Pour ceux qui ont quelque mémoire historique, la période
de la guerre froide, avec le sinistre épisode de Cuba de la baie des cochons
invite à quelques rapprochements. Aux Etats-Unis il était d’usage de balayer
toute critique du capitalisme libéral en traitant l’adversaire d’un seul
mot assassin : « communiste ! ». C’est toujours le cas aujourd’hui chez les
républicains pour qui traiter les démocrates de « socialistes ! » ; une insulte
de premier choix, une manière d’envoyer valser l’opposant à partir du
paradigme
raison/tort, argument rhétorique et attaque ad hominem.
Le même schéma se reproduit dans l’usage banalisé du
terme complotiste.
« Nous autres dans la doxa officielle
nous avons raison et ceux qui s’y opposent
ont tort et sont des complotistes » et hop, on recommence l’argument ad hominem
qui permet d’être complètement sourd à toute critique en balançant en pleine
face une attaque personnelle. Celui qui n’est pas d’accord avec la doxa
officielle est forcément un complotiste ! Philosophiquement, nous sommes
avertis, celui qui se défile d’une discussion fondée sur la
raison pour déraper
dans l’attaque personnelle trahit sa médiocrité intellectuelle. On peut être
ministre, médecin, universitaire, journaliste, c’est du pareil au même,
l’argument est nul et non avenu. Ce qui compte ce sont les
faits, la logique,
les raisons, les preuves, pas les personnes.
Maintenant, c’est une autre paire de manches que de
passer d’une critique
légitime, argumentée et informée à l’idée d’un
complot
organisé, d’une conspiration. A fortiori un « grand complot ». Cela ne se
règle pas en deux trois arguments dans une conversation de comptoir, mais
nécessite de très longues analyses solidement étayées, bref, une véritable
démonstration. Posons donc qu’un véritable
théoricien du complot
serait celui qui dénonce, preuves à l’appui, l’existence d’un complot.
C’est à tort que l’on emploie la formule
« théorie du complot » pour désigner n’importe quelle élucubration de cerveau
échauffé. Gardons la noblesse de la notion de théorie pour l’envisager comme
théorie
critique. Un
modèle : Il faut 640 pages à Naomi Klein dans La stratégie du choc pour
démontrer de manière convaincante que l’ultralibéralisme a été une véritable
conspiration de l’oligarchie financière contre le bien commun des peuples sur
cette planète. Cela n’a rien à voir avec la stupidité d’une attaque personnelle
et c’est un modèle à prendre très au sérieux.
La question mérite donc d’être clarifiée. En résumé,
sous la forme d’une question : Dans quelle mesure
pouvons-nous justifier, en dehors d’un simple jeu rhétorique l’existence d’une
conspiration ?
*
*
*
Cela n’échappe à aucun enseignant du secondaire, au lycée les élèves
adorent les « théories du complot », mais justement… pas du tout les
théories du complot comme nous venons de les définir. Ce qui les amuse beaucoup,
c’est une manière de jouer aux esprits forts en proclamant que derrière les
faits d’actualité, il y a des puissances occultes, des machinations de grande
ampleur, comme on en voit au cinéma avec les superméchants manipulateurs. Les
reptiliens extraterrestres sont parmi nous ! Les satanistes nous dirigent ! Ils
sont cachés derrière les vedettes du cinéma et du show business. Il n’y a qu’à
regarder les clips vidéo. Chercher les symboles cachés. Le chiffre de la Bête.
La pyramide des Illuminati sur les billets d’un dollar etc. En cherchant
bien on trouve toujours ce que l’on cherche quand on y
croit très fort. Avec les
ressources visuelles d’internet c’est très facile. Il y a des milliers de sites
complotistes et le cinéma joue la carte à fond dans des chorégraphies hautes en
couleur plus vraies que de vrai. Bref, du spectacle, rien que de très banal
c’est très rock and roll d’être complotiste, comme c’est très tendance
de se grimer façon punk pour faire de la provoc’ en utilisant l’arsenal
symbolique des religions. Le complotisme est très culturel,
postmoderne
autant qu’il est outrancier, ludique, une manière de se montrer, de se croire
très malin, de faire peur en imaginant toutes sortes de coups tordus derrière
l’actualité. Une philosophie du soupçon, comme chez Nietzsche et Freud,
mais poussée à l’extrême. Rien à
voir avec une démarche réflexive critique assumée et argumentée. Rien à voir
avec une réelle affirmation de soi lucide et décidée face au mensonge, plutôt
une sorte de posture convenue tirée d’un imaginaire de série télé à la
X-files. En fait très conformiste dans l’ère postmoderne, exactement comme le
tatouage est conformiste, comme il est conformiste de se délecter de game of
throne qui est par excellence un narratif complotiste.
1) Maintenant, quelle est alors en substance la critique
la plus sévère qu’on adresse aux complotistes ? Que ceux
qui
s’y adonnent sont dans un grand délire. Là nous devons impérativement nous
arrêter sur ce qui semble un dysfonctionnement mental. Que disons-nous des gens
superstitieux ? Qu’ils
passent leur temps à interpréter la réalité en y projetant leurs inquiétudes. Si
je fais une fixation quasi-obsessionnelle sur l’idée que je suis
victime d’un complot le danger est là partout autour de moi, il est
évident que j’aurais tendance à voir partout des « signes » de menaces dont je
suis l’objet. Les trois corbeaux qui sont passés devant la voiture ? Mauvais
signe ! La mort rôde autour de moi. Le chat noir vu au matin ? Un malheur va
m’arriver etc. Le mental qui est hanté par la peur réplique sa
représentation dans une soi-disant « reconnaissance » de signes extérieurs… qui
la confirment. Il interprète constamment la perception dans un sens orienté par
ses propres projections. Tant que la
projection
domine l’interprétation, il y a peu de chance qu’elle ait une quelconque
valeur. C’est une construction mentale d’un esprit abusé par sa propre
production d’illusions.
