Leçon 229.    Sur la démocratie directe   

    Nous avons déjà abordé le thème de la démocratie, mais les débats actuels ont mis en exergue des points nouveaux qui méritent une analyse approfondie, notamment, nous allons le voir, dans la lignée des critiques de Castoriadis. Dans cette leçon nous allons prolonger  de ce qui précède, pour rendre compte notamment des recherches sur la démocratie menées par Etienne Chouard.

    Nous avons vu en quoi la démocratie était un régime politique tout à fait singulier, dans lequel le kratos, le pouvoir était exercé par le  demos, le peuple. C’est ce que dit la définition. Reste à savoir si on entend par là le régime actuel, qui existe un peu partout dans les États prétendument démocratiques, ou bien si c’est un régime qui a un sens, mais n’est pas véritablement réalisé à l’heure actuelle. Dit autrement, si nous nous posions la question : vivons-nous véritablement en démocratie ? Que faudrait-il répondre ? On nous répète du matin au soir et de la maternelle à l’Université que nous vivons ne démocratie mais justement, une incantation si souvent relancée peut éveiller quelques soupçons. Peut-être que l’opinion est entretenue dans l’idée que nous vivons en démocratie, mais qu’en réalité ce n’est pas le cas. Jacques Ellul disait que c’est quand on répète un mot désignant une valeur tout le temps dans les médias, c'est que justement la chose en question n’existe plus (texte).

    La difficulté majeure dans ce questionnement est le statut exact de la représentation politique. On nous dit que nous vivons dans une démocratie représentative, On l’oppose d’ordinaire à la démocratie directe où les citoyens participeraient activement aux décisions publiques. Et si c’était déjà un glissement de sens ? Nous pourrions aussi bien penser que par essence la démocratie doit être directe, ou bien ce n’est plus vraiment le peuple qui gouverne, auquel cas parler de « démocratie directe » serait un pléonasme. La démocratie est directe ou bien ce n’est plus la démocratie et dans ce cas il faut s’inquiéter très sérieusement des dérives auxquelles nous conduisent toutes les formes de représentation. Nous voyons bien dans les « affaires » que les soi-disant représentants du peuple finissent souvent par ne représenter qu’eux-mêmes, des intérêts de classe ou les intérêts des puissances de l’argent. (texte) Autant jeter le mot en trompe-l’œil de démocratie et tout de go dire la vérité : contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, nous ne vivons pas en démocratie aujourd’hui, nous vivons dans une oligarchie, ou encore, dans une ploutocratie. En quoi la représentation politique est-elle pour la démocratie un problème et non une solution?

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A. Voir la représentation politique telle qu’elle est

    Rappel : une re-présentation, c’est une présentation seconde par rapport à la présentation première de la chose même, et non la chose même qu’elle re-présente justement avec laquelle il ne faudrait pas la confondre. Si je me présente devant le tribunal pour donner des explications, ce n’est pas comme si je me faisais représenter par un avocat chargé de me défendre par les moyens du droit. En tout état de cause, on attend d’une représentation qu’elle exprime au mieux ce dont elle est la délégation, qu’elle soit fidèle et non qu’elle déforme. Une représentation serait trompeuse si, non seulement elle ne portait plus rien de ce dont elle devrait être le porte parole, mais qu’elle en venait à représenter tout à fait autre chose. Concrètement, en quoi consiste la représentation politique ?

     1) Surtout ne confondons pas ce qui devrait être avec ce qui est. C’est un trouble mental extrêmement fréquent chez les  intellectuels qui a un effet dissolvant du sens de l’observation, ou tout simplement du bon sens. Cela donne le regard vague et la vision embrouillée qui donne nettement l’impression que l’on se perd dans des abstractions sans être attentif à ce qui est là sous notre nez, dans les faits.

    L’État moderne est une organisation gigantesque qui comporte un corps de fonctionnaires de compétences diverses, avec à leur tête des décisionnaires qui sont les représentants élus. Écartons tout de suite les jugements à l’emporte-pièce qui font le jeu des extrémistes : l’argument des « tous pourris » qui veut mettre dans le même sac tous les acteurs du corps politique. Il y a des gens dévouées et sincères dans la classe politique, des personnes qui ont un souci d’intégrité de leur fonction et qui déploient une énergie formidable pour faire au mieux ce pour quoi ils se sentent missionnés. La recherche du bien commun et le service de la volonté générale. On remarquera cependant qu’on les trouve plus facilement à une échelle très modeste, locale, et dans des postes qui relèvent quasiment du bénévolat. Le maire d’une petite commune, les conseillers municipaux. Il existe des gens bien, des gens de bien au service des autres et c’est magnifique. Mais dès que l’on monte dans l’échelle du local vers le  global et le national, cela se corse et l’argent occupe une place de plus en plus prépondérante. C’est un fait. Soyons honnêtes et regardons les choses en face : partout dans le monde dans ce que nous appelons les « démocraties », le pouvoir se constitue comme une élite à part, qui tend à se détacher pour faire société avec elle-même, et tourner en vase clos, se retrouver dans les mêmes cercles, et toujours en connivence étroite avec le monde de l’argent. Insensiblement, on passe du pouvoir avec  les hommes à un pouvoir sur, qui ne vaut alors par les avantages qu’il procure. Et dans ce milieu propre à exciter la volonté de puissance de tous les egos rassemblés, toutes les frontières se dissolvent dans un environnement unique : l’argent.   

