Le mot
autorité est dérivé du latin augere qui veut
dire augmenter, il a donné auctoritas qui indique (texte) que celui qui la
possède ou l’a reçue a une qualité qui l’augmente en tant que personne. A titre
d'exemple, nous
pourrions penser au fils du roi, (texte) le dauphin qui a, de par sa naissance
illustre, déjà autorité sur les hommes, l'autorité que lui confère la
tradition. Mais, suivant Max
Weber, nous pourrions aussi penser à l’homme politique dont le charisme
en impose. Pour les anciens, le guerrier auréolé de ses conquêtes a par
ses actes prouvé sa capacité à gouverner; il possède l'autorité nécessaire. Enfin, dans un
État tel que le nôtre, la légalité
donne une
autorité reconnue, par exemple à l’issue d’une élection. On reconnaît
ici les facteurs de légitimation du pouvoir selon Max
Weber.
L’implication en est que le pouvoir doit être distingué de l’autorité qui lui donne en quelque sorte le droit de l’exercer. Nous voyons dans les institutions politiques se former toutes sortes de commissions consultatives qui font autorité dans le domaine qui leur est propre, mais ne disposent d’aucun pouvoir. Inversement, il est aussi possible qu’un pouvoir s’exerce seulement par la contrainte, dans un rapport de force, tout en ayant perdu son autorité légitime (R).
Contrairement à ce que l’opinion admet trop souvent, un rapport de force n’instaure aucune autorité chez celui qui l’exerce. Nous pourrions presque dire que le plus souvent, l’homme de pouvoir fait usage de la force quand il a perdu son autorité véritable ; l’homme de valeur et connaissance lui, inspire le respect mais n’impose pas une obéissance, il a, dit-on, une autorité naturelle. Ce n’est pas en terrorisant ses subalternes que le chef gagne une autorité, en l’espèce il exerce un autoritarisme et c’est tout. Ce qui est en réalité faible. Problème : Peut-il y avoir un exercice de l’autorité sans contrainte ? Est-ce à dire que l'homme d'autorité est seulement plus persuasif qu'un autre? Après tout, s'il n'y a que persuasion, c'est une manière d’emballer autrement une forme de contrainte !
* *
*
Si l’autorité correspond au droit de pouvoir commander et d'être obéi, encore faut-il qu’elle le soit en vérité, de sorte qu’elle ne dérive pas vers une forme quelconque de manipulation. La différence entre l’une et l’autre est considérable et souvent mal comprise. La vérité est impersonnelle. Dans une conscience claire de ce qui est juste et vrai, peut importe finalement celui qui commande. Si la communauté est éclairée, elle valorisera les compétences de chacun. Pas de hiérarchie contraignante, chacun sera à sa place dans un projet commun. Mais à partir du moment où se manifeste l’imposition personnelle d’un point de vue au service d’un intérêt très limité, il y a instauration d’un pouvoir régi par le seul souci de mener chacun là où on veut qu’il aille.
1) Apparaît alors une relation dominant/dominé et l’autorité change radicalement de nature.
- La logique
du dominant est d’organiser son domaine, d’imposer son ordre, d’asservir
celui qui s’y trouve et sa plus grande satisfaction est de voir sa puissance
reconnue, enviée et admirée. La volonté de puissance ne pense qu’en termes
d’objectifs, de rendement, d’efficacité et de résultats. On voit donc le sens
très spécial du mot « augmenté » de l’auctoritas dans ce contexte.
L’augmentation personnelle n’est alors plus rien d’autre que l’inflation de
l’ego dans sa maîtrise du
monde et la domination d’autrui. C’est un constat
de fait et une erreur de fond, mais l’autorité est la plupart du temps confondue
avec l’exercice d’un ego
surdimensionné. Jusque dans le dessin de caricature d’ailleurs, quand
l’artiste représente une « autorité », il y met la pose dominatrice, la hauteur
et un peu… d’embonpoint ! Curieusement, le prêtre qui harangue les fidèles
depuis sa chaire, le savant qui donne une conférence à l’institut, le
bourgeois qui moralise, le colonel qui
remonte le moral de ses troupes, se ressemblent. Tous ont une certaine
« autorité ». Le fait est que d'ordinaire on n’imagine pas
l’autorité
sans une puissante organisation, sans l’inclination
dévote et révérencieuse d’un groupement humain par avance soumis. Où serait la jouissance de l’autorité si elle ne
régnait sur rien ? Si elle ne s’imposait pas au plus grand nombre ? Si elle ne
pouvait pas nourrir le souci de l’importance personnelle ?
