Notre société est violente. Nous voyons la violence dans les paroles, les actes, la révolte, et la violence ne cesse de resurgir dans la brutalité des relations. La violence est dans les invectives que les individus s’envoient, sous la caution psychologique selon laquelle, il ne faudrait rien réprimer. La violence est là dans le mépris du snob pour le pauvre type qui vit dans la misère. Elle est présente dans le rejet du monde adulte de l'adolescent. De là à considérer que la "société" est la cause de la violence, il n’y a qu’un pas que l'on franchit assez vite ; et c’est une tendance typique de notre époque que de rejeter la cause de la violence sur les conditions économiques, la rivalité des classes sociales etc.
Mais n’est-ce pas une facilité ? Nous cherchons dans la vie sociale une satisfaction matérielle, mais nous y cherchons aussi le plaisir et la vanité ; et le plus grand plaisir de l'ego, c’est l’opinion flatteuse de sa propre puissance. La plus grand souffrance, c’est d’être ridicule et méprisé. D’où la recherche de la vengeance. En quel sens la vie sociale qui rend-t-elle l’homme violent ? La violence ne tient-elle pas plutôt à l’individu qu’à la société ?
La violence a-t-elle son origine dans la vie sociale ?
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L’argument massif que l’on peut apporter en faveur de la thèse selon laquelle la violence surgit en dehors de l’individu, c’est bien sûr l’existence de la guerre. La guerre est un affrontement militaire entre des volontés d’États qui ont décidé d’en découdre. Les deux amis paysans qui habitent de part et d’autres de la frontière sont citoyens de deux États différents. Dès que la déclaration de guerre est faite, ils deviennent des ennemis ; ils sont emportés dans la guerre selon une volonté qui n’est pas la leur, mais qui appartient à leur statut de citoyen d'un État. La guerre, pourtant, est à l’image du combat singulier de deux hommes entre eux. Deux peuples qui s’affrontent, sont deux individualités agrandies qui s’affrontent. C’est un conflit à une échelle supra-indivuelle, mais c’est encore un conflit, c'est-à-dire l’affrontement de deux volontés, l’une cherchant à faire plier l’autre. (texte)
Quel est le but de la guerre ? C’est la victoire, concept qui est historiquement variable. Pour les grecs le vainqueur, c’est celui qui reste maître du champ de bataille. La victoire c'est de rester maître du champ de bataille, de pouvoir enterrer ses morts et d’élever un trophée pour célébrer l'héroïsme du vainqueur. Dans l’histoire contemporaine, le concept se modifie, perd ce qui le rattachait à la chevalerie et on a plutôt l’impression que remporter la victoire, c’est tuer le plus de monde possible.
Mais puisqu’il s’agit d’un conflit, pour l’essentiel, ce qui est en jeu, c’est avant tout d’imposer à l’adversaire sa volonté. Dans De la Guerre, le stratège célèbre Clausewitz écrit : « La guerre est un acte de la force par lequel nous cherchons à contraindre l’adversaire et à le soumettre à notre volonté
». L’adversaire est vaincu quand sa volonté s’est inclinée devant le plus fort. La force est l’élément fondamental de la guerre. Elle enveloppe la force physique permettant une violence directe sur l’adversaire, celle du combattant au corps à corps. Mais bien sûr, la force physique est l’élément le plus superficiel de la force, l’élément le plus subtil en est la ruse. Dans notre monde contemporain, la force a recours à une puissance technique, entre les mains des militaires. La puissance technique permet de fabriquer des bombes et des armes sophistiquées, qui évitent l’engagement du corps à corps. Le XX ème siècle a inventé la "guerre propre". Notre puissance technique (texte) fait de la guerre une sorte de jeu vidéo que l’on peut commander à des milliers de kilomètres du lieu des combats, jeu violent, mais bien réel. La guerre possède en commun avec le jeu le fait qu’elle implique des règles et une stratégie dirigée vers un but qui est de gagner la victoire. La stratégie est une manière d’utiliser toutes les ressources de la force, au moyen d’un calcul habile, pour vaincre l’adversaire. L’ennemi sera vaincu quand il sera mis hors d’état de nuire. Sa volonté ayant été réduite, il ne pourra que se soumettre. « La guerre est un acte violent dans lequel l’emploi de la force étant illimité, chacun des eux adversaires impose à l’autre la loi d’où résulte une influence réciproque qui de part et d’autres doit conduire à l’extrême ».