Allons un cran au-dessus. La psychopathologie connaît
bien les formations extrêmes de ce pli du mental dans les
délires
d’interprétation. L’exemple le plus remarquable est le délire
paranoïaque (texte). En effet, dans la paranoïa, le sujet est enfermé dans une bulle de
constructions mentales nouées autour de la peur. Dans sa relation avec autrui,
les détails des expressions vont très rapidement prendre la valeur de « signes »
auxquels il attache la plus grande importance, persuadé qu’ils le concernent en
propre. Comme le superstitieux, le paranoïaque voit des « signes » partout. Des
complots partout. Freud dit à ce sujet : « Les paranoïaques présentent dans leur
attitude ce trait frappant et généralement connu, qu'ils attachent la plus
grande importance aux détails les plus insignifiants, échappant généralement aux
hommes normaux, qu'ils observent dans la conduite des autres ; ils interprètent
ces détails et en tirent des conclusions d'une vaste portée. Le dernier
paranoïaque que j'ai vu, par exemple, a conclu à l'existence d'un complot dans
son entourage, car lors de son départ de la gare, des gens ont fait un certain
mouvement de la main. Un autre a noté la manière dont les gens marchent dans la
rue, font des moulinets avec leur canne, etc. ». Le geste des membres de la
famille sur le quai de la gare est
surinterprété par le paranoïaque, il projette ce qui ne s’y
trouve pas, mais se trouve dans son propre esprit, l’idée d’un complot
contre lui. Or, ce qui est remarquable, c’est que dans l’état où il se trouve,
il se croit justement très… perspicace ! Il est
persuadé de voir ce que personne ne
remarque ! Donc d’être bien plus intelligent que la moyenne… et même plus que le
docteur qui le soigne ! Et quand
l’esprit est entiché d’une telle fixation obsessionnelle, il est difficile,
voire très difficile de l’en faire sortir ! Il s’est enfermé dans sa propre
représentation, dans une interprétation du monde manichéiste qu’il refuse de
relativiser, mais qu’il maintient contre toute réfutation. Il est étonnant de
constater à quel point le mental peut développer une folle créativité pour
persister à maintenir son
système de croyance.
Ce qui devient terrible dans la paranoïa. Voilà pour la critique.
2) Et c’est ce qui constitue la faiblesse psychologique
du complotisme. Sa déraison. Nous devons être très lucide sur ce point. C’est
vrai. Si
le seul ressort argumentatif du complotisme est une projection
délirante sur la réalité,
alors
il faut avoir le bon sens de le regarder pour ce qu’il est, une pensée
dysfonctionnelle. Malheureusement, aux temps postmodernes, ce type de pensée
dysfonctionnelle est non seulement toléré, mais est encouragée e peut
fonctionner comme une rumeur dans les réseaux sociaux. Quand on a la tête
uniquement dans le virtuel et pas les pieds dans le réel, quand la peur de vivre
rode, il y des chances que justement on perde pieds et que l’immersion dans le
virtuel contribue à la déraison. De plus, comme nous l’avons signalé en passant,
il y a en plus en Occident un ressort culturel ancien très puissant qui peut
alimenter le complotisme : l’eschatologie des religions monothéistes. En effet
celles-ci accentuent fortement le manichéisme de la pensée : la
dualité bien/mal, dieu/diable, les forces du bien/les
forces du mal etc. Une pensée binaire de ce type abolit la riche complexité du
réel et son unité. A la racine de l’idée de complot, elle invite une
représentation paranoïaque de la réalité. Ce n’est donc une surprise pour
personne que de constater que les intégristes religieux ont une très forte
propension au complotisme parano… sinon ils ne seraient pas intégristes ! Leur
système de croyances est déjà complotiste à
l’origine, ils se figure un Dieu colérique en bute à un diable encore plus
puissant qui infecte de ses manigances les affaires du monde. Le Malin est donc
partout. Le monde est mauvais, la nature est pervertie, la bonté n’est qu’au
Ciel, ici-bas il n’y a que conspiration de l’Ennemi. Peut-on imaginer climat
plus propice à une paranoïa conspirationniste ? Il suffit de suivre les idées de
l’apocalypse de Jean et le tour est joué. On verra des complots partout.
Reconnaissons pourtant que ce type de critique est
sévère, excessif même. Par trop de
psychologisme.
Il faut se placer avant tout sur le terrain factuel de la vérité au lieu de
systématiquement faire comme si celui qui avance une vérité qui dérange devait
avoir l’esprit dérangé. Pour sa défense, après tout, à condition de ne pas être
portée par une tendance parano, le complotisme a aussi du bon ; quand bien même
il serait confus, il dénote la présence du doute et de l’esprit
critique. Il est possible de le dégager de la gangue des
croyances affolées et des projections abusives. C’est ainsi que l’on peut voir
en classe de terminale l’élève complotiste au début affuter son intellect et se
révéler au final
capable
d’une réflexion personnelle critique et argumentée. Ce qui peut s’apprendre.
C’est tout de même mieux que la non-pensée qui ne fait que s’aligner sur la doxa
et répéter des lieux communs, sans jamais interroger de manière sérieuse. Il
faut oser douter et remettre en question. Mais pas dans un grand délire, non, de
manière posée et méthodique.
B.
La réalité des complots et l'histoire
Non,
pour remettre les idées en perspective et y voir plus clair, mieux vaut se
tourner vers l’histoire pour vérifier si elle atteste l’existence de
complots et ce qu’elle peut en dire. Le constat est vite fait, les complots
ce n’est pas ce qui manque. Et franchement, partant de là, nous n’aurions
rien à réponde à celui qui nierait l’existence de complots. Mais dans quel
monde mental vit cet olibrius ? Dans un dessin animé pour les tout petits ?
C’est presque aussi inquiétant que la paranoïa précédente que la crédulité
enfantine selon laquelle les complots n’existeraient pas. Nous serions dans
un monde merveilleux de pouvoir où tout le monde il est gentil et bien
intentionné ? Ou alors, il faut vraiment être moitié analphabète et n’avoir
jamais ouvert un livre d’histoire de sa vie. Remarquez, c’est possible en
vivant insouciant, léger, le nez en l’air avec de l’argent facile dans le
monde de la consommation, mais on est vite rattrapé par la réalité. Surtout
quand les contraintes politiques se font de plus en plus sévères.
