Il n’y a pas si longtemps, lorsque se sont élevées les utopies communautaires, l’idée de pouvoir un jour supprimer les frontières, de constituer une monde commun, de graviter insensiblement, fraternellement vers la mondialisation de l’échange, était une perspective plutôt réjouissante. Elle devait signer le déclin de toutes les séparations fictives et des structures qui vont avec, en particulier celle de l’État, ce monstre froid à qui l’on a sacrifié dans l’Histoire bien trop de vies humaines pour qu’il ne soit pas sacrifié à son tour. Si, comme l’expliquait Teilhard de Chardin, le processus de l’hominisation, se poursuit au-delà de la biosphère dans la constitution d’une noosphère, l’humanité est vouée dans la mondialisation à prendre conscience de son unité fondamentale.
L’Histoire a changé de visage. L’effondrement du communisme, l’expansion sans limite du capitalisme, ont donné une toute autre allure à la mondialisation. La logique du marché s’est substituée à la logique de l’hominisation de la Terre. Quand l’économie fondée sur le profit seule préside à l’expansion de l’échange, les conséquences ne manquent pas de se faire très vite sentir et elles sont douloureuses. Les entreprises cessent de fournir un travail décent, d’alimenter la prospérité, délocalisent à tour de bras et réimplantent dans les pays les plus pauvres des formes de travail qui ne sont rien de moins de l’esclavagisme déguisé. Les paysans vivent partout prostrés, paralysés dans leurs décisions, dans une dépendance totale vis-à-vis des trusts alimentaires, sommés de suivre des cours qui dépendent de la bourse et n’ont plus de rapport réel avec les besoins humains. Les pommes de terre, les pantalons, les chaussures qui pourraient être produites au village font 15.000 km pour arriver au supermarché d’à côté. Et cette absurdité ne semble choquer personne. L’économie est devenue tellement globale qu’elle a perdu tout sens du local, elle alimente le profit, mais ne distribue plus la prospérité. La mondialisation est devenu un spectre. Mais est-ce en vertu d’une fatalité économique que la mondialisation devient un facteur d’aliénation? Ne l’est elle pas devenue en vertu du système de croyances que nous continuons d’alimenter et que nous ferions bien d’abandonner ?
* *
*
Chaque nuit, nous retournons dans notre monde privé, celui de l’état de rêve. Dans ce monde, l’ego est l’unique prescripteur, créateur et régent de son monde. L’ego construit, élabore et détruit ses propres représentations, dans le cours d’une histoire dont il produit en secret et sans savoir, le scénario. Dans ce monde, les règles et les interdits dont nous nous servons communément n’ont pas de valeur. Le monde public, a lui aussi son assise dans une forme de conscience qui est l’état de veille. Le monde-de-la-vie désigne le domaine commun que nous partageons ensemble en tant que sujets éveillés, acteurs au sein de la vigilance. La différence entre le monde onirique et celui de la veille ne tient pas à ce que l’un n’existe que pour la conscience et non pas l’autre - il n’y a de monde que pour un sujet- elle tient à l’intersubjectivité propre au monde-de-la-vie. Si nous pouvons reconnaître que le monde onirique n’existe que pour une conscience individuelle, le monde-de-la-vie n’existe que par rapport à la conscience collective propre à l’humanité en tant que tout. Notre anthropomorphisme spontané a tendance à n’y consigner que ce qui relève des intérêts humains. C’est pourquoi le mot Terre a un sens plus riche que celui de monde. Considérer que nous sommes à égalité parti prenante de notre monde actuel est juste, dire que nous sommes citoyen d’une seule patrie, la Terre, a une résonance encore plus forte, car elle éveille en nous le sens de la solidarité de toute ce qui vit sur cette planète qui est la nôtre. (texte)
1) Le concept de mondialisation a un sens très différent. Le suffixe –sation se rencontre, dans le même registre de vocabulaire, dans urbanisation, socialisation et marchandisation. Il indique un processus par lequel s’effectue un développement à caractère expansif. Expansion de la construction dans une ville, ensemble de procédés par lesquels les individus gagnent davantage d’intégration sociale ou expansion de la tendance à monnayer tout objet, toute relation et tout service. Dans le même ordre, la mondialisation désigne le processus par lequel l’ensemble des activités humaines sont entraînées dans une expansion qui cesse d’être administrée par une logique locale, pour être gouvernée par une logique dont les tenants et les aboutissants se situent à l’échelle globale de la planète. Soyons près des faits pour bien comprendre ce phénomène. Un ouvrier d’une usine de textile de Lyon travaille et produit par exemple des draps ou des rideaux. Dans une logique qui reste locale, son travail est comparable d’un point de vue économique, à celui d’un autre ouvrier dans une usine de faïence à Dijon. Il en est de même pour la valeur locale des rideaux ou de la faïence. Or, en Inde, avec une main d’œuvre abondante le même travail de tissage et de couture des rideaux est payé, mettons 25 fois moins cher. Le coût des rideaux à la production est disons de 15 fois moins élevé. En Chine, de même, moyennant un contrôle étatique important, le travail de la faïence serait payé disons 20 fois moins cher et le produit final serait d’un coût 10 fois moins élevé. La mondialisation du travail consistera alors, à mettre en correspondance deux salaires portant sur un travail équivalent pour rechercher un gain supplémentaire. La mondialisation de l’échange fera de même avec la production économique. C’est le marché qui décide alors quel doit être le prix du maïs, du soja, du beurre, du chocolat, de la farine etc. en imposant des cours en bourse. Dans cette situation, la sphère du monde-de-la-vie où se situe concrètement l’échange humain, se trouve déconnectée de la sphère financière qui a acquis une autonomie qui lui est propre.