---------------Quel est l’enjeu
réel de la guerre ? Est-il fondamentalement différent des enjeux qui alimentent les conflits entre des individus ? L’hostilité dans la guerre ne peut naître qu’entre des États qui disposent d’un pouvoir armé et mettent en avant des exigences politiques. La guerre, c'est une manière de continuer la politique par d'autres moyens. La première des exigences de l’État est
territoriale. On se dispute un territoire en soutenant, de part et d’autre
de la frontière, que l’on a le droit de se l’approprier et qu’il nous appartient. Cela suppose donc une
volonté politique de la part de chacun des États. La volonté politique de l’État peut ne pas coïncider avec la volonté individuelle du citoyen qui ne s’identifie pas à la volonté politique guerrière de l’État. Il est possible de différencier la
querelle entre deux individus qui les amène éventuellement à des actes violents et la guerre qui se situe dans l’affrontement de deux volontés d’État. Il ne suffit pas que deux hommes se querellent, pour qu’ils soient en guerre. Ils peuvent avoir une dispute sur les limites d’un champ et en même temps, comme paysans qui vivent l’un près de l’autre, avoir l’habitude de se prêter du matériel, de faire ensemble les mêmes tâches, de faire la fête ensemble. S'il y a un problème, on finit par le régler par le droit en le portant devant la justice. Deux hommes qui sont voisins ne peuvent se sentir ennemis que parce qu’ils s’identifient à une
nation. L’exaltation patriotique rend le nationalisme fébrile. Elle fait que la volonté des uns et des autres, devient aveugle à l'universel, et empêche de voir en face un autre être humain. Celui qui, membre d’un
État se fait soldat, voit en face de lui un autre soldat ennemi et oublie l’homme. L’hostilité momentanée entre des hommes ne compte plus vraiment. Il n’y a de guerre véritable, d’un point de vue juridique de droit international, que lorsque sont rassemblées plusieurs conditions :
a) Quand les hostilités durent un certain temps
(texte) et qu’elles donnent lieu à une déclaration de guerre,
b) quand on se bat pour la réparation d ‘un dommage collectif. La permanence de l’hostilité est instaurée par la confrontation politique. Une simple querelle peut finir facilement, si chacun y met un peu de bonne volonté. La guerre, elle, est entretenue par des motivations de pouvoir qui ne prennent pas fin aisément. Des revendications de pouvoir sur quoi? Le plus souvent, les motifs politiques qui engendrent la guerre portent sur un territoire et l’ensemble des biens qu’il enveloppe. Il est plus intéressant de convoiter un espacequi contient du pétrole qu’un carré de désert de sable sans ressources naturelles.
Rousseau écrit que la guerre surgit de la volonté brutale de s’approprier un territoire sur lequel règne une autre
État. Le jeu de la guerre se situe autour de ce choc de volontés d’État. La guerre est un acte politique qui mobilise un peuple au nom de l’État. « C’est le rapport des
choses et non des hommes qui constitue la guerre
Il est aussi possible de détourner l’origine de la violence de l’individu vers la vie sociale et de dire que c’est la société et ses contradictions, qui engendre des violences et en particulier la violence des guerres civiles.