1)
Retirons donc le mot « théorie » et gardons le terme « complot ». Question :
pouvez-vous trouver un seul homme politique depuis 2000 ans qui n'ait pas,
manœuvré, comploté avec une dose de perversité plus ou moins sophistiquée
pour s’emparer du pouvoir politique à son seul profit ? Vous pouvez vous
gratter la tête, c’est rarissime.
Tout au long de
l’Histoire, le complot autour du pouvoir politique a été la règle et non
l’exception, le complot avec son cortège de machinations, de
manœuvres en secret, de purges, de meurtres, d'emprisonnements arbitraires
etc. César a conspiré contre pompée, Brutus a conspiré dans l’assassinat de
César, Napoléon a conspiré contre le directoire, Catherine de Médicis a
empoisonné, magouillé, éliminé à tout va. Ravaillac qui tua Henri IV était
membre d’un réseau. Dreyfus n’a pas été simplement victime d’une erreur
judiciaire mais bien d’une action secrète et concertée de l’état-major,
qui a produit de fausses preuves à son procès. Et ne parlons pas de
l’histoire de l’URSS de Staline. La liste est longue. L’histoire
politique est remplie de conspirations en tout genre.
D'ailleurs, trop c’est trop. L’Ecole des annales
a innové après-guerre en diversifiant les études historiques. On s’est mis à
écrire une histoire des peuples, des paysans, des coutumes, des métiers, de
la sexualité etc. Les historiens en avaient assez de n’avoir pour fil
conducteur que l’histoire politique. Raconter uniquement des histoires de
complots, de traités et de batailles, ne considérer comme historique que les
événements à retentissement politique était très limitatif. Les peuples
vivent, les cultures se perpétuent, on ne peut pas réduire l’histoire aux
seuls enjeux politiques. Et pourtant, on y revient toujours. Le pouvoir
politique fascine. Or dès qu’on l’examine de plus près, on se trouve
effectivement en présence de complots. L’histoire politique atteste sans le
moindre doute possible que les conspirations existent et il est par
conséquent simpliste de croire que l’idée de complot relèverait d’une
imagination délirante. Ce n’est pas pour rien qu’en philosophie politique on
a fini par dire que le pouvoir corrompt et que le pouvoir absolu corrompt
absolument. Et bien sûr, là où est la corruption, la conspiration n’est
jamais loin, il suffit de liguer les intérêts de quelques-uns, tout en
dissimulant les appétits de pouvoir aux yeux du peuple. Ce qui valide la
définition selon laquelle le
complotisme
serait une représentation de l’Histoire comme le produit de
l’action d’un groupe occulte agissant dans l’ombre.
Doit-on pour autant consigner l’idée de complot dans
la sphère politique ? Bien sûr que non ! Par exemple, les
complots
on les trouve aussi dans l’histoire religieuse. Il ne faut pas croire en
effet que le pontificat se soit tenu au-dessus des mêlées de pouvoir, bien
au contraire, cela fait des siècles que le Vatican est le siège de complots.
Être Pape pendant les premiers siècles de l’Eglise ne donnait pas
l’assurance d’une longue vie, mais le risque d’une mort subite par
empoisonnement. Et la doctrine de l’Eglise y contribue directement. Le
dualisme religieux a nourri le même type de pensée du soupçon dans
l’Inquisition contre les sorcières, les hérétiques et même… les chats, tous
accusés d’être des suppôts du mal.
Allons plus loin. C’est bien simple,
partout où existe une organisation avec une structure hiérarchique de
pourvoir, il y a des egos qui s’affrontent et un exercice autoritaire du
pouvoir, ce qui débouche invariablement sur des complots.
Autrement dit : à partir du moment où une organisation, quelle
qu’elle soit, vise un pouvoir-sur les êtres humains doit s’ensuivre qu’elle
abrite en son sein et génère des complots.
Il en serait tout
autrement si nous pouvions travailler ensemble de manière plus horizontale
dans un pouvoir-avec les êtres humains dans la recherche du bien commun.
Mais cela exige un dévouement, une vertu, une intégrité sans faille, le
dépassement de l’intérêt personnel, conditions si rares que l’on a fini par
penser que seul le pouvoir hiérarchique était possible, pouvoir qui inclut
nécessairement une forme de domination sur autrui et les manigances qui vont
avec. Et n’allons pas croire que les remparts institutionnels suffisent à
l’empêcher.
C’est très factuel. Les exemples sont nombreux dans
toutes les institutions où s’exerce un pouvoir-sur. Y compris dans un
domaine qui devrait être a priori au-dessus de la mêlée, l’histoire
des sciences. Le procès de Galilée s’est déroulé
dans une atmosphère de complots. Le Pape avait un temps pris Galilée sous
son aile, mais toute une clique d’érudits se méfiait des faveurs du Pape
envers Galilée et du risque de leur perte d’influence. On sait qu’ils lui
ont par deux fois intenté un procès pour le décrédibiliser et c’est le
second qui est le plus connu. Sans cette atmosphère de complot il n’y aurait
jamais eu d’affaire Galilée. L’épistémologie idéaliste a beau jeu de mettre
en avant le changement de paradigme, mais dans le réel, il y a des
manigances et des querelles d’ego. Manigances aussi dans le milieu
universitaire, ou les paniers de crabes et les petits complots existent
aussi. Le mathématicien de génie Cantor en a fait les frais, lui qui aurait
mérité un poste élevé et s’est heurté à l’opposition farouche d’un Kronecker
qui n’a cessé de le persécuter pendant toute sa carrière. Au point que
Cantor est tombé dans la dépression face à une cabale montée contre lui. Et
ne parlons pas des partis politiques, des conseils de direction en
entreprise, de la promotion interne dans les structures de l’Etat etc.
