la formulation de Michael Talbot dans L’Univers est un Hologramme : « Dans l’univers, il n’est rien qui n’appartienne à un continuum, l’apparente séparabilité des choses dans l‘explié recouvrant en fait l’extension sans faille de chacun d’elle à chaque autre, implié et explié finissant par se fondre ». Et encore, ce n’est pas tout à fait exact, car la confusion n’est pas l’unité. L’unité holographique du Réel n’abolit la diversité, elle la porte. D’un point de vue phénoménologique, cela implique que mon genou n’est pas séparé de la table, la table n’est pas séparable de la lampe, non séparable du balcon, le balcon du jardin, le jardin du chien fou qui court après un pigeon etc. Une seule Réalité dans laquelle nous sommes et qui « possède des ramifications dans les toutes les apparences, dans les objets, dans les atomes, dans l’incessant chaos des océans et dans les étoiles qui scintillent au firmament ».

B. Le tapis holographique de l'univers et ses motifs

    Nous devons rester prudent dans l’usage que nous faisons d’une analogie et ne pas la confondre avec ce qu’elle permet de décrire. Et c’est exactement la même prudence qu’il nous faut garder à l‘égard des théories. Une théorie est par définition un point de vue et aucune ne peut englober totalement la réalité. Et Bohm inclut la sienne dans le lot. Il appert néanmoins que le modèle holographique possède une indéniable pertinence, il vise quelque chose de très mystérieux, mais qui appartient à l’essence de l’univers : une de ses caractéristiques fondamentales. Et cependant, le modèle est un pointeur, le doigt qui montre la lune n’est pas ce que l’on doit regarder, mais la direction indiquée. Le paradigme holographique possède des qualités heuristiques étonnantes, si bien qu’il est parfaitement légitime de l’employer dans plusieurs de domaines. Non pas, par une généralisation abusive, ou un import conceptuel forcé, mais parce que, de quel côté que l’on se tourne, nous retrouverons partout la toile holographique. Elle est inscrite depuis les lueurs de l’atome jusqu'au cosmos tout entier.  

    1) Revenons maintenant sur une idée qui fait grincer des dents les philosophes. Il est de bon ton de se moquer des mystiques ou de les envoyer promener en disant que « tout est dans tout » est une fadaise irrationnelle. C’est un lieu commun chez les intellectuels. L’expression est employée pour tourner en dérision un adversaire jugé trop « mystique » ou pour désigner un esprit confus. Mais ceux qui usent et abusent de l’argument en sont maintenant pour leur frais, car, pour la première fois, nous avons un modèle très solide qui explicite parfaitement cette ancienne idée. Pas du tout confuse. Ni mystique. Toutes choses font partie d’un Tout indivisé et en même temps, chacune est unique. Nous avons vu qu’une des propriété les plus surprenantes d’une pellicule holographique était que si on la cassait en deux, on encore en plus de morceaux, chacun d’entre eux conservait une image globale de l’objet photographié, mais devenait au fur et à mesure de plus en plus floue et plus petite. Nous avons là une illustration parfaite de l’idée que la Totalité est présente dans chacune des parties. « Tout est dans tout », mais en vrai ! Ce à quoi nous amène le paradigme holographique, c’est l’idée que chaque fragment que nous avons tendance à abstraire de la Réalité reflète tout l’univers, non seulement parce qu’il n’en n’a jamais été séparé, parce aussi que l’univers tout entier soutient chaque élément comme partie indivisible du tout qu’il compose. En vertu de la nature holographique de l’univers, chaque élément est un point d’accès à la totalité. Si nous avons tendance à penser différemment, c’est parce que nous succombons très facilement à l’erreur de l’intellect qui analyse, coupe, sépare et perd le sens de l’unité et de la synthèse. Au final, nous nous prenons au piège de nos propres abstractions en les croyant réelles. Nous avons haché menu la réalité et fatalement nous nous retrouvons avec quelque chose de mort. Bohm insiste sur ce point. Il fait remarquer qu’Einstein n’a pu, avec le modèle de la Relativité, faire progresser la physique qu’en ayant l’audace de remettre en question des présupposés que l’on croyaient acquis. Il en est de même avec le paradigme holographique. Il s’imposera comme parfaitement logique, si nous prenons notre courage à deux mains pour remettre en cause les présupposés analytiques que nous imposons à la Réalité et auxquels elle est censée se conformer. Bohm montre que l’erreur de la pensée fragmentaire se manifeste de deux manières. La pensée crée à foisons et réifie des séparations là où il n’y en a pas (comme le concept de frontière, celui de race etc.). Ou bien encore, une autre erreur dénoncée par David Bohm, la pensée crée toutes sortes d’unités abstraites et se persuade ensuite qu’elles existent, alors que le plus souvent ce sont que des constructions mentales qui n’ont pas de correspondance dans le Réel (cf. l’exemple de l’usage abusif de « l’État », la « Société » etc.).  Quand nous ne voyons pas les articulations des choses et que nous leur substituons des abstractions, notre connaissance n’est plus alignée sur la réalité, nous ne faisons que produire pour ensuite idolâtrer des concepts et vivre dans des illusions. C’est un point sur lequel Bohm insiste beaucoup et qu’il a affûté très sérieusement en dialogue avec Krishnamurti. Il a consacré un livre entier à ses conséquences en écologie sur l’action technique de l’homme sur la nature : Pour une Révolution de la Conscience (Ed. du Rocher).

