En 2008, Jean Ziegler, alors rapporteur de l’ONU, disait que si l’humanité partageait décemment ses ressources alimentaires, la Terre pourrait accueillir sans problème 12 milliards d’habitants. Nous avons vu précédemment que le seul changement de régime, depuis une nourriture carnée, vers une nourriture végétarienne permettrait d’atteindre ce résultat, tout en diminuant considérablement notre empreinte écologique. Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’une telle accélération démographique est souhaitable, mais de mettre en cause l’une des croyances fausses que nous entretenons au sujet de la faim dans le monde.
Bien sûr, nous avons entendu toutes sortes de justifications : c’est la faute du climat, à la fatalité des événements naturels, la faute de la crise économique, du manque de contrôle des naissances, de la corruption des pays pauvres, de l’accumulation de leur dette, de leur manque d’ouverture au marché, d’insuffisances en biotechnologies, des entraves à l’action de la FAO, du FMI etc.
Et si on retournait la causalité de quelques unes de ces raisons ? Et si la fatalité n’y était pour rien, mais que l’humanité avait inconsciemment programmé à travers ses croyances la situation de misère et de souffrance qui règne partout dans le monde ? La question de la faim ne relève-t-elle pas avant de la responsabilité politique ? Non, ne vaudrait-il pas mieux dire qu’elle tient à l’irresponsabilité politique ou encore de l’inconscience humaine ? Ne faudrait-il pas mettre au jour ce qui jusqu’à présent nous voile la réalité ? Si nous sommes capables de voir les choses telles qu’elles sont, nous pourrons nous entendre sur la gravité du problème, mais tant que nous n’examinons pas la doxa de la faim qui tourne en boucle dans les discours officiels, nous ne pourrons rien faire, car elle inculque une résignation collective qui barre la route à tout changement.
* *
*
Pour le
consommateur occidental qui se rend régulièrement au supermarché, qui a
l’habitude de fréquenter les galeries commerciales, les vendeurs de crêpes sur
le front de mer, les petits restaurants, la faim n’a guère de signification.
C’est un petit creux que l’on s’avise de combler avidement en avalant
rapidement un peu tout et n’importe quoi. De manière plus subtile, c’est souvent
une tendance créée par le mental pour combler un vide. Une pulsion de l’ego qui
porte vers une compensation. Il en est tout autrement pour les
SDF, les
marginaux qui rodent dans les villes pour qui c’est une obsession constante.
Ceux-là sont bien plus près de comprendre ce dont souffre des populations
entières de par le monde.
1) « Le massacre quotidien de la faim se poursuit dans une normalité glacée. Toutes les 5 secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Toutes les 4 minutes, quelqu'un devient aveugle par manque de vitamine A. En 2006, 854 millions de personnes - un homme sur six sur notre problème ont été gravement et en permanence sous-alimentés. Elles étaient 842 millions en 2005". (texte)
L’humanité nous fait sentir à quel point notre condition
incarnée à travers la pression
qu’exercent les besoins du corps. Nous avons vu
l’importance que revêtent les sensations de la soif, de l’étouffement, de la
faim. Tout être humain se doit
d’honorer son corps et cela fait partie
des prérogatives d’une société véritablement humaine que de veiller à ce
que chacun puisse voir ses besoins
élémentaires satisfaits. C’est une question de
survie biologique. Nous l’avions
dit, mais pour citer
Jean Ziegler dans Destruction massive :
« A de rares exceptions près, un homme peut vivre normalement trois minutes
sans respirer, trois jours sans boire, trois semaines sans manger. Pas
davantage. Commence alors la déchéance.
Chez les enfants sous-alimentés, l’agonie s’annonce beaucoup plus rapidement. Le corps épuise ses réserves en sucre, puis en graisse. Les enfants deviennent léthargiques. Ils perdent rapidement du poids. Leur système immunitaire s’effondre. Les diarrhées accélèrent l’agonie. Des parasites buccaux et des infections des voies respiratoires causes d’effroyables souffrances. Commence alors la destruction de la masse musculaire. Les enfants ne peuvent plus se tenir debout. Comme autant de petits animaux, ils se recroquevillent dans la poussière. Leurs bras pendent sans vie. Leurs visages ressemblent à ceux des vieillards. Enfin, vient la mort ».
Un adulte qui tombe en panne de voiture en plein Sahara, privé de nourriture quelques temps, peut être sauvé in extremis et retrouver aisément des conditions de vie normales. Il en va tout autrement d’un enfant pour un enfant de moins de cinq ans qui a été maintenu dans une sous-alimentation, les cellules du cerveau ne pourront avoir un développement normal et il gardera de graves séquelles. « Son destin est scellé. Il restera un crucifié de naissance, un mutilé mental à vie. Aucune alimentation thérapeutique ne lui assurera une vie normale, satisfaisante et digne.
Dans un grand nombre de cas, la
sous-alimentation provoque des maladies dites de
la faim : le
noma,
le
kwashiorkor, etc.».
2) « Noma vient du grec nomein, qui signifie dévorer. Son nom scientifique est le cancrum oris. C’est une forme de gangrène foudroyante qui se développe dans la bouche et ravage les tissus du visage. Sa cause première est la malnutrition.
Le noma dévore le visage des enfants souffrant de malnutrition principalement entre un et six ans.