2) Notons toutefois que les historiens n’aiment pas
trop employer le terme
complot
qui enveloppe une intention calculée, une idéologie, une
planification et une implication qui peut être très large ; le dérapage
depuis complot à « Grand
Complot »
est très facile et sur cette pente on risque les spéculations les plus
folles. Que l’histoire ait affaire avec des
complots, cela va de soi, mais qu’elle puisse établir un « Grand Complot »,
c’est tout à fait différent, or c’est justement ce que font les « théories
du complot » du complotisme ordinaire. La prudence et la rigueur historiques
commandent de ne rien affirmer que l’on ne puisse prouver, d’éviter les
généralisations hâtives. En parlant de préférence de manœuvres, de
stratagèmes, de magouilles, de ruses, de tromperies,
de dissimulations, de fourberies, de coteries, d’entourloupes,
l’historien limite la portée du complot à des relations d’ego assez proches,
sans avoir besoin d’imaginer un « Grand Complot » qui aurait été
planifié sur une longue durée et qui impliquerait une idéologie de
domination, un noyau de conspirateurs disposant d’énormes moyens, des valets
obéissants en grand nombre et des ramifications très étendues dans l’espace
et le temps.
Dans les faits, ce ne sont pas les historiens qui
sont à l’origine des « théories du complot ». L’idée générale est assez
récente. Nous en avons un exemple intéressant chez Etienne Couvert,
conspirationniste chrétien né en 1927. Couvert était un catho laïc
traditionnel qui développa une véritable obsession contre la gnose. Nous
savons
qu’historiquement,
la gnose était un courant philosophique dualiste, assez proche du
manichéisme et de son combat entre Bien et Mal à égalité, un système
philosophique cherchant le salut par la connaissance. Le nom de gnose,
venant du sanskrit jnana, veut dire connaissance. Un jnani en
Inde est un connaisseur de la Réalité, celui qui en a une cognition
(toujours la racine JNA). Or la gnose a été dès l’Antiquité rejetée par
Saint Paul comme une hérésie. Couvert suit et se livre à une généralisation
indéfinie pour mettre dans le sac de la gnose tous ceux qu’il déteste : les
rosicruciens, les francs-maçons, et tous les philosophes « modernes » – dont
Descartes – tous censés être des représentants de la « gnose », catégorie
qui réunit donc tous les « méchants ». Ensuite, il noircit des pages et des
pages de texte pour s’acharner à montrer que pour tous les problèmes
du monde : de l’insécurité au chômage, de l’immoralité à la guerre, la
Révolution, el transhumanisme, les vagues migratoires etc. c’est toujours la
faute à la « gnose » et à la Renaissance qui s’en est inspiré. Nous pourrons
en effet observer que les « conspis » ont toujours cette tendance à poser le
mal dans un concept global. Tout ce qui va de travers dans le monde devient
dès lors le résultat d’un complot et ce sont toujours les mêmes qui servent
de bouc émissaire. Pour Couvert, c’était les « gnostiques », mais on peut
recommencer sous une autre étiquette le même genre de raisonnement, mais
attention, encore faut-il que cela soit pertinent et pas
seulement une obsession.
Il semble que l’usage actuel et populaire de
« théorie du complot » remonte aux années 1960 aux Etats-Unis. Il est lié à
l’origine à un contexte précis, celui de la guerre froide et à un événement
précis, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. L’enquête officielle de la
commission Warren en 1967 n’a pas convaincu et le concept de « théorie du
complot » est apparu dans la foulée dans une vaste controverse contre la
doxa officielle. La possibilité qu’il y ait eu un autre tireur qu’Oswald,
que Kennedy ait été abattu parce qu’il menaçait de révéler des secrets
d’Etat etc. Pour tenter d’enrayer les spéculations en tous genre, il est
possible que ce soit la CIA elle-même qui ait inventé l’expression de
conspiracy theory et qui ait ensuite distribué aux médias des guidelines
pour calmer la méfiance populaire et discréditer les auteurs qui mettaient
en question la doxa officielle. En 1996, suite à une requête du New York
Times de 1976, répondant au « Freedom of information Act », un
document déclassifié d'avril 1967 a été publié. Il montre bel et bien
l'existence d'une volonté de la CIA d’étouffer toute controverse sur le
rapport Warren via un communiqué produit par l'un des directeurs de la CIA
Countering criticism of the Warren Report (Contrer la critique sur le
rapport Warren). Quelques extraits :
« 1. Depuis le jour de l'assassinat du président
Kennedy, les spéculations vont bon train quant à la responsabilité de son
meurtre. […] … un sondage d'opinion a récemment indiqué que 46% du public
américain ne croient pas qu'Oswald ait agi seul, tandis que plus de la
moitié des personnes interrogées pensent que la Commission a laissé
certaines questions sans réponse. [...]
2. Cette tendance d'opinion est un
sujet de préoccupation pour le gouvernement américain, y compris pour notre
organisation. [...]
Le but de cet envoi est de fournir
du matériel pour
contrecarrer et discréditer les affirmations des
théoriciens du complot,
afin d'empêcher la circulation de ces affirmations dans d'autres pays. Les
informations de base sont fournies dans une section classifiée et dans un
certain nombre de pièces jointes non classifiées. [...]
[...]a. Discuter du problème de
publicité avec l'élite et ses contacts amis (en particulier les politiciens
et les éditeurs), en soulignant que [l'enquête officielle sur l'événement en
question] a permis une enquête aussi approfondie qu'il est humainement
possible, que les accusations des critiques sont sans fondement sérieux et
que toute autre discussion spéculative ne fait que jouer dans les mains de
l'opposition. Soulignez également que certaines parties du
discours sur la
conspiration
semblent avoir été délibérément générées par des propagandistes
communistes. […] Exhortez-les à user de leur influence pour décourager les
spéculations non fondées et irresponsables.
b. Utiliser des moyens de propagande
pour réfuter les attaques des critiques. Les critiques de livres et les
articles de fond sont particulièrement appropriés à cette fin. Les pièces
jointes non classifiées à ces orientations devraient fournir des
informations utiles à transmettre aux services de renseignement. Notre
stratagème devrait souligner, le cas échéant, que les critiques sont (I)
attachés à des théories adoptées avant que les preuves ne soient
disponibles, (II) politiquement intéressés, (III) financièrement intéressés,
(IV) précipités et imprécis dans leurs recherches, ou (V) entichés de leurs
propres théories. [...]