---------------La question
que nous devons nous poser est celle-ci : qu’est-ce qui préside à la logique du marché ?
La réponse qui s’impose dans l’examen du fonctionnement de l’économie actuelle
est : la logique du profit. La seconde question que nous devons poser
est : qui est à cette échelle bénéficiaire du profit obtenu ? La réponse est :
les multinationales qui sont implantées partout sur la planète.
2) Cependant, ces réponses peuvent être considérées comme de simples arguments, n’ayant pas de validité rationnelle au sein de la cohérence du système économique. Il est donc important de les justifier de manière précise. Le système économique qui a pour finalité l’accroissement du profit est appelé capitalisme. La mondialisation peut à juste titre être considérée comme un effet et une radicalisation d’un système économique visant l’accroissement du capital, donc du capitalisme. Un système économique n’existe pas tout seul, c’est une représentation qui repose sur une doctrine. Il enveloppe un ensemble de présupposés, et en définitive de valeurs qui font l’objet de croyances. (Ce qu’implique d’ailleurs tous ces mots fabriqués en –isme que nous utilisons si souvent). Il devient un paradigme quand la doctrine qu’il véhicule est socialement acceptée. Cinq idées fortes constituent les piliers du capitalisme :
a) A sa naissance, comme l’a montré Max Weber, le capitalisme s’enracine dans une morale religieuse, celle du protestantisme. En effet, le protestantisme a réussi le tour de force consistant 1) à sacraliser le travail en le considérant comme un moyen de rachat de la condition humaine sous le regard de Dieu égal à la prière. 2) à donner une caution religieuse au désir d’acquisition de la richesse. Il est entendu que la divine providence a accordé à chacun une vocation ici bas dans un métier et que gagner plus, c’est glorifier Dieu. Celui qui refuserait de gagner plus contrarierait la volonté de Dieu.
b)
L’économie classique, chez Adam Smith ajoute que le bien commun est une
résultante naturelle de l’échange économique. D’où l’importance fondamentale de
la
théorie de la main invisible. Dans une texte très célèbre du premier
livre de la
Richesse des Nations,
Adam Smith développe une parabole
autour du boulanger, du brasseur et du boucher dont l’intention est de montrer
que dans le domaine économique, le libre jeu de l’amour-propre, (self-love)
produit nécessairement le bien commun. La main invisible (de Jupiter)
intervient dans la répartition du capital entre les différentes branches de la
société, en suivant trait pour trait les besoins de l’économie. Smith voit dans
la régulation de la prospérité une loi naturelle. « Ainsi, sans aucune
intervention de la loi, les intérêts privés et les passions des hommes les
amènent à diviser et à répartir le capital d’une société entre tous les
différents emplois qui y sont ouverts pour lui, dans la proportion qui approche
le plus possible de celle que demande l’intérêt général de la société ». Le
capitalisme se développe en admettant le principe d’une harmonie naturelle des
intérêts. Celle-ci suppose que l’économie forme un système autorégulé existant
par lui-même, de sorte qu’il est dès lors possible de voir dans l’entité
« l’Economie » la réalité concrète, tandis que l’individu devient lui une
abstraction appelé le « consommateur ». De la même manière, les sociologues
montreront que la « Société » est la réalité concrète, tandis que
"l’individu" est
en définitive qu’une abstraction. On admettra donc que les passions, nés des
intérêts des hommes sont endiguées par un merveilleux mécanisme optimal qui
équilibre ensemble tous les intérêts. Alors qu'en réalité la régulation repose
sur un choix. L’idée avait déjà été élaborée en
politique chez Machiavel dans Le Prince. Le
politique a pour rôle, aux
moyens de calculs rusés, de permettre que les passions humaines puissent
composer dans un tout qui est l’État. Cependant, Machiavel supposait de son côté
un main bien visible et même assez musclée, celle du Prince appelé à gouverner
au
nom de la raison d’État. La théorie de la main invisible admet la composition
des passions, mais non la nécessité d’une intervention régulatrice.
c) De l’idée de richesse, le capitalisme ne conserve que le second sens : la richesse est la possession d’une quantité importante d’argent. La visée principale de l’activité économique est d’engendrer des profits. Il n’est pas nécessaire de convertir l’argent du profit en biens pour jouir de la richesse. L’argent vaut dans son immatérialité. La richesse s’éloigne donc de son sens concret et devient abstraite. Le domaine qui exploite l’argent dans son immatérialité est la finance. Dans notre société, quand on a de l’argent, on le «place» en bourse, afin de le « faire travailler », par le biais de la spéculation et d’en tirer un profit le plus élevé possible. La spéculation se déroule dans l’abstraction, loin du monde-de-la-vie. Les anciens pensaient que la richesse permet avant tout de s’entourer de belles choses. La spéculation est ouvertement condamnée par Aristote. L’argent n’a de sens que lorsqu’il permet la circulation des biens et des services. La réalité vivante se renverse alors dans la représentation, d’où les formules étranges employées dans notre monde actuel. Nous disons que l’argent peut « travailler », (!) alors que ce sont les hommes qui travaillent. Nous disons que le travail a un « coût », (!!) alors que ce sont les marchandises qui ont un coût, et que c’est le travail qui a produit leur valeur. Nous avons fait de la jouissance exclusive une valeur en soi, en opposition avec le partage, alors que le fait même de partager est le sentiment le plus exaltant de la richesse. Nous pourrions très bien nous sentir enrichis en partageant ce que nous avons, mais dans l’esprit du capitalisme, c’est exactement l’inverse, nous nous sentons enrichis quand nous avons ce que l’autre n’a pas et qu’il peut nous envier (!!!) Accumuler quelque chose pour sa rareté est déjà une idée très étrange, mais dans notre société, lorsqu'une chose est rare et que pourtant on souhaiterait la partager... le prix monte!