Chaque être vivant a dans sa bouche des micro-organismes en grand nombre, constituant une charge élevée en bactéries. Chez les personnes bien nourries et entretenant une hygiène buccale élémentaire, ces bactéries sont combattues par les défenses immunitaires de l’organisme.
Quand une
sous-alimentation ou une malnutrition prolongée affaiblit les défenses
immunitaires, cette flore buccale devient incontrôlable, pathogène, brise les
dernières défenses immunitaires ». La maladie suit alors trois stades, elle
commence par une gingivite avec apparition d’aphtes. Détectée à ce stade, elle
est facile à vaincre, il suffit de désinfecter la bouche et d’alimenter
correctement l’enfant. Si ce stade est dépassé, un plaie sanglante se forme dans
la bouche et la gingivite se transforme en nécrose accompagnée de fièvre. Mais,
même à ce stade rien n’est encore perdu, on peut en venir à bout au moyen
d’antibiotiques et d’une nourriture adéquate. Il suffit de 2 à 3 euros pour
assurer un traitement de dix jours pour guérir un enfant. Mais si rien n’est
fait, au troisième stade, « le noma devient invincible ». « D’abord le visage de
l’enfant gonfle,
puis la nécrose détruit graduellement tous les tissus mous.
Les lèvres, les joues disparaissent, des trous béants se creusent. Les yeux tombent, puisque l’os orbital est anéanti. La mâchoire est scellée.
Les rétractions cicatricielles déforment le visage.
La contracture des mâchoires empêche l’enfant d’ouvrir la bouche.
La mère alors casse les dents sur un côté pour pouvoir introduire dans la bouche de son enfant une soupe de mil… dans l’espoir vain que ce liquide grisâtre empêchera son enfant de mourir de faim ». « 50 % des enfants atteints meurent dans un délai de trois à cinq semaines ».
Quand le noma s’en prend à des sujets plus âgés, ils seront comme survivants condamnés au martyre, l’horreur qu’ils représentent fait qu’ils sont frappés de tabous, rejetés comme pour une punition, caché des voisins. Comme l’a dit un commentateur : « le noma agit comme une punition pour un crime que vous n’avez pas commis ».
Le noma fait des ravages en Afrique mais il « ne figure pas sur la liste de l’OMS » ! Ce n’est pas une maladie contagieuse. Résultat : l’absence de reconnaissance publique fait que l’on manque d’information scientifique. Or tant que l’OMS ne s’intéresse pas à cette maladie qui touche les plus pauvres, il n’y a pas de recherche approfondie à publier et en conséquence, aucune mobilisation internationale ne peut être entreprise. Cercle vicieux. Et le pire pour la fin : le noma n’intéresse pas non plus les trusts pharmaceutiques parce que les médicaments pour le traiter « sont peu coûteux, ensuite parce que les victimes sont insolvables ».
Nous ne
pouvons pas argumenter en prétendant que cette maladie est récente ou spécifique
à une région du monde. Ses symptômes sont connus depuis l’Antiquité. Son nom lui
a été attribué en 1685 par Cornelius van der Voorde des Pays Bas. Tout au long
du XVIIème les écrits sur cette maladie ont été nombreux et ils associent
clairement le noma à l’enfance, la pauvreté et la malnutrition. « Jusqu’au XIX è
siècle, le noma s’étend à toute l’Europe et à l’Afrique du Nord. Sa disparition
de ces régions est essentiellement due à l’amélioration des conditions sociales
des populations, au recul de l’extrême pauvreté et de la faim.
Mais le noma fait une réapparition massive dans les camps nazis entre 1933 et 1945, notamment dans ceux de Bergen-Belsen et d’Auschwitz. Chaque années 140 000 nouvelles victimes sont frappées par le noma… La proportion de personnes survivantes oscille autour de 10% ce qui signifie que plus de 120 000 personnes périssent de noma tous les ans ».
Le noma est une des manifestations des plus violentes de la tragédie de la faim sur cette planète. Il peut être éradiqué dans l’hémisphère Sur comme il l’a été dans l’hémisphère Nord et il le sera quand ses causes, la malnutrition et la sous-alimentation auront définitivement été balayés. Les remèdes existent. Les moyens existent. Les organisations capables de prise en charge existent. A moins d’être totalement désensibilisés (les fuites dans une possible inconscience ne manquent pas) (texte) personne ne peut supporter la confrontation avec cette réalité de la faim. Quelles que soient les différences culturelles, la souffrance humaine nous atteint directement. (texte) On ne peut pas finasser avec la tragédie de la faim, l’intelligence du réel impose une action immédiate.
Qu’est-ce qui fait que nous restons bloqués dans l’horreur de cette situation ? Un esprit sain et vigoureux mis en présence d’un danger mortel ne tergiverse pas, il mobilise toute son intelligence pour répondre de manière adéquate à la situation d’expérience qui est la sienne. C’est vrai individuellement et collectivement. Dans quel carcan nous sommes-nous fourrés pour ne plus voir le danger, alors qu’il nous met en demeure de répondre ?