4. Dans les discussions entre
particuliers et médias qui ne visent pas un auteur en particulier, ou pour
attaquer des publications qui pourraient être encore à paraître, les
arguments suivants devraient être utiles :
a. Il n'y a pas eu de nouveaux
éléments de preuve significatifs que la Commission n'a pas pris en compte.
b. Les critiques surévaluent
généralement certains articles et en ignorent d'autres. Ils ont tendance à
mettre
davantage
l'accent sur les souvenirs des témoins individuels (qui sont moins fiables
et plus divergents - et offrent donc plus de prise pour la critique) ...
c. La
conspiration à grande échelle
souvent suggérée serait impossible à dissimuler aux États-Unis »
…
Paradoxe. L’accusation de complotisme vient donc de
services dont la fonction est précisément d’opérer en secret, « l’action
d’un groupe occulte agissant dans l’ombre » ! Et la CIA est très douée
pour fomenter des complots un peu partout sur la planète et tout
particulièrement en Amérique du Sud. Curieux tout de même. Le meilleur
argument pour celui qui fomente un complot c’est d’accuser celui qui le
soupçonne… de complotisme. Et quand il s’agit de défendre la
doxa
officielle de l’État, la stratégie de la CIA peut être reprise à
l’identique pour n’importe quelle affaire (la première guerre d’Iraq, les
tours du World trade, center en 2001, les vaccinations en Afrique
etc.) Ceux qui émettent des doutes
sur la doxa officielle sont forcément des complotistes (texte). Ironie :
l’accusation pourrait très bien servir à dissimuler des complots tout à fait
réels.
Nous pourrions appliquer la doctrine à la gestion de
la pandémie du coronavirus. Un très grand nombre d’experts, de
scientifiques, de chercheurs de médecins contestent la doxa officielle ; on
peut donc suivre des guidelines de la CIA pour les discréditer comme
… complotistes ! Et les journaux l’ont bien compris, c’est ce qu’ils
font régulièrement (texte). Le gouvernement français ne s’est pas gêné pour dire que
certains scientifiques faisaient partie de la « mouvance complotiste ».
Tiens donc ! Cela devient une tarte à la crème, un argument
rhétorique pour éviter toute discussion sérieuse, une excuse pour ne pas
faire de recherches et ne pas réfléchir. Quoi de plus facile de tourner en
dérision les lanceurs d’alerte, les libres-penseurs : Il suffit de les
qualifier de « complotistes » !
Mais si nous prenons au sérieux l’existence des complots (pas juste comme un divertissement de séries télé), si nous reconnaissons la structure pyramidale de pouvoir-sur les peuples de nos sociétés, des facteurs comme la puissance énorme de la finance dans le monde, la puissance des lobbies auprès des gouvernements, la puissance des multinationales, des médias mainstream, nous pouvons nous demander franchement si nous ne vivons pas sous le régime d’une propagande de masse. Quoi de plus normal dès alors que de refuser d’en rester à la version officielle des faits livrée à notre consentement passif
|
Décidément, on ne se débarrasse par facilement de la
« théories du complot ». La question délicate est de savoir jusqu’où peut-on
porter la critique de la doxa, sans tomber dans une forme de spéculation
abusive. Pour le dire en langage simple : jusqu’où pousser le bouchon ? Peut-on
donner une interprétation de portée globale qui relie des intentions avérées et
un très grand nombre d’événements historiques sous la forme d’une vaste
conspiration ? Y a-t-il un fil conducteur qui permette, sans tomber dans de
l’irrationnel, de relier les points ?
1)
Nous sommes bien d’accord :
le propre
d’une conspiration réussie tient dans le fait que l’on ne
peut en deviner l’objet, ni remonter à ses commanditaires. Un
observateur immergé dans la doxa peut tout juste constater des effets en série,
des effets parfois curieusement convergents, mais sous un angle qui ne lui
permet pas de mettre à jour le complot, puisqu’il ne sait pas que ces
manifestations sont le résultat d’une machination qui répond à un agenda bien
orchestré. De ce fait, il rapportera les évènements à sa grille de lecture
habituelle, qui restera incomplète, de par son manque de recul sur le cours des
événements. Mais quelle grille de lecture ? Celle qui permet communément de
comprendre le pouvoir dans son rôle public. Machiavel dirait : ce que le Prince
peut dire dans ses discours en direction du Peuple : Que le pouvoir
souverain est politique, qu’il est entre les
mains de l’Etat à travers les élus qui en sont dépositaires. A
condition qu’il soit démocratique, que le
pouvoir politique est capable de faire régner un état de droit à même de servir
le bien commun. En perdant son caractère démocratique, il risque de virer
de l’état de Droit vers un ordre unipolaire intransigeant et on parle alors de
régime autoritaire et de dictature.
Mais, la défense des institutions de la République est là pour parer à cette
dérive. Mais souvenons-nous d’un point important : Machiavel est tout à fait
républicain, (défenseur de l’Etat), mais pas du tout démocrate
(favorable à un régime par le peuple et pour le peuple). La doxa du pouvoir est
répétée tout au long du parcourt éducatif et elle est ânonnée à longueur de
journée sur des chaînes d’info. Ce qui n’empêche pas pour autant qu’elle soit
seulement une croyance et une représentation illusoire.