---------------d) Nous nous sommes dans le capitalisme résignés à admettre tout à la fois : que
la survie n’est réservée qu’aux plus
forts, dans la foulée que la raison
du plus fort est toujours la meilleure, que la compétition est obligatoire,
comme nous avons fini par admettre aussi que gagner pour son seul bénéfice
personnel est le plus grand des biens. Nous ne nous posons même pas la question
de savoir ce que veut dire « réussir » en pareil contexte (Où est la réussite si
elle ne concerne que 5% d'une population?). Tout ce nous qui importe, c’est
d’être parmi les gagnants, les winner, et ne pas faire partie des
perdants, les looser. C’est le langage des jeunes des banlieues qui
viennent dans les boutiques de mode. Nous nous représentons nous-mêmes comme
isolé, en tant qu’individu et nous n’avons tout simplement pas conscience
ensemble de former un seul tout avec nos semblables. Si seulement nous nous
rendions compte qu’il n’existe en fait aucune existence séparée, nous
comprendrions que si nous ne faisons qu'un, le un n'est pas fort à moins que le
tout ne soit fort. La survie du plus fort est donc impossible, ou alors c'est la
seule chose qui soit possible. Du point de vue d’une conscience plus élevée, la
formule « survie du plus fort » est un oxymore, l’ordre réel, c’est évidemment
le partage équitable.
e) Le principe du développement justifie l’exploitation en disant qu’il faut se féliciter que les masses vivent désormais dans des conditions meilleures qu’auparavant. Il est admis que le problème de la pauvreté n’a pas besoin d’être abordée de façon juste et qu’il suffit de se contenter d’améliorer un petit peu l’horreur de la situation, quitte en plus, à faire la dessus un profit obscène par-dessus le marché. Le cynisme prévaut en économie, de manière écrasante, sous une forme, celle qui consiste à penser qu’il ne peut pas y avoir d’autre manière d’agir, d’autre manière d’être que celle qui se fait aujourd’hui. Le pire, c’est de vouloir en plus convaincre qu’il est dans la nature des être humains de se conduire de la sorte. Ce qui est incompréhensible à tout entendement éclairé, c’est que massivement nous puissions partager une telle vision du monde, que nous puissions négligemment laisser mourir (texte) de faim 10.000 personnes par jour, détruire la planète et tout cela pour des avantages à très court terme. (texte)
Au bénéfice de qui ? Des multinationales ! (texte) On y revient. Si l’effet du capitalisme marchand est sécréter une sphère abstraite de richesse sous la forme de profit, c’est également dans une forme abstraite que l’argent s’accumule et sous un nom abstrait, anonyme, sans visage, qu’il est rassemblé. Ainsi, l’organisation supplante l’individu et semble se nourrir et exister à part, tout en absorbant le produit du travail humain. Et quand la politique cède le pas à l’économie sur tous les terrains, les organisations les plus imposantes tissent leur toile sur le globe pour massivement organiser leur développement. On appelle cela la mondialisation ce processus qui a pour effet d’accroître le pouvoir des trusts à développement tentaculaire, et de diminuer en même temps le pouvoir politique des États, et des associations et des hommes qui continuent d’être assujettis aux lois nationales. Le péril qui inquiète aujourd’hui les responsables les plus lucides de notre temps, c’est le déséquilibre par lequel le politique reflue largement par rapport à l’économique. Il semble que tant que nous ne serons pas capable d’établir un gouvernement mondial capable de soumettre l’économique au politique, le déséquilibre restera en faveur des organisations financières et de leurs intérêts propres –qui ne sont pas les nôtres-.
Le langage journalistique confond souvent trois termes : mondialisation, globalisation et internationalisation, termes que nous pourrions distinguer pour mieux faire apparaître la complexité de l’unification qui est en cours. La mondialisation est une extension à l’échelle de la planète des enjeux économiques, enjeux qui étaient autrefois limités à l’échelle des régions ou des États. La globalisation est un terme privilégié par les sociologues pour désigner la constitution d’un société-monde enveloppant toutes les formes de relations sociales, conséquence de la rapidité croissante des communications et des transports dans le monde contemporain. La globalisation est un processus qui étend la structure sociale, vers une société-monde. Internet est un vecteur privilégié de la globalisation et c’est dans son contexte que l’on a vu ainsi apparaître l’utopie du village global. L’idée c’est que désormais, l’humanité est vouée au partage du savoir et qu’aucune frontière ne devrait empêcher la libre circulation des idées et des hommes. L’internationalisation désigne l’accroissement des échanges culturels entre nations, tant dans les relations conflictuelles que dans les relations pacifiques qui en résultent. Le concept de nation est culturel, mais la nation est aussi ressentie comme le foyer de l’identité politique, plus que ne peut l’être l’État. Ce n’est pas un hasard si l’ancêtre de l’ONU a été la SDN et que dans les deux cas nous n’avons pas remplacé le terme de nation par celui d’État. Nous célébrons dans les jeux olympiques, les expositions universelles, les rencontres internationales des peuples sous la forme d’échanges culturels. L’internationalisme est né bien avant la mondialisation et la globalisation, il a même été une aspiration, un idéal et même une foi politique pour tous ceux qui souhaitent réunir la diversité humaine dans une unité qui ne soit pas artificielle et imposée. On peut donc sans contradiction prendre parti contre la mondialisation, accepter la globalisation de la communication et en même temps être un internationaliste convaincu.
1) La mondialisation a incontestablement un effet de nivellement qui va bien au-delà de l’économique ou plutôt qui passe à travers lui, mais elle n’a rien à voir avec l’unité, elle est bien plutôt une réduction à l’unique.