L’univers n’est pas régi par le mental humain, le paradigme holographique est une manière d’approcher son unité réelle qui nous oblige à voir que le sens de l’unité demeure en chaque partie que nous prétendons isoler. L’infini est dans une goutte d’eau, chaque pétale de rose émerge de la beauté de tout l’univers et il n’est pas une seule chose ici bas qui ne soit un portail vers l’infinie Réalité qui manifeste toutes les formes. Pour le dire autrement, il n’est rien ici bas, même les petites choses, qui n’abrite le Sacré. Pour employer une autre expression plus technique utilisée dans les leçons précédentes, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, en passant par l’étage du vivant et celui du psychisme humain, nous trouvons partout des formes d’autoréférence qui peuvent être appréhendées à partir du modèle holographique.  (texte)

    2) Dans l’implié de l’univers holographique les distinctions liées à la forme perdent de leur sens, un peu comme les vagues de l’océan deviennent une à leur base. Nous ne pourrions donc pas dire absolument que l’électron est une « particule élémentaire », le nom « électron » est plutôt un terme que nous utilisons pour désigner un phénomène que nous pouvons observer dans des conditions précises dans le mouvement holographique du réel. C’est un aspect de l’holomouvement. La désignation n’a somme toute valeur que de convention, de même que nous remarquerions un motif sur le tapis en ne perdant pas de vue que le motif n’existe que dans le tapis. Il est perçu par une conscience qui l’observe, qui est, telle la monade de Leibniz, une fenêtre ouverte sur l’univers et qui ne peut pas non plus en être séparé. Ainsi, la plupart des physiciens qui imaginent une interaction entre une « chose » la « matière », et une autre « chose », « l’esprit », sont encore en exil dans l’ancien paradigme. Il est impossible de séparer la matière et l’esprit. Les « choses » en question ne sont que des aspects de l’univers holographique. D’autre part, l’observateur-observation-observé forment un seul processus unifié. L’observation d’une chose implique la totalité du processus : les instruments de mesure, le protocole expérimental suivi, les résultats et ainsi de suite de proche en proche tout l’environnement immédiat de l’expérience, sans que rien ne puisse en être dégagé. Tout est pris dans la toile. Si nous voulons cependant envisager plus finement l’interaction conscience et matière, selon Bohm il faut considérer la conscience comme une forme subtile d’énergie qui est en relation avec l’ordre implié. Mais la conscience est à différents degrés omniprésente dans l’ordre implié et c’est pourquoi, entre autre, il y a un sens à dire que les plasmons présentent des analogies avec le vivant. Et ce n’est que le début. Aurobindo soutenait que la conscience est involuée dans la matière, qu’elle évolue dans le vivant et vient à la conscience de soi dans l’être humain. Le paradigme holographique assure l’assise de cette involution et permet de refuser d’opposer vivant et non-vivant. C’est la même Énergie qui circule au-dedans et au-dehors de toutes choses, dans le flux dynamique de l’holomouvement. La pierre est vivante, comme toute le reste. Comme tous les aspects qu’il nous plaît de découper dans l’hologramme vivant du réel. Et, ne l’oublions pas, puisque dans le moindre fragment du Réel, l’univers reste en contact avec lui-même, chaque fragment contient aussi l’image de la totalité.