Le pouvoir souverain dans notre monde est davantage financier que
politique. En interne dans l’Etat, le pouvoir politique réel est davantage entre
les mains des technocrates que des élus et les technocrates sont très au fait
des intérêts de la finance. A supposer qu’eux-mêmes ne soient pas de purs
produits de la technocratie, les « élus » du Peuple qui autrefois se sentaient
les mains libres dans l’opposition se découvrent vites les mains liées. Même le
Président Macron a dénoncé « ces hauts fonctionnaires qui se sont constitués en
caste ». Il a même osé employer l’expression « état
profond »
pour désigner ce pouvoir qui freine toute initiative. Pour mieux le comprendre
rien ne vaut l’analyse extrêmement lucide de Jacques Ellul dans L’illusion
politique. En vérité les politiques
sont très étroitement corsetés par leur propre administration, qui est loin
d’être indépendante des lobbys. Les administrations considèrent qu’elles
savent mieux que les élus. C’est dans leur métier de convoquer des experts. La
notion d’élu est de toute manière une mystification. Le terme a une
connotation quasi-religieuse qui laisse penser à une sorte de pouvoir divin,
mais dans la pratique l’élection est un procédé trivial d’essence non pas
démocratique, mais aristocratique, un procédé qui mobilise énormément d’argent.
Et l’abondance d’argent dans une élection n’a rien d’une générosité gratuite,
c’est du sponsoring. Un donné pour un rendu qui suppose une connivence. Le mot
dépositaire prête à rire, car rien de plus facile que de montrer que le
politique se sent le plus souvent propriétaire du pouvoir que
dépositaire, une grande partie de son énergie étant d’ailleurs dépensée dans
le souci de se faire réélire. La notion de démocratie dans la doxa est
tout à fait défigurée, car c’est un fait historique indiscutable que les
révolutions américaine, anglaises et françaises n’ont jamais voulu établir
une démocratie, mais un gouvernement représentatif, qui est le
système qui nous gouverne depuis lors. Et c’est très différent. C’est
parfaitement explicite chez Sieyès. Enfin, on a beau jeu de parler
d’état de droit et de bien commun, quand il
s’agit surtout de faire régner l’ordre et de le maintenir, ce qui revient
aussi à maintenir les inégalités et se garder les bonnes grâces des puissances
industrielles et financières. Bref,
la
doxa « démocratique » courante est un leurre pour dissimuler le vrai pouvoir
actif qui est celui de l’argent.
2) Suivre la piste de l’histoire de l’argent en Occident
nous en dirait davantage sur l’état profond que bien des spéculations
ésotériques plus ou moins farfelues. Les historiens savent que depuis Cromwell,
les puissances politiques issues de la féodalité ont cédé de plus en plus leur
prééminence devant les puissances financières de la City of London. La
croisade des banquiers pour s’emparer du pouvoir politique a commencé dès le
XVIIème siècle avec la constitution de la puissante Banque
d’Amsterdam. Une longue route s’en est suivie depuis les banquiers changeurs du
Moyen-Age partis des provinces unies de Hollande pour s’installer à Londres.
Ce sont eux qui ont initié en Occident le contrôle centralisé des monnaies,
avant de s’emparer au XVIIIème des organisations politiques. Ce sont
eux qui ont établi le système juridique anglo-saxon qui établit la valorisation
financière de tout ce qui vit sur Terre. Le concept du
tout commerce.
Ce sont eux qui ont inventé le système appelé capitalisme. Nous
savons que Napoléon était hostile au principe même de la spéculation boursière
sur les biens nationaux et le droit français punissait sévèrement les
spéculateurs, mais il n’a pas pu résister à l’influence d’un ministre
porte-parole enthousiaste d’Adam Smith. La coulisse des spéculateurs
allait passer d’une activité frauduleuse et immorale, à une profession lucrative
tout à fait légale, moralement respectable et… le modèle de la réussite par
excellence. La marque d’une élite. On peut suivre ces étapes vers un
contrôle absolu de la monnaie par les banquiers. Comment nous sommes passé du
capitalisme familial,
au capitalisme
industriel, puis au capitalisme
spéculatif.
Dès le XVIIIème la création et dissémination mondiale de banques
centrales autonomes du pouvoir politique. En 1913 la création s’un système
fédéral de banques centrales, la FED. En 1930 la création de la Banque des
Règlement Internationaux, initialement conçue pour transformer les réparations
de guerre dues par l’Allemagne vaincue. En 1944, la création lors des accords de
Bretton Woods du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale. La visée
clairement affichée de la finance internationale à termes est la création d’une
monnaie mondiale, le « phénix ». Les États ont abandonné leur pouvoir régalien
sur la monnaie et sont devenus totalement dépendants des banques, ce qui a créé
de toutes pièces un endettement prodigieux et produit en retour un esclavage
perpétuel des États vis-à-vis des banques. Le pouvoir politique des Etats est
devenu une fiction, une fiction alimentée par le goût marqué des
intellectuels pour le commentarisme, mais une fiction. Le vrai pouvoir est
ailleurs et c’est très clair depuis les années 70.
Pour en revenir à aujourd’hui, en 2020, regardons les
effets, il est clair que la pandémie mondiale a provoqué une accélération de la
fusion monétaire dans l’effondrement des économies locales et mondiales, fusion
qui rend inéluctable the Great reset de l’économie mondiale (texte) annoncé par
Christine Lagarde pour janvier 2021. Cette réinitialisation sous-entend un
gouvernement mondial et la disparition du cash. Nicolas Sarkozy, dès son arrivée
au pouvoir avait annoncé l’avènement du gouvernement mondial et dit très
franchement que nous ne pourrions pas y échapper. Il est prévu que la future
monnaie sera entièrement dématérialisée et prendra appui sur l’expérience des
cryptomonnaies. Ce qui impliquera un hypercontrôle technologique planétaire des
êtres humains dans lequel sont déjà engagés les GAFA depuis des décennies.
Ici apparaît une importante caractéristique :
Les utopistes espèrent depuis longtemps un gouvernement mondial et une
monnaie unique, avec une homogénéité des lois afin de faire le
premier pas vers une société plus juste, mais les gangs mafieux
veulent exactement la même chose, sauf
qu’ils veulent ce pouvoir dans la mesure où ils seraient évidemment en haut
de l’échelle.