Notons d’abord que le mot « guerre » ici est impropre, puisqu’il ne s’agit pas comme précédemment de l’affrontement de volontés d’État, mais de tensions de groupes rivaux à l’intérieur de l’État. Il n’y a de guerre civile que lorsqu’un pays, miné de ses divisions internes, se scinde en factions rivales qui déclenchent des violences en revendiquant le pouvoir. La violence civile est le règne de la discorde. Le schéma le plus fréquent du conflit est : maintient de l’ordre/contestation de l’ordre, ou appel à la sécurité de l’État/contestation de la légitimité du pouvoir. D’où une situation de crise où le pouvoir vacille et, dans laquelle la dissolution du pouvoir explose en révolte. L’État exerce une violence qu’il dit légitime pour la sécurité du pays, pour sortir la nation du chaos, et en face la révolte gronde, la corruption est criée au grand jour, le peuple demande réparation, un pouvoir juste et engage la violence au nom du droit de révolte contre l’oppresseur. L’opposition au pouvoir prend pour emblème l’exigence de justice et elle choisit la voie violence pour parvenir à ses fins. A la racine de la violence civile, il y a une situation de fait chaotique, l’injustice et aussi souvent la récupération du sentiment d’injustice par l’idéologie. Une idéologie est en effet indispensable pour liguer contre, rassembler un groupe, le souder autour d'une cause, car c’est dans une doctrine qu’il trouve la cohésion de son action. On ne peut liguer les hommes que sous la bannière d'un projet commun de réforme de la société. Est-ce à dire que le parti pris idéologique implique forcément la violence civile ? Non tout de même. Il faut que l'idéologie trouve une voie d'expression au sein des institutions, et qu'elle respecte le pluralisme d'opinion. La démocratie, par nature, suppose la représentation et la représentation appelle la constitution de partis. La pluralité de vues laisse en principe place aux des moyens de persuasion de la parole, à la communication dans le jeu normal des institutions, sans entraîner pour autant l’usage de la violence.
Ce n’est que lorsqu’elle introduit une forme de justification de la violence qu’alors l’idéologie produit directement la la violence civile, parce qu'elle fait de la violence un moyen dont l’usage paraît nécessaire à ses fins. Nous l'avons vu avec l'empire du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne. Cela a été aussi le cas du communisme, dont la doctrine admettait que "la violence est l’accoucheuse de toute vieille société", selon les mots de Marx. La violence, de ce point de vue, est une résultante nécessaire de l’évolution économique, elle joue un rôle dans l’Histoire, dans une évolution que la doctrine présente comme nécessaire. On ne peut faire autrement : la lutte des classes est le moteur de l'Histoire. D’où les justification de Sorel : « je crois très utile aussi de rosser les orateurs de la démocratie et les représentants du gouvernement, afin que nul ne conserve d’illusion sur le caractère des violences. Celles-ci ne peuvent avoir de valeur historique que si elles sont l’expression brutale et claire de la lutte des classes : il ne faut pas s’imaginer que la bourgeoisie puisse s’imaginer qu’avec de l’habileté, de la science sociale ou de grands sentiments, elle pourrait trouver meilleur accueil auprès du prolétariat
».
---------------Dans le
marxisme, la violence est le seul moyen dont dispose les nations « abrutie par l’humanitarisme » pour « retrouver leur ancienne énergie ». On appellera alors violence
révolutionnaire les formes de lutte directe contre le pouvoir qui recourent aux manifestations de force, la lutte armée, la grève, la casse, toutes les formes sociales d’affrontement avec le pouvoir. Par violence terroriste on peut entendre la radicalisation de la violence
révolutionnaire, celle qui entend recourir aux attentats, au meurtre contre les hommes du pouvoir, pour faire avancer
la cause idéologique. La différence entre les deux est mince, elle peut refléter seulement une différence d’appréciation. Celui qui soutient une lutte qu’il estime nécessaire, voit une violence révolutionnaire là où celui qui veut protéger l’État parle de violence terroriste. Les membres d’Action directe en France prétendaient être le fer de lance de la révolution communiste, l’avant garde de la lutte des classes. Parce que le peuple est trop assoupi pour mener une lutte efficace, il fallait que des révolutionnaires viennent porter les coups directement contre les représentant et les symbole du système pour continuer le combat.
Nous pourrions répéter ce type d’analyse en prenant l’exemple de l’intégrisme islamique et son mode d’influence. Il se présente aussi comme une idéologie qui justifie le recours à la violence comme moyen nécessaire, au nom de la guerre sainte. Il prétend lui aussi mener une guerre au nom de la violence révolutionnaire pour la constitution de l’État islamique. Il peut aussi aisément justifier la valeur de la violence terroriste en faisant l’apologie des martyrs.