D’où ces vers de Blake qui prennent tout d’un coup un relief extraordinaire:

 Voir un monde entier dans un grain de sable

Un firmament dans une fleur des champs

Tenir l’infini au creux de sa paume

Et l’éternité dans un seul instant

3) Il n’y a rien d’étonnant à ce que, dans l’expérience d’Aspect, les physiciens en soient venus à penser que la non-localité des systèmes quantiques pouvait être considérée comme une propriété générale de la Nature. Non pas, comme nous l’avons vu, que les idées de Bohm se soient imposées. Il n’empêche qu’elles font leur chemin. Déjà dans les années 1980 Bernard d‘Espagnat y faisait référence. Brian Josephson, prix Nobel de 1973, proposait lui de prolonger les thèses de Bohm jusqu’à inclure l’Esprit dans le cadre opératoire de la physique.

Roger Penrose de l’Université d’Oxford, à qui on doit une importante contribution dans la théorie des trous noirs, a manifesté dès le début son soutient aux thèses de Bohm. Et c’est exactement sur cette même question des trous noirs que bien des années plus tard le modèle holographique est revenu sur la table avec les travaux de Jacobson en 1995 et Verlinde en 2010. Le détail demanderait une longue exposition technique, disons que les cosmologistes se sont posés la question de savoir quelle pouvait être l’origine de l’espace-temps. Verlinde a bien sûr tout de suite vu que dès  qu’ils sont posés, ils emportent avec eux tous les autres : masse, position, accélération, inertie et gravitation. Or ce que démontre Verlinde, c’est qu’en fait, le principe holographique est très finement caché dans les lois de Newton et d’Einstein. On y accède directement en considérant ces objets étranges que sont les trous noirs. La théorie montre qu’ils pourraient stocker des informations à leur surface. Une question qui se pose alors dans ce contexte est celle-ci : qu’est-ce qui serait le plus fondamental, le principe holographique ou celui de la gravitation ? Et la réponse qui apparaît dans ces travaux de Verlinde est que la formalisation de la cosmologie relativiste découle d’un processus régi par le principe holographique. L’univers peut être compris comme une expression, une structure qui se déploie à partir d’un niveau plus fondamental. (Notons à ce propos que rapprochement fait, on a trouvé chez Nicolas de Cuse une idée semblable : la Nature serait une explicatio, donc un déplié de quelque chose qui est implié, la complicatio). Mais alors, que faire de cette gravitation qui a depuis si longtemps occupé une place centrale dans la physique ? On ne va pas déboulonner Newton tout de même ! Elle devient une force entropique qui émerge à partir de l’énergie dans le déploiement de l’univers, comme un ballon qui se gonfle sous l’effet des masses en mouvement et du rayonnement. Ce qui est proprement stupéfiant c’est l’idée de Verlinde selon laquelle il y a bien une trame invisible de l’univers qui tend à ramener une masse que l’on veut bouger vers sa position naturelle. Comme si elle cherchait à rejoindre une disposition conforme. La gravitation serait alors une parfaite illusion dans laquelle nous pensons que les masses s’attirent, comme s’il y avait une corde de Newton entre les objets. Idée géniale s’il en faut, car on en viendra à dire que si une pierre retombe après avoir été projetée, c’est que l’univers réagit à une action… comme à un désordre ! L’univers est globalement très ordonné et il réagit à la disposition des masses et le nom de cette réaction s’appelle gravitation. Qui est donc plus que modélisée dans l’ordre implié, mais est appelée par lui. Bref, l’Univers est un hologramme et l’ordre implié appelle une Transcendance : le Divin serait un hologramme cosmique, (doc) dont nous sommes incapables de comprendre la potentialité de calcul.