1) Quand
le mental porte des œillères, sa vision est
fragmentaire et déformée, il ne
peut que créer des impossibilités, tourner en rond et différer l’action
immédiate. S’agissant de la question qui nous importe, concrètement cela se
traduit par ce que nous appelons la doxa de la faim : l’ensemble des
représentations collectives qui alimentent l’opinion et
servent de prêt-à-penser au sujet de la faim. C’est une chose facile à tester :
il suffit de poser la question autour de soi et l’on vérifie que la réaction
commune consiste à répéter un certains nombre d’idées toutes faites sur
le sujet. Des idées qui n’ont pas été
investiguées, mais ne
sont pas venues de nulle part,
car elles ont des racines
historiques précises.
Il serait
complètement illusoire de se projeter dans les époques les plus reculées de l’humanité
pour éclairer ce qui se passe aujourd’hui (le poncif préféré des élèves de
terminale c’est « du temps de l’homme des cavernes… » !) D’autre part, nous
avons vu dans une leçon précédente à quel point, en
projetant les conditions actuelles, on se méprend sur les
sociétés traditionnelles. Juste
un rappel : pour nous persuader des bienfaits du marché, on a répandu le mythe
selon lequel les peuples traditionnels devaient forcément être pauvres,
malheureux, souffrant de malnutrition, vivant en permanence dans la famine
etc. »… La vérité est ailleurs, car ils ne vivaient pas dans ce
monde ravagé
qui est devenu le nôtre.
Remontons seulement au Moyen Âge en Europe pour bien comprendre d’où il vient ce monde qui est nôtre. A cette époque, la faim, comme la peste, étaient considérés comme des « fléaux » qu’aucune volonté humaine ne pouvait vaincre. Le concept de fléau est bien sûr d’origine religieuse et fait référence aux malédictions bibliques, aux punitions envoyées par Dieu au peuple des « pêcheurs et des réprouvés ». Quand le fatalisme théologique inculque l’idée folle d’un Dieu vengeur, l’homme ne peut que se résigner et s’incliner. On appelle cela la « nécessité ».
Or si la faim était vue dans une perspective très différente, comme une grave remise en cause des conditions de vie, comme un drame humain exceptionnel, il y aurait place pour une volonté humaine capable d’y faire face. Nous pourrions penser que le déclin de l’autorité religieuse à la Modernité aurait dû permettre de reconsidérer la question, d’autant que les progrès de la médecine, les progrès technologiques aidant, la perspective d’une éradication de la faim était désormais possible.
Mais c’est sans compter avec l’influence
énorme qu’à eu l’œuvre d’un pasteur anglican,
Thomas Malthus sur notre
représentation de la faim. Malthus est né en 1766. Il vit dans les années
1780 l’immense transformation de l’Angleterre en puissance industrielle ; une
époque charnière où l’aristocratie coloniale sur le déclin cède la place à la
bourgeoisie en pleine expansion. C’est l’épopée de l’édification des grandes
usines textiles, la gloire du métal et du charbon, et conséquemment, la
migration massive des populations paysannes vers les villes ouvrières. Malthus
enseigne la morale au Jesus College de Cambridge, puis devient pasteur
dans le Surrey. Nous pourrions ici faire un rapprochement ; de même que c’est
l’effroi des guerres civiles qui va donner à
Hobbes l’impulsion de son œuvre,
Le Léviathan, c’est l’extrême misère des bas quartiers de Londres qui va
donner l’impulsion de
L’Essai sur le Principe de Population de Malthus.
Trop d’enfants mendiants, trop d’alcoolisme, trop de visages blêmes, marqués par
une sous-alimentation, trop de souffrance de la faim. Cette angoisse ne va pas
le quitter Malthus. Il va rester fixé sur une question obsessionnelle :
« Comment nourrir ces masses de prolétaires, leurs enfants innombrables, sans
mettre en danger
l’approvisionnement en nourriture de la société tout entière ».
Il commence par un premier écrit en 1796 qui ne trouve pas d’éditeur : The
Crisis. Ce premier texte contient déjà l’idée principale qui sera développée
dans son célèbre Essai sur le Principe de Population : Il y a une
tendance commune à tous les êtres vivants à développer la croissance de leur
espèce au-delà des ressources de nourriture dont ils peuvent disposer, mais
cette tendance se heurte à des limites naturelles. Il va répéter et développer
ce point de vue. Selon lui, la nature met les vivants dans une contradiction
insurmontable : d’une main libérale, elle répand les germes de la vie, mais de
l’autre, elle est très avare en nourriture. Elle enferme les espèces dans des
limites (texte). L’homme ne peut pas échapper à cette loi,. Ce qui se produit dans le
vivant sous la forme de gaspillage des germes, de maladie et de mort prématurée,
apparaît chez l’homme sous la forme de la misère. C’est la « loi de la
nécessité » qui est la loi de Dieu. (texte) Lorsque la population croît, la nourriture
devient insuffisante et la faim élimine le trop grand nombre. Fatalité ou
providence ne sont alors qu’une seule et même chose, il y aurait une « loi
naturelle », une « loi scientifique » (texte) de sélection.