     L’opposition entre public et privé, entre droite et gauche, tout cela n’a aucun sens, il s’agit de se lancer dans une carrière en occupant les places les plus élevées et de faire fortune. Pour le reste ! … Dans ce détournement de la fonction politique, de manière subreptice, s’introduit alors une double discours : la langue de bois officielle que l’on sert quotidiennement aux électeurs et qui inonde les médias et en secret les manigances en tout genre. Dans la logique égotique du toujours plus : cumuler les mandats, les rémunérations, empiler les salaires, jouer des coudes pour obtenir les faveurs des multinationales, et faire ensuite du lobbying moyennant rémunération confortable etc. Et tout cela s’organise en sous-main dans des réseaux qui mettent en place de manière systématique les petits arrangements avec le droit,  les combines, la corruption, la pratique des renvois d’ascenseur et le copinage à tout va. C’est un peu comme du temps de l’Union Soviétique : il y avait l’organisation, la vitrine officielle du communisme et le marché noir manipulé par les apparatchiks. Le capitalisme, c’est de la combine universelle pour le profit de ceux qui font déjà du profit et qui en veulent encore plus. Qui ne s’oppose pas à la démocratie représentative, mais qui l’enveloppe dans ses tentacules.

    Quand le phénomène est parvenu à ce point, de façon si universelle, partout sur la planète, il faut avoir une sacrée couche de poussière sur les lunettes pour ne pas voir que nous ne sommes pas en démocratie et que le mot oligarchie serait bien plus pertinent. Il représente bien mieux la réalité pour le coup. On dira : oui mais c’est toujours mieux que la tyrannie des dictature ; Oui, mais enfin, on pourrait tout de même faire mieux non ? Concernant les preuves de ce que nous venons de résumer, il existe sur le sujet une littérature solide, qui pourra convaincre sans difficultés les plus sceptiques : Que les grands principes de la démocratie sont en permanence bafoués par les conflits d’intérêts et le cumul de mandats. Que l’égalité républicaine devant l’éducation est tout au plus une parole en l’air, quand ce sont toujours les rejetons de la même caste qui ont accès aux meilleures écoles. Que la prétendue liberté des échanges est de fait complètement détournée au profit des financiers, des affairistes, des managers des grands groupes internationaux. Que le système du pouvoir tend de lui-même à tourner en circuit fermé, jusqu’à en devenir héréditaire. Que le plaidoyer que l’on ressasse partout sur la démocratie est un voile épais qui ne fait que masquer une immoralité et une cupidité universelle.

     2) Il y aurait de quoi se taper la tête contre les murs, ou comme n le dirait en langage rap « avoir la haine ». C’est parfaitement compréhensible, à la limite plutôt sain en tant que réaction, c’est mieux que le conformisme béni oui-oui de la postmodernité, mais cela ne résout rien. Plutôt que de réagir de manière impulsive et de se précipiter dans des solutions expéditives, il importe avant tout de comprendre. Et c’est là qu’entre en scène la démarche d’Etienne Chouard que nous allons examiner. Partant d’un précepte d’Hippocrate, il demande de se mettre en quête de la cause et mieux de la cause des causes. L’idée se discute, mais disons que si nous pouvions saisir à sa racine ce qui a conduit aux dérives du monde actuel, nous pourrions reconstruire un système fiable. Capable de nous protéger des abus de pouvoir. Le précepte d’Hippocrate veut dire qu’il ne sert à rien de badigeonner chaque feuille d’une plante malade, c’est interminable et inefficace tant que l’on n’agit pas à la racine pour la soigner. Dans le champ qui nous occupe, les « mesurettes » que l’on propose d’ordinaire pour soigner le grand corps malade de la démocratie sont du même ordre, elles ne vont pas au fond du problème.

      Si on remonte le processus à l’œuvre dans la démocratie actuelle, on va depuis les élus vers l’élection et de l’élection vers son principe, l’idée selon laquelle dans une démocratie le peuple devrait être représenté. Il est possible de s’interroger sur le bien-fondé de l’élection et sur la pertinence de l’idée même de représentation.

Comme l’état de chose actuel est la résultante de conditions précédentes, il est intéressant de consulter l’histoire à ce sujet. De remonter à la Révolution française. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Sieyès, grand penseur de la révolution, écrivait : « les citoyens qui se donnent à eux-mêmes des représentants doivent renoncer eux-mêmes à faire les lois. Ils n'ont pas de volonté particulière à imposer. S'ils dictaient leurs volontés, la France ne serait plus un état représentatif mais ce serait un état démocratique. Le peuple -dans un pays qui n'est pas une démocratie- et la France ne saurait l'être, le peuple ne peut parler et ne peut agir que par ses représentants». (cit) On ne peut être plus clair. Même avant 1789 on savait fort bien que le procédé de l’élection était aristocratique, Aristote l’a dit de manière explicite (texte). Montesquieu ne s’est pas non plus privé de le répéter (texte). Mais c’est Rousseau qui a formulé les critiques les plus nettes. « Le peuple ne peut avoir de représentants, parce qu’il est impossible de s’assurer qu’ils ne substitueront point leurs volontés aux siennes, et qu’ils ne forceront point les particuliers d’obéir en son nom à des ordres qu’il n’a ni donnés ni voulu donner».  Le risque encouru par l’élection est de donner aux représentants une indépendance vis-à-vis de la volonté des citoyens participant à l’élection, en sorte que la volonté générale dont ils devraient être l’expression nécessaire risque d’être trahie. Et dans ce cas, même si en apparence, dans le discours, elle semble exprimée, en réalité, la volonté du peuple n’est plus la puissance organisatrice du pouvoir politique. Rousseau va jusqu’à dire que confier le pouvoir politique à des représentants est irrationnel. La Souveraineté ne peut être représentée, elle appartient en totalité au Peuple (texte) lui-même qui se démettrait de son pouvoir en la déléguant. D’où ce passage du Contrat social commenté par Castoriadis (texte) : « Le peuple anglais pense être libre; il se trompe fort, il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement ; sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde ». Ainsi s’explique qu’au moment d’une élection crépite dans l’air un petit air de liberté, mais qui ne dure pas, puisqu’elle est à nouveau confisquée.