     Et comme on pouvait s’y attendre, les hyperspectulatifs de la théorie des cordes se sont aussi mis de la partie. Dans les années 1990 le Nobel Gerard 't Hooft et Leonard Susskind ont émis l’hypothèse que l’on ne pourrait bâtir une théorie quantique de la gravitation que si on partait du principe que l’univers était vu comme un hologramme. Ils sont venus à cette hypothèse après s’être attelé au problème du statut de l’information d’un objet chutant dans un trou noir. (doc) En théorie, un trou noir résulte de l’effondrement de l’espace temps d’une étoile sur lui-même, au point que la courbure de se tord tellement qu’elle finit par se replier dans une sphère. La surface du trou noir est appelée horizon des événements. Pour les auteurs de science-fiction, c’est quasiment une porte vers un autre univers. Hooft et Susskind ont soutenu que l’information perdue concernant un objet 3D tombant dans un trou noir était caractérisée par un objet en 2D, à la surface de l’horizon. L’idée étrange est que l’information perdue pour un observateur de notre univers, qui est codée dans la structure en 3D des objets, en traversant l’horizon du trou noir, serait codée sur une surface cette fois en 2D. Et nous y voilà, exactement comme dans un hologramme !

     Bien sûr tout ceci est encore en discussion, mais le fait que tant de recherches séparées (comme celle de Pribam et de Bohm au début), semblent, comme malgré elles, devoir embarquer le principe holographique n’est pas un effet de mode ni un hasard. Bohm a visiblement touché un principe tout à fait fondamental.

C. Marcher dans l’hologramme universel

    La Manifestation jaillit de la Plénitude non-manifestée ; jusque là, l’idée n’est pas neuve, elle est dans les Upanishads ; mais que la relation entre le non-manifesté et la Manifestation soit holographique est une formulation originale et éclairante. Elle implique que le paradigme holographique doit logiquement se retrouver de systèmes en sous-système, à tous les niveaux du réel et conséquemment apparaître, sous une forme ou une autre, dans tous les domaines du savoir, car il atteste un principe fondamental, celui de la présence de la totalité dans chacune de ses parties. Ce qui justifie la démarche de Michael Talbot dans L’Univers est un Hologramme, montrant que nous pouvons déceler la principe holographique sous des formes multiples en dehors de la physique proprement dite. Ce qui défie l’analyse. Formule à prendre au pied de la lettre, car l’invitation du paradigme holographique est de voir toutes choses synthétique. C’est une nouvelle manière de penser dans laquelle le sens de la totalité n’est jamais perdu de vue quand on examine la partie.

 1) Un exemple typique est celui des microsystèmes en acupuncture. Nous savons que la notion de méridiens, les lignes énergétique de la peau, est très ancienne, elle remonte aux nadis de l’Ayur Veda. L’acupuncture repose sur l’idée que tout élément interne, comme un organe, est relié (codé en surface !) à un point ou plusieurs points de la peau. Activer un point, le stimuler, c’est agir sur l’organe, ce qui peut soulager la douleur, voire guérir un déséquilibre. L’analogie est évidente : une médecine qui plaide en faveur d’une nature holographique du corps humain.

En 1957, Paul Nogier, un acupuncteur français publie Traité d’Auriculothérapie, ouvrage dans lequel il explique en détail une découverte. En plus des systèmes traditionnels des méridiens, il a identifié deux sous-systèmes de points dans l’oreille. Une fois reliés entre eux, et superposés à une planche anatomique, ils dessinent une être humain miniature, tête en bas. Ce que Naugier ignorait à l’époque, c’est que l’observation avait déjà été faite 4000 ans auparavant en Chine : « le petit homme dans l’oreille » pour les Chinois. Les planches en question ne furent publiées qu’après, alors que Naugier avait déjà revendiqué publiquement sa découverte. Terry Oleson, de l’École de médecine de l’Université de Californie à Los Angeles, a démontré par la suite que ce microsystème auriculaire pouvait servir à établir un diagnostic précis de l’état de l’organisme. Une étude montra que la charge électrique accrue de l’un des points situé dans l’oreille était l’indice d’une pathologie dans le secteur correspondant. Oleson s’est servi du recours à la stimulation des points de l’oreille pour traiter des douleurs chroniques et d’autres affections, dont la toxicomanie.