L’idéologie entretient les divisions entre les hommes, elle suscite les antagonismes. Comment s’étonner dès lors qu’elle puisse engendrer la violence civile ? Toute idéologie, parce qu’elle suscite la division, contient en germe une violence latente. Non seulement cela, mais l’idéologie est aussi un paravent pour dissimuler des motivations personnelles : l’avidité du pouvoir, le désir de revanche, de vengeance, les passions individuelles. L’idéologie est un masque qui cache la violence individuelle et lui donne une justification du droit. C’est toujours au nom du droit que l’on prétend se battre. Un système idéologique est une construction mentale qui permet de justifier son bon droit, de revendiquer un droit, de contester au nom du droit.
N’est-ce pas justement parce que la violence n’est pas fondamentalement sociale mais en réalité individuelle ? Qu’est-ce qui caractérise la violence individuelle dans son opposition à la société ? L’homme violent est l’homme qui jouit de la supériorité de sa force, qui veut dominer par la force, celui qui trouve un plaisir de lire dans les yeux de l’autre un regard effrayé et soumis, celui qui trouve un plaisir de voir reconnaître sa propre supériorité. Mais l’homme violent est aussi plus que cela, c’est celui qui fait confiance dans la violence en tant que moyen pour servir ses fins. (texte)
1) Calliclès dans le Gorgias de Platon, suit logique de la violence : une confiance systématique donnée à la domination du plus fort, à la domination de celui qui sait user de violence. La logique de la violence s’appuie sur l’idée de la supériorité et sur une confiance systématique donnée à la domination du plus fort. Que dit Calliclès ? Selon lui, si dans la Nature c’est le plus fort qui domine, alors il est « juste » que dans la société humaine il en soit de même ! Dans la nature, la lionne mange un de ses lionceau s’il présente une anomalie biologique. La nature est le champ de la "lutte pour la vie". Le plus fort s’impose sur le plus faible. Selon Calliclès, il en est de même dans l’ordre humain et il est « juste » que le plus fort domine, ait le pouvoir. Que vienne un homme fort, un tyran, et aussitôt nous saurons reconnaître « la vraie loi », qui est « la loi du plus fort », nous saurons reconnaître celui devant lequel on doit s’incliner. L’homme fort ne sera pas dupe du discours des faibles et de leur prétendue morale. Fier de sa force et de son courage, il méprisera les lois faites par les faibles, leur morale, leur tempérance et leur soi-disant sagesse. En toutes choses, l’homme fort saura faire triomphe la « vraie » loi, qui est la loi de la Nature. Les lois faites par les hommes, sont des lois faites par les faibles, par le peuple, elles sont arbitraires, car elles sont faites seulement par les faibles pour se protéger des forts. L’homme fort ne se laisse pas abuser par ces prétendus valeurs, qui ne sont que les valeurs des impuissants, il saura faire triompher sa propre loi, la loi du plus fort ! Le luxe, l’incontinence, la violence, la domination, la déraison, quand ils sont portés par la force sont vertus : « tout le reste, celle belles idées ne sont que niaiserie et néant
». Calliclès célèbre donc les vertus guerrières, l’ivresse de la volonté de puissance à l’égard du troupeau de l’humanité que représente à ses yeux la société.Il est rare d’entendre un discours entretenant un tel cynisme. Cette brutalité a le mérite de mettre la violence au grand jour. Elle nous permet de discerner ce qu’est l’homme violent. L’homme violent est celui qui, renonçant au respect de l’humain, suit la logique de la violence. L’homme violent s’enivre de sa violence, il fait confiance à la violence. Or cela veut dire immédiatement qu'il tourne le dos au sens de la justice, de la sagesse, d’une vie faite d’équilibre . L’homme violent savoure l’excès de sa force, dans l’expression sans compromis de ses désirs et de la passion de dominer. Il écarte toute barrière à ses désirs, il aime à jouir de son emportement sans retenue, dans les contrastes de ses passions. Il entend libérer en lui l’agressivité et la haine, parce qu’il s’identifie à la jouissance et l’expression implacable de la force. Il ne peut supporter qu’on s’oppose à sa volonté et comme les limites et les interdits ont une expression sociale, il doit s’en prendre d’emblée à la société, car la société, est un carcan qu’il lui faut briser. Les règles sociale, la morale, la justice limitent l’expansion de la violence. L’homme violent, c’est l’homme vital dans sa sauvagerie, nécessairement asocial, car au service de ses propres intérêts.