Ce qu’il faut comprendre c’est que Rousseau ne formue pas seulement une crainte d’ordre psychologique, il a une intuition en profondeur de la logique de la représentation politique.  Les véritables révolutionnaires de s’y sont d’ailleurs pas trompé. Témoin John Oswald, un écossais débarqué en France pour participer à la Révolution, comme d’autres plus tard iront faire la guerre d’Espagne, publie avant de se faire tuer par les contre-révolutionnaire, un pamphlet, Le Gouvernement du Peuple où il écrit : « la représentation est le voile spécieux à l'ombre duquel se sont introduits tous les genres de despotisme ». La formule nous intéresse au plus haut point car, dans les leçons précédentes, nous avons longuement montré que justement l’illusion comporte toujours un voilement de la réalité. Une belle entrée en matière pour une étude de l’illusion de la démocratie représentative. Nous comprenons dès lors pourquoi ces représentants ont beau jeu une fois élu de parler de Souveraineté du Peuple, dans la mesure où celui-ci vient d’abdiquer sa Souveraineté à leur profit. Rousseau a même le culot de dire que la représentation n’est jamais qu’une fiction héritée du Moyen Age où existait des parlements institués par les rois pour collecter des taxes ! Le mot exact qui conviendrait serait de dire que la démocratie représentative est une mascarade. Et on voudrait, dans le commentarisme contemporain, nous faire admettre que la critique de la représentation chez Rousseau est le point faible de sa pensée ! Mais si c’était le contraire et qu’il avait touché juste ?

B. Le tirage au sort et la démocratie

    Pas facile à digérer. Pour une raison simple : on nous a répété à foison et nous avons appris que démocratie=élection et qu’élection=démocratie ; nous croyons en toute bonne foi qu’il n’a jamais existé de démocratie que représentative. Ajoutons l’argument technique selon lequel dans un État moderne, on ne peut pas réunir quelques 50, 80, 100 millions de personnes pour leur faire voter des lois et qu’il est plus facile de faire voter des « représentants ». Enfin, le faux argument de l’inertie ambiante et de l’irresponsabilité généralisée : tout le monde s’en fiche de la politique, alors autant la confier à des « experts » qui feront le boulot à notre place pendant que nous vaquerons à nos petites (ou à nos très grosses) affaires.  Il va donc falloir défaire ce conditionnement pour essayer de comprendre ce qu’est la démocratie réelle, (texte) qui est la démocratie directe.

    1) Etienne Chouard s’arrête longuement sur le modèle d’Athènes ou effectivement la démocratie s’est perpétuée pendant près de 200 ans. Il ne s’agit pas d’en faire une étude historique, au risque de tomber dans des anachronismes, mais de repérer les mécanismes que nous pourrions nous réapproprier aujourd’hui. Aristote relie logiquement élection à oligarchie et tirage au sort à démocratie. « Il est démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort, et oligarchique qu'elles soient électives » Pourquoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Pour ce qui est de la pratique, tout le monde sait de quoi il retourne, rien de très original ni d’archaïque. Après tout, aux États-unis, en Grande-Bretagne et en France, les jurés sont tirés au sort dans la population. Aux États-unis, dans le cas d’ex-aequo à une élection, le vainqueur est désigné par tirage au sort. Mais entre élection et tirage au sort, il y a en politique une différence de logique.

    L’élection repose l’appareillage compliqué et très inégalitaire d’un parti pour porter au sommet un élu ; le tirage au sort parmi les citoyens supprime toute la lourdeur et les coût des procédures de l’élection et repose une base très égalitaire. Favoriser l’élection, c’est donner toute latitude à la formation d’une oligarchie et à des affrontements de partis, au final creuser un fossé entre le citoyen et le pouvoir. Privilégier le tirage au sort revient à favoriser l’autonomie du pouvoir politique par rapport aux groupes de pressions qui porte les élus. Quand on lit la Guerre du Péloponnèse de Thucydide, on voit que la Grèce était confrontée à des tensions très vives entre oligarques et démocrates. Il semble que c’est en raison d’une méfiance devant la menace de tyrannies possibles, que les Athéniens se sont tournés vers des systèmes de tirage au sort des citoyens pour constituer les assemblées. Empruntons à Wikipedia une phrase qui est tellement dans l’alignement du cours que nous aurions pu l’écrire : « Le tirage au sort permettait d'écarter les minorités puissantes (les oligarques, les aristocrates) et les quelques individus à l'ego trop marqué (les tyrans, les aisymnètes, les monarques, toute personne soupçonnée d'une aspiration à la dictature ou au pouvoir personnel) ». Il permettait surtout, comme nous allons le voir, de tenir à l’écart les puissances de l’argent.