Comment se fait-il que l’alignement des points dans l’oreille épouse la forme miniature d’un être humain ? Réponse d’Oleson : la raison en est dans la nature holographique du couple corps-esprit. De même que dans le fragment de la plaque holographique est contenu la totalité de l’image, l’image globale du corps est contenu dans chacune de ses parties : « En toute logique, l’hologramme auriculaire est relié à l’hologramme cérébral qui l’est lui-même à l’ensemble du corps. Notre action sur l’organisme à partir de l’oreille s’effectue par l’entremise de l’hologramme cérébral ».  Un peu comme un tatouage dont les principaux points seraient reliés à différents organes du corps, ou comme le dessin d’un circuit intégré en électronique qui serait en réalité en quelque sorte en 3D. Oleson pense même, ce qui est parfaitement autorisé par le modèle, qu’il existe d’autres hologrammes de micro acupuncture et il parle  ce sujet de « redondances holographiques de l’anatomie globale ». Ce qui ouvre de sacrées perspectives: Vérification faite, par extension, il est tout à fait pertinent de dire que ces observations sur l’acupuncture sont applicables à bien d’autres médecines traditionnelles. Il n’y a aucun doute à ce sujet : la médecine allopathique occidentale est très nettement orientée dans un modèle analytique, tandis que les médecines traditionnelles entrent dans une vision beaucoup synthétique, dans une visons holographique de la relation corps-esprit. Mieux : le modèle holographique permettrait enfin de comprendre le mode de fonctionnement de beaucoup de techniques que l’on classe un peu trop vite en Occident dans « l’irrationnel » faute de comprendre leur mode opératoire. Il faut dire que nous sommes toujours sous l’emprise de l’animal machine de Descartes, et nos machines sont des structures analytiques. On commence à peine à les doter d’une IA, mais de là à concevoir une machine dotée d’une intelligence holographique… nous en sommes très très loin. Mais la vie le fait depuis des millions d’années.

2) Le mouvement de la conscience comme durée se développant dans l’état de veille est à la fois fluant et indivis et toute pensée est informée : ce qui est déjà une illustration de l’holomouvement. Nous avons vu que nos pensées s’élèvent d’un niveau plus profond que celui où opère notre conscience habituelle, elles viennent éclore dans l’esprit conscient comme des bulles à la surface d’un lac. Certaines trouvent leur origine dans des replis douloureux, les nœuds psychiques récurrents de l’inconscient, d’où leur forme  répétitive, émotionnelle et réactive. Ce sont les mêmes formes-pensées que l’on retrouve au niveau collectif resserrées dans nos croyances inconscientes. Et par là, nous devinons l’impact qu’a pu provoquer le modèle holographique en psychologie.

Toute pensée, qu’elle soit sensée et juste, ou fofolle et inadéquate, possède un quantum d’énergie et une intelligence qui lui est propre, en d’autres termes, toute pensée, impliée dans une représentation, peut devenir la matrice holographique d’une conduite explicite. Il suffit d’y croire et de s’y accrocher ferme. La puissance de l’esprit est telle qu’une illusion peut aussi bien faire l’affaire quoi qu’avec une énergie moindre. Étant donné que le modèle holographique postule l’interconnexion de toutes choses, il postule aussi l’interconnexion des consciences. Bohm le dit : « Au plus profond, l’humanité n’est qu’une seule et même psyché ». « C’est en fait une seule conscience, et vous pouvez en voir la preuve dans le fait que les problèmes fondamentaux de l’humanité ne font qu’un. Vous voyez qu’ils sont partout les mêmes, à savoir : la peur, la jalousie, l’espoir, la confusion, le problème de l’isolement et ainsi de suite… Ces problèmes tirent leur origine de la conscience de l’humanité et se manifestent dans chaque individu… Chaque individu est une manifestation de la conscience de l’humanité».