Puisque c’est ainsi et que l’homme ne peut pas lutter contre les lois naturelles, il doit s’y conformer et ne pas s’y opposer. Ayant naturalisé la faim, Malthus s’empresse de légitimer toutes les mesures qui iraient dans le sens de la « sélection naturelle » par la misère. « Si un homme ne peut pas vivre de son travail, tant pis pour lui et pour sa famille » ! (texte) « Le pasteur doit avertir les fiancés : si vous vous mariez, si vous procréez, vos enfants n’auront aucune aide de la société ». « Les épidémies sont nécessaires ». « Les lois sociales sont nuisibles ». (texte) Il faut que le pauvre sache « que les lois de la nature, qui sont les lois de Dieu, l’on condamné à souffrir, lui et sa famille ». Si les taxes sont écrasantes pour les pauvres, eh bien « tant pis ».
On imagine l’effet flatteur et agréable de ce discours sur les classes dominantes et le succès que va rencontrer Malthus. Le Parlement britannique débâtit de l’ouvre de Malthus et le Premier ministre s’empressât d’en recommander la lecture. Pensez donc, on avait trouvé là une rhétorique permettant tout à la fois de faire l’éloge la « mission civilisatrice » de la bourgeoisie, (la plus apte à survivre), tout en légitimant la misère, la famine et les charniers. La destruction des milliers de vie par la faim étaient certes effroyable, mais « nécessaire » à la survie de l’humanité (sic). La seule vraie menace, c’était l’explosion démographique et la manière naturelle de la contrer était l’élimination des faibles par la faim.
Malthus a « libéré les Occidentaux de leur mauvaise conscience ». Si le spectacle de la dégradation humaine par la faim est révoltant, insupportable et insoutenable, le mental avait trouvé avec Malthus un laïus pour s’en dégager, faire écran et se donner bonne conscience. « En naturalisant le massacre, en le renvoyant à la nécessité, Malthus a déchargé les Occidentaux de leur responsabilité morale ». (texte)
2) Or il y une responsabilité humaine dans l’édification de structures sociales et dans des politiques qui provoquent nécessairement dans leurs effets collatéraux l’indicible souffrance de la faim. Il a fallu les horreurs de la dernière guerre et les camps d’extermination pour que dans la conscience des peuples s’élève un cri : « plus jamais ça ! » La conscience de l’identité entre tous les êtres humains commençait à se manifester. Un sursaut de conscience prodigieux. En 1946, les États membres de l’ONU ont créé la FAO, l’organisation mondiale pour l’agriculture. Le 10 décembre 1948 64 États membres adoptèrent l’unanimité la Déclaration Universelles des Droits de l’Homme qui consacre son article 25 au droit à l’alimentation. (texte) Non seulement cela, mais face aux catastrophes, ils décidèrent aussi de créer en 1963 le PAM, le Programme alimentaire mondial pour l’aide d’urgence.
Au sortir de
la plongée dans l’abîme du nazisme, une évidence s’imposait : « l’éradication de
la faim est de la responsabilité de l’homme, il n’existe aucune fatalité en
cette matière. L’ennemi peut être vaincu. Il suffit de mettre en œuvre un
certain nombre de mesures concrètes et
collectives pour rendre
effectif et justifiable le droit à l’alimentation ».
L’histoire
retiendra le nom de
Josué de Castro pour avoir, par son œuvre scientifique, sa
vision et son action, marqué son époque. En contre-pied exact de Malthus, Josué
de Castro démontre patiemment et de manière implacable que la faim procède en
définitive des politiques conduites par les hommes. Une fois que l’on en a
repéré les causes, elle peut être vaincue et éliminée. Il publie en 1946
Géographie de la Faim qui est le résultat
d’une enquête très détaillée auprès des journaliers agricoles au Brésil. Il
apporte la preuve que ce n’est pas la surpopulation
des campagnes et des villes qui est responsable de la progression de la faim,
mais exactement l’inverse. Par réflexe de
survie, les plus pauvres multiplient les naissances par angoisse du lendemain,
en comptant sur leurs enfants comme assurance-vie : s’ils survivent, leur tâche
serait d’aider leurs parents à vivre sans mourir de faim. D’où ce proverbe
brésilien : « La table du pauvre est maigre, mais le lit de la misère est
fécond ». On notera à l’inverse qu’avec l’abondance dans les pays développés, le
taux de fécondité tend régulièrement à baisser. Castro observe dans
Documentario do Nordeste qu’il faut chasser définitivement les
préjugés
raciaux. Si les métis sont « paresseux », « diminués » et « affligés de déficits
mentaux » ou « d’incapacités », ce n’est pas en vertu d’une « tare raciale »,
mais en raison de leur estomac vide. Le manque de nourriture empêche un
développement harmonieux des capacités. Si le travail du métis rend peu, c’est
qu’à chaque pas il souffre par manque de combustible. Il suffit d’enquêter sur
le terrain pour le comprendre. Mais l’idéologie comme toujours fait écran :
« Les classes dirigeantes brésiliennes blanches étaient aveuglées par leurs
préjugés raciaux ». (texte) Par la suite, Josué de Castro sera invité en Argentine, aux
États-Unis, en République Dominicaine, au Mexique et en France et il publiera
une cinquantaine d’ouvrages scientifiques.
Alain Bué,
continuateur de Josué de Castro, condense ses conclusions de manière abrupte :
dans ce monde tel qu’il est, « Quiconque a de l’argent mange, qui n’en pas
meurt de faim ou devient invalide ».