    Concrètement, on demandait à chacune des tribus de fournir 50 bouleutes ; ils étaient volontaires, devaient avoir au moins 30 ans, ils étaient donc tirés au sort, mais devaient cependant subir un examen moral pour apprécier leur aptitude : la docimasie. Ils étaient en fait très surveillés. Donc pas d’arbitraire pur et de possibilité de faire n’importe quoi. La charge était assez lourde et plutôt mal rémunéré. Les bouleutes avaient surtout pour mission la proposition et la préparation des lois soumise ensuite à l’Ecclésia. L’Assemblée plénière (jusqu’à  6000 personnes) écoutait et ensuite marquait son accord ou son désaccord. Dans la pratique, il devait y avoir une rotation rapide des charges, reddition des comptes, impossibilité d’exercer plusieurs fois la même fonction. D’où l’importance des mandats courts, non renouvelables et cela saute aux yeux, le seul moyen efficace pour désigner les acteurs politiques en opérant un rotation constante, c’est le tirage au sort. Ce qui élimine le danger que représente l’immobilisme dans le personnel politique. Donc, il faut rejeter  l’idée anti-démocratique d’un corps de politiciens professionnel. Ce serait une incohérence majeure. Comme dit Rousseau, ce serait irrationnel.

    Le tirage au sort permettait de garantir une chose que nous avons beaucoup de mal à comprendre aujourd’hui, l’amateurisme du citoyen. Nous vivons dans un monde éclaté dans une vision fragmentaire du savoir et préformaté par la technique, et du coup,  nous a habitués à penser dans, tous les domaines mécaniquement « spécialiste » et « expert ». Or, et il faut le marteler, la chose publique, la res publica, c’est le bien commun, et tout citoyen est à même de discerner le bien commun, pour peu qu’il s’attelle à l’étude d’un problème qui s’y rattache. Il ne peut pas y avoir d’experts en politique car la politique est l’affaire de tous. Chacun peut s’y engager, le plombier, l’instituteur, le paysan, le professeur de musique, le gendarme, la femme de ménage, l’ouvrier des chantiers, etc. peuvent être « députés » parce qu’ils sont citoyens à part entière. Et si nous étions en démocratie, cela se verrait dans le parlement qui ne serait pas bourré d’énarques. Les parlements sont outrageusement marqués par la dérive technocratique. C’est une insulte, explique Chouard, de traiter le citoyen d’incompétent et c’est une dérive inquiétante que de croire que l’on peut remettre les décisions du bien commun entre les mains des experts. L’expert est juste là remettre un rapport, il ne peut pas décider du bien commun à la place du peuple. C’est justement l’amateurisme du citoyen qui garantit qu’il ne va pas penser avec les oeillères d’un technicien, mais qu’il aura souci du bien commun. La démocratie grecque n’utilisait l’élection que dans un domaine où il fallait avoir recours à de compétence technique : un stratège parmi les généraux, un ingénieurs parmi les architectes, un comptable dans les rangs des financiers etc. Mais pour le bien commun le tirage au sort de citoyens portés volontaires est plus indiqué. Un bon exemple serait le cas du citoyen mis à l’étrier et qui serait chargé de l’examen d’une question, Chouard prend l’exemple des OGM : il écouterait tout le monde, les paysans comme les firmes pendant six mois avant de faire de rendre un avis devant l’assemblée. Nul doute qu’à ce rythme il aurait assez potassé la question pour faire des propositions tout à fait sensées. Les expériences de part le monde de démocratie directe sont très enthousiasmante à ce propos, c’est incroyable ce que de simples citoyens, des gens fondamentalement désintéressé sont capables de faire quand ils leur est permis de se consacrer au bien commun.

    Le pilier des institutions de la démocratie grecque était l’isegoria, le droit à la parole publique. Là citons Etienne Chouard : « Les Athéniens considéraient ce droit de parole comme une hygiène de base qui permettait à la démocratie de se protéger elle-même en faisant DE CHAQUE CITOYEN UNE SENTINELLE apte à dénoncer d’éventuelles dérives oligarchiques et à protéger la démocratie, un peu comme si des milliers de paires d'yeux surveillaient en permanence que tout se passe bien, un peu comme des globules blancs. Cette égalité de droit de parole est à la fois une conséquence et une condition de l'égalité politique. Cette égalité est indissociable de la démocratie ; les Athéniens y tenaient plus qu'à toute autre institution…C'est l'isègoria qui rendait possible des citoyens actifs et à l'inverse ce sont les citoyens actifs qui donnaient vie à l'isègoria. Les deux se tiennent, vont ensemble». Ce qui implique que l’éducation démocratique devrait préparer chaque citoyen à un engagement politique et lui apprendre à parler en public. Nous ne nous ne rendons pas compte, mais sur ce plan, les grecs étaient très bons, ils étaient très formés à la parole publique.

    Maintenant, le point délicat et une surprise de taille. Le tirage au sort dans sa nature même donne au peuple sa voix, c'est-à-dire au 99% des gens qui sont pauvres par rapport au 1% des riches. Et c’était déjà le cas en Grèce ! L’effet du tirage au sort était de produire une situation où les riches ne pouvaient pas faire prévaloir leurs intérêts, ce que veut dire qu’il y avait une véritable « désynchronisation entre le pouvoir économique et le pouvoir politique ». « Ceux qui étaient riches étaient parfois privés de tout pouvoir politique puisqu'ils n'étaient même pas citoyens (on appelait « métèques » les étrangers, souvent riches et accueillis pour leurs richesses, pratiquant leurs affaires et vivant confortablement sans être trop gênés, apparemment, par leur impuissance politique », mais la plupart des citoyens étaient économiquement pauvres. Encore une citation (je retire les capitales) : « Autrement dit, et je trouve ça fondamental, pendant 200 ans d'expérience de tirage au sort, les riches n'ont jamais gouverné et les pauvres toujours au contraire, 200 ans d'expérience de l’élection ont permis aux riches de toujours gouverner, et aux pauvres jamais ».