Avec Carl Gustav Jung, nous avons déjà abordé cette idée sous le nom d’inconscient collectif. Très tôt dans sa carrière Jung a compris que le matériel surgi de l’inconscient, les rêves, les fantasmes hallucinatoires, les créations artistiques, contenaient une symbolique qui excédait l’histoire personnelle de ses patients. Il y a une différence de profondeur de mémoire entre inconscient personnel et inconscient collectif. Et nous avons vu aussi que dans le développement de la théorie de la synchronicité, Jung s’est tourné vers la physique quantique dans sa correspondance avec Pauli pour étayer ses idées. Jung a prolongé son enquête sur l’inconscient collectif en examinant l’imagerie des mythologies du monde et conclut que les grands récits mythiques, les contes, les légendes, les rêves hallucinatoires et les visions mystiques s’alimentaient à une source commune, le vaste inconscient de l’humanité toute entière. Chaque être humain naît au sein d’une psyché collective et non pas dans l’état de « table rase », ou de « cire vierge » comme le croyait les empiristes, mais avec une mémoire collective engrammée dans ses cellules. En fait, la vraie question qui se pose alors est exactement l’inverse de celle que pose les empiristes : comment se fait-il que nous n’ayons pas un accès complet à l’information contenue dans l’inconscient collectif de notre espèce ? Il est évident que l’imaginaire auquel puisent les grands écrivains de la fiction va bien au-delà de leur petite personne, ils ont un accès au mental collectif et à sa mémoire. Ce dont ne dispose pas l’homme ordinaire. La réponse a été fournie par Robert M. Anderson, un psychologue du Rensealer Polyclinic Institue de New York : nous ne pouvons parvenir à puiser dans l’ordre implié d’autres données que celles qui peuvent entrer en résonance avec nos propres souvenirs. A cause de la résonance individuelle, explique-t-il, « la conscience individuelle d’une personne donnée ne peut avoir accès qu’à une fraction relativement restreinte de la quasi-infinité d’images présentes dans la structure holographique de l’univers sous son mode implié ». Un peu comme un diapason qui ne ferait sonner qu’une note mais dont la vibration ferait vibrer des notes similaires sur d’autres instruments conservés dans une immense bibliothèque.

Cependant, comme nous l’avons vu, cette restriction est surtout valide pour la conscience dite « normale » de l’état de veille. Il reste possible que sous certaines conditions, dans des ECM, états modifiés de conscience, un accès à des franges plus larges de la mémoire collective soit possible. C’est ce qui expliquerait notamment les résultats stupéfiants des travaux de recherche sur la régression dans la mémoire. Qu’une personne puisse sous hypnose voir surgir dans son esprit des images très archaïques, entendre une langue ancienne qu’elle ne connaît pas à l’état de veille par exemple. Ce type de phénomène ne serait pas vraiment étrange ou mystérieux. Ou plutôt, il ne peut l’être que si nous tenons pour vraie la croyance dans une individualité close sur elle-même, isolée de tout, apparaissant au monde propre comme un sou neuf et se construisant à la force des biceps. Bref le fantasme égotique le plus ordinaire qui soit. L’application du paradigme holographique à la psychologie humaine balaye cette illusion et révèle qu’elle ne prend naissance que dans une pensée fragmentaire. Par essence tout aussi illusoire. C’est donc tout un pan de psychologie fondé sur l’individualisme qui disparaît. Inversement, il est logique que la psychologie transpersonnelle fondée par Stanislas Grof et Abraham Maslow se soit tout de suite intéressée au modèle proposé par Bohm. Grof emploie le terme transpersonnel pour désigner les états dans lesquels la conscience dépasse les frontières ordinaires de la personnalité. Pour le dire de manière abrupte, et nous l’avons déjà étudié, les expériences de transcendance s’inscrivent systématiquement dans la vision holographique proposée par Bohm. Si l’approche classique – fondée sur la forme « normale » de conscience  – interdit de donner un sens à des expériences transcendantales, le paradigme holographique est lui bien plus ouvert. Il suggère que sous certaines conditions, dans une expansion de conscience et l’ouverture de la sensibilité, il est possible d’entrer dans la structure de l’ordre implié et même d’en revenir avec une intuition noétique étendue. Bohm, en accord avec Krisnamurti, appelle cela l’insight. Le propre d’une expérience transpersonnelle c’est qu’elle révèle que les frontières sont illusoires, qu’il n’existe pas de distinction ontologique entre la partie et le Tout et que l’Unité est ce qui tient ensemble toute la trame du réel.