Cependant, même enrégimenté avec une bonne conscience malthusienne, ceux qui ont
de l’argent sont encore hantés par le spectre de la sous-alimentation et de la
malnutrition. Ils savent fort bien qu’en elle gît un ferment de
violence. D’où
cette formule saisissante de Josué de Castro : « la moitié des Brésiliens ne
dorment pas parce qu’ils ont faim. L’autre moitié ne dort pas non plus, car elle
a peur de ceux qui ont faim » ! Tant que les hommes seront affamés et maintenus
dans la malnutrition, ils n’y aura pas de paix sociale. Du coup, dans un État
dans lequel une grande partie de la population est maintenue dans la misère et
la faim, seule une répression féroce peut maintenir un semblant de
« tranquillité sociale ». En réalité, commente Jean Ziegler « La faim crée
un état de guerre permanent et larvé ». La prétendue « mission civilisatrice »
de la bourgeoisie dont parlait Malthus dissimule… une répression constante.
Autour de quoi ? Au Brésil, comme le montre le Livre noir de la Faim de Castro, autour des capitanerias, les multinationales contrôlant la majeure partie des terres. Et comment ? Avec les pistoleros des grands propriétaires terriens, les escadrons de la mort et l’aide de la police militaire.
Mais en
Europe, pendant la guerre, les occidentaux avaient été eux-mêmes confronté à la
même logique. La faim avait été délibérément utilisée par l’occupant pour
briser les peuples et les
détruire. Hitler avait élaboré un « plan faim »
machiavélique et l’avait méthodiquement appliqué. Dans une logique
parfaitement « malthusienne ». Voyez le livre de Bernard Schreiber Les
Hommes derrière Hitler.
La doxa de la « fatalité » de la faim n’avait plus aucun sens il n’était que trop évident qu’elle était un paravent pour dissimuler les vrais enjeux de recherche du profit et de relations de pouvoir.
Ou, pour le dire encore mieux : relations de pouvoir pour la recherche du profit. Et les conséquences ne peuvent manquer d’arriver. En 2008 des émeutes de la faim éclataient au Burkino Faso, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en Égypte, au Kenya, au Libéria, en Mauritanie, au Mozambique, au Nigeria et au Sénégal pour ce qui est de l’Afrique. Dans le même temps, des émeutes éclataient en Bolivie, au Guatemala, en Haïti, au Honduras, au Nicaragua et au Salvador en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Sans compter ce qui s’est aussi passé en Jordanie, en Ouzbékistan et au Yémen. Quand près de deux milliards d’hommes, de femmes et d’enfants souffrent de malnutrition chronique, la moindre variation des prix sur les aliments de base devient une question de vie ou de mort. Or ces violences n’étaient pas le résultat de ce que l’on appelle un « faim conjoncturelle » liée à de mauvaises récoltes, mais bien la conséquence d’une « faim structurelle » produite par le fonctionnement même du capitalisme mondial.
1) Puisque le capitalisme (c’est dans son nom) est le système économique qui vise à l’accroissement du capital, il s’ensuit, comme nous l’avons montré, qu’il est par essence un système qui vise mécaniquement non seulement le profit, mais plus encore l’accroissement du profit. Il faudrait être fou, banquier ou économiste libéral pour croire encore que sa finalité est de permettre à chaque être humain sur Terre de manger à sa faim. Nous avons vu que pour Machiavel non ne fait pas de la politique avec des bons sentiments, mais avec des « actes efficaces » dont l’ultime justification tient à la raison d’État. Dans le contexte du capitalisme, on ne fait certainement pas des affaires avec le cœur sur la main, mais avec des « stratégies commerciales efficaces» dont l’ultime justification tient à l’augmentation des bénéfices. Point à la ligne. Dans un cas, comme dans l’autre, il s’agit d’une pensée calculatrice dont l'essence est technique. Comme telle, elle est indifférente à une finalité œuvrant pour la promotion de la vie et conduisant à une amélioration des conditions de vie.
De fait, partout dans le monde le droit à l’alimentation entre directement en conflit avec les intérêts financiers. Dans Destruction massive, Jean Ziegler le démontre très clairement, le droit à l’alimentation est parmi les droits de l’homme celui qui est le plus systématiquement violé,… sans que jamais les responsables soient traduits en justice pour crime contre l’humanité.
200
multinationales agroalimentaires exercent un monopole sur l’ensemble de la
chaîne alimentaire. Cela va de la production des semences, la distribution de
détail, en passant par la
transformation
et la commercialisation des produits. Elles réalisent des profits astronomiques
et disposent de ressources financières très supérieures à celles des
gouvernements de la plupart des pays dans lesquels elles sont implantées.
Seulement 6 sociétés concentrent 85% du commerce mondial des céréales, 8
sociétés règnent sur 60% des ventes de café, 3 se partagent 80% du cacao, 3
aussi s’assurent 80% du commerce des bananes etc. Ce sont évidemment les mêmes
qui dominent et contrôlent le transport, l’assurance, la distribution des biens
alimentaires et bien sûr ce sont leurs traders qui à la bourse fixent les
prix des principaux aliments. Les spécialistes n’hésitent pas à employer le
terme de cartels pour désigner ces organisations.
Dans le documentaire de Colline Serreau Solutions locales pour un Désordre
global, Jao Pedro Stelidé résument parfaitement la situation : « Leur but
n’est pas de produire des aliments, mais des marchandises pour
gagner de l’argent ».