    Ce qui fait réfléchir. C’est Castoriadis qui parlait de colonisation de notre imaginaire par le capitalisme, donc les banquier in fine, mais « le cœur nucléaire » de cette colonisation, pour Etienne Chouard, c’est l’élection. L’élection permet en effet au riche d’aider l’élu à être élu et elle le rend donc dépendant du système de l’argent, ce qui veut dire qu’il aura une dette envers ses sponsors, et une fois au pouvoir il devra aussi mendier auprès des banques pour assurer le train de vie de l’État, alors commence l’invasion progressive du cancer généralisé de l’asservissement par la dette.

    2) Le tirage au sort prend la démocratie au sérieux, au lieu de faire semblant de donner un pouvoir au peuple,  sans lui donner les moyens de l’exercer. Il invite l’engagement citoyen et l’initiative populaire, il fait participer le peuple sans discrimination. Et si nous voulons réellement l’égalité démocratique, alors nous devons reconnaître que seul le tirage au sort permet de l’obtenir, car il est à même de rendre possible un gouvernement qui soit une véritable représentation du peuple, sans qu’il y ait pour autant à craindre l’incompétence.

    Ce dont il convient de se méfier ce serait, selon Chouard, des conditions posées avant d’organiser le pouvoir. Et nous tombons alors sur un paradoxe : on aurait tendance à objecter aujourd’hui que le procédé du tirage au sort repose sur une candeur optimiste. Mais c’est exactement le contraire. C’est l’élection qui repose sur un optimisme naïf, « selon lequel un élu serait vertueux par le seul fait d'être élu et le resterait durablement grâce à la même élection (censée permettre aussi une sanction par non réélection), le peuple étant supposé apte à bien choisir ses maîtres ». Que nous puissions gober une telle extravagance est tout simplement sidérant, c’est un peu comme si nous avions une « absence » intellectuelle qui nous empêcherait de voir le contexte réel. Celui de l’argent qui rend évidemment complètement irréaliste une telle supposition. C’est un conte de fées qu’il ne vaut mieux pas raconter aux enfants. Que l’on puisse continuer à le rentrer dans le crâne des adultes, c’est vraiment prendre les citoyens pour des imbéciles. Le tirage au sort repose sur une méfiance à l’égard des conditions posées avant d’organiser le pouvoir. En fait, pas du tout de l’idéalisme béat,  les Athéniens étaient très pragmatiques. Ils redoutaient les puissances tyranniques et prenaient soin de mettre en place des contrôles sévères du pouvoir politique. Ils ont « bâti des institutions prenant acte de la réalité » qui permettaient notamment la mise en scène des conflits dans l’argumentation contradictoire permanente à l’occasion des débats publics. Enfin, point dont il faudrait se souvenir :  « en démocratie, ce ne sont pas les tirés au sort qui ont individuellement le pouvoir (on les appelait des « magistrats »), c'est l'Assemblée du peuple en corps qui exerce la plénitude du pouvoir politique.

    Une autre objection courante dira que le risque serait « de tirer au sort des incapables, des malhonnêtes, des abrutis, des salauds », mais, tout d’abord, ces athéniens « malgré cette peur, ils ont pratiqué le tirage au sort pendant 200 ans avec succès ». Comment ? En mettant en place des institutions complémentaires. Chouard en dénombre six :

    Le volontariat permet une forme d’autocensure de ceux qui ne se considéraient pas eux-mêmes capables, à quoi il serait bon d’ajouter : on invitera tout le monde, y compris ceux qui n’ont pas le moindre souci de gouverner, mais avec la possibilité de refuser. La docimasie permettait d’éliminer les bandits et les fous. L’ostracisme qui n’avaient pas de connotation péjorative à l’époque, devait permettre de mettre au ban temporairement un citoyen considéré comme effrayant, mais sans le tuer, le ruiner, ni le déshonorer. Pendant, le mandat, par le vote de l’assemblée, les tirés au sort étaient révocables. En fin de mandat, ils devaient rendre des comptes, ce qui était suivi de récompenses honorifiques ou de punitions éventuelles. Montesquieu a longuement expliqué que ce système permettait de filtrer efficacement les citoyens dans leur contribution au bien commun. Enfin, il existait même après mandat des procédures d’accusation publique pour le cas où un citoyen aurait induit en erreur l’assemblée en défendant un projet nuisible.

    Nous voyons donc qu’il serait très déplacé de taxer les Athéniens d’amateurisme dans l’usage de tirage au sort. Ils savaient très bien ce qu’ils faisaient. C’est peut être nous les amateurs dans un système bancal qui marche sur la tête et ne tient qu’avec l’opération du Saint Esprit !

