Leçon 85.   De la société à l’État        pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Depuis la chute du mur de Berlin, nous assistons à un développement sans précédent des nationalismes. Des commentateurs politiques ont dit que la dernière idéologie totalitaire s’étant effondrée, le ciment qui pouvait rassembler des nations différentes dans un État unique avait disparu, si bien que les États se trouvent aujourd’hui confronté à une menace d’éclatement interne, chaque nation cherchant à se doter d’une structure politique d’État. Le caractère fictif de l’État semble alors se manifester sous son vrai jour, l’État n’est qu’une communauté purement juridique. Il ne peut résister aux transformations historiques d’une culture d’une communauté vivante – la nation -.

    Cette marche de l’Histoire est-elle justifiable ? Après tout, le fait n’est pas le droit. Les circonstances historiques qui sont les nôtres ne prouvent rien. L’Histoire avance-t-elle dans la direction de la formation de l’État ? La réalisation de l’État est elle plus essentielle que ne l’est la quête d’une identité nationale ? Le nationalisme n’est-il qu’une dérive, un égarement de la marche de l’Histoire ? Ou bien faut-il dire que la nation incarne mieux la nature de la société humaine que celle de l’État ? Devons nous nous réjouir de la perspective à long terme de la disparition de l’État ? Quelle part de fiction recoupent ces mots « société », « État » et « nation » ?

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A. L’État et la nation

    Il peut y avoir des sociétés sans État, mais tout État suppose nécessairement une société. Un État est une société dans laquelle le pouvoir politique est différencié des autres formes de pouvoirs et centralisé. C’est seulement dans l’État que la distinction gouvernant/gouverné devient précise, parce que la fonction politique a été spécialisée. Ce qui ne veut pas dire qu’une société sans État ne comporterait pas de pouvoir, ni que celui-ci soit une création de l’État ; dans une société traditionnelle, le pouvoir peut-être plus diffus, moins spécialisé, mais il est bel et bien présent. Il y a État quand d...

    ---------------1) Sous quelles conditions ? Une institution n’existerait sans qu’il y ait antérieurement des conditions géopolitiques déterminées. 1) Il n’y a État que lors qu’il y a une autorité politique et juridique dans les limites d’un territoire. L’État est une structure politique qui dispose du monopole de la législation sur son territoire. Les limites de l’État, ce sont les limites dans lesquelles il exerce son pouvoir, dans lesquelles ses lois sont valides et appliquées. Il peut exister des nations nomades, telles les manouches, les gitans, les berbères. Pendant des milliers d’années, l’humanité a été nomade et les premiers hommes étaient partout des pionniers là où ils posaient le pied. Ils n’étaient pas enracinés en un lieu et propriétaire d’un lopin de terre. Il n’y a pas d’État nomade, ce qui signifie que le concept d’État suppose antérieurement celui de propriété de la terre, propriété justement qu’il s’agit de défendre au nom du droit, droit qui est consacré par l’État. 2) Bien sûr, un État suppose une population, le peuple qui le forme est d’ailleurs l’origine même de sa souveraineté. Le peuple est la nation considérée comme une entité juridique et politique à part entière. Le pouvoir politique, explique Rousseau, vient du peuple et est exercé par les représentants du peuple. Le terme de « société » ne comporte pas cette dimension. Il est d’avantage de l’ordre d’un fait de l’existence collective, que d’une réflexion sur l’organisation et le pouvoir, ce qui correspond aux implications du terme « État ». 3) Comme la législation ne va pas de soi, comme la justice dans l’État est nécessairement accompagnée de l’exercice de la force, on a pu dire, avec Max Weber, que l’État possède le monopole de la violence légitime, c’est-à-dire de l’usage légal d’un pouvoir de contrainte sur les personnes. C’est dans l’État que nous faisons une différence, entre une contrainte légitime au nom du pouvoir et une violence sociale répréhensible. C’est sous couvert de la reconnaissance du contrat social qui nous rend citoyen de l’État que nous admettons l’autorité de la police et de l’armée. 4) L’État n’existant que dans le cadre de frontières déterminées, il suppose l’existence d’autres État de même nature. C’est plus particulièrement dans cette relation d’État à État – donc vu de l’extérieur - que nous avons aujourd’hui tendance à voir la suprématie de l’État comme sa Souveraineté ; dit autrement, le fait qu’il ait pleinement compétence sur le territoires qui est le sien, et qu’il possède une indépendance vis-à-vis des autres États. Chaque État tend à vouloir conserver sa souveraineté, de la même manière que chaque individu tient au respect de sa liberté individuelle. De même que nous sommes assez susceptibles sur le chapitre du respect de nos libertés individuelles, les États ont aussi tendance à vouloir conserver jalousement leur autonomie, contre toute immixtion d’une instance extérieure. 5) Enfin, l’exercice du pouvoir au sein de l’État suppose sa traduction sous la forme d’un gouvernement. En résumé, si l’État

