Leçon 74.    Vers la paix perpétuelle      pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Nous pensons communément que la paix est simplement une sorte d’intermède entre deux états qui sont des états de guerre. On dit «allez, on fait la paix », mais le conflit revient vite, avec la nécessité à nouveau de « faire » la paix, comme si la paix devait toujours être établie et que l’état naturel de la relation, c’était nécessairement la guerre. En matière de philosophie politique, Kant ne déroge pas à cette opinion, il admet lui aussi que la paix doit être établie, mais à la différence du sens commun, il y voit un projet à long terme, un idéal à atteindre.

    A atteindre comment ? Kant a-t-il en tête que pour que la paix soit présente perpétuellement, l’homme qui doit radicalement changer ? Non, pas du tout. La nature humaine est, selon lui, fondamentalement mauvaise, cependant, l’avènement du droit conduit à notre salut politique, car de sa mise en œuvre découle l’établissement de la paix. Ce que Kant partage avec les Lumières, c’est une foi dans l’abstraie réalité du droit et de son application. Il partage une foi non dans la mise en œuvre des traités de paix, mais dans le principe du droit. Ce qui est assez original et mérite que l’on s’y arrête. Dans le Projet pour une Paix perpétuelle, Kant entend consigner par écrit ce qui selon lui constitue les articles définitifs qui rendent possible les conditions juridiques grâce auxquelles toute guerre deviendra impossible.

Faut-il dénoncer le caractère illusoire de la paix perpétuelle ? Ou bien faut-il dénoncer la prétention à donner à la réalisation de la paix perpétuelle un fondement juridique ? La paix perpétuelle a-t-elle un sens en tant qu’Idéal, ou a-t-elle son fondement non dans l’idéal, mais dans la Réalité même?

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A. Les règles fondamentales de la paix

    Peut-on formuler un traité de paix perpétuelle, comme, à la suite d’un conflit on formule un traité de paix historique ? Il y a une différence conceptuelle indéniable : quand on déclare la paix, et que l’on signe un traité après de longues batailles sanglantes, c’est un acte qui intervient à un moment historique précis pour mettre fin à des hostilités. Parce qu’il s’agit d’arrêter la guerre, il est toujours possible de soupçonner que les belligérants ne signent en fait qu’une armistice, au lieu d’un traité de paix. Kant note la différence, un armistice

-----Nous devons ici nous rappeler quelques idées de Rousseau : la guerre est un concept qui ne concerne pas directement le rapport des hommes entre eux. Entre de simples hommes, il y a seulement querelle. La guerre existe non dans l’affrontement de deux volontés individuelles, mais de deux volontés d’États. L’homme ne participe à la guerre qu’en tant que citoyen membre d’un État, et encore, il y participe au premier chef comme soldat. La guerre suppose nécessairement l’existence de l’État, d’une volonté d’État, elle suppose un territoire d’État, une volonté politique organisée qui est celle d’un peuple doté d’un pouvoir centralisé. L’État suppose l’existence de frontières, ce qui définit l’État étant justement le monopole de la législation à l’intérieur de ses frontières. Qui dit territoire, dit nécessairement exigences territoriales et possessions territoriales. Nous ne parlons d’État français qu’en ayant en vue un territoire et des frontières. Nous savons très bien que les guerres de l’Histoire se sont le plus souvent organisées autour de la maîtrise, de la conquête d’un territoire. Il est clair de ce fait que toute frontière est en un sens arbitraire, résultat d’un compromis historique. Le citoyen, en tant que membre d’un État, s’identifiant à cette totalité qu’est l’État, est prêt à se battre, quand un État voisin envahit son territoire et menace de mettre en cause la suprématie de l’État sur le territoire. Souvenons-nous, il n’y a pas si longtemps de la guerre du Koweït menée par l’Irak, de la guerre des Malouines. Nous comprenons que cette logique conduise Kant à la formulation de l’article 2: « nul État indépendant… ne pourra être acquis ».

    La guerre pose le problème du statut de la propriété. La propriété n’est pas la possession. La propriété est de droit, tandis que la possession est de fait : la possession est physique tandis que la propriété est légale. L’État définit le droit. Pour être plus précis : la possession concerne le rapport de l’homme avec des choses, non le rapport de personne à personne. La propriété suppose une reconnaissance sociale, une reconnaissance par le droit de la légitimité de la possession. L’État doit veiller à la sauvegarde des citoyens qui sont par essence des personnes ayant leurs propres biens. Quand deux États entrent en guerre, non seulement le vainqueur prétend entrer en possession du sol qu’il a conquis, mais il soumet aussi le vaincu ;or soumettre un autre État, c’est soumettre ceux-là dont l’État est composé, c’est soumettre les citoyens de l’État à une tutelle étrangère, c’est au final les traiter comme des choses dont on peut disposer à sa guise.

