Leçon 238.   Réflexions sur la bêtise    pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Nous disons d’un enfant qu’il « a fait une bêtise » quand il a par exemple cassé un vase, dessiné au feutre sur les murs, ou rayé un disque : c’est une chose qu’il n’aurait pas dû faire, pour laquelle il sera puni, mais qui au bout du compte, quelques temps plus tard nous fait plutôt rire. De la part d’un enfant, c’est plutôt anodin et innocent.

    Mais s’agissant des paroles déplacées ou des actes insensés de la part d’un adulte c’est différent. Laisser un bébé sur un parking dans une voiture en plein soleil pour aller faire les boutiques dans un centre commercial, ce n’est pas anodin ou innocent, c’est de l’inconscience et pourquoi pas, de la ? Nous dirons qu’il faut vraiment avoir une « absence » pour faire des choses pareilles, une sorte d’égarement de l’intelligence. Quand on voit ce que les êtres humains ont fait à leur semblable au XX ème siècle, on est en droit de supposer que la bêtise humaine n’a pas de limite. La pointe de l’accusation est sévère, parce que l’être humain est supposé intelligent et que nous voyons trop souvent qu’il ne l’est pas ; ce qui remet directement en cause le préjugé de notre supériorité sur l’animal qui est supposé ne pas être intelligent,, alors dire d’un individu qu’il est bête, c’est le ravaler en dessous de l'humain. Ce qui est très insultant.

    Or la grande difficulté c'est justement de ne pas tomber dans les travers de l'attaque envers la personne et de l'injure, pour observer ce qu'est la bêtise, sans introduire de condamnation ou d'identification. Nous n’allons pas nous étendre sur la comparaison avec l’animal, elle est très largement fictive. Nous devons plutôt considérer la bêtise en elle-même : ce qu’elle représente, son étendue, ses conditions, sa nature. Qu’est-ce que la bêtise ?  Une tare congénitale ? Un manque de discernement de l’intellect ? Un état résultat d’une sorte de confusion mentale ? Une sorte d’abaissement du seuil de l’intelligence ? Une sorte de conduite mimétique, mécanique complètement irréfléchie ?

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A. Quelques distinctions utiles

    Le vocabulaire qui tourne autour de la bêtise est complexe. Afin d’éviter le dérapage dans la condamnation, dans le registre de l’injure, nous écarterons les termes dont la charge émotionnelle est très difficile à manier. Traiter quelqu’un de « con », parce qu’il ne comprend rien à ce que nous avons à lui dire, c’est facile et souvent réciproque, quand l’autre ne se sent pas écouté.  Nous serons toujours le « con » de quelqu’un d’autre si nous ne savons pas écouter et que nous ne voulons pas comprendre. Cela n’explique en rien ce que pourrait être la « connerie » indépendamment de nos attentes, de nos exigences et de nos colères. Donc, laissons tomber le registre émotionnel. Avec un peu d’attention, nous remarquerons que ceux qui usent abondamment de l’injure en parlant de « cons » à tout va ne sont pas loin justement de sombrer dans la « connerie ». Si nous écartons l’émotionnel, au quotidien, ce qui est reste, c’est la sottise, l’idiotie, la stupidité, l’inertie mentale ou l’incompréhension qui nous fait dire de quelqu’un qu’il n’est… pas très futé. Et quand ... pensant qu’il est quasiment impossible ... complètement faux.

    1) Les résultats acquis dans les leçons précédentes nous interdisent plusieurs confusions. Il a été longuement question de la nature de l’intelligence. Nous avons à plusieurs reprises souligné la différence entre l’intelligence et l’intellect. (texte) Conformément à l’étymologie, nous avons vu que l’intelligence porte en elle la capacité de relier une chose à une autre, de voir des liens. On dit qu’un esprit est intelligent quand il est vif et voit très rapidement une relation et nous avons abondamment montré que l’intelligence est présente dans la capacité d’observer avec attention. Celui qui intuitivement ne voit rien, même ce qui est pourtant sous son nez, souffre d’une sorte de cécité de l’intelligence. Il voit peut être avec les yeux du corps, mais pas avec ceux de l’esprit, il ne voit pas avec l’intelligence, ce qui est précisément être intelligent.