- Plus subtile, toute aussi destructrice, la logique du dominé qui marche dans ses traces. Elle consiste pour lui à profiter de l’aura de l’autorité, à jouer avec les faveurs des puissants, à chercher auprès d’eux une justification, un appui et un abri, tout en admettant par avance qu’il ne saurait contester l’autorité elle-même et ses sublimes décisions. Dans le processus des désirs de l’ego, quand le dominé se soumet et envie le dominant, il fantasme aussi la domination. Ce qui nourrit en retour l’idée qu’il se fait de lui-même. C’est pour cette raison qu’il y a toujours eu autour du pouvoir de la parade, des grandes pompes et un cérémonial. L’imagination (texte) se nourrit de tout ce qui fait briller l’autorité et donc psychologiquement renforce le sentiment d’une augmentation personnelle. Pascal appelle cela les "grandeurs d'établissement". (texte)
Ne pas oublier ce qui a été vu dans les leçons précédentes. Sous la forme d’une augmentation personnelle de l’ego, l’autorité est de part en part fictive et c’est au moyen de la fiction qu’elle se renforce et se réassure. Pourtant, quand bien même cette fiction serait de l’illusion, elle demeure redoutablement efficace pour tous ceux qui fonctionnent dans son système, dans sa matrice représentative (texte), et lui demeurent soumis.
2) Venons
maintenant à une situation limite très révélatrice de ce que représente la
soumission à l’autorité, l’expérience de Stanley
Milgram à l’Université de Yales.
600 sujets
avaient été recrutés par annonce dans un petit journal de New Haven.
La procédure consistait à leur faire croire qu’ils participaient à des
tests sur la mémoire, tests
assortis de punition en cas d’échec. Au début le candidat tire « au hasard » (!)
le rôle qu’il va tenir, soit comme questionneur, soit comme questionné. Le
tirage au sort est truqué, le sujet sera toujours questionneur. Il doit faire
apprendre au questionné des paires de mots du genre chapeau-ballon. La consigne
est très simple, si l’élève donne une mauvaise réponse, il lui administre une
décharge électrique allant de 15 à 450 volts. Il est clairement indiqué au
voltage le plus élevé « danger ». Un acteur va jouer l’élève et il simulera les
chocs électriques. Un expérimentateur se tient au côté du questionneur, il
incarne la position d’autorité du
scientifique. Son langage a été volontairement bridé, il n’a le droit que de
dire des phrases courtes du genre : « il faut continuer », « vous
devez
continuer », « l’expérience veut que vous poursuiviez ».
Auparavant
Milgram avait pris soin de mener sa propre enquête auprès de psychiatres,
d’étudiants diplômés, de professeurs. Tous étaient unanimes pour dire que la
majorité des sujets allaient se rebeller contre l’autorité et refuseraient
d’administrer les chocs électriques, seuls 1 à 2 % assouviraient leur pulsions
agressives. Quelques désaxés mentaux donc.
Les
résultats ont été beaucoup plus inquiétants. Dans le premier cas de figure, la
victime n’est pas dans la même pièce, le compère à l’enregistrement tape sur la
cloison pour protester et ne donne plus de réponse à partir de 350 volts.
Résultat : 65 % des individus vont jusqu’à 450 volts. Dans un second cas de
figure, les cris de douleur sont clairement entendus à travers la cloison, 62%
vont jusqu’à 370 volts. Dans un troisième cas la victime est dans la même pièce
que le sujet, tout est vu et entendu donc, 40% des individus vont tout de même
jusqu’à 310
volts. Enfin, dans un quatrième cas de figure, il y a contact
physique entre la victime et le sujet qui doit le contraindre par la force à
poser ses mains sur une plaque délivrant une secousse électrique. Et on a encore
30% d’individus qui vont pousser le courant à 265 volts. L’expérience a été
reproduite maintes fois, et même reproduite sous la forme de jeux télévisés. Les
résultats sont à chaque fois quasiment identiques et toujours consternants.
Nous sommes donc très loin des 1 à 2% attendus pour une réponse qui seraient disons, sensée, civilisée ou raisonnable. Or il est indubitable que le poids de l’autorité symbolisée par le sérieux de l’expérimentation, les blouses blanches, les locaux de l’Université de Yales, l’appareillage scientifique etc. joue à fond. A partir du moment où l’individu s’identifie à un rôle comme élément d’un système d’autorité, il semble perdre l’évaluation autonome de ses actes. Il ne se considère plus que comme un agent exécutif des volontés de l’autorité. Il se décharge progressivement de sa responsabilité en l’attribuant à l’autorité. Ce qui, hors contexte, serait vu comme un acte de torture n’est plus du tout perçu comme tel, mais comme une « expérimentation scientifique » sérieuse ! Le prestige d’autorité de la science enveloppe, voile et recouvre l’ensemble du processus, et sous influence, l’individu ne se voit plus que comme un rouage du système. C’est la machine qui veut à sa place, c’est l’organisation qui pense et commande ses actes. En présence d’une autorité reconnue, subjugué, l’individu abandonne son autonomie consciente et se place en situation d’hétéronomie. D’ailleurs, on dit dans le langage courant, « se placer sous l’autorité de », on dit « autorité de tutelle », comme si l’autorité constituait par avance une protection contre les événements fâcheux, comme si elle devait se substituer à la droiture intérieure du sujet.
C’est plus qu’un comportement grégaire. Il faut donc se montrer très méfiant dans toute situation où le sujet est incité en quelque sorte à traduire en acte l’argument d’autorité. Se démettre de toute auto-référence consciente est très risqué ; le sujet franchit des limites qu’il serait pourtant capable de reconnaître en dehors de la relation d’autorité. Trois éléments importants se conjuguent : une matrice idéologique, une organisation, une obéissance assortie de récompenses et de punitions.
