Leçon 182.  Recherches sur l'alternative monétaire     

    En 2006, le prix Nobel de la paix 2006 récompense Muhammad Yunus pour son système bancaire de micro-crédits et l’immense service rendu aux plus pauvres en Inde. Signe des temps qu’il est possible de concevoir un fonctionnement de l’argent différent ce que le capitalisme nous a proposé jusqu’à présent. Il est tout à fait concevable que la création de crédit ne soit plus inscrite dans la logique : plus vous être riche et moins cher vous payez  le crédit et plus vous êtes pauvres, plus vous devez vous saigner les veines pour rembourser dans les modalités infernales stipulées dans les contrats. Il est possible d’imaginer un système permettant d’aider les plus pauvres à se construire de meilleures conditions de vie en investissant délibérément dans des projets de petites entreprises locales ou d’artisanat. Bref, de réorienter le système économique pour le mettre au service des hommes et non l’inverse de mettre les hommes au service des intérêts de l’argent.

    Or nous avons vu que la monnaie a une fonction d’intermédiaire entre les biens et les services qu’elle permet d’échanger. Nous avons montré avec Aristote que la corruption de l’échange commençait lorsque le système économique provoquait un renversement par lequel l’accroissement de l’argent, devenant une fin en soi, biens et services se voyaient rétrogradés au rang de simples intermédiaires pour le profit.

    La question est donc de savoir comment il serait possible d’instaurer un système monétaire qui reste au service de l’amélioration des conditions de vie, sans pouvoir être détourné de sa destination. Quels choix faut-il opérer pour édifier un système monétaire au service du bien de tous ?

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A. Le principe de la monnaie locale

    Dans une précédente leçon, nous avons aussi vu que l’État est à la fois trop grand pour gérer les petites choses au niveau local et trop petit pour gérer les grandes, les projets dont la portée embrasse l’humanité et la Terre. Nous avons montré le sens de la formule think global and act local. En économie il y a deux conséquences qui semblent s’imposer : a) nous avons tout intérêt au niveau municipal à adopter le principe des monnaies locales. b) Nous aurions aussi certainement intérêt au niveau global à adopter le principe d’une monnaie mondiale. Nous allons ici concentrer nos investigations sur le premier point pour tenter de mieux en cerner la portée.

    1) Pendant la crise des années 30 eu lieu dans la petite ville du Tyrol autrichien de Worgl une expérience à l’initiative du maire, Michael Unterguggenberger. Voyant se défaire les structures économiques de sa ville et la pénurie se développer en raison des conséquences de la grande dépression, celui-ci décida en 1932, pour relancer l’activité de l’économie, de créer une monnaie locale. La situation n’était pas brillante. Le chômage avait augmenté de 30%. Le gouvernement avait accumulé des dettes de 1,3 million de schillings autrichiens, alors que les réserves en liquidité étaient seulement de 40.000. Michael Unterguggenberger décida de mettre en pratique les théories de Silvio Gesell pour qui l’argent doit être défini de telle manière que ceux qui le possède ait avantage à le dépenser, à le faire circuler et non pas à le thésauriser. On imprima donc 32 000 bons-travail portant un taux d'intérêt négatif de 1% par mois, pouvant être convertis en schillings pour 98% de leur valeur.

    ---------------Le succès fut immédiat. Les bons circulèrent si rapidement, que seuls 12 000 d'entre eux furent en fait mis en circulation. Le système fut accepté facilement par les entrepreneurs et  la population locale. Les bons permirent de réaliser pour 100 000 schillings autrichiens de projets de travaux incluant construction, réparation de routes, ponts, réservoirs, systèmes de drainage, usines et bâtiments. Cette monnaie fut aussi autorisée pour le paiement des taxes locales. Pendant l'année où la monnaie locale fut mise en service, elle circula 13 fois plus vite que le shilling officiel. Le résultat fut un effet puissant de catalyseur pour l'économie. Les arriérés en impôts locaux se réduisirent de façon significative. Le chômage fut carrément éliminé, alors qu'il demeurait très élevé dans le reste du pays et aucune hausse des prix ne fut observée. Le système sitôt mis en place eut donc immédiatement des résultats. La production de biens et de services était accrue, l’accès au crédit simplifié et l’activité économique stimulée. La caractéristique étrange de cette monnaie locale était de se déprécier tous les mois de 1% (on dit que c’est une « monnaie fondante »). Les  gens étaient incités à le dépenser dans le seul circuit où il avait court, c’est-à-dire au niveau local. En seulement un an, l’économie se redressa de manière spectaculaire et la ville de Worgl devint un centre d’intérêt pour les économistes du monde entier qui suivait l’expérience… jusqu’à ce que la Banque Nationale Autrichienne mette un point d’arrêt à cette tentative par une action en justice !... Pour violation de pouvoir sur la monnaie !! Le système disparut en 1933. Il faut dire qu’à une époque de sacralisation de l’État, il fallait une certaine audace pour attaquer ainsi de front la centralisation étatique. Au bout du compte, l’initiateur du projet avait si bien réussi… qu’on l’avait jeté en prison !