3) Les implications du paradigme holographique sont si radicales, tellement que si nous voulons leur rendre justice, il faut pousser la métaphore jusqu’au bout, c'est-à-dire justement la voir comme réelle et plus comme une métaphore !  Lors d’un symposium dans le Minnesota, Karl Pribam s’est surpris lui-même de son audace en osant une affirmation tirée de la Gestalt-théorie : ce que nous percevons devant nous est isomorphe avec nos processus cérébraux.  Et il lança « peut-être le monde est-il un hologramme ». Mais si d’un côté le monde est lui-même holographique, (ce que montre Bohm) ou mieux, holomouvement, et de l’autre, le cerveau fonctionne de manière holographique, (comme le montre Pribam), alors, c’est incontournable, le monde de l’état de veille, le monde de la vie, est très exactement ce que le Vedanta appelle Mâya, un déploiement de magie cosmique prodigieux mais qui ne devient réel que dans et par la conscience de l’humanité. Rien ne rend mieux le sens de la phénoménalité et du même coup n’aide à comprendre ce que Mâya signifie que l’idée même d’holomouvement. Attention cependant à ne pas tout confondre, nous disons bien le monde de l’état de veille, pas le monde de l’état de rêve qui lui n’a aucun support dans l’intersubjectivité monadique et se trouve dans son désordre voué phénoménalité un cran de plus encore dans l’illusion. Ce que nous percevons à l’état de veille possède une relative constance et un ordre appuyé par le consensus d’expérience de nos autres camarades en humanité et quand ce consensus est suffisamment solide nous parlons… d’objectivité ! Ce que dit Bohm, c’est que le monde stable, le monde tangible et visible n’est pas substantiel. Nous ajoutons : c’est une illusion déployée dans l’espace-temps-causalité posé par l’état de veille. Ce monde est très humain mais ce n’est que l’écume du réel. Bohm insiste pour dire que la Réalité n’est pas statique mais animée d’une dynamisme prodigieux, c’est pourquoi il faut toujours préférer le terme holomouvement. Mais il reste que ce que nous en voyons n’est jamais que l’ordre expliqué, ou déplié, nous n’avons qu’un accès tridimensionnel au Réel. Plutôt faiblard. Dans les Upanishads le non-manifesté est présenté comme immensément plus vaste que le manifesté. Bohm le dit : « Le non-manifesté est beaucoup plus grand que le manifesté ». Il y a un ordre sous-jacent qui est Père et Mère de cette réalité de génération seconde. Donc, comme le dit Michael Talbot : « Le poli d’une tasse de porcelaine et ou le sable sous nos pieds nus ne sont que les versions sophistiquées du syndrome du membre fantôme » ! Toutefois cela ne veut pas dire qu’il n’existe ni tasse de porcelaine ni grains de sable, mais que dans l’expérience humaine à l’état de veille  l’esprit constitue un réel dans la sensation de poli de la tasse et dans le glissement du sable chaud entre nos orteils. Ce sont les mêmes montagnes, la même vallée sous la pluie, les mêmes cris d’oiseaux. Le poème du monde est là sous nos yeux. C’est le même monde que celui des « réalistes », mais tout d’un coup, il se révèle infiniment plus Vaste et Vivant, car porté par l’Infini. Totalement spirituel.