Le schéma fonctionne très bien. Prenez une forme d'intégrisme, ajoutez y l’empire grandissant d'une église, vous aurez, avec un système de récompenses et de punitions sophistiqué, quelque chose qui devrait ressembler à un régime mené par la peur. Prenez le productivisme, ajoutez « l’Organisation Scientifique du Travail » dans l’Usine, cela vous donne l’esclavage ouvrier de l’ère industrielle. Prenez le scientisme réductionniste en biologie, ajoutez-y l’armada de l’organisation des laboratoires, et vous obtiendrez, avec le zèle de laborantins sans scrupules, toutes sortes de manipulations génétiques on ne peut plus bizarres. Prenez le consumérisme ambiant, ajoutez-y le système du capitalisme avec ses petites flatteries et ses frustrations, et vous aurez les stratégies du marketing. Prenez le nazisme, ajoutez le Parti et enfin la discipline et cela vous donne la dernière guerre mondiale... etc. La liste est ouverte à l’infini.
A partir du moment où une matrice idéologique est imposée à un ensemble d’êtres humains, et où existe une organisation bien rodée pour entretenir un dévouement sans faille à l’autorité, il y a système de conditionnement. Non pas qu’il faille ici raisonner en stimulus/réponse, de manière purement mécanique comme on le ferait avec l’animal. Non. L’être humain ne peut être manipulé qu’en agissant sur le plan de son mental discursif. Il faut instaurer la croyance selon laquelle il est nécessaire de faire ceci ou cela. Disons plutôt que dans la soumission à l’autorité, l’obéissance passive est obtenue par une abolition du discernement. Manière de lobotomiser toute forme d’auto-référence consciente. Le bourreau qui allume le bûcher pour brûler les hérétiques croit bien faire et obéit à l’autorité. Le technicien qui impose des cadences infernales obéit aux ordres, se soumet à son autorité ; comme le laborantin qui se sent dédouané de ce qu’il fait de la même manière. Et si les méthodes du marketing s’apparentent souvent à de l’escroquerie organisée, celui qui les exerce ne peut pas s’en rendre compte. Il fait comme tous les autres, il se soumet au système et il lui obéit aveuglément. Psychologiquement parlant, ce n’est finalement pas très différent de l’attitude de l’homme de main au service d’un régime totalitaire, qui croit lui aussi bien faire, parce qu’on lui a demandé de le faire en lui donnant toutes les bonnes justifications.
Qu’une pareille situation puisse se produire nous permet de comprendre pourquoi un auteur comme Thoreau légitime dans le champ politique la désobéissance civile. Mais il faut d’évidence aller plus loin. L’obéissance à l’autorité n’a de validité que lorsqu’elle est pleinement consciente, sensée, légitime, et non pas lorsqu’elle est aveugle, passive et inconsciente.
Arrêtons-nous un moment sur les « grandeurs d’établissement » dont parle Pascal, dans ses trois Discours sur la Condition des Grands. (texte) (texte) (texte) Les « Grands » désignent les hommes de pouvoir, tout particulièrement l’aristocratie, dans sa relation au menu peuple à qui elle demande l’obéissance. Pascal interpelle la noblesse pour lui signifier que l’autorité dont elle jouit sur le peuple, si elle ne tient qu’à la naissance, repose seulement sur une coutume. Est-ce à dire que l’autorité d’institution repose sur une illusion partagée ?
1) Nous
avons vu que si la possession dépend d’un acte
physique, la propriété, elle, dépend d’une
institution en
droit. Si la Terre
originelle n’appartient à personne, le fait est que son appropriation et sa
transmission ne sont justifiées que par l’établissement des institutions
humaines. En créant des institutions, l’homme a produit un ordre et une
hiérarchie qui ne sont pas de nature et qui peuvent s’en éloigner. Avec le
passage du temps, l’habitude et la coutume,
l’autorité instituée finit par passer pour chose « naturelle ». Ce qui n’est
pourtant pas le cas.
Cet élément de fiction entretenue Pascal le désigne par le terme hasard. Ce n’est que par lui « que vous possédez les richesses dont vous vous trouvez maître, que celui par lequel cet homme se trouvait roi. Vous n'y avez aucun droit de vous-même et par votre nature, non plus que lui: et non seulement vous ne vous trouvez fils d'un duc, mais vous ne vous trouvez au monde, que par une infinité de hasards. Votre naissance dépend d'un mariage, ou plutôt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais d'où ces mariages dépendent- ils? D'une visite faite par rencontre, d'un discours en l'air, de mille occasions imprévues ». (texte)
------------------------------Il nous faut
comprendre que la posture qui nous porte à jouer de
l’autorité à partir d’un rôle social, dans la pose
d’un personnage, est de part en part
fictive. Elle n’a d’ascendant et d’exercice
que dans l’imagination par laquelle, celui qui s’impose se prend pour une
autorité, et par laquelle celui qui idolâtre l’autorité succombe à la même
fiction. Pascal écrit : « tout le titre par lequel vous possédez votre bien
n'est pas un titre de nature, mais d'un établissement humain. Un autre tour
d'imagination dans ceux qui ont fait les lois vous aurait rendu pauvre; et ce
n'est que cette rencontre du hasard qui vous a fait naître, avec la fantaisie
des lois favorables à votre égard, qui vous met en possession de tous ces
biens ». Les manières obséquieuses vis-à-vis de l’homme de pouvoir, l’admiration
dévote pour le grand savant du petit étudiant, le regard halluciné des groupies
devant la pop star, le zèle excessif des
supporters devant les dieux du stade, tout cela participe d’une relation à
l’image et d’une relation imaginaire. Que celle-ci ait été instituée par la
légalité politique, l’argent, le show business ou le sport importe assez peu.