Nous avons vu avec Aristote ce que signifiait ce
déplacement qui fait que la valeur d’usage
importe bien moins que la valeur d’échange.
Dans le vocabulaire d’Aristote, c’est une acquisition
anti-naturelle, car elle déprécie la
valeur d’échange en imposant la seule recherche du profit.
Quand on ne pense que dans l’ornière idéologique du profit maximum, on perçoit toute intervention normative de contrôle comme une entrave, et bien qu’on ne le dise jamais directement, au final on se pose alors en adversaire résolu du droit à l’alimentation. D’où un habile rhétorique qui va jusqu’à réinterpréter le drame de la faim. Appelons cela la prosopopée de la faim selon le libéralisme :
« Certes la faim est une tragédie scandaleuse. Mais elle est due à une productivité nettement insuffisante de l’agriculture mondiale. Pour lutter contre la faim, il faut augmenter la productivité, objectif qui ne sera atteint que par une industrialisation intense de tous les éléments de la chaîne alimentaire. Il faut mobiliser ceux qui possèdent un maximum de capitaux et les technologies de pointe : semences transgéniques, pesticides performants, usines de transformation et de conditionnement ultramodernes etc. Le temps n’est plus aux petites fermes paysannes improductives, il est aux grandes exploitations industrielles. Il faut libéraliser le marché agricole mondial. Seul un marché complètement libre, dérégulé, peut tirer le maximum des forces économiques et des ressources. Toute intervention normative dans le libre jeu du marché, qu’elle vienne des États ou des organisations internationales, ne peut qu’entraver le développement des forces de productions. Seul la privatisation et la libéralisation pourront vaincre le fléau ».
2) Ce type
de discours est une déclaration de guerre à l’agriculture traditionnelle, au
droit à l‘alimentation et à la sauvegarde des productions locales. Mais c’est
pourtant dans cette idéologie que fonctionnent la majorité des dirigeants
politiques qui, hypnotisés par ce credo, servent les
intérêts des cartels qui
contrôlent l’alimentation mondiale. Ainsi libérée de toute intervention
normative, la mainmise des multinationales de l’agroalimentaire exerce une
pression énorme partout sur la planète et a des conséquences dramatiques :
- Sur
la captation du marché des semences pour imposer des produits brevetés.
Ce que l’on appelle la biopiraterie qui consiste à voler le patrimoine
des semences traditionnelles pour les remanipuler et en faire des variétés
déposées permettant au semencier de faire payer l’utilisation
des
graines par les paysans. Les procès se sont multipliés et ont ruiné des
exploitants aux États Unis. En 2011 le gouvernement indien a décidé de
contre-attaquer en portant devant la justice des pratiques qui conduisent
directement à la destruction de l’agriculture locale :
- Sur
les paysans sommés d’acheter leurs graines, leurs engrais, leurs
pesticides au dépend de leur survie. « Selon l’aveu du ministre indien de
l’agriculture, Sharad Pawar, plus de 150 000 fermiers pauvres se sont suicidés
entre 1997 et 2005 pour échapper au garrot de la dette. En 2010 plus de 11 000
paysans surendettés se sont suicidés – en avalant des pesticides ». Geste
étrange :
le paysan se tue avec la substance qui est responsable de son surendettement.
- Sur la distribution de la nourriture dans les situations de crise. « En 2006, une famine terrible – due aux criquets et à la sécheresse – s’est abattue sur le centre et le sud du Niger. Nombre de marchands de grains ont carrément refusé de mettre leurs stocks sur le marché. Ils attendaient que la pénurie s’aggrave et… que les prix montent » !
- Dans la destruction délibérée des cultures alimentaires pour produire des biocarburants. Nous savons que la production de pétrole devient de plus en plus difficile et décline. Une aubaine pour l’agroalimentaire qui a trouvé là une prodigieuse source de profits. Quand un gouvernement lance une politique de subvention massive des biocarburants qui draine des millions de tonnes de maïs en dehors du marché alimentaire, il est directement complice de crime contre l’humanité envers les peuples affamés, privés de ressources alimentaires. L’usage des subventions fait que bien sûr deviennent plus rentables les cultures destinées à la fabrication des biocarburants. D’où des situations incompréhensibles : le Ghana et la Suède qui signent un contrat selon lequel 30 000 hectares seront cultivés au Ghana en canne à sucre pour fabriquer de l’éthanol pour automobilistes suédois… alors que le Ghana fait partie des pays les plus touchés par la faim.