    Ce qui n’empêche pas une autre objection : un tel système peut marcher dans une petite Cité de 30 000 citoyens, mais est inapplicable à un État de 40 millions d’électeurs. Nous avons effectivement déjà critiqué le gigantisme des États comme une posture intenable entre deux chaises. Personne ne doute, quand il en a fait l’expérience, que la démocratie n’a de sens que locale. Nous ne pouvons humainement gérer que ce qui est de taille humaine. Mais une communauté peut parfaitement être coordonnée avec d’autres dans des assemblées régionales. C’est ce qui était défendu par Proudhon. Et cela a un sens. Le plus drôle dans l’objection, c’est qu’elle peut être retournée. Car, à tout bien considéré, est-ce que ce n’est pas justement l’élection qui, par principe fonctionne à petite échelle ? Étant inscrite dans une forme de coterie, elle présuppose que les gouvernés connaissent tout à la fois les gouvernants et leurs actions (voir le modèle féodal dont parle Rousseau). Nous pourrions aussi bien soutenir que ce qui fait justement la force du tirage au sort, c’est qu’il serait bien mieux adapté à des États à grande échelle, car il enveloppe l’exigence de contrôle permanent à tous les niveaux de l’exercice du pouvoir politique.

    Nous n’allons pas détailler toutes les objections que l’on trouvera sur le site Plan C, il nous suffit de tirer la conclusion qu’effectivement il existe des raisons très solides à la fois de fait et sur le fond du système de mettre en cause la démocratie représentative. (texte) Il y a nécessité de casser la fausse logique qui nous fait croire que la démocratie c’est forcément l’élection, ce qui est très révolutionnaire, nous devons en convenir. Et bien non, démocratie=tirage au sort, tirage au sort=démocratie.

C. Le rôle majeur de la Constitution

Venons maintenant à ce qui forme la colonne vertébrale de tout l’édifice politique, la Constitution. Là encore, la démocratie athénienne fut la première à se doter des garde-fous d’une Constitution. Nous n’avons toutefois pas conscience de son importance. Juste sur sur le mode du divertissement : dans le cinéma américain, voler la Constitution américaine, c’est toucher à ce qu’il y a de plus précieux ! Plus sérieusement, quand Michael Moore s’en prend aux banksters dans Capitalism a love story, il va vérifier si, comme on le prétend, il existe vraiment dans la Constitution américaine des paragraphes qui consacreraient le capitalisme. La Constitution est le texte qui, placé au sommet du système juridique permet de garantir les droits fondamentaux des citoyens. C’est elle qui dit par exemple que tous les citoyens sont égaux devant la loi, qui pose le principe de l’équilibre des pouvoirs, qui fixe les compétences des différents organes de l’État. L'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 dit ceci : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». La Constitution a donc fondamentalement pour rôle de protéger les citoyens des abus de pouvoir. Mais en démocratie, qui est à même d’écrire la Constitution sinon le peuple ?  

1) Il est très intéressant sur cette question d’écouter l’historien Henri Guillemin raconter avec quelle roublardise Napoléon a réussi à imposer SA constitution au lieu de laisser à l’assemblée du peuple le soin de la rédiger ; et bien sûr, son objectif était de se donner les pleins pouvoirs. De premier Consul. Une longue expérience historique devrait tout de même avoir renforcé cette vérité qui relève du bon sens : ce n’est pas aux hommes de pouvoir d’écrire les règles qui doivent définir le pouvoir, mais aux citoyens qui ne sont pas intéressés par le pouvoir mais veulent s’appuyer sur un texte de référence qui leur permettra d’être protégé des abus.

Or quelle est notre situation à l’heure actuelle sous le régime de l’élection ? « Les élus ne sont pas révocables, ils n'ont pas de compte à rendre, on ne peut pas choisir nos candidats, on n'a pas de référendum d'initiative populaire, de notre initiative nous ne pouvons décider de rien ». D’où vient cette impuissance politique ? Elle n’est pas tombée du ciel, elle est programmée dans des institutions qui légitiment que les élus ne soient pas révocables ; qu’ils n’aient pas de compte à rendre - sauf avec cette misérable compensation que l’on offre au citoyens de pouvoir ne pas les réélire la prochaine fois, dans cinq ans - ; que nous ne disposons même pas comme les Suisses du référendum d’initiative populaire ; que nous ne pouvons décider de rien par nous-mêmes. L’impuissance politique est programmée dans la Constitution. Et si nous voulons que le peuple reprenne le pouvoir qu’il a trop facilement cédé au cours des siècles, il faut ensemble réécrire la Constitution.

« Qu'est-ce qui fait que partout dans le monde, toutes les Constitutions programment l'impuissance des peuples ? Ça ne peut pas être un complot, pas tout le temps et dans tous les pays, ce n'est pas ça, c'est autre chose. Un processus universel qui doit avoir une cause universelle. Il me semble que ce qui fait que toutes ces Constitutions sont mauvaises, c'est qu'elles programment l'impuissance des gens au lieu de programmer notre puissance, au lieu de nous garantir contre les abus de pouvoir. Je pense que c'est parce que ceux qui écrivent les Constitutions, les auteurs constituants, ont un intérêt personnel à ne pas écrire une bonne Constitution, à ne pas à écrire notre puissance. Ils sont juge et partie… Ce n'est pas de leur faute, ce ne sont pas des pourris, c'est nous qui les laissons écrire cette Constitution ».