2) Mais ne devons-nous pas distinguer une violence de l’homme violent de celle que l’on rencontre dans la révolte ? Peut-on faire une différence entre le violent et le révolté ? Selon Camus, L’Homme révolté, c’est « un homme qui dit non
», ce qui veut dire : « les choses ont trop duré, il y a une limite à ne pas dépasser. Ce non de la révolte contient et affirme un oui qui exige le respect des valeurs humaines. (texte) La révolte authentique est fondamentalement morale. Devant l’oppression du droit, le révolté réclame le bon droit. La révolte est une souci de la justice dans lequel l’homme se lève, sort de son inertie et de son indifférence pour affirmer la conscience d’un bien commun. La révolte n’est pas un mouvement d’appropriation égoïste, (texte) elle naît du déchirement moral de l’oppression dont l’autre aussi peut-être la victime et pas seulement soi-même. La révolté a soif de justice, il cherche un idéal de justice qu’il ne connaît pas encore, mais auquel il aspire de toute son âme. La révolte est un élan qui ne sait pas encore vers quoi il se dirige, mais un élan qui dit non à l'injustice. (texte) D’où la différence avec la révolution. La révolution suit un cheminement inverse. Elle part d’un idéal pour tenter de réformer le réel. Elle veut changer le monde, faire entrer de force la réalité dans le moule de l’idéal. Et pour mobiliser les volontés, elle récupère le sentiment latent d'injustice en promettant des lendemains meilleurs. L’esprit révolutionnaire trahit la révolte en lui substituant un équivalent conceptuel, la lutte idéologique, en faisant passer un système politique pour l’incarnation de la justice. Camus croit à une révolte authentique, qui serait le milieu entre la passivité de l’indifférence qui se fait complice du mal, et l’activité destructrice d’une violence révolutionnaire. C’est l’aspiration de la belle-âme, de l’homme qui, par son action, incarne le chevalier du Bien.Dans la pièce de Sartre Les Mains sales, cette opposition se retrouve dans l’affrontement de deux personnages. Il y a Hugo, le révolté qui voudrait changer le monde, qui prend parti pour les hommes parce qu’ils sont opprimés, l’idéaliste qui voudrait voir triompher ses rêves. En face de lui, il y a Hoederer, le doctrinaire pur et dur, le révolutionnaire pour qui l’idéologie passe avant les hommes, le doctrinaire qui est prêt à sacrifier l’homme pour le parti.
« Hugo. -Il n'y a qu'un seul but: c'est de faire triompher nos idées, toutes nos idées et rien qu'elles.
Hoederer. -C'est vrai : tu as des idées, toi. Ça te passera.
Hugo. -Vous croyez que je suis le seul à en avoir ? Ce n'était pas pour des idées qu'ils sont morts, les copains qui se sont fait tuer par la police du Régent ? Vous croyez que nous ne les trahirons pas, si nous faisions servir le Parti à dédouaner leurs assassins ?
Hoederer. -Je me fous des morts. Ils sont morts pour le Parti et le Parti peut décider ce qu'il veut. Je fais une politique de vivant, pour les vivants.
Hugo. -Et vous croyez que les vivants accepteront vos combines ?
Hoederer. -On les leur fera avaler tout doucement.
Hugo. -En leur mentant ?
Hoederer. -En leur mentant quelquefois. (. ..)
Hugo. -Je n'ai jamais menti aux camarades. Je... À quoi ça sert de lutter pour la libération des hommes, si on les méprise assez pour leur bourrer le crâne ?
Hoederer. -Je mentirai quand il faudra et je ne méprise personne. Le mensonge ce n'est pas moi qui l'ai inventé: il est né dans une société divisée en classes, et chacun de nous l'a hérité en naissant. Ce n'est pas en refusant de mentir que nous abolirons le mensonge: c'est en usant de tous les moyens pour supprimer les classes.