L’histoire de la finance peut sembler bien ennuyeuse en
comparaison du vif éclat des guerres, des conquêtes, des empires, des nations,
des héros politiques de l’histoire, de la téléréalité politique sur petit écran,
mais sa puissance est sans commune mesure. Ceux qui disposent aujourd’hui de
fortunes gigantesques ont beaucoup plus de pouvoir que les États. D’ailleurs le
milliardaire Georges Soros dit en riant qu’il est à lui seul un État ! Et
puis, de toute manière, qui finance les guerres, les conquêtes, les empires, les
nations, les héros politiques de l’histoire, la téléréalité politique sur le
petit écran… sinon les banquiers ? Dans le secret et l’anonymat. Mayer Amschel
Bauer fondateur de la dynastie Rothschild disait : « donnez-moi le contrôle de
la monnaie d’une nation, et je n’aurais pas à m’occuper de ceux qui font les
lois ». Ce n’est pas une boutade ! C’est parfaitement réel. En 1961,
Eisenhower avait averti sur un ton grave son successeur Kennedy de se méfier du
complexe militaro-industriel, l’ancien nom pour parler de l’Etat
profond. La situation n’a pas changé, c’est tout le contraire.
Et nous voyons que les pièces du puzzle de nos
conditions initiales commencent à s’assembler : une conspiration
réussie
tient dans le fait que l’on ne peut en deviner l’objet, ni remonter à ses
commanditaires. L’oligarchie financière dispose d’un pouvoir gigantesque qui
cultive le sens du secret. Perçu d’en bas comme une fatalité, elle s’appuie sur
une croyance de fond maintenue depuis des siècles : le système de la dette qui
rend l’emprunteur redevable auprès de celui qui lui prête. Quand bien même en
réalité l’argent serait créé ex-nihilo par les banques. Le système est
verrouillé dans une autre croyance : There is no alternative. L’idée est
tellement bien assimilée qu’il ne vient à l’esprit de personne d’y voir un
projet de domination, ni de soupçonner les commanditaires. Ou alors celui qui
ose est forcément… un complotiste ! Un grand malade paranoïaque. David Graeber
qui avait flairé la combine se disait juste anarchiste.
Tout le discours de
la doxa politique est un voile et une couverture qui tient par des croyances.
« Voyons », répète en boucle la doxa, « nous vivons dans des démocraties où les
citoyens sont libres ! Où la liberté de pensée est disponible, car les citoyens
sont informés. La globalisation de l’économie est en marche qui doit permettre
d’entrer dans le sûr chemin de la croissance, du progrès et du développement ».
Le développement ? Les multinationales n’ont aucun
intérêt à disposer d’une main d’œuvre qui soit partout rémunérée au même niveau
et qui dispose du même pouvoir d’achat. Le bénéfice qu’elles dégagent de leurs
activités est d’autant plus important qu’il existe de vastes zones à fort
pouvoir d’achat, et d’autres à très faible coût de main d’œuvre. Elles
prospèrent en suivant une logique où la richesse se concentre au sommet dans
très peu de mains tandis qu’en bas des milliards d’êtres humains vivent dans la
misère, dépendants des miettes distribuées par des industries qui pillent
allègrement leurs ressources naturelles. Il ne faut pas mélanger humanisme et
profit, et d’abord penser aux actionnaires. De même, l’industrie
pharmaceutique a besoin de malades et de beaucoup de maladies pour prospérer. Un
être humain guéri et en bonne santé, c’est un client perdu et du profit en
moins. Si les gens se portaient bien ou savaient se guérir naturellement,
l’industrie pharmaceutique ferait faillite. De même que les productions
industrielles sont issues d’un concept pensé par un bureau d’étude, les maladies
sont conceptualisées par l’industrie pharmaceutique en fonction de leurs
remèdes, de sorte que le remède soit ensuite proposé aux prestataires de
service, les médecins et autorité de santé des Etats. Affaire de marketing
industriel. Il faut entretenir par une propagande la croyance dans l’impuissance
pour recouvrir un motif, l’accroissement du profit des actionnaires. L’idée même
de croissance diffusée dans la doxa est intenable, l’idéologie du
progrès (avec le sous-entendu technologique) est un mythe, le
développement un mot qui sent bon mais qui sent aussi la supercherie
idéologique.
En vérité, il y a d’abord l’agenda de l’Etat profond qui
ne se partage qu’en petits comités et ses exécutants. On peut lire à la page 11
du Bilderberg report d’aout 1956 : « Nous avons décidé qu’aucune des
idées ou initiatives ne serait réalisée directement par le groupe, mais qu’elles
devraient toujours passer par des personnes ou des organisations qui les
réaliseraient comme si elles en étaient à l’origine ». Philippe de
Villiers raconte : « Un jour, j’ai demandé à François Fillon pourquoi il avait
reçu le groupe Bilderberg à Matignon. Il m’a répondu : « Parce que nous
n’avons
pas le choix, ce sont ces gens-là qui nous dirigent ». Plus tard, en
janvier 2017, Villiers se plaint d’avoir été lâché. Il s’entend alors répondre :
« Le Bilderberg, malgré mon ami Castrie a préféré Macron qui correspond mieux au
profil mondialiste ». Tout est dit pour celui qui sait entendre.
3) Un citoyen libre et informé ? parlons-en.
La doxa
officielle réside dans l’info mainstream.
Nous sommes bombardés en permanence d’articles, de brèves, de
tweet qui, d’abord pour une très grande partie clonent les dépêches de l’AFP et
de Reuters. Ensuite, il faut garder à l’esprit que
dans les
actualités, nous avons toujours affaire à un discours qui obéit à des règles
parallèles aux règles des historiens. Il est admis qu’un fait
historique est construit par l’historien, l’événementiel est pulvérulent
et il faut choisir ce qui est proprement historique. Dans le journalisme, il y a
aussi construction et construction en trois étapes, sélection, hiérarchisation
et mise en mots. D’ailleurs le terme information est très parlant : mise en
forme. Mise en forme du donné pulvérulent de l’événementiel en fonction de
ce qui est considéré comme pertinent pour figurer aux actualités. Un
discours. Un discours
porté par le bain idéologique d’une époque
jusque dans les sous-entendus et la manière d’utiliser les mots. Quand le
journaliste dit : « tel pays a déjà légalisé le mariage gay », le petit
mot « déjà » comporte beaucoup d’implicite, l’idée d’un consensus de l’opinion
acquis sur le sujet. Une doxa implicite permet de poser certaines questions à un
politique sur un plateau télé et pas d’autres, voire de rester muet comme une
carpe quand le politique récite si bien la doxa qu’il n’y a rien à ajouter.