     2) En 1982, un canadien résidant près de Vancouver, Michael Lynton, cette fois sans base théorique et seulement de manière pragmatique, tente une expérience du même genre. Lynton est frappé par le fait qu’autour de lui beaucoup de personnes douées de toutes sortes de savoir-faire et de talents, sont réduites à l’inactivité du simple fait du manque d’argent. C’est une situation bloquée de manière irrationnelle dans la mesure où, s’il y a une richesse humaine capable de s’exprimer dans du travail, il est incompréhensible que ce soit le système monétaire qui congestionne en quelque sorte l’échange. Lynton a donc l’idée d’inventer lui aussi un crédit fondé sur la confiance mutuelle court-circuitant l’intervention d’une banque, le Local Exchange Trading System, ou LETS. L’idée de base, c’est que l’échange se développe à l’intérieur d’un système coopératif, le green dollar, au départ équivalent du dollar canadien. Un comptable devait alors enregistrer les montants échangés et informer chacun des membres participants de leurs soldes respectifs.

    Concrètement cela veut dire quoi ? Partons d’un modèle très simple. Échangeons sur la base 1 heure de travail  = 1 heure de travail. Mettons que A est disponible pour garder des enfants. B s’entend assez bien pour tondre la pelouse et tailler des arbustes. C est bricoleur pour peut réparer un robinet qui fuit ou changer un lavabo usagé. D est une très bonne pâtissière tout à fait apte à préparer des gâteaux d’anniversaire pour tout le monde. E possède un grand jardin qu’il adore entretenir et il peut fournir les légumes de son potager. F fait tous les jours un trajet pour aller au travail et peut fort bien déposer au passage G qui lui n’a pas de voiture, H donne des cours de guitare etc.

    Chacun d’entre eux rend un service qui peut entrer dans l’échange collectif. Les participants évaluent par eux-mêmes les transactions. Le système LETS tient la comptabilité des échanges en termes de « débit » et de « crédit ». (5 heures de repassage, 5 heure de jardinage, de plomberie etc.) Le nom de l’unité de compte importe peu, elle sera baptisée localement. Seules les unités rentrent dans la comptabilité. S’y ajoute ensuite bien sûr à côté les frais que le service entraîne (essence, achat du matériel etc.), réglés entre les personnes.  Le LETS diffuse les offres de service des participants, mais n’est pas responsable de la qualité de ces services. Il faut laisser le maximum d’initiative à la relation directe des personnes. L’état des comptes doit être transparent de sorte que chacun puisse à tout moment le consulter et connaître la situation de tous les comptes. Il est bien sûr entendu que les comptes en crédit et débit ne donnent lieu à aucun intérêt. Le système est très souple, les membres ne sont même pas tenus pour accéder à un service d’avoir un compte positif. La relation humaine étant directe, l’accent est mis sur la convivialité. (texte) Il est tout à fait possible d’avoir son compte en négatif quelques temps. Un comité est prévu pour repérer les comptes dont le débit deviendrait trop élevé afin de chercher avec les participants le moyen de les équilibrer. Si A s’est fait réparer la toiture de sa maison et a bénéficié du jardinage de B avec un grand avantage, A propose dans le mois trois heures de garde d’enfant supplémentaire pour équilibrer son compte. Idem pour B qui a eu un gros rhume pendant trois jours et n’a pas pu travailler mais qui peut ensuite etc. Avec un réseau créateur de lien social et qui ne passe pas par une gestion de type étatique, la confiance joue facilement, tout le monde y trouve son compte et en fait il y a très peu d’abus. Les participants d’un système d’échange local ne se comportent pas comme des « consommateurs », qui ne chercheraient qu’à « profiter ». Ils font la différence entre la coopération au sein d’une association et la consommation régie par la logique du profit producteur/consommateur. Un LETS resserre les liens humains entre voisins. Ce qui nous ramène tout droit vers ce que nous disions plus haut à propos de Marcel Mauss au sujet du lien social qui accompagne toute relation dépassant le cadre de l’échange marchand. Nous disions que dans un échange purement marchand, la relation humaine s’efface. Une fois que le vendeur a réussi à placer sa marchandise, peut lui importe ce qui advient. Il a finit son « travail » et se sent déchargé de la relation. C’est ainsi que dans une société de consommation chacun se retrouve avec son quant à soi, de sorte que l’individualisme prévaut. Dans un LETS, la relation est plus vivante, fondée sur la convivialité et le service mutuel, elle perdure au-delà du service rendu et incline vers une communauté plus solidaire.