Donc à la question de Renée Weber : « Y a-t-il un holomouvement qui se regarde ? Ou y en a-t-il deux – y a-t-il une conscience holographique qui regarde un holomouvement qui est alors dualiste ? », nous devinons la réponse de David Bohm : « La conscience fait partie du tout. Or, nous avons l’ensemble de la nature et à l’intérieur d’elle nous existons et nous sommes aussi ; l’ensemble est dans chaque partie et conscience est de cette nature aussi ». Ce qui est maintenant très subtil à aborder, c’est la projection que produit communément la pensée égotique et toute la distorsion qui s’ensuit, faisant du rêve cosmique un véritable cauchemar. Une pensée dysfonctionnelle génère le chaos et toute pensée égotique est par nature dysfonctionnelle, car fondée sur l’illusion de la séparation. Ainsi se met en marche la genèse chaotique des mondes flottants produit par une pensée qui se perd dans ses propres abstractions et s’imagine saisir la réalité. L’érection de toute une civilisation égotique, fondée exclusivement sur la technique et qui ignore la conscience. Totalement matérielle. Ayant assez foi dans ses propres fantasmes pour les croire à mort réels, enfoncée dans le déni de ce qui est plutôt que de voir l’inanité de cet ego qui en est la source. Pas étonnant que de temps à autre les mondes flottants s’écroulent. Et pourtant… et pourtant… si la pensée fonctionne à l’heure actuelle dans ce sens, même à 90 %, il reste que, se comprenant elle-même, elle peut s’aligner avec sa source. « La conscience est peut être l’instrument d’une intelligence qui dépasse tout ceci » dit Bohm. Tout l’univers de la perception part de nous, les formes de la pensée sont autant de matrices qui orientent la vie dans une direction, pour le meilleur comme pour le pire. Au-delà de nos pensées, dans l’implié, le monde est parfaitement ordonné. Ce qui pourrait changer en nous, c’est notre manière de le percevoir. En ne percevant pas la nature holographique de l’univers, nous nous sommes endormis au cadeau le plus grand que la vie pouvait nous faire, celui de nous éveiller à notre véritable Soi. Une conscience libre des miasmes de la pensée, qui se sent elle-même vivante dans la totalité, vivante car alignée sur la Vie telle qu’elle s’éprouve en toutes choses sans jamais s’éloigner de Soi. Cela Bohm, toujours en dialogue avec Krishnamurti l’appelle pure intelligence et compassion. Ultimement, ce que Platon disait déjà, cette Énergie qui meut toutes choses, tout restant présente à chacune d’elle, c’est l’Amour. « Le plus haut degré de l’Énergie ».

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    Frijof Capra, le physicien auteur d’un ouvrage désormais très célèbre, Le Tao de physique, ressortait assez souvent la formule : « la physique contemporaine peut nous mener soit au Bouddha, soit à la bombe » ! Eh bien, nous avons travaillé sur la première alternative auquel le paradigme holographique conduit invariablement, car il implique une convergence entre physique et spiritualité. L’autre alternative concerne l’usage purement technique de la physique et il faut dire honnêtement qu’à l’heure actuelle beaucoup de physiciens travaillent pour l’armée. Le modèle posé par Pribam et Bohm n’a pas fini d’étonner par sa fécondité. Il propose une vision remarquable qui au fil des ans n’a fait que se confirmer d’avantage. Il appuie indéniablement le panthéisme, à ceci près que Bohm insiste nettement sur une profondeur transcendante  de l’implié dans des dimensions supplémentaires. Ce que nous appelons « réel » à notre échelle ne serait alors qu’une version 3D de quelque chose d’infiniment plus vaste et hiérarchisé. Avec le modèle holographique nous entrons dans une vision cohérente, très complexe et riche de sens. Bohm ne se faisait aucun souci, le modèle holographique continuera à faire son chemin, il pointe avec une rare élégance sur un principe fondamental à l’œuvre dans le Réel. Ce que le modèle holographique nous propose est une percée en direction du plan  métaphysique, qui a le mérite de fédérer beaucoup d’approches différentes. C’est le signe évident d’un changement du paradigme scientifique de notre époque. Un changement qui est potentiellement porteur de sagesse.

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  © Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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