De Hong
Kong à Biarritz, de Moscou à Sydney, de Houston à Abidjan, de Vancouver à
Kyoto, nous ne risquons plus d’être dépaysés. Nous sommes tous des
consommateurs. Le monde est rempli de consommateurs. Nous pouvons manger les
mêmes hamburgers-frittes, porter les même jeans, boire les mêmes boissons,
mettre les mêmes T-shirt, regarder les mêmes séries télé. Et si un produit est
trop cher, la contrefaçon massive se chargera tout de même de ramener la
consommation à l’identique. Les photos de voyages, quand elles sont prises en
milieu urbain, se ressemblent toutes. On trouve sur les pentes de l’Himalaya
abandonnées les mêmes canettes de soda que celles du supermarché d’à coté. Le
marquage des populations à grande échelle, via les logos et les styles,
lamine les diversités. Le plus étrange, c’est que cet effet opère autant en
haut de l’échelle sociale qu’en bas. Les demeures
bourgeoises se ressemblent,
les bidonvilles aussi. Même la misère cherche à s’habiller à l’occidentale. Pour
sauver sa dignité.
Nous savons que la diversité culturelle, (comme la diversité naturelle) est en péril. Si les hommes abandonnent leur mode de vie traditionnel, s’ils cessent de transmettre l’héritage de leur langue à leurs enfants, si la voix de la tradition s’éteint doucement dans la plupart des contrées de la planète, c’est pour quelle raison ? Il faut avoir une foi rivée au corps pour devenir moine bouddhiste et entretenir le temple, quand la tentation exhibée partout sur les publicités est d’aller vers les villes, de chercher un travail pour vivre de manière postmoderne. Partout dans le monde, être jeune n’a qu’un seul sens, c’est vivre à la manière occidentale. Mieux vaut tenter sa chance et mendier dans les rues d’une mégalopole que de rester dans un village perdu au fond de l’Afrique. La chance de pouvoir un jour vivre dans un milieu de la facilité et de l’abondance où tout est à portée de main. La mondialisation colporte partout la représentation d’une mode de vie qui est en devenu un modèle et un standard. Même les travailleurs surexploités (texte) qui, dans les pays très pauvres, s’échinent dix heures pas jours pour fabriquer les tennis, les ballons de foot, les portables, les ordinateurs, les chaînes hi fi, que l’on retrouve en occident, n’ont qu’un rêve, celui de se hisser à ce mode de vie. La délocalisation des usines –effet récurent de la mondialisation- exporte une idéologie qui est celle de la consommation de masse et du mode de vie à l’occidentale. Jusqu’à présent, l’hyperdéveloppement de la mondialisation c’est fait contre le mode de vie et la culture traditionnelle. Non pas qu’il s’agisse de sauver les traditions avant tout. Il y a des traditions qui méritent d’être abandonnées. L’alliance du progrès humain c’est tradition et révolution. Cependant, il est incontestable que la richesse de la diversité culturelle de l’humanité est bien en péril et cela sous les coups de la mondialisation. Les anciens, gardiens de la tradition, se demandent avec inquiétude si leurs petits enfants parleront encore la langue de leurs ancêtres. Ils iront vers les villes et deviendront comme étrangers de passages que l’on appelle « touristes », ils auront eux aussi des enfants, mais qui ne jureront que par leur console de jeux et les films d’action dont tout le monde a entendu parler. Ils seront occidentalisés.
---------------L’incidence
de la mondialisation sur le monde du travail est immense et procède elle aussi à
un nivellement et même un nivellement des salaires vers le bas. Les ouvriers du
monde industriel, les paysans, les techniciens qui ont suivi un long cursus
d’étude, personne n’y échappe. Tous sont mis en concurrence avec d’autres
ouvriers, d’autres paysans, d’autres techniciens partout dans le monde. Comme
les choix des décideurs économiques reposent sur la recherche du profit, que
celle-ci se maximise par la loi de l’offre et de la demande, on en vient à
demander à ceux qui ont durement acquis un statut convenable de finalement
s’aligner sur les pays en voie de développement. Sinon, la sanction tombe, sous
la forme de délocalisation de la production. L’alternative est ou bien un
travail plus précaire et moins payé ou bien pas de travail du tout. Bien sûr,
la rhétorique économique prétend que c’est un bénéfice en faveur des pays
pauvres, mais en réalité, c’est un surtout un bénéfice en faveur des
multinationales. C’est le but recherché, le reste n’étant qu’auto-justification.
La réduction à l’unique s’accomplit ici dans la gravitation progressive du
travail vers un statut minimal du point de vue de sa rétribution. Étant
entendu que, dans l’esprit du capitalisme, la prospérité est nécessairement
l’accroissement du profit financier et que, d’autre part, le salaire versé à la
production est considéré comme une soustraction faite au profit, toute décision
qui permet de faire du bénéfice en réduisant le salaire est bien accueillie. Le
statut minimal ne peut plus être, comme au début de l’ère industrielle, assimilé
à la survie du travailleur. C’est un minima social qui doit
prendre en compte les règles en vigueur dans chaque État. La pression des
revendications sociales a fait beaucoup pour faire progresser le statut du
travail. Cependant, dans la logique financière, le
calcul stratégique à
l’expansion choisit systématiquement le plus petit minima social. A l’opposé,
parce que la logique de la mondialisation est orientée par l’hyperdéveloppement
de la sphère de la finance, ceux qui en sont les agents directs ou les
bénéficiaires peuvent caracoler en tête des salaires mirobolants et des fortunes
indécentes.