-
Dans l’augmentation artificielle des prix liée à la
spéculation. (texte) A
partir du moment où l’alimentation et dominée par des sociétés d’envergure
internationale, le prix des denrées est soumis à l’indexation de la bourse. Or
chaque fois qu’un pays doit importer de la nourriture, il doit la payer au prix
du marché. Celui-ci devrait être réglé par
l’offre et la demande de sorte que
l’abondance de la production
fasse mécanique baisser les prix. Il faut savoir qu’en 2008, la production de
blé avait atteint des record : plus de 650 millions de tonnes de par le monde,
46 000 tonnes de plus par rapport à 2007. De même, la production de riz avait
atteint des niveaux élevés dans la plupart des continents : + 3,6 % en Afrique,
+ 7,4 % en Amérique latine, plus de 661 Millions de tonnes de riz produit contre
583 Millions de tonnes en 2003. Or, étrangement, les prix ne cessèrent de
grimper, malgré cette augmentation de quantité disponible. Le prix du pain et du
lait avaient presque doublé, le prix du blé avait atteint un niveau record, le
prix du riz avait monté à son niveau le plus élevé depuis 10 ans, comme le soja
et de maïs. Cette flambée des prix, avait provoqué des émeutes au Sénégal, en
Côte d’Ivoire, en Haïti, en Égypte etc. Après enquête, on a découvert que
banques, assurances, fond de pension, fonds d’investissement, échaudés par la
crise des subprimes,
avait cherché à
placer des liquidités ailleurs, là où les profits étaient rapides. Les
spéculateurs ont envahi le marché de l’alimentation mondiale, dans
l’indifférence complète aux conséquences gravissimes qu’aurait la montée des
prix.
3) La Souveraineté conserverait un sens si la politique avait réellement la place qui lui revient, si elle ne se vendait pas aux puissances de l’argent. Face à la démence du système, imposer des normes irait de soi. Or, comme le dit Jean Ziegler : nous sommes dans un monde où "la normativité, qui était ancrée dans la souveraineté des États nationaux, se défait comme un bonhomme de neige au printemps". Du point de vue de la théorie politique, renoncer à la Souveraineté politique, c’est ne plus incarner la volonté des peuples dans l’exercice du bien commun ; c’est laisser un pouvoir concurrent, comme celui de l’argent, prendre le pas sur les décisions publiques ; enfin, c’est renoncer à l’exercice du pouvoir au nom de la volonté générale pour donner licence à des manigances qui ne servent que l’intérêt privé. Le libéralisme est un laisser-faire, qui revient à encourager la loi de la jungle de l’avidité du profit et le triomphe des puissants sur les plus faibles. C’est précisément dans la tragédie de la faim qu’il se montre le mieux sous son vrai jour : il a toujours été au service, non d’une démocratie, mais d’une oligarchie financière. Une bonne recommandation d’Hervé Kempf : Pour sauver la Planète, sortez du Capitalisme ! C’est exact d’un point de vue écologique, c’est exact du point de vue des droits humains. C’est dans ce livre qu’Hervé Kempf soutient que nous ne sommes en démocratie qu’en apparence, alors qu’en réalité, nous sommes le dictat d’une oligarchie financière. Ce que nous ne mesurons pas, c’est quels en sont les conséquences, quels sont les liens logiques qui unissent la situation désespérante dans laquelle nous sommes et l’empire de la pieuvre oligarchique.
------------------------------ Dans le
domaine de l’alimentation, le principe libéral de « l’ouverture des marchés »,
accepté sans discernement, incite les producteurs à se porter sur les cultures
d’exportation en négligeant leur première fonction qui est de nourrir leurs
propres populations. Comment les petits paysans peuvent-ils malgré tout
satisfaire les besoins ? Leurs productions approvisionnent encore les marchés
locaux, mais ils sont de plus en plus en concurrence avec d’autres produits
venus d’ailleurs, subventionnés par les États du Nord. Des palettes de viande,
de légumes et de fruits à bas prix arrivent depuis l’Europe par cargos entiers
vers le continent africain. Conséquences ? Un exemple parmi des milliers
d’autres au Cameroun. : « Les importations massives de poulets étrangers bon
marché y ont jeté dans la misère des dizaines de milliers de familles, éleveurs
de poulets et producteurs d’œufs. A peine les producteurs locaux détruits, les
seigneurs augmentent leurs prix ». Ces États doivent donc de plus en plus
emprunter
pour acheter de la nourriture sur le marché international, ce qui ne fait
qu’accroître démesurément leur dette. La dette conduit à une mise sous tutelle
permanente du FMI. Bon prince, le FMI accorde aux pays surendettés un moratoire
et un étalement de leurs dettes, mais à condition de se soumettre à ce
que l’on appelle « plans d’ajustement structurel » dont les mâchoires sont
terribles. En effet, « tous ces plans comportent la réduction, dans les budgets
des pays concernés, des dépenses de santé et de scolarité, et la suppression des
subventions aux aliments de base et de l’aide aux familles nécessiteuses. Les
services publics sont les premières victimes des plans d’ajustement structurels.
Des milliers de fonctionnaires – infirmières, instituteurs et autres employés
des services publics – ont été congédiés dans les pays soumis à un ajustement
structurel du FMI ». Il faut le comprendre, si la première tâche du FMI
est d’être en charge de l’administration de la dette des 122 pays dits du
tiers-monde, « la deuxième tâche du FMI est d’ouvrir les marchés des pays
du Sud aux sociétés transcontinentales privées de l’alimentation . » L’un mène
vers l’autre, et comme cette ouverture a pour finalité le développement du
profit et non le droit à l’alimentation, « l’ouverture des marchés » se traduit
à terme par la condamnation des populations les plus pauvres qui, étant à très
grandes majorités agricoles, n’ont pas d’argent pour s’alimenter. La suite de la
citation précédente ne doit pas être considérée comme un jugement, c’est un
constat : « C’est pourquoi, dans l’hémisphère Sud, le libre-échange porte le
masque hideux de la famine et de la mort ».