    La forme de l’État donc ne préjuge pas du régime politique qui y est pratiqué. On appelle régime politique, la manière dont le pouvoir politique est lui-même exercé. De même le système économique régit la structure de l’échange, tandis que celui-ci n’implique nullement tel ou tel système (le capitalisme, le communisme, le troc). On peut très bien parler d'État démocratique, comme d’État monarchique, d’État tyrannique aussi bien que théocratique. Les termes démocratie, monarchie, tyrannie, théocratie, sont des conceptions des manières de régir la structure du pouvoir, c’est-à-dire d’exercer un gouvernement.

    Ce qui ressort clairement de cette analyse, c’est le caractère institué de l’État. L’État est par essence une communauté juridique, il n’est pas une communauté vivante. L’État suppose que chacun d’entre nous, en tant qu’individu membre de la société, s’identifie à son rôle de citoyen, et par là, reconnaît l’existence et l’importance de l’État. Que l’on enlève cette identification, et toute la structure perd son sens, car la structure de l’État est avant tout posée par la pensée. En d’autres termes, l’État existe-t-il en dehors de la conception que l’individu en a ? Ou bien n’est-il pas seulement un concept ? La meilleure façon de répondre à une question pareille, c’est de se demander pourquoi l’homme aurait inventé une idée pareille, or la raison est assez simple : l’homme a inventé l’État pour ne plus obéir seulement à l’autre homme, de telle manière que le rapport d’autorité soit distingué du rapport des relations personnelles d’un chef à ses subordonnés. L’État est une idée, mais une idée qui sert de support à un pouvoir qui dépasse les volontés individuelles, comme les personnalités charismatiques qui les gouvernent. L’État est en définitive un concept, mais un concept qui a permis la formation historique d’entités dont nous ne contestons pas l’existence sous la forme des différentes entités politiques qui forment ...

    Qu’est-ce alors qu’une communauté vivante ? Il semble que le besoin de trouver le sens de la communauté vivante ne puisse se satisfaire que sous des formes plus concrètes, celle de la famille, du village, de la Cité, du clan, de la tribu ou de la nation. Dans la famille, il y a bien une forme de communauté, mais elle reste très limitée, si elle peut se présenter en modèle, c’est qu’entre les membres d’une famille, l’amour remplace et supplée aux rapports de droits. Les rapports de l’échange restent trop limités, car la famille ne se suffit pas elle-même. Dans le village, dit Aristote, les hommes échangent des services. Dans le clan et la tribu, ils partagent en plus une même culture, ils sont réunis par une même histoire, des traditions, des mœurs qu’ils ont en commun. Dans la Cité commencent les rapports véritablement politiques. Or la cité est encore une très petite échelle, dont la mesure est incomparable avec l’État moderne. Le clan et la tribu font un pas de plus pour donner à l’individu le sentiment de faire parti d’un tout humain plus vaste quoique situé dans la différence avec l’autre clan, ou l’autre tribu. (texte)

