Leçon 177.   Introduction à l’anthropologie      pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Il est aujourd’hui devenu singulièrement difficile de donner une définition de l’homme qui puisse recueillir un assentiment suffisant sans déclencher une polémique. C’est tout de même une situation très curieuse, car, nous reconnaissant comme humain, nous devrions tout de même pouvoir nous entendre pour donner une réponse satisfaisante à la question : « qu’est-ce que l’homme ? »

    Nous avons vu précédemment que dans les cinquante dernières années, la zoologie contemporaine a fait des pas de géants. Or ses progrès ont conduit à combler très largement le fossé que nous creusions autrefois entre l’homme et l’animal. Or quand « le propre de l’homme » disparaît et que notre mode de pensée habituel pratique la disjonction, l’opposition et insiste sur la différence, nous nous retrouvons penaud et sans arguments. Si nous éliminons délibérément la volonté de définir l’homme en le séparant de son frère animal, ce sont des pans entiers de notre représentation qui s’effondrent.

    L’anthropologie contemporaine, en tant que discipline scientifique se devait de reformuler la question de l’homme de telle manière qu’il soit possible d’y répondre. Cette nouvelle question la voici : « Qu’est ce qui rend l’homme capable d’avoir une existence historique, d’adhérer à des institutions, d’avoir avec ses semblables des rapports sensés ? »

    Mais le chemin n’est pas facile, il est semé d’embûches, car nous ne pouvons pas avec des généralités scientifiques écarter le problème de savoir en quoi consiste l’essence de l’homme. Il faut d’autre part aussi se tirer d’affaire devant une autre interrogation : Dans quelle mesure l’homme peut-il être objet de science ? Nous allons dans  cette leçon surtout résumer l’état des lieux actuel de ces discussions. 

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A. Biologie et anthropologie

    Pendant des siècles, sous l’influence de la religion, la question : « qu’est-ce que l’homme ? » a reçu une réponse théologique : « l’homme est une création de Dieu ». Pour comprendre l’homme, il fallait donc emprunter la voie du mythe et spéculer sur l’Origine. Dans la très ancienne tradition indienne, par exemple dans le Rig Veda, il est question de la fonction du Purusha cosmique, archétype de l’Homme, dont dériverait manuh, l’homme actuel, manuh, l’être qui est par essence doué de manas de pensée. Dans la tradition grecque, nous avons vu la reprise par Platon du mythe de Prométhée qui évoque la création du monde par les dieux et la création de l’homme. Dans le monde judéo-chrétien, le mythe de la Genèse a servi a cette même fonction, l’autorité de la Bible en tant qu’écriture sacrée se portant garant de ce que l’on pouvait dire de l’homme. Or ce qui caractérise la naissance de l’anthropologie moderne, c’est la volonté de rompre avec l’interprétation religieuse et de tenter de fonder ses explications scientifiques sur une théorie empruntée à la biologie.

     1) Pour toute personne ... Dans la conscience commune, l’association entre « humanité » et « homme des cavernes » est très bien établie et elle est constamment renforcée d’ailleurs par les références du cinéma. Ce sont des données scientifiques enseignées dès l’école primaire et qui sont devenues des lieux communs.

    Cependant, nous ne nous rendons pas compte que  ces données sont d’une apparition assez récente dans notre histoire et elles tranchent singulièrement avec la représentation que l’on pouvait avoir de l’homme par exemple au Moyen Age. Pour que l’anthropologie acquière le statut d’une science, il fallait qu’elle révolutionne son paradigme. La rupture avec l’ancien paradigme s’est engagée à la Modernité quand ont commencé à poindre des théories de l’évolution. Les premières théories ayant trait à l'évolution de l’humain ont été formulées au XVIIIe siècle par les philosophes des Lumières, parmi lesquels figurent Diderot, Turgot et Condorcet (texte). L’émerveillement devant la prodigieuse complexité de la nature, les succès du paradigme mécaniste, les perspectives du progrès, suggéraient qu’il devait y avoir un changement orienté et une spontanéité dans la Nature. Les idées des Lumières se heurtaient nettement au fixisme des explications bibliques de la Création et elles anticipaient sur la théorie de l'évolution de Darwin. La théorie de l’évolution était tout à fait  « dans l’air du temps ». Mais c’est bien sûr à Darwin que revient le crédit d’avoir porté un coup fatal au créationnisme biblique et d’avoir imposé l’hypothèse évolutive. Fait indiscutable et d’une importance colossale : dans son acte de naissance en tant que science au XIXe siècle, l'anthropologie se place délibérément dans un paradigme évolutionniste. La théorie darwinienne supposait une apparition graduelle des espèces, par le biais de l’adaptation et des mutations. L’anthropologie allait la suivre dans cette direction.