Si l’unification produite par mondialisation avait un temps soit peu pour référent l’unité de l’humanité, elle se traduirait nécessairement par une distribution plus équitable de la prospérité. Non pas qu’il s’agisse de force, dans un système abstrait, autoritaire et brutal, comme l’a été le communisme, de laminer les différences, mais du moins, l’arbre de vie de l’humanité doit être nourri dans sa totalité, des racines aux feuilles. La sève de notre arbre-planète est vampirisée dans quelques fruits tandis que le reste de l’organisme est quasiment à l’état desséché de bois mort.
2) Qu’est-ce
que l’unité humaine ? Doit-elle nécessairement se traduire par la mondialisation
telle que nous la connaissons aujourd’hui? Déjà, en 1919, dans L’idéal de
l’unité humaine Shri Aurobindo, expliquait que, de fait, « L’unité organique
naturelle existe déjà, une unité de vie, d’association involontaire,
d’interdépendance étroite des parties constituantes, où la vie et le mouvement
des uns affectent la vie des autres », c’est ce que nous avons sous les yeux .
Ce n’est pas une question de volonté de notre part, de calcul économique,
d’intention politique, d’élan émotionnel, d’idéalisme moral. La séparation
n’existe pas, toutes choses sont étroitement liées et précisément l’unité est
une unité vivante de tout ce qui est. Le travail
de l’Histoire ne pouvait
que nous obliger à en prendre conscience, de sorte que nous devions
nécessairement passer de l’unité passive, à une tendance à l’unification active.
« Un continent n’a plus de vie séparée d’un autre continent ; aucune nation en
peut plus s’isoler à volonté pour vivre une existence indépendante. La science,
le commerce et les communications rapides ont produit un état de fait tel que
les fractions disparates de l’humanité qui vivaient autrefois pour elles-mêmes,
se trouvent rapprochées par un processus d’unification subtil, soudées en une
seule masse qui possède déjà une existence vitale commune, et qui rapidement est
en train de se forme une existence mentale commune ».
Avons-nous besoin de « créer » la relation à
autrui ?
N’est-elle pas déjà là ? Ce qui est important, n’est-ce pas de ne surtout pas la
rompre ? Le conflit n’est-ce pas précisément le déchirement d’une unité
première ? De même, cela a-t-il vraiment un sens de dire que l’on « faire » la
paix ? Nous ne pouvons qu’être la paix, ce qui veut dire cesser de
s’entre déchirer en entreprenant de « faire » la guerre. Si nous avions
conscience que le monde est notre famille, si nous avions profondément
conscience de notre unité avec tout ce qui est, pourrions-nous encore nous
comporter comme nous le faisons aujourd’hui ? Certainement pas. Le pouvoir de
nuisance ne vient que de l’idée de dualité et de
séparation. L’unité n’est pas
une chose que nous pouvons créer. Elle est. Par contre, il est tout à fait
possible de créer et d’entretenir toutes sortes de divisions fictives et de
croire qu’elles sont réelles. C’est ce que nous savons très bien faire au nom du
nationalisme, de l’intégrisme, de la division et de l’opposition d’intérêts
entre les uns et les autres etc. Les nuages radioactifs ne s’arrêtent pas à la
frontière. Les épidémies non plus. La détérioration de la couche d’ozone n’est
pas un problème « européen ». Les conflits armés en Afrique ne se déroulent pas
dans une sorte d’autre univers, un ailleurs lointain et exotique qui ne nous
concerne pas. Surtout quand on est les premiers à vendre des armes d’un côté et
de l’autre. L’effondrement économique de l’agriculture indienne n’est pas sans
rapport avec nos intérêts, notamment la mainmise des trusts céréaliers qui sont
côté en bourse à Londres, à Paris et Frankfort. La surexploitation du travail
partout dans le monde, le statut de quasi esclavage des enfants en Thaïlande
et ailleurs n’est pas une sorte de curiosité culturelle locale. (document) Surtout quand c’est nous en
tirons des bénéfices dans ces grands hangars de vente à bas prix de nos
banlieues, surtout quand c’est nous qui portons les T-shirt fabriqués là-bas sur
nos plages l’été. Nous ne pouvons rien isoler de ce qui se produit sur la
planète ou seulement dans une abstraction économique. La vie est systémique
et par conséquent l’économie l’est aussi. Ce qui ne veut pas dire que nous
système économique actuel l’ait réellement compris. Loin de là. Le problème,
c’est que dans son état actuel, la mondialisation n’a rien à voir avec l’unité
humaine, car justement elle ne la prend pas en compte. La mondialisation est une
idéologie aux bénéfices de quelques uns, une idéologie ancrée dans une
représentation fragmentaire du réel, une idéologie qui alimente la division.
Contre l’unité et la conscience de l’unité. Ainsi, en évoquant la nécessité de
parvenir à une unité politique mondiale, soit sous la forme d’une fédération, ou
d’un État mondial, Aurobindo ne perd jamais de vue ce lien : « L’idée d’un État
mondial ou d’une union mondiale est née, non seulement dans l’esprit spéculatif
et prophétique des penseurs, mais dans la conscience même de l’humanité, de par
la nécessité d’une nouvelle existence commune ».
La rhétorique de la justification de la mondialisation chez
les économistes consiste sans ambages à nous faire croire qu'elle est l’unité de l’humanité et pire, que c’est la seule unité
possible. Ce n’est pas une erreur, c’est carrément la
propagande d’un mensonge.
