Pour ceux qui ont quelque mémoire historique, la période
de la guerre froide, avec le sinistre épisode de Cuba de la baie des cochons
invite à quelques rapprochements. Aux Etats-Unis il était d’usage de balayer
toute critique du capitalisme libéral en traitant l’adversaire d’un seul
mot assassin : « communiste ! ». C’est toujours le cas aujourd’hui chez les
républicains pour qui traiter les démocrates de « socialistes ! » ; une insulte
de premier choix, une manière d’envoyer valser l’opposant à partir du
paradigme
raison/tort, argument rhétorique et attaque ad hominem.
Le même schéma se reproduit dans l’usage banalisé du
terme complotiste.
« Nous autres dans la doxa officielle
nous avons raison et ceux qui s’y opposent
ont tort et sont des complotistes » et hop, on recommence l’argument ad hominem
qui permet d’être complètement sourd à toute critique en balançant en pleine
face une attaque personnelle. Celui qui n’est pas d’accord avec la doxa
officielle est forcément un complotiste ! Philosophiquement, nous sommes
avertis, celui qui se défile d’une discussion fondée sur la
raison pour déraper
dans l’attaque personnelle trahit sa médiocrité intellectuelle. On peut être
ministre, médecin, universitaire, journaliste, c’est du pareil au même,
l’argument est nul et non avenu. Ce qui compte ce sont les
faits, la logique,
les raisons, les preuves, pas les personnes.
Maintenant, c’est une autre paire de manches que de
passer d’une critique
légitime, argumentée et informée à l’idée d’un
complot
organisé, d’une conspiration. A fortiori un « grand complot ». Cela ne se
règle pas en deux trois arguments dans une conversation de comptoir, mais
nécessite de très longues analyses solidement étayées, bref, une véritable
démonstration. Posons donc qu’un véritable
théoricien du complot
serait celui qui dénonce, preuves à l’appui, l’existence d’un complot.
C’est à tort que l’on emploie la formule
« théorie du complot » pour désigner n’importe quelle élucubration de cerveau
échauffé. Gardons la noblesse de la notion de théorie pour l’envisager comme
théorie
critique. Un
modèle : Il faut 640 pages à Naomi Klein dans La stratégie du choc pour
démontrer de manière convaincante que l’ultralibéralisme a été une véritable
conspiration de l’oligarchie financière contre le bien commun des peuples sur
cette planète. Cela n’a rien à voir avec la stupidité d’une attaque personnelle
et c’est un modèle à prendre très au sérieux.
La question mérite donc d’être clarifiée. En résumé,
sous la forme d’une question : Dans quelle mesure
pouvons-nous justifier, en dehors d’un simple jeu rhétorique l’existence d’une
conspiration ?
*
*
*
Cela n’échappe à aucun enseignant du secondaire, au lycée les élèves
adorent les « théories du complot », mais justement… pas du tout les
théories du complot comme nous venons de les définir. Ce qui les amuse beaucoup,
c’est une manière de jouer aux esprits forts en proclamant que derrière les
faits d’actualité, il y a des puissances occultes, des machinations de grande
ampleur, comme on en voit au cinéma avec les superméchants manipulateurs. Les
reptiliens extraterrestres sont parmi nous ! Les satanistes nous dirigent ! Ils
sont cachés derrière les vedettes du cinéma et du show business. Il n’y a qu’à
regarder les clips vidéo. Chercher les symboles cachés. Le chiffre de la Bête.
La pyramide des Illuminati sur les billets d’un dollar etc. En cherchant
bien on trouve toujours ce que l’on cherche quand on y
croit très fort. Avec les
ressources visuelles d’internet c’est très facile. Il y a des milliers de sites
complotistes et le cinéma joue la carte à fond dans des chorégraphies hautes en
couleur plus vraies que de vrai. Bref, du spectacle, rien que de très banal
c’est très rock and roll d’être complotiste, comme c’est très tendance
de se grimer façon punk pour faire de la provoc’ en utilisant l’arsenal
symbolique des religions. Le complotisme est très culturel,
postmoderne
autant qu’il est outrancier, ludique, une manière de se montrer, de se croire
très malin, de faire peur en imaginant toutes sortes de coups tordus derrière
l’actualité. Une philosophie du soupçon, comme chez Nietzsche et Freud,
mais poussée à l’extrême. Rien à
voir avec une démarche réflexive critique assumée et argumentée. Rien à voir
avec une réelle affirmation de soi lucide et décidée face au mensonge, plutôt
une sorte de posture convenue tirée d’un imaginaire de série télé à la
X-files. En fait très conformiste dans l’ère postmoderne, exactement comme le
tatouage est conformiste, comme il est conformiste de se délecter de game of
throne qui est par excellence un narratif complotiste.
1) Maintenant, quelle est alors en substance la critique
la plus sévère qu’on adresse aux complotistes ? Que ceux
qui
s’y adonnent sont dans un grand délire. Là nous devons impérativement nous
arrêter sur ce qui semble un dysfonctionnement mental. Que disons-nous des gens
superstitieux ? Qu’ils
passent leur temps à interpréter la réalité en y projetant leurs inquiétudes. Si
je fais une fixation quasi-obsessionnelle sur l’idée que je suis
victime d’un complot le danger est là partout autour de moi, il est
évident que j’aurais tendance à voir partout des « signes » de menaces dont je
suis l’objet. Les trois corbeaux qui sont passés devant la voiture ? Mauvais
signe ! La mort rôde autour de moi. Le chat noir vu au matin ? Un malheur va
m’arriver etc. Le mental qui est hanté par la peur réplique sa
représentation dans une soi-disant « reconnaissance » de signes extérieurs… qui
la confirment. Il interprète constamment la perception dans un sens orienté par
ses propres projections. Tant que la
projection
domine l’interprétation, il y a peu de chance qu’elle ait une quelconque
valeur. C’est une construction mentale d’un esprit abusé par sa propre
production d’illusions.