    Le succès des LTES de par le monde est important. En Australie, au Canada, en Grande Bretagne, aux Pays Bas, en Afrique, des LETS se sont développés. L’initiative fleurit un peu partout dans le monde. En situation de crise du système étatique de la monnaie, en contexte de chômage important, de travail intérimaire au rabais, il est normal que le système connaisse une expansion rapide. En Grande Bretagne 20.000 personnes sont regroupés dans pas moins de 300 groupes. Les premiers LETS ont pris naissance dans des quartiers pauvres des zones industrielles, pour ensuite gagner progressivement les campagnes. Une ville du sud de l'Angleterre Lewes bat sa propre monnaie, la livre de Lewes. Les 16.000 habitants de Lewes, capitale de l'East Sussex, près de Brighton, peuvent l'utiliser dans les commerces locaux. 70 sociétés ou magasins locaux acceptent cette devise, valant autant que la livre sterling. Une dizaine de millier de billets d'une livre de Lewes ont été imprimés. Ironie historique, cette initiative a ressuscité la glorieuse époque de 1789 à 1895 où Lewes   battait sa monnaie ! Ce qui est pour nous une invitation à comprendre que l’idée n’est pas si nouvelle, ou plutôt elle n’est originale que par contraste avec le système national que nous utilisons.

     3) Résumons. Les monnaies locales sont apparues historiquement en réponse à des situations de crise larvée dans lesquelles la monnaie nationale ne jouait plus correctement son rôle.  Nous en avons un exemple récent avec la crise économique qui a sévit en Argentine en 2002. Alors que la monnaie nationale s’effondrait, il y eu émission par les gouvernements locaux de certificats provinciaux de dettes en petite coupure, sans prise d'intérêt, adoption qui reprenait avec succès, certaines des caractéristiques des monnaies locales. On aurait donc tort d’y voir une bizarrerie utopique venu de quelques illuminés qui désireraient monter de toutes pièces une sorte de communauté idéale, un phalanstère à la manière de Fourier ou autre. C’est plutôt une réponse pragmatique à une situation désastreuse. Quand l’argent perd toute signification et que les conditions de vie deviennent difficiles, nous cherchons quelles initiatives créatives peuvent nous sortir du pétrin et c’est tout naturellement que l’on va de l’assistance mutuelle vers l’adoption d’un système de monnaie locale.

    Il s’agit donc de rendre l’échange plus fluide et de le rationaliser. Or ce sont exactement les mêmes mots que nous avons employés précédemment pour désigner la fonction première de la monnaie selon Aristote. Aristote distinguait, nous l’avons vu, l’art d’acquérir naturel et l’art d’acquérir non-naturel qui forçait l’échange et entraînait sa perversion. Or que constatons-nous avec l’introduction de la monnaie locale ? Elle a tendance à circuler beaucoup plus rapidement que la monnaie nationale. Une même quantité de monnaie en circulation est employée davantage et entraîne de ce fait une activité économique plus importante. Un peu comme si le sang se mettait à circuler plus vite dans le corps, revigorant la totalité des organes. Or cette plus grande vélocité de la monnaie est aussi liée à un taux d'intérêt négatif qui incite les gens à dépenser la monnaie plus rapidement au lieu de chercher à thésauriser. L’incitation est aussi d’utiliser mieux les ressources locales existantes. La monnaie locale est un instrument privilégié de relocalisation de l’économie. Elle permet de libérer la force de travail qui reste sous-employée, d’où un effet dynamique sur toute l’économie locale. L’idée juste, c’est que, par manque de pouvoir d’achat local, la communauté n’utilise pas pleinement ses capacités productives. La monnaie locale permet d’établir une relation vivante entre les besoins et le travail. Comme elle fonctionne à un niveau municipal, elle est intégrée au sein de la communauté et elle sert directement l’achat de biens et l’usage de services produits au niveau local. La production de biens et de service est le sens premier de la richesse, le résultat est donc que globalement, la monnaie locale contribue directement à la prospérité d’une communauté et du même coup, on revient directement vers qu’Aristote appelait la richesse concrète.