Qu’elle soit assortie de chiffres, de statistiques ronflantes ne trompe que ceux
qui veulent y croire et laisser croire. C’est une « démonstration » dans le sens
de l’argumentaire de foire d’un vendeur de lessive, d’aspirateurs, de robot
mixeur, ou de tout ce que vous voulez. La cause est entendue d’avance et cette
cause est l’idéologie du profit, avec son exhibitionnisme habituel sous la forme
du langage de la « consommation », du « développement », de la « croissance »
exponentielle etc. La propagande qu'elle véhicule est en ce sens une
manipulation de masse tout à fait compatible avec l’existence d’une société
démocratique, et elle s’exerce précisément d’autant plus que partout le
politique a cédé la place à l’économique. Instruit par l’Histoire, nous savons
aujourd’hui assez bien déceler la propagande politique. Mais nous sommes
tellement englué dans l’idéologie du profit que nous sommes incapables de
discerner la propagande économique et son jeu. Je cite Edward Bernays
dans Propaganda : « Si nous comprenons les mécanismes et les mobiles
propres au fonctionnement de l'esprit de groupe, il devient possible de
contrôler et d'embrigader les masses selon notre volonté et sans qu'elles en
prennent conscience. La manipulation consciente et intelligente des habitudes et
des opinions organisées des masses est un élément important dans une société
démocratique. Ce mécanisme invisible de la société constitue un gouvernement
invisible qui est le véritable pouvoir dirigeant de notre pays. Ce sont les
minorités intelligentes qui se doivent de faire un usage systématique et continu
de la propagande ». Là voilà la main invisible! Justifier cette main invisible,
c’est ce que nous faisons allègrement dans l’économie, dite classique. Si d’un
côté, « le commercialisme est un phénomène sociologique moderne ; on pourrait
presque dire que c’est tout le phénomène de la société moderne », de l’autre, la
logique économique est son aboutissement sous la forme d’un système qui
prolifère tout seul, sans contrepartie politique ou éthique.
La question
de l’éthique de la mondialisation doit être d’urgence posée. Nous avons perdu de
vue l’idée d’un bien commun. Nous en sommes à ce point où, nous nous sentons non
pas renforcés, mais menacés par la conscience collective, l’idée d’une bien
collectif et l’idée d’un monde unique. Ce qui contredit violemment nos
aspirations les plus sincères. Notre communauté d’êtres humains ne sait pas
encore comment être humain en communauté. Ou encore, comme le dit Edgar Morin
dans Une Politique de Civilisation : « Le monde est dans les douleurs
agoniques de quelque chose dont on ne sait si c’est naissance ou mort.
L’humanité n’arrive pas à accoucher de l’Humanité ». Pour qu’un changement
significatif se produise dans la situation critique qui est la nôtre, il est
nécessaire que l’individu s’éveille et sorte de cette hallucination collective
entretenue aujourd’hui, qu’il éveille la communauté dont il fait partie et
affecte en profondeur l’humanité toute entière. Il ne faut pas que le changement
soit imposé de manière formelle et mécanique, mais qu’il soit l’effet d’un choix
des individus eux-mêmes. La pérennité du changement repose toujours sur une
libre décision. Nous avons à prendre des décisions collectives en posant de
manière claire nos choix pour l’avenir de l’humanité et la planète. Ce qui
impliquera nécessairement des décisions politiques fermes, introduisant une
régulation intelligente là où règne la désorganisation générale : le marché ne
peut être régulateur que s’il est lui-même régulé.
1) L’état de crise actuel vient de ce que l’élite des
décideurs croit que « La libéralisation économique apporte non seulement la
rationalité, l’efficacité, la croissance, la régulation du marché, mais le
développement généralisé, la prospérité universelle et, dans l’interdépendance
accrue et consolidée, la compétition économique, se substituant définitivement
au conflit guerrier, mènera à la pacification terrestre ». Ce genre de sermon
mille fois répété ne prend plus ; il est tellement en contradiction avec les
faits qu’il faudrait vraiment être aveugle pour continuer à y croire. Les
prétendues régulations spontanées sont en réalité le plus souvent bloquées par
des dérégulations spontanées, comme « le nomadisme, en flux énormes, du capital
flottant, vaporeux, spéculatif, ou les gigantesques endettements qui menacent
des sociétés fragilisées économiquement ou politiquement et, par là, le marché
mondial lui-même ». En bref : « le système fonctionne sur des sables mouvants ».
La question de fond est comment se fait-il que nous se sachions pas vraiment
observer ce qui est ? et la réponse qui malheureusement s’impose, c’est que nous
entretenons le déni de la réalité. La rue ne hurle pas assez fort pour atteindre
l’entendement des décideurs. Et c’est là une critique de fond très bien formulée
par Edgar Morin : « le libéralisme mondial se fonde sur un univers mental
doctrinaire, linéaire, quantifié, unidimensionnel. Il perpétue une vision
progressive de l’Histoire qui a perdu toute crédibilité. Il prend pour
superstition tout ce qui s’attache aux identités, singularités, traditions
culturelles, et considère comme soubresauts d’un monde dépassé les premières
révoltes qui se manifestent contre son déroulement, sans jamais songer qu’elles
puissent constituer les annonces de contre-courants futurs. Il ne peut concevoir
que ses effets pervers puissent devenir effets principaux, qu’il puisse
déclencher des contre-effets et provoquer le déchaînement de forces souterraines
qu’il croit avoir endigués ».
Selon Edgar Morin, la crise appelée mondialisation a ses
racines dans une manière de penser largement obsolète. On nomme à juste titre
pensée unique, cette représentation qui préside aux destinées actuelles de
l’économie. Historiquement, elle a ses racines dans la
pensée fragmentaire de la
science classique, pensée qui a perdu le sens de la complexité et qui se trouve
incapable d’une appréhension globale du réel. Cette pensée « opère ses ravages
dans la connaissance, la science, la politique. Cette structure de pensée est le
fruit du développement, dans notre civilisation, de l’hyperspécialisation des
connaissances, de la dégradation concomitante de la culture générale, de la
perte de l’aptitude à appréhender les problèmes fondamentaux et globaux. La
pensée néolibérale constitue la variante économistique actuelle de la pensée
unidimensionnelle, parcellaire, disjonctive et réductrice produite par notre
enseignement et régnant chez nos’ élites’ ». Ceux que l’on appelle les «
technocrates », en sont les héritiers. De la perte de toute vue englobante
s’ensuit nécessairement l’absence de tout projet politique et la réduction de
toute compréhension de la vie sociale à une affaire de simple gestion.