Du moment que la grandeur est un concept
établi dans la conscience commune, tous
le révèrent au point de le croire réel. Le
mental humain est très doué pour
créer ce genre d’illusions. Et
nous savons bien qu’une illusion devenue
collective en sort renforcée.
Mais si on déchire le voile de l’illusion, si on met de côté
l’image, qu’y a-t-il ? Seulement des êtres humains, doués naturellement, comme
il se doit, de capacités de l’esprit, du
corps et de l’âme.
C’est tout. Pascal nous demande de revenir dans la réalité : « Votre âme et
votre corps sont d'eux-mêmes indifférents à l'état de batelier ou à celui de
duc, et il n'y a nul lien naturel qui les attache à une condition plutôt qu'à
une autre ». Nous sommes nés nus pleurnichant dans une couche et nous mourrons
seuls, nus, avec notre angoisse. Entre les deux, nous aurons peut être quelques
beaux atours, de l’argent
et de la célébrité, mais qui ne sont rien en
vérité du point de vue
de l’âme. Il importe
de ne pas oublier notre condition d’homme qui nous rend
égal à tous les autres hommes, surtout quand nous occupons un poste qui nous met
en position d’autorité. « Si vous agissez extérieurement avec les hommes
selon votre rang, vous devez reconnaître, par une pensée plus cachée mais plus
véritable, que vous n'avez rien naturellement au- dessus d'eux. Si la pensée
publique vous élève au-dessus du commun des hommes, que l'autre vous abaisse
et vous tienne dans une parfaite égalité avec tous les hommes; car c'est votre
état naturel ».
Ce serait humilité. Mais l’inflation du moi est si forte chez l’homme qui prend la pose de l’autorité, qu’elle lui enlève toute simplicité et lui retire l’humilité. Aussi a-t-il tendance à nourrir sans cesse l’illusion en direction de ceux qui lui obéissent. « Le peuple qui vous admire ne connaît pas peut-être ce secret. Il croit que la noblesse est une grandeur réelle et il considère presque les grands comme étant d'une autre nature que les autres ». Il vénère des dieux là où il n’y a que des êtres humains. Pascal est finalement assez conciliant : « Ne leur découvrez pas cette erreur, si vous voulez; mais n'abusez pas de cette élévation avec insolence, et surtout ne vous méconnaissez pas vous-même en croyant que votre être a quelque chose de plus élevé que celui des autres ».
Malheureusement, rares sont les hommes d’autorité qui ont assez d’esprit de finesse pour le comprendre. La plupart se laissent eux-mêmes abuser par les discours qu’ils tiennent en direction du peuple. Ils finissent par y croire ! Mais cette ignorance de soi est grave de conséquences, en effet : « tous les emportements, toute la violence et toute la vanité des grands vient de ce qu'ils ne connaissent point ce qu'ils sont: étant difficile que ceux qui se regarderaient intérieurement comme égaux à tous les hommes, et qui seraient bien persuadés qu'ils n'ont rien en eux qui mérite ces petits avantages que Dieu leur a donnés au-dessus des autres, les traitassent avec insolence ». (texte) Le remède ? « Il faut s’oublier soi-même ». « Croire qu'on a quelque excellence réelle au-dessus » des autres est ce « en quoi consiste cette illusion ».
2) Attention cependant à de ne pas tomber dans l’excès, il existe bel et bien une grandeur naturelle des qualités et des talents qui ne doit pas être niée et mérite d’être appréciée. « Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans des qualités réelles et effectives de l'âme ou du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la santé, la force ». (texte) La position d’autorité, parce qu’elle a été instituée et reconnue, demande le respect formel, respect qui se traduit par des règles, celle de la politesse, des usages, des cérémonies. A la différence, la reconnaissance des qualités naturelles implique l’estime. « Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs; mais comme elles sont d'une nature différente, nous leur devons aussi différents respects.
Il n'est pas
nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime; mais il est nécessaire
que je vous salue. Si vous êtes duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois
à l'une et à l'autre de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies
que mérite votre qualité de duc, ni l'estime que mérite celle d'honnête
homme». A ce titre, tout homme mérite d’être estimé en tant qu’homme et estimé
pour son travail. Il est tout naturel d’honorer un musicien pour la
beauté de son œuvre, pour la qualité de son jeu, d’honorer un poète pour la
beauté de ses créations, un chercheur pour ses découvertes, pour la clarté de sa
pédagogie, ses contributions, un médecin pour son inlassable dévouement etc.