    Quel est donc le lien qui unit les hommes à leur terre, qui les unit entre eux et fait qu’ils sont membres d’un même État ? La réponse à cette question, les philosophes des Lumières l’ont donnée à travers un concept régulateur, celui de contrat social. On suppose que les hommes vivant dans l’état de nature, c’est à dire l’état antérieur à la formation de la société, se réunissent et décident de former ensemble un seul tout capable de les protéger et de garantir à la fois leur vie et leurs biens. Ils passent entre eux un contrat par lequel ils acceptent de s’en remettre à une loi commune, à un pouvoir commun qui saura les gouverner, garantir leur personne et leurs propriétés. Ils sortent donc de l’état de nature pour entrer dans l’état social. Le pacte d’association qu’ils ont conclu devient un pacte de gouvernement et il donne naissance à cette entité juridique qu’est l’État.

    ... savoir comment interpréter l’état de nature et quel est le bénéfice exact que gagneront les hommes à vivre dans l’état social. Il y a deux positions possibles :

      - ou bien la position de Hobbes, selon laquelle l’état de nature est un état de guerre perpétuelle des hommes entre eux, dont il faut échapper à tout prix en instaurant l’état civil : dans l’état de nature, dit Hobbes, l’homme est un loup pour l’homme, dans l’état civil, l’homme est un dieu pour l’homme. Cette position part d’une sorte de pessimisme de fond quant à la possibilité de faire confiance à l’être humain pour vivre en paix. L’homme est plutôt méchant par nature et il a besoin de la contrainte d’une structure politique pour apprendre à vivre en paix (texte).

      - Ou bien la position de Rousseau, disant que la guerre est par essence un concept social et non un état naturel. Pour Rousseau L’homme dans l’état de nature ne pouvait être violent, il était plutôt un animal timoré, replié sur lui-même, qui ne connaissait qu’une possession provisoire, pouvant donner naissance à quelques querelles, mais pas à la guerre qui suppose l’existence de l’état. L’homme est plutôt bon par nature, c’est la société qui le pervertit en introduisant la rivalité autour de la propriété. Pour être plus exact, l'homme naturel est innocent.

    La position de Kant est clairement alignée sur celle de Hobbes. ... la paix doit être établie et établie par une structure juridique qui va, partout où naissent des rapports de force, faire en sorte qu’ils soient remplacés par des rapports de droit. Kant interprète l’hostilité elle-même en terme de droit. Je me permets de me comporter de manière hostile envers une autre personne quand je m’estime lésé dans mes droits. Cela suppose que je prétends d’emblée posséder des droits qui ne doivent pas être violés. Ce que je cherche, en m’identifiant au statut de citoyen, membre de l’État, c’est à obtenir une sécurité, or « 

    ---------------Quelle est le rôle de la constitution d’un État ? Donner à chacun des citoyens des droits qui le protègent. Le droit civil protège les personnes morales en tant que citoyens du peuple. C’est ce que nous appelons aujourd’hui le droit codifié des États ou droit positif. Le droit des peuples régit les relations entre les États, c’est ce que nous appelons aujourd’hui le droit international. Kant ajoute – et c’est l’hypothèse importante du texte – que le droit cosmopolitique doit permettre que les hommes se sentent membres d’un même État universel comme citoyens du monde.

    S’il était possible de faire en sorte que partout sur la Terre, les hommes soient sous le même régime d’une législation (texte) assurant à chacun des droits, l’objectif de la réalisation de la paix perpétuelle serait concevable, voire réalisable dans un temps indéfini.

    Immédiatement Kant tire une conséquence pratique : à l’article 3 il stipule que « les armées permanentes devront disparaître avec le temps ». Il donne deux types d’arguments :

    a) la guerre a un coup économique très lourd. 2) de plus, l’existence même de l’armée suppose que des hommes sont payés pour tuer ou se faire tuer, donc utilisés soit comme chair à canon, soit comme machines de guerre. Cela veut dire qu’alors les droits de l’humanité, les droits de l’homme sont d’emblée reniés, que la personne humaine est sacrifiée dans sa valeur essentielle. Un homme, c’est plus qu’un soldat et il n’est soldat que par accident, dans un conflit armé. L’existence d'une armée au service d'un État, non seulement est une menace permanente pour la paix, mais elle porte atteinte à la personne humaine. Elle justifie l'idée qu'au nom de la défense de l'entité de l'État, le soldat est plus important que l’homme. Kant d’ailleurs note que l’agression dans la guerre est non seulement liée à l’existence de l’armée – qui est par définition une manifestation de la force publique – mais aussi à la diplomatie des alliances politiques et enfin au pouvoir de l’argent.

   Si, comme on l'a souvent dit , le nerf de la guerre c’est l’argent, alors il faut délibérément le couper, ce qui nous mène logiquement à l’article 4. « On ne contractera aucune dette publique en vue des querelles entre États». Kant nous dit que si l’entretien des routes par exemple ne soulève aucun soupçon, il y a pourtant un emploi des finances publiques qui mérite d’être critiqué, c’est celui qui va à la préparation de la guerre. Se donner comme principe de refuser cette pratique, c’est couper court à ce qui alimente la guerre. Cela d’autant plus, note Kant, que la « facilité à faire la guerre, jointe à l’inclination des gouvernants à s’y livrer, … paraît être un trait inné de la nature humaine ». Il serait donc sage d'inscrire dans la constitution des États l'illégalité de toute mesure qui détournerait les finances publiques dans le sens de la préparation offensive de la guerre.

   

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   © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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