« Les élites… vivent dans un monde raréfié, clos, où seul est réel le
quantifiable ; elles croient conduire la locomotive du progrès, elles n’ont pas
acquis le sens des limites et de la finitude, elles ignorent toute autre vertu
que celles de la gestion des sociétés développées, de l’innovation technique et
de la rationalité du marché ». Parce que la seule règle de pensée est devenue la
seule gestion, il s’ensuit automatiquement que l’idéologie nouvelle, que nous
pourrions appeler « l’économisme », « tend à dépersonnaliser et
déresponsabiliser sa propre conduite qui lui semble obéir à la rationalité et à
l’objectivité. Elle est assurée de sa compétence exclusive pour gérer la société
», mais la réalité, c’est qu’elle « produit une intelligence aveugle et celle-ci
tient les rênes de la ‘mondialisation’ du libéralisme ».
L’aveuglement, c’est de croire que la « gestion » puisse à elle seule constituer une fin, alors que par définition elle est toujours un moyen au service d’une fin. Elle présuppose des choix, une finalité éthique, des valeurs qui orientent la direction générale que doivent prendre les affaires humaines. L’aveuglement, c’est de laisser la gestion à elle-même, sans lui donner de fin au-delà d’elle-même : résultat, elle ne peut plus viser rien d’autre que le profit. On fait du profit avec le profit et de la surenchère dans le profit. De la même manière, que devient la technique quand elle n’a plus de fin en dehors d’elle-même ? On fait de la manipulation pour la manipulation, et on fait de la surenchère entre laboratoire pour être le manipulateur le plus audacieux. Et le système tourne en rond et prolifère de manière absurde. Voyez sur ce point Michel Henry dans La Barbarie . Ce rapprochement n’est pas sans évoquer l’incroyable revirement de l’idée du progrès dans la conscience européenne entre le XIX ème et le XX ème siècle. Si auparavant nous pouvions dire « on n’arrête pas le progrès » avec un fier enthousiasme, c’est que nous pensions naïvement qu’il était auto-régulé par une main invisible vers le meilleur des mondes possibles. Désormais, la même formule veut dire : la locomotive du progrès fonce à une allure de plus en plus effarante, personne ne tient plus les commandes et personne ne sait où elle va. Si, pour paraphraser Cioran, cette prétendue évolution n’est pas un élan vers le pire. Quand serons-nous capables de comprendre que le « dogme du laisser-faire » conduit à l’empire de l’inertie ? L’empire de l’inertie va avec l’auto-développement du système en dehors de toute finalité éthique.
La question qui se pose ici, est celle que soulève Hans Jonas dans Le Principe Responsabilité. Quel avenir voulons-nous laisser à l’humanité future ? Quel horizon voulons-nous dessiner pour la planète ? Qu’est-ce que nous voulons de meilleur pour l’humanité à venir ? Quelles sont les aspirations que nous voulons réaliser ? Dans quel projet politique?
2) Il ne
s’agit évidemment pas de refuser la globalisation de la planète, ni
l'internationalisation, comme il est
tout bonnement absurde nier l'unité humaine. D’un autre côté, il est indispensable que
s’effectue une véritable décélération de la mondialisation. Ce qui menace
directement l’organisation à l’échelle planétaire des multinationale. La
conséquence que tire Edgar Morin est sans ambiguïté : « il semble bien que la
décélération ne pourrait venir que par une crise », que celle-ci soit provoquée
collectivement de manière artificielle, ou qu’elle se lie avec une causalité
naturelle, comme l'épuisement de ressources naturelles, n’y change rien. C’est ce
dont nous parlions plus haut à propos du
chaos pré-renaissance. C’est
justement dans ces conditions qu’il est indispensable de mettre en œuvre une
instance internationale, une gouvernance mondiale, selon les mots d’Edgar Morin,
pour donner à l’économie un sens réellement planétaire, un sens qui deviennent
support de vie pour des milliards d’être humain et une support de vie
pour la
Terre elle-même. Une politique de civilisation « animée par un esprit de civisme
terrien ». La formule de Hölderlin que commente Heidegger « Là où croît le
péril, croît aussi ce qui sauve » est juste. C’est de la conscience même de
l’impasse actuelle de la mondialisation qu’ont jailli de partout des
associations ONG qui ont pris le flambeau d’un renouveau pour le futur. Nous
vivons aujourd’hui dans un extraordinaire bouillonnement d’idées qui
permettraient de prendre le tournant vers un monde nouveau. Ce qui manque
encore, c’est la décision politique permettant de mettre en œuvre une politique
qui concilie à la fois l’autonomie des États dans une confédération mondiale et
la solidarité mondiale autour d’une nouvelle patrie, la Terre.