Dans un monde qui serait moins empêtré dans l’illusion, nous saurions reconnaître
l’autorité réelle à
partir de là. Non pas qu’il s’agisse de flatter un ego ou de
fortifier une grandeur d’établissement, mais d’honorer la contribution d’un
homme à sa communauté ou à l’humanité tout entière.
Remarquons l’étrange renversement qui se produit sous l’empire de l’illusion (texte) : les hommes en viennent à « sur-estimer » ce qui relève de la position de l’autorité et à n’avoir que peu de « respect » pour les qualités naturelles, ou les qualités humaines ! C’est un comble, mais le manque de discernement amène les hommes à exiger l’admiration pour offrir le respect ! Quelle prévenance, quels soins autour de la célébrité ! Quel lustre, quel empressement autour de la position hiérarchique ! Pourtant, ce n’est qu’une grandeur instituée, dont l’établissement peut être très fictif. Dans cette envoûtement des grandeurs d’établissement, comment, pourrions-nous avoir ne serait-ce qu’un peu d’estime pour l’homme ordinaire ? Aujourd’hui, la croyance inconsciente est : « Passez à la télé, soyez quelqu’un d’important et je pourrai avoir du respect pour vous, sinon, vous n’êtes rien » ! Ce genre de croyance implicite dans la conscience collective engendre le mépris, l’exclusion, la surestimation de soi et la vanité. Ce qui est stupéfiant dans le texte de Pascal, c’est qu’il a très bien vu que la forme la plus commune de l’autorité reposait sur l’empire de l’illusion et non sur le rapport de force qui peut éventuellement s’y ajouter. « Ce n'est point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prétendez donc point les dominer par la force, ni les traiter avec dureté. Contentez leurs justes désirs, soulagez leurs nécessités; mettez votre plaisir à être bienfaisant; avancez-les autant que vous le pourrez ». (texte) Nous pourrions résumer en quelques mots : N’abusez pas de votre position d’autorité ! Souvenez-vous du conte d’Andersen : « le Roi est nu ! » Le voile de l’illusion peut à tout moment se déchirer. En définitive, ce qui compte, ce sont les bienfaits que vous pourrez apporter, ou le service que vous pouvez rendre. Tout le reste est futile et de peu de valeur.
Dans son essence l’autorité réelle n’est fondée, ni sur une puissance de contrainte, ni sur une forme de persuasion; si le mot n’était pas restreint par l’usage techniciste, nous dirions qu’elle est fondée sur la compétence. On dit parfois que le rapport entre le maître et l’élève est analogue à celui entre gouvernant et gouverné. Fausse analogie. L’autorité d'un professeur repose sur ses compétences et elle enveloppe ses qualités humaines, l’enthousiasme avec laquelle il parvient à communiquer son savoir. C’est en quoi il est spirituellement « augmenté » au-delà de sa personne individuelle, et non pas de manière fictive sur la base d’une « position d’autorité » qui devrait imposer un respect de la fonction. L’institution fait erreur quand elle fait la promotion d’une fonction en négligeant la compétence, comme dans le principe de Peter. Ce que l’on nommerait dans les termes d’Ivan Illich, une forme de contre-productivité technocratique, caractéristique plutôt loufoque d’organisations qui excèdent une taille humainement gérable. Mais c’est compter sans les conséquences incalculables de la transformation de l’autorité politique depuis la Modernité.
1) L’avènement de la légitimité (R) démocratique depuis la Modernité nous a appris une chose : le lieu réel du pouvoir se caractérise par sa vacuité. Ce qui s’entend de manière purement formelle. En effet, en théorie, le pouvoir démocratique est délégué à un représentant du peuple, il n’appartient à personne en particulier. L’autorité politique est conférée par la volonté générale et non par la perpétuation d’une tradition au sein d’une famille, comme c’était le cas en régime aristocratique. Le lien qui unit l’homme politique à son peuple, s’il est encadré dans la légalité du fonctionnement des institutions, est en définitive contractuel. Et rien de plus. Sitôt que le peuple estime que l’homme politique en place rompt le contrat sur la base duquel il a été élu, il peut être révoqué et remplacé par un autre. C’est le principe des élections. En démocratie, la légitimité de l’autorité politique vient de la reconnaissance par tous de ce qu’un homme a reçu du Peuple mandat pour gouverner. C’est en quoi son autorité doit être respectée. C’est une question de devoir-être imposé et d’idéal partagé, sur la base d’une règle commune qui nous semble la plus raisonnable de toutes. Plus raisonnable en tout cas que l’arbitraire d’un pouvoir despotique qui n’aurait d’autre justification qu’une filiation dans une famille royale. Ainsi, l’autorité qui émane des représentants de l’État est respectable, non pour leur personne en tant que telle, mais parce qu’ils sont représentants de l’État. Nous déployons beaucoup d’énergie, de pédagogie dans l’éducation civique pour rappeler que notre adhésion à la démocratie comme régime implique la reconnaissance de l’autorité déléguée à partir de la volonté générale. Et il est nécessaire de le faire, parce que cette conception de l’autorité repose sur l’adhésion à un idéal commun, or un idéal (R) ce n’est pas un fait que nous puissions dûment constater. C’est la représentation d’un modèle vers lequel nous voulons tendre, et nous sommes d’accord pour penser que l’idéal démocratique est la seule manière de gouverner « de manière juste et sûre » une société politique, comme dit Rousseau.