    Nous avons examiné à plusieurs reprises la nature de l’intellect. L’intellect est un outil de la pensée, un outil de discrimination, qui permet par analyse de séparer une chose d’une autre. Ceux qui ont l’intellect aiguisé peuvent aller jusqu’à isoler, opposer ce qui est dans la réalité intimement lié, jusqu’à couper les cheveux en quatre et compliquer tout à l’excès, ce qui précipite l’esprit dans l’obscurité. C’est pour cette raison que nous parlions plus haut d’erreur de l’intellect. On peut donc sans contradiction avoir l’intellect très développé et n’être pas très intelligent. Et comme l’intellect déploie toute son envergure dans le champ théorique, celui de l’analyse, il est fort possible qu’un savant muni d’un QI impressionnant soit en hors de son domaine assez idiot. La formation universitaire purement analytique n’est pas faite pour développer l’intelligence. Parce que la démarche analytique découpe en morceaux mais ne donne aucune vision globale synthétique et intuitive. ce qui est l'intelligence même.

    Quand nous parlons de bêtise, nous désignons en fait une sorte d’incapacité à voir ce qui est, à relier, ce qui sous-entend qu’il n’y ait pas d’intelligence, mais qu’elle n’est pas exercée. Ou plutôt, elle est comme rendue muette, plus exactement comme plongée dans la stupeur. Et c’est ce regard inintelligent que l’on appelle stupide. En effet, com-prendre, c’est prendre avec soi, ce qui suppose une intelligence capable d’appréhender ce qui est de manière globale ; (texte) alors apparaît le sentiment d’avoir compris ou d’être sur le point de comprendre. L’intelligence entre en acte. (texte) Mais celui chez qui l’intelligence est comme enténébrée, qui est dit stupide, il n’y a pas de perception de relations, mais seulement des objets séparés : résultat, au lieu que les pièces du monde viennent à s’assembler dans l’esprit comme dans un puzzle, dans l’éclair d’une compréhension, il n’y a de pensée que fragmentaire. Sans vision. C’est parfois très net : dans le regard éteint de celui qui ne comprend rien,  ou à l’inverse dans le regard pétillant de l’enfant, tout excité de voir les liens entre les choses et qui confie enthousiaste ses découvertes à sa maîtresse. De celui-là on dira à juste titre qu’il est éveillé, du premier qu’il est malheureusement endormi. Un autre exemple : dans un roman policier, la différence ... c’est que pour le premier les indices sont séparés, tandis que pour le second, il viennent s’assembler dans une image globale cohérente qui apporte au final la solution de l’énigme.

    Par conséquent, il est impossible de parler d’une « bêtise de l’intelligence », comme on peut parfois le lire ici ou là. Il n’y a de bêtise que de l’intellect borné, d’une pensée aux vues trop courtes dans l’incapacité de comprendre et qui tourne en rond dans des préjugés, en l’absence d’une vision élargie qui serait celle d’une véritable intelligence. Qui pourrait être un aptitude spontanées chez l’être humain. Malheureusement, Jules Renard le disait avec finesse : « bêtise humaine », « humaine » est de trop : il n’y a que les hommes qui soient bêtes ». Parce que la bêtise est dans le mental et le mental est un développement évolutif humain. La bêtise appartient aux limites de la pensée auxquelles elle ajoute l’arrogance d’avoir raison à tout prix.