    Quelques points de repère. Dans l’état actuel de notre savoir, d’un point de vue biologique, l’homme actuel est dit homo sapiens. Il dérive en tant qu’espèce du genre homo, qui réunit humain et espèces apparentées. D’après ce que nous savons, ce genre est daté entre 2 et 2,5 Ma. Il y a eu plusieurs espèces humaines primitives qui toutes se sont éteintes pour ne laisser place qu’à une seule l’homo sapiens. On pense que les dernières espèces apparentées, l’homo floresiensis et l’homo neanderthalensis, ont disparu respectivement il y a 18 000 et 30 000 ans. Auparavant, nous pouvons mentionner : l’homo erectus, apparu en Afrique australe il y a 1,8 Mo, présent en Asie et en Europe, notamment en France il y a quelques 600.000 ans ; l’homo habilis dont les fossiles ont été découvert en Tanzanie dans les gorges d’Olduvai, datant de 2,45 à 1,5 Ma. L’homme de Neandertal et l’homo sapiens ont ensemble occupé l’Europe, le Proche-Orient et l’Asie du Sud-Est. Ils se sont très probablement côtoyés. Les derniers vestiges de l’homme de Neandertal ont été trouvé au sud de l’Espagne et au Portugal. Notons que ce point de vue ne s’est pas imposé facilement, il a fallu notamment montrer par plusieurs découvertes archéologiques l’existence d’une longue séquence temporelle de l’évolution humaine. En 1856, on met à jour un fossile néandertalien en Allemagne. Des restes d'un homme de Java (Homo erectus ou Pithecanthropus erectus) sont découverts dans les années 1980. Les silex taillés, mis au jour par Boucher de Perthes, près d'Abbeville, dans les alluvions de la Somme, démontraient que la préhistoire s’était étendue sur des centaines de milliers d’années. D’où les travaux des archéologues pour tracer dans le temps des périodes et poser l'évolution des outils de l'âge de pierre à l'âge du bronze, puis à l'âge du fer.

    Une théorie officielle est donc née et l’anthropologie pouvait désormais s’appuyer cette alliée précieuse que constitue l’archéologie conventionnelle. On appellera anthropologie physique l’étude de l’évolution de l’homme, de sa biologie et l’étude des autres primates. L’existence d’une science normale atteste ici la maturité d’une discipline et elle demeure le gage de son développement théorique ultérieur.

    Une de ses branches de l’anthropologie physique est appelée paléontologie humaine ; elle s’attache à l’étude du processus de l’hominisation, c’est-à-dire de cette évolution remarquable qui conduit à une individualisation du rameau humain, par rapport aux autres primates. De là une manière qui nous est devenue très familière de considérer la pensée comme une émergence évolutive, une résultante. Suite à une série de découvertes remarquables permettant de conforter ses hypothèses initiales, la paléontologie humaine a connu un franc succès. La mise au jour d’une série de fossiles dans les gorges d'Olduvai, en Afrique orientale, a par exemple obligé les paléontologues à reconsidérer l'évolution biologique de l’homme. Les restes fossilisés découverts à la fin des années 1970 et 1980 donnèrent la  preuve, il y a 1 à 3 millions d'années, de l'existence du genre Homo en Afrique de l'Est, à côté d'autres formes d'hommes-singes, appelés australopithèques Ces deux hominidés descendaient vraisemblablement d'un fossile éthiopien, l'Australopithecus afarensis, âgé de 3 à 3,7 millions d'années. C’est la très célèbre Lucy, découverte en 1974. On a pu montrer que ces très lointains ancêtres de l’homme étaient déjà bipèdes et assez libres de leurs mains pour être capables de manipuler des objets.

    2) Les objets en pierre découverts près de fossiles des sites d'Afrique orientale, permettent de faire remonter la fabrication des outils et leur utilisation à environ 3 millions d'années. L'ingéniosité technique remarquable dont ils témoignent, donne à penser que c’est par cette aptitude que le genre homo a remporté un succès évolutif sans commune mesure avec les autres espèces animales vivant sur Terre. Il est donc assez logique de qualifier le premier homme, comme on a pu le faire, d’homo habilis, d’homme adroit. Comme nous l’avons vu avec Bergson, l’homme a été ingénieux avant d’être intelligent au sens où nous l’entendons aujourd’hui. L’adaptation aux conditions de vie est bien sûr une fonction primordiale qui devait être assurée. Nous savons aussi qu’un changement de régime alimentaire s’est mis en place. A la différence de ses ascendants australopithèques, qui étaient végétariens, notre ancêtre Homo habilis prit goût à la viande et devient omnivore. L’évolution de la conformation de sa dentition et l'utilisation qu'il faisait de ses outils attestent ce passage. Selon les données actuelles, c’est plutôt en Afrique qu’il faut chercher le berceau de l’humanité. _______________