------------------------------Ce n’est pas
là une représentation sur laquelle nous puissions revenir. C’est même le seul
ciment d’une entente commune qui ait encore aujourd’hui une portée universelle (R).
Ou, si l’on préfère, c’est une de nos convictions les mieux partagées.
Cependant, cette légitimation de l’autorité politique a une date d’apparition à
la Modernité et une longue histoire. Et aujourd’hui, une question se pose à nous
: qu’advient-il quand l’autorité ne subsiste plus que sous cette forme de
légitimation démocratique et qu’elle déteint sur tous les domaines en dehors du
champ politique ?
C’est une
interrogation qui traverse la réflexion sur l’autorité d’Hannah Arendt dans
La Crise
de
la Culture. Immédiatement après avoir mis en titre de chapitre Qu’est-ce
que l’autorité ?, elle précise qu’il aurait été plus sage de poser la
question : Que fut l’autorité ? Soulignant par là que nous vivons à une
ère de crise ou une déconstruction de l’autorité.
L’histoire de la Modernité dans la culture occidentale a « pour arrière-fond un effondrement plus ou moins général, plus ou moins dramatique de toutes les autorités traditionnelles ». (texte) Qu’ensuite la crise de l’autorité se soit reportée sur le champ éducatif n’est pas un hasard, mais « le symptôme le plus significatif de la crise, et qui indique sa profondeur et son sérieux ». Le constat n’est guère discutable : « Historiquement, nous pouvons dire que la disparition de l’autorité est simplement la phase finale, quoique décisive, d’une évolution qui, pendant des siècles a sapé principalement la religion et la tradition ». Sur le second point, il faut souligner que « la disparition de la tradition dans le monde moderne n’implique pas l’oubli du passé, car la tradition et le passé ne sont pas la même chose ». La perte du sens de la tradition est perte d’une dimension de profondeur et non de la simple mémoire. Quant à la perte de la religion, la critique des croyances « n’a cessé de caractériser l’époque moderne, et cela vaut pour les croyants et les non-croyants ». C’est non la foi, mais la croyance comme christianisme ou judaïsme qui ont été minés par le doute. Bref, il faut bien parler de « crise de la religion instituée ».
Or, avec l’affaiblissement de la tradition et de la religion, ce qui donnait au monde une relative permanence n’est plus. Pourtant, même dans un gouvernement autoritaire, « la source de l’autorité… est toujours une force extérieure et supérieure au pouvoir qui est le sien ; c’est toujours de cette source, de cette force extérieure qui transcende le domaine politique, que les autorités tirent leur « autorité », c’est-à-dire leur légitimité, et celle-ci peut borner leur pouvoir ». On souligne en philosophie politique que chez les Amérindiens, l’homme le plus respectable de la tribu, celui qui possède le plus d’autorité, ce n’est pas le guerrier, mais le sorcier. Le sorcier est en effet dépositaire de la relation au Sacré, il est celui qui écoute la voix du grand Esprit. De même, les Anciens du clan, ceux qui sont dépositaires de la Tradition, incarnent une autorité dont le chef ne pourrait certainement pas se passer. Dans un monde tel que le nôtre où les traditions n’ont plus d’autorité véritable et où la religion a cessé d’avoir un ascendant indiscutable, il n’y a plus de référent. Ce qui explique la touche de nostalgie qui affecte la dernière page du texte d’Hannah Arendt : « Vivre dans un domaine politique sans l’autorité ni le savoir concomitant que la source de n’autorité transcende le pouvoir et ceux qui sont au pouvoir, veut dire se trouver à nouveau confronté, sans la confiance religieuse en un début sacré ni la protection de normes de conduites traditionnelles et par conséquent évidentes aux problèmes élémentaires du vivre ensemble des hommes ».
2) Nous
l’avons vu au cours des leçons précédentes, l’homme
postmoderne est déraciné.
La
relation qu’il entretient avec la tradition est nulle ou bien très
superficielle, le plus souvent exotique, quand elle ne relève pas carrément
d’une forme récupérée par le consumérisme ambiant. Elle n’est pas ce dont
parlait Nietzsche, le sentiment de l’arbre de plonger ses racines profondément
dans la terre qui fait qu’en son être, il n’est pas une feuille au vent. Et ne
parlons pas de la relation de l’homme postmoderne à la religion. Elle oscille
entre athéisme d’indifférence et hostilité de
libertin, pour n’avoir de
reconnaissance que très vague, au rang de quelques « valeurs
culturelles » qu’il
conviendrait de défendre… surtout pour les opposer à « d’autres » valeurs,
menaçantes et non-occidentales de surcroît ! En fait, bien malin serait celui
qui saurait expliquer exactement en quoi elles consistent. Les
valeurs
religieuses sont tellement dévitalisées dans le monde actuel que lorsque
nous les affirmons en dehors du contexte des divisions conflictuelles, nous
tombons aussitôt dans des généralités vagues. Sans compter que la
spiritualité qui permettrait d’augmenter le pouvoir en autorité peut aussi très
bien se rencontrer en dehors des religions instituées. (texte)
Toutefois, il a bien fallu que nous tentions de combler l’absence de l’autorité traditionnelle et religieuse par autre chose. Un pouvoir politique, ramené à sa vacuité, ne peut que très difficilement se légitimer ; paradoxalement, nous rechercherons une plénitude d’autorité qui permette de lui reconnaître une valeur. Pour cela, de manière très caractéristique, notre époque a constamment recours à deux formes de justification : celle de l’expertise et celle du leadership.