    Ajoutons enfin, comme nous l’avons montré, que l’intellect peut être très calculateur, ce qui ne le rend pas pour autant intelligent, contrairement à ce que croient la plupart des gens. Spéculer sur les denrées alimentaires au point de ruiner une économie au bout du monde, c’est bien « calculé » pour les profits, mais ce n’est pas intelligent. C’est de la bêtise fanatique. Est intelligent ce qui sert le bien de tous, pas les profits calculés de seulement quelques uns. Ainsi peut on comprendre que des intellects brillants peuvent être complètement aveuglés et corrompus, parce qu’il leur manque la largeur, la profondeur de vue de l’intelligence (texte) et, par-dessus tout,    ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ne comprend rien, mais avec un peu d’ego en plus, la sottise comprend tout de travers ! Et en plus le dit haut et fort. Le sot manifeste une volonté obtuse, inadéquate quant au propos et à la situation. Il persiste dans une parfaite inconscience dans un jugement ... en a conscience, sauf le sot lui-même ! Être intelligent c’est être conscient, avoir assez de souplesse pour s’adapter à ce qui est, sans ... Ne pas être raide. Être intelligent implique aussi avoir assez de sens critique pour réexaminer ses propres pensées les re-penser, pour se garder des préjugés. Mais le sot n’a pas la finesse ni la souplesse de l’intelligence éveillée, il n’est pas réfléchi et manque cruellement de sens critique. Il est de fait incroyablement prévisible, car sa rigidité fait qu’on peut à l’avance deviner ses réactions, ses réparties, mille fois resservies. Il est raide dans ses pensées et mécanique dans sa conduite. Et  comme « la sottise ne parle jamais à voix basse », elle est volubile, tandis que l’intelligence pour s’exercer a besoin de l’espace du silence. Le sot est bavard, et toujours à côté de la plaque, il gagnerait à tenir sa langue et à savoir davantage observer pour gagner de l’à propos. Mais s’il y a bien une chose qui lui manque c’est l’à propos, donc la pertinence dans la parole. Et l’à propos est la marque des personnes qui ont de l’esprit, pas des sots.

    Pour le plaisir, voici un extrait des Mémoires d’Alissan de Chazet de 1809 qui fait le portrait du sot et le distingue de la bête:

« Le sot, plus orgueilleux, est aussi plus coupable,
Il est enchanté de son lot,…
Pour être ridicule, il a voulu s’instruire.
Voyez un sot entrer dans un salon,
Comme il se plait, et comme il se fait rire !
C’est la bête à prétention :
Sa malencontreuse mémoire,
Qu’il appelle au secours de ses succès brillants,
Tronque, en faisant un cours d’histoire, les auteurs, les pays, les dates et les temps…
C’est en se bourrant de lecture,
Qu’il est devenu sot parfait.
Tel qu’on voit le gourmand avide entassant mets sur mets…
Manger, manger toujours sans digérer jamais ;
Un sot rempli de suffisance,
Se déclare avec arrogance…
Le sot en grande compagnie parle et ne nous dit rien ; la bête ne dit mot :
On plaint la bête, on fuit le sot.
L’un quelquefois amuse, et toujours l’autre ennuie
 ».

    Nous avons souligné à plusieurs reprises l’importance du monologue de l’ego. Une pensée qui tourne en rond dans l’esprit comme un disque rayé ne peut être intelligente. Elle est plus une compulsion qu’une réflexion. (texte) on peut dire que le sot verbalise à l’extérieur un monologue qu’il pourrait déclore s’il en prenait conscience, s’il écoutait vraiment ce qu’on lui dit. Mais comme le dit Michel Adam dans son Essai sur la bêtise : « Ce qui manque au sot, c’est l’aptitude à la délibération envers lui, la capacité de suspendre sa propre pensée. Dans l’affirmation de toute pensée, il y a une alternative, celle du vrai et du faux. Toute expression sera ambiguë, au sens où celle-ci sera plus ou moins vérace. Or le sot paraît être insensible à cette ambiguïté. Il s’engage dans une énonciation qui pour lui ne fait en rien problème. Une pensée droite est une pensée qui accepte de douter pour se rectifier. Le sot ne soupçonne pas qu’il a besoin d’un minimum de sagacité pour affirmer sa pensée ». (texte) Il affirme, il affirme, il affirme encore ! A la limite, il est plus facile de repousser l’ennemi, de faire voir au méchant sa méchanceté, mais que faire en présence de la sottise ? « Il est pratiquement impossible de prouver au sot qu’il est sot. Si la méchanceté peut s’atténuer, si le méchant peut se lasser de l’être, le sot ne sera satisfait que dans et par sa bêtise ». Il est installé complaisamment dans une inconscience dont il ne peut volontairement s’éveiller, (texte) car justement son intelligence est en sommeil.

B. Une société de la bêtise systémique

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   © Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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