Aucune question à poser. Une situation qui est devenue presque irréelle pendant
la pandémie de Covid-19 où la posture de journaliste potiche a été exacerbée. De
quoi frémir quand on connaît bien les sujets. Enfin, dans les médias mainstream,
le journaliste pratique en permanence l’auto-censure… pour garder sa place. Pas
la censure imposée par un polit bureau comme dans un régime totalitaire, non
une censure
auto-imposée pour ne pas s’écarter de la doxa. (texte) Tout en sachant que les
médias mainstream appartiennent à une cohorte réduite de milliardaires. C’est
très simple à comprendre pour la publicité, on ne va pas pas froisser les
annonceurs. Le résultat c’est que dans les médias mainstream on a affaire à un
discours aseptisé qui ne diffuse qu’une vérité officielle qui préservent les
intérêts du monde tel qu’il est sans le remettre en question.
Et puisque nous sommes sur la publicité, il faut prendre
au pied de la lettre la déclaration célèbre de Patrick Le Lay, le PDG de TF1,
« ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible ».
Exactement le même procédé de conformisation généralisée. Nous n’allons pas
reprendre ici ce que nous avons largement démontré ailleurs, mais un peu de
lucidité montrera sans peine que les médias mainstream et en particulier la
télévision, véhiculent bel et bien un contenu idéologique, que l’on peut
caractériser d’un mot :
postmoderne.
Fait pour l’homme de
masse. La
propagande
publicitaire (oups ! c’est un pléonasme) est là pour standardiser les mentalités
en ne laissant subsister qu’une identité, celle du
consommateur.
Le degré zéro de l’identité. Le degré zéro de la conscience de soi. (texte) « Un
individu interchangeable, dépourvu de racine et d’horizon singulier, adhérant
sans réfléchir à des lieux communs du moment et bien sûr en cela même, privé
d’esprit critique ». Le trait postmoderne se montre dans la promotion incessante
de la déconstruction des valeurs. René Guénon dirait de leur subversion
dans le matérialisme ambiant. Un seul exemple, que l’on ne s’étonne pas si les
chaînes de vidéo en streaming distribuent un contenu dont les trois quarts
sont liée à la sexualité, à l’identité de genre. C’est très postmoderne. Aldous
Huxley dans Le meilleur des mondes l’avait annoncé. Dans un monde façonné
par l’Etat profond, la seule manière pour l’homme de masse de se donner une
image de lui-même, c’est de la chercher en dessous de la ceinture.
Ce processus de chute lente du spirituel dans le
matériel et dans le matériel de plus en plus grossier, jusqu’à ce que
l’intériorité des hommes ne soit plus qu’un vide abyssal, c’est ce qu’en Inde on
appelle… le Kali-Yuga. L’âge de l’ignorance.
Il reste un point essentiel que nous gardons pour la fin
en espérant que le lecteur va y penser et y repenser. Pierre Thuillier dans
La grande implosion démontre avec force que si toute civilisation se déploie
à partir d’une idée directrice, l’histoire de l’Occident s’est, elle, développée
dans le culte de la Machine. Or ce qui est remarquable et qui explique
bien des choses, c’est que la technique suit son cours dans un auto
développement complètement indifférent au sens de la vie humaine. Un processus
qui comme un train fonce à toute allure, que personne ne conduit, que l’on ne
peut pas arrêter et qui commande toutes les décisions humaines. Un
processus inconscient
et un processus
d’inconscience,
mais qui mobilise en Occident une dévotion sans borne qui dépasse tous
les clivages. Jacques Ellul en a fait la démonstration. S’il y a bien quelque
chose qui conspire en suivant sa propre logique, c’est la technique. On ne sait
pas trop où cela va nous mener, mais il n’y a plus qu’à suivre, ce qui est
certain, en tout cas, c’est que l’Etat profond a fait de la techno-science son
instrument.
Et c’est là que nous voyons la
(texte) radicalité d’un
changement de paradigme qui doit restaurer la souveraineté individuelle, la
souveraineté des Peuples, (texte) car cela signifie la restauration intégrale de la
dimension spirituelle de l’être humain. La révolution de la conscience.
* *
*
Terminons. Nous avons vu que le doute est l’essence même
du complotisme. Il n’y aurait rien à redire s’il était une démarche
critique méthodique, le problème c’est qu’il risque de devenir un
doute hyperbolique excessif. Si les thèses complotistes
les plus folles étaient débattues dans l'espace public, elles perdraient sans
doute beaucoup de leur vigueur. De la même manière, les idées des
anti-complotistes primaires se verraient mises à mal. La question de fond
n'est
pas de savoir si une thèse est complotiste ou pas - on s'en contrefiche - mais
de savoir si une thèse est vraie ou fausse.
Contrairement à ce que laisse croire la doxa officielle, tout n’est pas à jeter
dans les discours conspirationnistes, à côté des idées farfelues, des outrances,
il y a des idées vraies et des informations très pertinentes qui méritent d'être
partagées. Le cas de la gestion de la pandémie du Covid est ce point exemplaire,
on peut en apprendre beaucoup plus des lanceurs d’alerte que la doxa officielle
a catalogué de « complotistes » que du discours anxiogène des relais du pouvoir.
On notera pour finir que l’interprétation comme
conspiration de l’état profond est maintenant très largement partagée. A raison.
Et c’est pour cela que nous avons commencé ce travail en évoquant tout de suite
La stratégie du choc de Naomie Klein. Nous avons juste voulu pousser plus
loin en évoquant une perspective métaphysique.
*
*
*
troisième leçon en rapport
avec la pandémie
la première est ici,
la
seconde est ici.
Questions:
© Philosophie et spiritualité, 2020, Serge Carfantan,
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