a) Dans le contexte d’un monde entièrement régi par la technique, l’idée que d’une autorité « professionnelle » formée par l’institution, sortant d’écoles prestigieuses, ayant une compétence technique pour exercer le pouvoir politique va plutôt de soi. C’est ce que l’on appelle le technicisme. Nous pensons dans un monde d’experts et d’expertises, de gestion et de gestionnaires, alors pourquoi ne pas admettre que l’autorité du politique vient de son habileté technique ? C’est ce que pensait déjà Machiavel. Ne sommes-nous pas par avance conditionnés à penser qu’aujourd’hui la démocratie se doit d’être une… technocratie ? C’est bien ce que le positivisme a tenté de montrer au XIX ème siècle, à cette heure où les doctrinaires rêvaient d’une politique « scientifique ». Dans la mesure où la postmodernité flatte un repli narcissique sur la sphère privée, quoi de plus logique que cette conséquence qui consiste à se débarrasser de la responsabilité politique sur des gestionnaires commis d’office ? Quand le désintérêt pour la chose publique s’installe comme une attitude commune, il est normal que l’expertise technique devienne la dernière justification de l’autorité politique. Et on en rajoute dans ce sens à chaque remaniement ministériel, en faisant entrer dans le gouvernement des acteurs de la société civile experts dans leur domaine propre. Ce qui vient en fait donner une caution d’autorité d’ordre scientifique et technique à l’exercice du pouvoir politique. Dormez braves gens, il y a au pouvoir des gens compétents qui s’occuperont de tout ! !
Là où la
contradiction devient patente, c’est quand nous nous voyons ensuite qu’un
ministre puisse allègrement passer de l’éducation, à l’armée, des anciens
combattants, à la santé etc. Comme le souligne bien Alain Renaut dans La Fin
de l’Autorité, il est tout à fait correct de voir le politique entouré et
conseillé par des experts, mais il ne s’ensuit nullement que la politique soit
elle-même une expertise. Le fait de prendre des décisions pour le bien de tous
ne relève pas de l’expertise mais d’un choix en fonction des valeurs que l’on
désire promouvoir. Ce qui est très différent. Nous avons déjà souligné
ailleurs
à quel point l’ingénieur se trouve déconcerté le jour où on lui demande de
prendre des décisions politiques, alors qu’il n’a jamais été préparé pour cela.
En réalité, dans la vision du bien de tous, les politiques n’ont pas à être des
experts et « les experts ne sont pas eux-mêmes des politiques ». On ne voit pas
en quoi un savoir, fusse-t-il de forme scientifique, c’est-à-dire très
fragmentaire, pourrait impliquer directement une décision, dans une situation
d’expérience très particulière où il faut faire des choix justes. Des choix
humains en direction de l’idée la plus élevée que nous pouvons nous donner de
l’humanité. La rationalisation scientifique de la
politique est un projet
inquiétant qui mène vers un monde si « administré » qu’il ne laisse pas de place
à « l’autonomie de la conscience par rapport au pouvoir ». Le fantasme de la
machinerie de l’État où l’administré n’est qu’un rouage et où l’administrateur
est un technicien est carcéral.
b) Reste le prestige du leadership comme justification de l’autorité politique, qui donne une contrepartie efficace à la position techniciste. Les spécialistes appellent ce point de vue décisionnisme. On dira alors que gouverner, c’est faire des choix en fonction de systèmes de valeurs concurrents. Poser une décision est en soi un acte. Dans ce cas, « la raison du pouvoir ne renvoie pas à celle du savoir : elle est totalement autonome ». Ainsi peuvent se justifier des prises de décisions différentes ou des programmes politiques différents.
Notons que de ce pont de vue, le citoyen a son mot à dire, il n’a pas à rejeter ce qui relève de la res publica, la chose publique, sur un prétendu « expert », même si celui-ci passe souvent à la télévision et s’il est coté dans des sondages, comme les chevaux de course au tiercé. En tant que citoyen, chacun a part à la réflexion sur le bien de tous, car les choix en valeur sont tout simplement humains. Ils vont au-delà de notre propre personne et de ses intérêts et s’étendent bien au-delà de la frontière des États, dans la prise en compte de la Nature. Ils nous concernent tous.