Quand on
pense « libre-échange » on pense évidemment à une autre organisation
internationale que le FMI, à savoir l’OMC, l’organisation mondiale du commerce
et qui est par avance
acquise aux intérêts de l’oligarchie financière. Elle est le cheval de bataille
de l’ultralibéralisme au niveau international. Avec une puissance de feu telle,
qu’à côté le principe du droit à l’alimentation que soutient fermement le PAM
paraît ridicule. Et le conflit est ouvert. On ne s’étonnera donc pas de voir
qu’à Hong-Kong en 2005, l’OMC se soit attaqué directement à la gratuité de
l’aide alimentaire ( !). « Elle déclara qu’il était inacceptable que le PAM et
d’autres organisations distribuassent gratuitement – dans les camps de réfugiés,
les villages ravagés par les sauterelles, les hôpitaux ou agonisent les enfants
sous-alimentés – du riz, de la pâte de farine, des galettes, du lait… grâce aux
surplus agricoles fournis au PAM par des États donateurs. Selon l’OMC, cette
pratique pervertissait le marché. Tout transfert commercial d’un bien devait
avoir un prix… En bref, le PAM ne devait plus accepter des dons en nature
provenant de la surproduction agricole des pays donateurs, et ne devait
distribuer désormais que des aliments achetés sur le marché ». La réaction du
PAM fut vigoureuse. Il est intolérable que l’on cherche des avantages
commerciaux là où il s’agit de porter assistance à des êtres humains en danger
de mort. Et le PAM de conclure : « Nous voulons que le commerce mondial soit
doté d’une conscience ».
C’est là
que nous mesurons à quel point la pensée des dirigeants politiques, y compris
dans les grandes organisations internationales, est enfoncée dans l’ornière d’un
mode de pensée économique dont elle est incapable de s’extraire. Un mode de
pensée exclusivement technique et pour cette raison dépourvu de
conscience morale. Un aveuglement qui est si complet qu’il empêche en
permanence de voir que le droit à l’alimentation nous oblige à ne pas
considérer la nourriture des peuples comme une marchandise comme une autre.
Cela fait des
années
que les ONG, les syndicats paysans, de nombreux États du Sud désireux de secouer
le joug qui les maintient, disent que la nourriture doit être considérée
comme un bien public, de même que l’eau. (texte) Apparemment, les élites restent
sourdes. Et dans le même temps, comme le montre We feed the World, en
Autriche, à Vienne, on jette environ 2 millions de kilos de pain par an,
parfaitement comestibles. La quantité de pain gaspillée chaque jour pourrait
nourrir la deuxième ville du pays, Graz. Ainsi va le monde… et sa folie.
* *
*
Il faut rejeter la fatalité de la faim et les entourloupes idéologiques qui la justifient, car la responsabilité humaine y est totalement impliquée. Balancer l’idée cette idiotie selon laquelle le libre marché (?) fondé sur la concurrence ( ?) serait gouverné par des « lois naturelles » (?). Il y a urgence. Les projets existent, les solutions sont connues, les moyens sont disponibles. 80 milliards de dollars sur dix ans. Si peu de chose par rapport à ce que l’on a donné aux banques dans la crise financière qui se chiffre en milliers de milliards. Une bagatelle, juste 2 % d’impôts sur les 1210 personnes les plus riches. Ou 2% de taxe sur la publicité. Presque rien pour redonner une dignité et des conditions de vie satisfaisante à la totalité des êtres humains sur Terre. Les structures existent déjà.
« Dans les parlements, les instances internationales, on peut décider de changer : imposer la priorité du droit à l’alimentation, interdire la spéculation boursière sur els aliments de base, prohiber la fabrication des biocarburants à partir de plantes nourricières, briser les cartels planétaires des pieuvres du négoce agroalimentaire, protéger les paysans contre le vol des terres, préserver l’agriculture vivrière au nom du patrimoine, investir dans son amélioration partout dans le monde ». Mais assurément, « ce qui manque surtout, c’est la volonté des États ». Ce qui bloque, c’est la corruption généralisée. Il faudrait une nouvelle génération de dirigeants politiques pour entreprendre cette œuvre. Des hommes intègres, dévoués, capable de mettre de côté les ambitions personnelles, animés d’une véritable compassion. C’est possible. La force d’âme d’un Gandhi existe en bien des hommes sur cette Terre.
* *
*
Questions:
1. La démographie humaine rend-elle la question de la faim insoluble?
2. Dans quelle mesure les institutions fondée pour lutter contre la faim dans le monde peuvent-elles rester indépendante du pouvoir de l'argent?
3. Sur quels arguments se fonde l'idée d'une fatalité de la faim?
4. Avant de rencontre Malthus, Darwin n'était pas darwinien. Qu'en pensez-vous?
5. En quel sens la faim dans le monde n'est-elle qu'un problème d'argent plus que de ressources?
6. Attribuer un revenu minimum à tous les être humains sur terre pourrait-il aider à résoudre la question de la faim?
7. Peut-on légitimer l'utilisation de la terre pour produire des agrocarburants, tant qu'il y aura sur terre des hommes qui meurent de faim?
© Philosophie et spiritualité, 2011, Serge Carfantan,
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