Mais c’est une erreur, car c’est au peuple réuni en Assemblée Constituante, garantie par le tirage au sort, de faire ce travail d’écrire les règles du pouvoir. Pas aux professionnels. Nous avons vu précédemment que s’il est un adage vérifié tout au long de l’Histoire, c’est bien que celui qui a du pouvoir tend toujours à en abuser et l’idée géniale pour parer à cette dérive, c’est la Constitution. C’est la solution structurelle. Contrairement à ce qui est dit officiellement, son rôle n’est pas seulement d’organiser les pouvoirs (cela fait très fonctionnaire). « La Constitution sert à affaiblir les pouvoirs, à inquiéter les pouvoirs, pour nous protéger contre les abus de pouvoir ». Par conséquent, « Si les représentants doivent craindre la Constitution, il ne faut pas qu'ils l'écrivent eux-mêmes, sinon s'ils l'écrivent eux-mêmes, ils vont programmer leur puissance et notre impuissance. Un enfant comprend çaC’est à nous de leur imposer».

 Maintenant, pour y voir clair, il est important de remettre les idées en place. Toujours en regardant ce qui est. Sommes-nous présentement citoyens ? Un citoyen est par définition autonome et il vote les lois. Mais à quand remonte la dernière fois où nous avons voté une loi ? Il n’y en a pas. Nous ne sommes pas citoyen, nous sommes électeurs. Comme électeurs, nous sommes en situation d’hétéronomie, sous le dictat d’une loi que nous n’avons pas écrite nous-mêmes. Pour dire les choses exactement telles qu’elles sont : nous avons le droit, mettons tous les cinq ans dans les élections, « de désigner des « maîtres politiques » qui vont tout décider à notre place pendant cinq ans ». Et attention, ils nous sont imposés, nous ne les avons pas choisi parmi ceux que nous trouverions autour de nous sérieux, honnêtes, intègres et que nous aimerions bien voir aux commandes. Mais alors qui les choisit ? Les partis. Mais en amont, il y a le financement des campagnes. Une élection c’est une collecte d’argent monstrueuse. Il a été démontré que celui qui monopolisait les medias était toujours celui qui devait l’emporter. Et il faut des moyens pour cela. Au point où nous en sommes, ce sont les puissances de l’argent qui tire les ficelles. Qui achètent un camp comme l’autre et placent leurs pions dans toutes les éventualités. Il y a le moment fébrile de l’élection et puis, une fois le tour joué, nous ne pouvons plus rien faire. Ou attendre cinq ans pour changer… et reprendre celui que l’on a viré cinq ans auparavant. Assez pitoyable. (texte) C’est vrai que nous disposons d’une liberté d’expression, mais qui ne confère pas réellement de la force contraignante que pourrait lui donner une Constitution bien écrite. Donc écrite par le Peuple et pour le Peuple. Nous n’avons droit qu’à quelques révoltes sporadiques. Qui donnent tout de même des résultats : les Islandais sont descendus dans la rue pour virer leur gouvernement. Les Égyptiens ont obtenu la révocation de leur président. Nous avons une liberté d’expression mais qui ne vaut que tant qu’on en reste à des paroles, dès que nous passons aux actes, cela devient très dangereux. Du coup, l‘entente tacite qui règne,  c’est : « la démocratie c’est cause toujours » (la dictature c’est ferme ta gueule ! ». C’est déjà quelque chose de pouvoir s’exprimer, mais s’il n’en sort aucune vérité et aucun acte, alors on en dans le blabla continuel.  Comme l’a très bien vu Castoriadis, cette situation de frustration collective génère le cynisme, la dérision, le nihilisme qui transforme l’impuissance en destruction quand il est actif, et quand il est passif, produit la bof generation, ou encore pire, la lol generation,  d’une jeunesse complètement désabusée qui couine devant des images en se regardant le nombril, dans une totale indifférence vis-à-vis de ce qui est autour d’elle. Et dans cette déliquescence générale, nous continuons à parler de démocratie ! Non. Il faut faire la grève des mots pour arrêter de se mentir. « Nous participons à notre impuissance politique en acceptant d'appeler démocratie ce qui est la négation même de nos droits ». Souvenons-nous de 1984 d’Orwell : pour jeter l’esprit dans la confusion mentale, faites dire aux mots exactement le contraire de ce qu’ils signifient. Avec le service des medias et celui d’une éducation ne comportant pas la moindre once de critique, vous produirez des esprits confus.

2) Force est de reconnaître que, dans les limites d’une réforme structurelle, la réappropriation par les citoyens de la démocratie dans l’écriture d’une nouvelle Constitution est une approche radicale. En effet, la rengaine que nous entendons depuis des lustres sur les représentants du pouvoir politique c’est : « que voulez-vous, ils ne peuvent rien faire ». Oui, ils n’ont pas les coudées franches,  parce qu’ils sont par avance ligotés dans le système de la représentation. Compromis avec le monde de l’argent, alors que c’est seulement quand sont désynchronisés pouvoir politique et pouvoir financier qu’il peut y avoir une efficacité politique. Il faudrait commencer par réunir une Assemblée Constituante qui inscrirait dans la Constitution le principe du tirage au sort, ce qui affranchirait les politiques de la dépendance à l’égard des financiers.