Hugo. -Tous les moyens ne sont pas bons.
Hoederer. -Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces».
Hoederer traduit la violence idéologique du révolutionnaire, Hugo, parce qu’il met en avant l’homme dans son souci de justice exprime la révolte. Tous les moyens ne sont pas bons. Les moyens d’action politique qui font de l’homme un simple moyen engendre une politique de la violence. (texte) Or c’est contre la politique brutale que la révolte s’élève justement. Il est indispensable que nous conservions une fibre sensible qui nous rende capable de révolte. Un homme que plus rien ne révolte en ce monde est un homme mort. C’est un des devoirs du citoyen que de conserver intact le sens de la révolte. Il serait très inquiétant que nous soyons désensibilisé au point de ne plus nous révolter contre l’injustice et la brutalité humaine. Que le sens de la révolte soit encore là indique qu'il y a en nous une sensibilité blessée, un être éthique qui a soif d'un monde meilleur. (texte)
---------------Cependant il est aussi possible de distinguer deux formes de révolte : la révolte brutale et
ce que
Krishnamurti appelle la révolte de l’intelligence. La révolte qui choisit une voie
de la violence n’est pas intelligente. Elle en reste à une opposition brutale.
La révolte de l’intelligence prononce un « non » plus radical, le refus d’entrer dans un quelconque compromis
avec l’injustice, la brutalité. La révolte authentique a en elle une maîtrise et une détermination de l'âme que ne possède pas l’homme violent. Elle est par avance prête au dialogue, elle n’attend que le moment où enfin le parti de la raison sera possible, contre toutes les folies et la déraison du monde. Le violent lui, a pris le parti de la déraison, et il se moque ouvertement du dialogue. Dialoguer, ce serait se placer sur le terrain de la raison et abandonner la logique de la violence. Comme le montre Eric Weil, c’est une alternative radicale auquel précisément le violent ne veut pas se résoudre. Le dialogue avec la violence est impossible. On ne discute pas avec la haine, la colère, la passion de vengeance d’un individu qui ne se maîtrise plus, mais fait confiance à sa violence. Par contre, il est possible de dialoguer avec l’homme révolté, car, dans son aspiration désespérée à la justice, il attend la fin de ses souffrances, il est prêt au dialogue, ouvert à la raison.
* *
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La violence est elle par nature « sociale » ? Il est vrai que la guerre dépasse la dimension individuelle. L’homme est emporté dans la guerre, comme une branche dans la tempête, il est pris dans un tourment qu’il peut ne pas avoir recherché. Pensons à la guerre 1914-1918. Combien de déserteurs, d’insoumis ont refusé de partir à la guerre, pour être passé par les armes en trahison de la Patrie ?
Mais cela ne suffit pas. Il est facile de reporter sur les autres la responsabilité de la violence, notamment de considérer que c’est la société qui pousse à la violence. Ce n’est qu’un argument de justification. Que la violence se donne des justifications ne change rien au fait quelle est une violence individuelle. Le violent, comme le révolté, se donne toujours des raisons pour persuader qu’il est dans "son droit". Il est près à légitimer sa violence au nom de la justice, de la réparation d’une offense, d’une humiliation. La racine de la violence est individuelle. Une société fait d’individus violents ne peut-être que violente. Personne ne peut s’en sortir indemne. Nous sommes intégralement responsables de ce monde et il n’est pas possible de nous replier dans une pureté outragée en accusant la société. La société est notre société (texte) et sa violence est aussi notre violence.
* *
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Questions:
1. Le développement des technologies modifie-t-il la nature de la guerre ?
2. Que penser de l’arme atomique et de son incidence dans l’histoire?
3. Peut-il y avoir des guerres uniquement « idéologiques » sans que s’y mêlent des enjeux stratégiques sur des ressources et des territoires?
4. Le terrorisme a-t-il une logique propre ?
5. Le nationalisme est-il en puissance un enjeu guerrier ?
6. L’intégrisme religieux relève-t-il de la révolte ou de la révolution. ?
7. Qu’est-ce que la révolte de l’intelligence ?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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