Nous sommes au
temps où il faut annoncer la fin de l’idéal d’indépendance et la suprématie de
l’interdépendance. « De nombreux principes et modèles d’organisation pourraient
et devraient être examinés ou plutôt inventés, avec pour finalité ultime la
confédération terrienne ». Le socle d’une confédération terrienne vraie et
réelle, qui ne risquera pas de se scléroser dans un État mondial totalitaire,
c’est le sentiment profond de l’unité. Et puisque nous sommes très attaché
affectivement à l’idée de patrie, autant l’étendre à l’horizon de la
Terre. «
Toute aspiration à humaniser la mondialisation nécessite inséparablement la
prise de conscience d’une patrie terrestre commune. Une patrie se définit par
une origine (mythique ou réelle) commune, une identité commune, un destin
commun. Aujourd’hui, nous pouvons savoir qu’il y a communauté d’origine à tous
les être humains, qu’il y a une communauté d’identité dans le sens où nous avons
tous la même nature – mais qui, dans cette nature même, a des potentialités
d’extrêmes diversités-, et nous vivons une communauté de destin qu’a créé et
développé l’ère planétaire. La patrie terrestre comporte la sauvegarde des
diverses patries. Celles-ci peuvent très bien s’enraciner dans une conception
terrestre de la patrie, plus profonde et plus vaste, à condition qu’elles soient
ouvertes – et la conscience de l’appartenance à la terre-patrie est la condition
nécessaire à leur ouverture ». Revendiquer avant tout avec arrogance seulement
l’identité d’un français, d’un grec, d’un anglais, d’un américain etc. est trop
petit, trop limité et ce ne peut être qu’un facteur de division. Nous sommes
d’abord citoyens du monde avant d’être membre d’une nation ou d’un État
particulier. En tant que citoyen du monde, nous pouvons même comprendre la
nécessité de verser une contribution à un fond de reconstruction de la Terre,
pour toutes les actions humanitaire que nous avons à mettre en œuvre. Nous le
ferons volontairement quand nous comprendrons l’enjeu de notre avenir. Un enjeu
vital. Pas un « idéal ». Nous n’avons plus le choix, dans la situation
d’expérience qui est la nôtre la décision s’impose d’elle-même. La lucidité
répond immédiatement à ce qui est. De même, il paraîtra évident que
l’instauration d’une monnaie mondiale serait tout à notre avantage.
Think global, act local. Nous ne redresserons la
situation de crise où la mondialisation nous a plongé qu’en entreprenant de
manière décidée de relocaliser l’économie
face à l’horreur économique que
nous voulons mettre derrière nous. C’est un chantier colossal mais exaltant.
Nous avons à redonner toute sa place à la production agricole de proximité, pour
une nourriture fraîche, saine et propre. L’aberration actuelle de nos manières
de nous nourrir est une métastase imbécile de l’économie du profit. Il y a mille
manières de régénérer la terre sans l’empoisonner. Il est tout à fait possible
d’apporter à chacun une satisfaction de ses besoins élémentaires. Il y en a
assez pour tous, car le vrai luxe, celui que notre corps apprécie divinement,
c’est la simplicité. (cf.
Serge Mongeau texte) Une manière de vivre simple et frugale est extrêmement
tonique. Tout l’opposé de l’effet abrutissant de la malbouffe qui est notre
modèle social actuel. De la même manière, nous avons tout à gagner à redonner
une vie au village, et à fuir de plus en plus les mégalopoles. Toutes les
grandes villes sont à reconstruire pour prendre un visage humain. Small is
beautifull. Elles ont été déshumanisée par une rationalisation aveugle et
bornée. Le résultat est sous nos yeux et il est vraiment à frémir. La ville est
sensée rassemblée, en réalité, elle fabrique de l’exclusion. Elle devait
apporter des facilités et un certain confort. Nous avons maintenant des
banlieues pourries. Elle devait solidariser les hommes. Nous avons des ghettos,
des bidonvilles, des zones de non-droit, une tension et une insécurité extrême.
A vouloir entasser des hommes dans des « zones », (qui a inventé ce terme ?),
dans un habitat laid et insalubre, nous avons produit un énorme malaise. L’homme
a besoin de la beauté et du contact avec la nature pour rester humain.
L’architecture de nos villes est entièrement à revoir.
Il faut reconstruire à
partir de principes plus élevés que ceux du gain, du moindre coût et du profit.
Mettre le qualitatif à la place du quantitatif.
« Au sein de la
civilisation occidentale, l’élévation du niveau de la vie est gangrenée par
l’abaissement de la qualité de la vie. Le mal-être parasite le bien être".
A ce propos, ce n’est pas un hasard si nous assistons à un retour des
anciennes traditions d’aménagement de l’environnement, le Feng Shui et le
Stapathya-Veda. Ce n'est pas du tout "exotique". Nous avons une sagesse
millénaire à y retrouver pour rebâtir sur Terre. On savait très bien autrefois
comment choisir l’orientation d’une maison, planter des arbres, décorer,
aménager de manière à ce que la maison demeure un foyer. Pas un clapier
résidentiel.
* *
*
Il n'y a pas de fatalité de la mondialisation, mais des choix économiques qui y conduisent sous la forme qu'elle prend aujourd'hui. Des choix qui tiennent à la conscience que nous avons du monde lui-même. Une conscience plus élevée de notre relation au monde et de l'intrication infinie de la vie sur cette planète modifierait de manière radicale nos prises de décisions.
Le nœud du problème tient étroitement à la conception même de la richesse que nos sociétés entretiennent collectivement. Elle tient à l'envergure que nous donnons à la prospérité. Pas à la réclusion de la richesse sous la forme du profit. Un être très conscient se sent enrichi lorsqu'il partage librement, il n'a pas besoin de tirer un profit, car c'est justement le sentiment de l'enrichissement qui est le profit et rien d'autre. Nous sommes au temps de l'incertitude, de l'ultime chance ou de l'ultime malchance. C'est à nous d'en décider pour le futur. Rien n'est joué. Nous recréons le monde à chaque instant conformément à l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Nous pouvons recréer à neuf une mondialisation à visage humain. Les clés du futur sont entre nos mains.
* *
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© Philosophie et spiritualité, 2006, Serge Carfantan,
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