    L’homme moderne tente, dans l’idée de nation, de se redonner quelque chose de l’identité archaïque qui soudait ensemble clan, tribu, village et Cité, cependant, la nation a un caractère nettement plus artificiel. Le concept de nation donne à penser qu’il existe une sorte de communauté humaine fondée sur un héritage de valeurs religieuses, de valeurs morales, de traditions populaires,mais aussi sur le legs des stigmates d’un passé commun, d’une mémoire collective. Il y a une fierté à se dire « breton », « basque », à se dire « flamand », « catholique irlandais », « serbes », « croate », « libanais » ou « américain », à le clamer haut et fort, surtout pour chercher à se distinguer des autres. C’est d’autant plus facile que le cercle de l’identification est réduit, que l’on est attaché à une tradition et des valeurs. Il est vrai que par comparaison, s’identifier aux responsabilités du citoyen d’un État est bien plus abstrait. Il est plus facile affectivement de se sentir « breton » que « français », ou « citoyen européen », bien plus facile en apparence que de se sentir « citoyen du monde ».

   2)  Il n’est donc pas étonnant que l’entité « nation » et l’entité « État » ne se recoupent pas, et puissent entrer aisément en conflit. Un même État peut envelopper des nations différentes. Une nation peut-être coupée entre plusieurs États. Les basques sont de part et d’autre entre l’Espagne et la France. Un peuple nomade forme une nation sans territoire. Par nationalisme on entend l’aspiration des peuples à vouloir former une équation : une nation = un État. L’Histoire n’a abouti qu’à former des conglomérats approximatifs dont l’unité est fictive. Une frontière n’est que le résultat de rapports de forces issu des guerres successives, un état de fait qui ne recoupe pas les différences culturelles. Le nationalisme revendique donc la lutte pour la reconnaissance politique des différences culturelles. Il invente et exalte le patriotisme, qui est le sentiment et la fierté d’appartenance à une nation, le patriote étant l’homme fidèle à son pays et qui se veut le défenseur de sa nation. Quand, à la suite de l’effondrement du bloc soviétique, l’unité abstraite de l’État est tombée, ce qui s’est tout d’un coup réveillé avec violence, c’est le nationalisme. C’est par le ferment de la division, de la séparation, la scission, l’opposition que le nationalisme poursuit ses fins. Le nationalisme nourrit et exploite les particularismes locaux et suit une logique de la fragmentation indéfinie : pourquoi ne pas scinder entre les landais du nord et ceux du sud ? Entre la tradition bretonne de l’ouest et la tradition normande etc. Pourquoi ne pas faire exploser les États alors en minuscules principautés avec leur police, leur armée, leur langue, leurs usages, leur monnaie, leurs coutumes etc. ? Une fois que la logique de la séparation est posée, il ne reste plus qu’à la suivre en prenant les armes dans la guerre civile ou en entrant dans le maquis pour mener la lutte pour l’indépendance. Une grande partie des violences que l’humanité connaît aujourd’hui résulte du nationalisme et malheureusement sa logique n’est jamais très loin du principe de la purification ethnique ou du génocide. Quand on commence à formuler la revendication d’identité « nous autres allemands aryens », on n’est prêt à chasser le juif, le musulman, le gitan et le manouche. ... chair à canon » ! !

    ---------------Il faut être sans compromis sur cette question. La nation n’est pas une réalité concrète, mais un concept. Elle n’est pas du même ordre que les formations premières que sont la famille, le village et la Cité. Il n’y a aucun critère précis qui puisse vraiment en rendre compte, ni la langue, ni le territoire, ni la religion, ni l’ethnie. Il y a des nations plurilingues, des nations où coexistent plusieurs religions. Personne n’a jamais vu « la » nation. La nation n’est jamais un phénomène observable. Force est de croire qu’elle n’existe que dans des préférences collectives sous une seule forme, celle d’un mythe. Malraux écrit en ce sens : « l'homme se donne l’idée d’une nation; mais ce qui fait sa force sentimentale, c’est la communauté de rêve » La nation fait partie des représentations politiques seulement en ce qu’elle entretien une idée quasi-magique, fantasmée du corps politique, supportée par des croyances et une bonne dose d’orgueil. Son rôle,

    Si elle pouvait être allégée de tout fanatisme, si elle pouvait être dégagée de toute représentation confuse, de toute volonté de comparaison et d’émulation, elle ser

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