     L’homo habilis est de petite taille : 91 cm de haut. Son développement cérébral adulte atteint en général 750 cm3, même si des restes d’espèces Homo plus grande, dont le développement cérébral est de 750 cm3 ont aussi été trouvés en Afrique de l’Est. Celui que nous considérons comme un protohumain de grande taille, appelé Homo erectus, s’est développé et s’est propagé en Europe et en Asie, vraisemblablement il y a 1 million d’années. Il a su développer une très large gamme d’outils. Les restes les plus anciens que nous ayons de l’homo erectus sont connus sous le nom de « pithécanthrope », appelé « l’homme de Java ». Nous disposons aussi des restes de « l’homme de Pékin ». Ce sont des fragments de squelette qui ont été découvert près de Pékin à Choukoutien. Le nom de « sinanthrope » a été conservé, celui de Sinanthropus pekinensis  est le terme savant. L’un comme l’autre sont d’un age plus récent que les restes de l’homo habilis d’Afrique, et datés entre 750.000 et 300.000 ans. C’est aussi à Choukoutien que l’on a découvert la plus ancienne trace d’utilisation du feu par l’homme.

    Il existe bien sûr beaucoup d’incertitudes dans ce tableau du fait de la maigreur des données dont nous disposons. Malgré l’appui des techniques de datation, la paléontologie est très largement une science conjecturale dans laquelle des théories rivales s’affrontent sans qu’il soit toujours possible de trancher les débats. Il y a une différence entre la présentation très dogmatique que l’on donne de la paléontologie dans les petites classes et l’état polémique des discussions entre spécialistes ! La théorie comporte de nombreuses zones d’ombre. Personne de peut dire clairement pourquoi parmi les différentes espèces humanoïdes, l’homo sapiens s’est distingué. Il aurait très bien pu y avoir plusieurs espèces humaines et non pas une. Ce qui nous importe avant tout c’est de remarquer que pendant des milliers d’années, la Terre n’a été occupée en guise d’humains que de petites populations de chasseurs cueilleurs témoignant d’une vraie culture. C’est bien sûr le mot important. Traditionnellement, l’existence d’artefacts et de représentations comme celles des grottes de Lascaux est par excellence signe de l’humanité. Un être qui sait se servir du feu, qui utilise des techniques de fabrication sophistiquées, sait les sauvegarder et les transmettre à ses descendant, manifeste une intelligence avancée. Un être capable d’une représentation de lui-même, qui dessine des scènes de chasse (texte) où nous pouvons déjà entrevoir une dimension religieuse est très proche de nous. La frontière de la vitalité frustre est franchie (texte) et nous sommes déjà dans le registre mental de la culture et de son héritage.

    Dernier point. Dans la mesure où l’anthropologie est liée à la théorie de l’évolution, il était inévitable qu’elle connaisse des dérives idéologiques. La tentation était forte de passer de la sélection naturelle à la recherche des caractéristiques « raciales » dominantes des différents groupes humains ou pire à l’identification d’une « race pure ». Les horreurs de l’Histoire nous ont montré quel en a été le résultat. Nous savons aujourd’hui que les théories racistes de Gobineau reprises par le nazisme sont caduques. Les êtres humains actuels appartiennent à la même espèce homo sapiens et sont issus d’une même ascendance. Les différences _______________

B. L’anthropologie sociale

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Vos commentaires

Questions :

1.       Une étude scientifique de l’homme est-elle possible sans qu’intervienne des présupposés idéologiques enracinés dans une culture ?

2.       L’homme est-il réductible à sa culture ?

3.       La richesse d’une culture ne tient-t-elle pas à l’éveil de la conscience qu’elle est capable de produire?

4.       Le nihilisme est-il ancré dans la nature de l’homme où inscrit dans les tendances de sa culture ?

5.       Qu’avons-nous à apprendre de sérieux d’une étude purement biologique de l’humain ?

6.       Psychologiquement les hommes ne sont pas différents : comment expliciter cette affirmation ?

7.       Faut-il, au regard du spectacle désolant de l’histoire, préférer l’homme idéal à l’homme réel ?

 

        © Philosophie et spiritualité, 2008, Serge Carfantan,
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