Allons un cran au-dessus. La psychopathologie connaît
bien les formations extrêmes de ce pli du mental dans les
délires
d’interprétation. L’exemple le plus remarquable est le délire
paranoïaque (texte). En effet, dans la paranoïa, le sujet est enfermé dans une bulle de
constructions mentales nouées autour de la peur. Dans sa relation avec autrui,
les détails des expressions vont très rapidement prendre la valeur de « signes »
auxquels il attache la plus grande importance, persuadé qu’ils le concernent en
propre. Comme le superstitieux, le paranoïaque voit des « signes » partout. Des
complots partout. Freud dit à ce sujet : « Les paranoïaques présentent dans leur
attitude ce trait frappant et généralement connu, qu'ils attachent la plus
grande importance aux détails les plus insignifiants, échappant généralement aux
hommes normaux, qu'ils observent dans la conduite des autres ; ils interprètent
ces détails et en tirent des conclusions d'une vaste portée. Le dernier
paranoïaque que j'ai vu, par exemple, a conclu à l'existence d'un complot dans
son entourage, car lors de son départ de la gare, des gens ont fait un certain
mouvement de la main. Un autre a noté la manière dont les gens marchent dans la
rue, font des moulinets avec leur canne, etc. ». Le geste des membres de la
famille sur le quai de la gare est
surinterprété par le paranoïaque, il projette ce qui ne s’y
trouve pas, mais se trouve dans son propre esprit, l’idée d’un complot
contre lui. Or, ce qui est remarquable, c’est que dans l’état où il se trouve,
il se croit justement très… perspicace ! Il est
persuadé de voir ce que personne ne
remarque ! Donc d’être bien plus intelligent que la moyenne… et même plus que le
docteur qui le soigne ! Et quand
l’esprit est entiché d’une telle fixation obsessionnelle, il est difficile,
voire très difficile de l’en faire sortir ! Il s’est enfermé dans sa propre
représentation, dans une interprétation du monde manichéiste qu’il refuse de
relativiser, mais qu’il maintient contre toute réfutation. Il est étonnant de
constater à quel point le mental peut développer une folle créativité pour
persister à maintenir son
système de croyance.
Ce qui devient terrible dans la paranoïa. Voilà pour la critique.
2) Et c’est ce qui constitue la faiblesse psychologique
du complotisme. Sa déraison. Nous devons être très lucide sur ce point. C’est
vrai. Si
le seul ressort argumentatif du complotisme est une projection
délirante sur la réalité,
alors
il faut avoir le bon sens de le regarder pour ce qu’il est, une pensée
dysfonctionnelle. Malheureusement, aux temps postmodernes, ce type de pensée
dysfonctionnelle est non seulement toléré, mais est encouragée e peut
fonctionner comme une rumeur dans les réseaux sociaux. Quand on a la tête
uniquement dans le virtuel et pas les pieds dans le réel, quand la peur de vivre
rode, il y des chances que justement on perde pieds et que l’immersion dans le
virtuel contribue à la déraison. De plus, comme nous l’avons signalé en passant,
il y a en plus en Occident un ressort culturel ancien très puissant qui peut
alimenter le complotisme : l’eschatologie des religions monothéistes. En effet
celles-ci accentuent fortement le manichéisme de la pensée : la
dualité bien/mal, dieu/diable, les forces du bien/les
forces du mal etc. Une pensée binaire de ce type abolit la riche complexité du
réel et son unité. A la racine de l’idée de complot, elle invite une
représentation paranoïaque de la réalité. Ce n’est donc une surprise pour
personne que de constater que les intégristes religieux ont une très forte
propension au complotisme parano… sinon ils ne seraient pas intégristes ! Leur
système de croyances est déjà complotiste à
l’origine, ils se figure un Dieu colérique en bute à un diable encore plus
puissant qui infecte de ses manigances les affaires du monde. Le Malin est donc
partout. Le monde est mauvais, la nature est pervertie, la bonté n’est qu’au
Ciel, ici-bas il n’y a que conspiration de l’Ennemi. Peut-on imaginer climat
plus propice à une paranoïa conspirationniste ? Il suffit de suivre les idées de
l’apocalypse de Jean et le tour est joué. On verra des complots partout.
Reconnaissons pourtant que ce type de critique est
sévère, excessif même. Par trop de
psychologisme.
Il faut se placer avant tout sur le terrain factuel de la vérité au lieu de
systématiquement faire comme si celui qui avance une vérité qui dérange devait
avoir l’esprit dérangé. Pour sa défense, après tout, à condition de ne pas être
portée par une tendance parano, le complotisme a aussi du bon ; quand bien même
il serait confus, il dénote la présence du doute et de l’esprit
critique. Il est possible de le dégager de la gangue des
croyances affolées et des projections abusives. C’est ainsi que l’on peut voir
en classe de terminale l’élève complotiste au début affuter son intellect et se
révéler au final
capable
d’une réflexion personnelle critique et argumentée. Ce qui peut s’apprendre.
C’est tout de même mieux que la non-pensée qui ne fait que s’aligner sur la doxa
et répéter des lieux communs, sans jamais interroger de manière sérieuse. Il
faut oser douter et remettre en question. Mais pas dans un grand délire, non, de
manière posée et méthodique.
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le jeu des croyances individuelles
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La grande réinitialisation et la fin du capitalisme
De la fraude à la
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Il vaut mieux les lire ensemble car elles sont étroitement liées.
Questions:
© Philosophie et spiritualité, 2020, Serge Carfantan,
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