Il ne peut donc pas y avoir « d’expert scientifique » dans un domaine qui repose sur une décision à portée générale relevant d’un choix humain. (texte) « Dans cette perspective, le symbole du choix politique, ce n’est plus le bureau ou le cabinet d’experts : c’est bien plutôt l’homme politique lui-même, conçu sur le modèle du « grand homme » ou du leader de type charismatique ». Ce n’est plus l’expert qui justifie l’autorité, c’est l’intégrité morale de l’homme exerçant le pouvoir. Problème : il y a une forte ambiguïté sur ce qu’est véritablement le charisme. On oublie complètement le sens premier qui a une relation avec le Sacré pour l’image, les aptitudes rhétoriques et le faire-valoir à visée démagogique. Pour être direct, dans un monde dominé par les média, pour avoir du charisme, il faut avoir une grande gueule ! Le sens du charisme est devenu complètement égomaniaque. Ce qui est un contresens total. Le sens vrai du charisme suppose bien au contraire un effacement de soi. La vraie grandeur est un rayonnement impersonnel, comme la vertu véritable est simplicité. Si nous prenons un exemple, indéniablement, ce qui donnait à Gandhi une légitimité pour gouverner l’Inde, c’était son autorité morale. L’Inde pouvait remettre le pouvoir entre les mains d’un homme pacifique, soucieux de justice, de vérité, d’intégrité et de partage, un homme qui refusait les attributs des grandeurs d’établissement. Relisez plus haut Pascal : « il faut s’oublier soi-même ». Mais c’était aussi un homme qui était non seulement une « belle âme » et un théoricien, mais qui avait activement lutté pour plus de justice en Afrique du Sud.
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Remarquons l’extrême confusion où nous sommes (délibérément ?) placés : on répète qu’il faut respecter le contrat social qui seul donne sa légitimité à l’autorité moderne. En réalité, nous ne vivons pas du tout sous le régime du contrat social, mais dans celui du consensus. Rapport de forces entre des intérêts contraires. Pire, concrètement, les puissances de l’argent sont omniprésentes et elles pipent les dés dans toutes les décisions politiques. En façade, on joue le jeu contractuel, mais la plupart du temps, c’est le panier de crabes des luttes d’influences, et le résultat final, imparable, c’est le service des intérêts privés et la promotion de l’incompétence. La prétendue vacuité du lieu du pouvoir, qui devrait assurer sa neutralité, n’est qu’une construction mentale, une illusion, car le fait réel, c’est le carnaval des ambitieux et la lutte intestine des volontés de puissance.
On s’accommode fort bien de l’individualisme postmoderne et du désintérêt pour la politique et de l’inertie des masses en démocratie : c’est un fond de commerce pour les technocrates. Que devient alors la notion de compétence ? Une rationalisation technique. On s’accommode fort bien de la corruption du charisme. Dans l’émotionnel des média, le politique devient un animateur, un guignol ou une tête de turc. Sans que jamais l’on puisse ne serait-ce que soupçonner qu’il peut exister des hommes et des femmes sincères et même dévoués à la réalisation du bien de tous. On peut doctement fustiger les grands méchants dictateurs charismatiques, mais si c’est pour mettre en avant une autorité qui ne prend pas en compte la chair d’humanité de celui qui dirige, c’est un discours verbal. Et c’est avec ce verbalisme que l’on prétend donner des leçons sur le respect. Alors qu’il n’y a bien sûr pas la moindre inspiration dans ces discours, on est dans le formalisme. Le plus drôle, c’est qu’on se permet aussi de dire que nous autres, héritiers des Modernes, sommes aujourd’hui affranchis de l’argument d’autorité,… (texte) alors que psychologiquement, la plupart des hommes vivent dans la soumission passive ou inconsciente à une autorité extérieure. Sans écouter leur propre autorité. (texte)
On peut concéder à Hannah Arendt que nous vivons bien à une époque très confuse de déconstruction de l’autorité. L’ordre du monde n’est plus reconnu comme légitime et l’autorité au sens classique craque de toutes parts. Plutôt que d’en appeler, comme les passéistes, à une restauration des autorités traditionnelles et religieuses pour revenir en arrière, prenons-le comme un défi. Le monde de demain devra retrouver la dimension spirituelle de l’autorité, inventer un art de diriger qui rassemble, élève et porte les consciences dans plus de clarté. Dans un plus haute conscience de soi-même. Sans que l’autorité ne soit liée à une violence, une soumission passive ou l’usage d’une parole hypnotique.
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Questions:
1. Dans quels domaines observe-t-on la tendance à légitimer l'autorité à partir du modèle du contrat social?
2. L'éducation requiert-elle une forme d'autorité spécifique ou n'est-elle qu'un cas particulier de l'autorité politique?
3. Pourquoi le modèle démocratique de l'autorité est-il si difficile d'application?
4. A quels signes remarque-t-on que l'autorité traditionnelle demeure encore vivace?
5. Pourquoi le charisme est-il un concept enveloppant une ambiguïté?
6. Ne faut-il pas admettre que, même en rejetant toutes les autorités, non devons encore trouver en nous-même la source de l'autorité véritable?
7. L'essor de la technique dans le monde moderne a-t-il contribué à la destruction de l'autorité?
© Philosophie et spiritualité, 2011, Serge Carfantan,
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