Prenons un exemple : Pourquoi alors les États européens ne se passent-il pas des marchés pour emprunter ? Autrefois, ils se finançaient auprès de leur propre Banque Centrale, sans charge d'intérêt, et ils créaient de la monnaie en se passant des marchés financiers. A l’heure actuelle, tous pays occidentaux sont  passés du financement auprès de leur Banque Centrale au financement auprès des marchés financiers. Le résultat, c’est que les dirigeants ont au fil des ans produit des budgets déficitaires et la dette des États s'est creusée jusqu'à en arriver à un niveau impossible à rembourser. Tout ceci peut être suivi à la trace dans l’Histoire, et n’a été possible que parce que ceux qui sont élus sont aussi ceux qui ont le plus de moyens financiers et qu’ils dépendent des milieux économiques. Ils sont par avance très mal placés pour prendre des décisions qui iraient à l’encontre de leurs appuis financiers. Ainsi peut se perpétuer inchangé un système absurde et nocif qui n’est jamais remis en cause. Comment un dirigeant élu pourrait-il avoir l’audace par exemple de décider une remise de dette ? Le courage politique est-il possible quand on pense déjà à sa réélection future ? Quand il faut flatter un électorat ? Et nous pourrions recommencer la même analyse dans d’autres domaines. Le seul moyen efficace pour nous protéger des dérives et des dysfonctionnements du système politique est la Constitution, parce que c’est le texte qui est par excellence conçu pour encadrer toutes les lois et qui peut contraindre les élus. Et il ne faut pas que ceux qui vont la rédiger soient des élus, car, sauf le cas d’un admirable désintéressement à la Gandhi, ils n’ont pas intérêt à écrire un texte qui va les contraindre ! Quand à attendre d’eux une divine vertu qui leur tomberait du ciel le soir des élections, c’est rêver les yeux ouverts. Ce que montre Chouard, c’est que les Athéniens avaient résolu la difficulté en mettant en place des systèmes instaurant de véritables contraintes.

Une fois que nous avons compris la portée de ces critiques, non seulement la solution s’impose d’elle-même, mais elle permet de libérer l’examen critique du système actuel. Bref, nous ôtons le voile que nous avons sur les yeux dans ces croyances inculquées à tour de bras sur la validité indiscutable de la démocratie représentative. En vrac, nous allons nous rendre compte de toutes sortes de choses que nous ne pouvions pas bien déceler auparavant : 1) Que  la Souveraineté du peuple a l’heure actuelle est juste une parole en l’air, la logique du bipartisme, les ambitions personnels, les querelles d’influences amplifiées par les medias, le lobbying frénétique, la corruption généralisée, nous montrent à l’évidence qu’il n’existe pas de souveraineté populaire. Sauf quand les gens en ont marre et qu’éclate une Révolution. 2) Quand un parti au pouvoir prétend représenter l’ensemble de la nation, il ne fait en réalité que représenter l’électorat qui l’a élu en choisissant un programme. Où est le commencement de débat à partir duquel pourrait émaner une volonté générale ? 3) Le Parlement n’est plus qu’une chambre d’enregistrement ou un espace de justification. L’opposition est là pour faire du bruit, se monter le col dans des querelles de personnes, et non un lieu où on parle pour faire émerger la volonté générale. 4) La représentation parlementaire est tout au plus un leurre symbolique, utile pour la pédagogie et la démagogie. Une histoire que l’on se raconte dans une langue de bois officielle reprise en cœur par les media mainstream. Pas la vérité.

Donc, en matière de « cause des causes », si on s’en tient à la problématique politique, effectivement la révision de la Constitution touche aux racines. Le fondement de l’État et l’ultime référence du droit. Le mérite de Chouard est de porter le fer plus profondément que le ferait une alternative idéologique. Les idéologies politiques sont horizontales, ce sont des courants d’opinions de surface. L’alternance droite/gauche est un mouvement de surface dans la dualité. Qu’un Peuple décide de reprendre le pouvoir qui a toujours été le sien, sa Souveraineté comme disait Rousseau, exige une prise de conscience bien plus fondamentale que les luttes idéologiques. Le citoyen est d’abord le membre d’une communauté politique, pas l’adhérant d’un parti et s’il décide dans un vaste mouvement d’opérer cette reprise en main rien ne pourra lui résister.

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Notre titre est donc au final à revoir, effectivement « démocratie directe » est un pléonasme. Au fait, qui a inventé ce truc, la « démocratie participative » ? C’est une blague ? Si c’est pour dire que les gentils citoyens peuvent à côté des « professionnels » de la politique jouer à la démocratie, non merci. C’est même très dangereux de laisser traîner dans l’opinion une croyance pareille. Éliminons « participative » et « directe », gardons démocratie qui contient déjà par essence les deux éléments. Et ce n’est pas pour des professionnels, c’est pour vous et moi, pour le peuple, pour des gens qui ne veulent pas spécialement le pouvoir, mais qui ont envie de travailler ensemble. Cela veut dire quoi « démocratie » si ce n’est pas direct et participatif ? Ah oui ! Oui, nous l’avons compris ! C’est la « démocratie représentative » ! Ce dont nous ne voulons plus, nous qui voulons inventer autre chose, mais que les grecs connaissaient plutôt bien. Nous voulons réinventer la démocratie.

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Questions:

1. Réhabiliter le tirage au sort en politique, est-ce s'en remettre à l'arbitraire?

2. Avons-nous raison de penser que la politique est une affaire de techniciens et de professionnels?

3. Devons-nous préférer le bipartisme, le multipartisme ou par de partis du tout?

4. Y a-t-il moyen de rendre la procédure de l'élection plus démocratique ou est-ce une illusion de le croire?

5. La démocratie directe est-elle faite pour des dieux ou faites pour des hommes?

6. Pourquoi la Constitution d'un État est-elle si importante?

7. Le discrédit actuel de la politique peut-il être porté au compte d'un manque de courage des dirigeants ou un vis de forme du système dans lequel nous vivons?

 

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  © Philosophie et spiritualité, 2013, Serge Carfantan,
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