    Enfin, il est très significatif que la monnaie locale contribue directement à l’amélioration des infrastructures des routes, des ponts, des ports, de l’habitat etc. Le concept de « politique des grands travaux » est d’ordinaire placé sous le patronage de l’État. Mais qui sait mieux qu’une municipalité ce qui pourrait être fait pour améliorer les conditions de vie pour tous ? Qui sait mieux qu’une municipalité mobiliser les énergies et les ressources locales ? Dans la mesure où une communauté retrouve son dynamisme d’échange, elle va aussi chercher à favoriser l’économie verte, le recyclage, la réduction de la pollution etc.

B. La monnaie, la dette et le capital

    Dans les études actuelles, la monnaie locale est appelée de manière caractéristique « monnaie complémentaire », ce qui suggère qu’elle serait une solution possible à-côté de la monnaie principale. Manière de dire aussi qu’elle ne saurait la remplacer, ou de sous-entendre qu’elle ne peut résoudre tous les problèmes. Mais est-ce bien vrai ?

     1) Nous savons en pratique, qu’à la monnaie sont rattachées plusieurs fonctions. a) Elle permet en fixant un prix de rendre l’échange numéraire. b) Elle simplifie la transaction, puisqu’elle en est précisément l’instrument et le médiateur principal. c) Elle est aussi perçue comme une réserve de valeur.

    Que la monnaie principale soit d’ordinaire comme une « réserve de valeur » est une formule très ambiguë. On croit que l’argent dans nos billets possède une «objectivité» indépendamment de ce qu’il permet d’échanger et donc qu’être riche, c’est avoir beaucoup d’argent. Nous ne nous rendons pas compte qu’ainsi défini, l’argent se situe dans une pure abstraction. L’illusion est tenace, parce qu’elle correspond à un fétichisme collectivement entretenu et en permanence réassuré. Le pouvoir du fétiche tient à la croyance magique qu’on lui prête. Ce que nous ne voyons pas, c’est que le fétichisme de la monnaie est enraciné dans une croyance, il repose sur une représentation collective et un acte fondamental de confiance. Que la représentation symbolique perde son sens et la monnaie à nos yeux n’est plus rien. Que la confiance disparaisse et tout le système fondé sur l’argent s’effondre. Inversement, tant que l’hallucination d’une valeur « capitalisable » de l’argent est maintenue, sous la forme de la recherche frénétique du profit, le capitalisme perdure et prolifère jusque dans ses formes spéculatives les plus délirantes… Jusqu’au moment où il se casse la figure. (texte)

    Nous sommes désormais parvenus à un seuil critique où la crédibilité de l’argent est sévèrement mise en cause. Si dans les pays riches, la production industrielle a connu pendant près de 40 ans une énorme augmentation, nous savons aussi que simultanément se sont développés une part croissante de pauvreté, de chômage et un fossé abyssal entre la fortune de quelques uns et la misère du plus grand nombre. Tant que le discours ambiant relayait la croyance dans la valeur du capital et serinait la leçon de la croissance, le peuple des laissés pour compte devait y croire et se contenter des miettes que lui accordait la logique du profit. Mais l’accumulation des scandales, le krach financier et les sommes démentielles injectées pour le résoudre ont mis à mal la confiance dans la puissance de l’argent. Il est devenu évident que le capitalisme à lui seul est un système parfaitement incapable de redistribuer la richesse. Nous avons vu que la logique du profit vampirise la valeur créatrice du travail pour l’évaporer en Bourse. La logique du profit est portée par une telle obsession de la compétitivité, que son application conduit au régime sec du bas salaire pour les plus faibles ; à l’écrasement social d’une main d’œuvre docile vouée à l’inculture, autant qu’au pillage des matières premières au mépris de tout équilibre naturel. Et puis, à l’heure où nous prenons conscience de notre responsabilité à l’égard de la Terre, qu’est-ce qui peut bien être plus salle et plus polluant que le bras armé industriel du capitalisme conquérant ?

    ---------------Comment pourrions faire confiance dans un système dans lequel 95% de l’argent en circulation est consacré à la spéculation virtuelle tandis que seulement 5% correspond à des échanges au sein de l’économie réelle ? Quels services peut-on attendre de la monnaie, si elle n’a d’autre fin que la thésaurisation en dehors de la sphère de la vie ? N’est-ce pas un gigantesque contresens que d’empêcher l’argent de circuler au sein de l’économie réelle?

       2) Nous avons vu précédemment avec Aristote que dans l’échange naturel l’argent est dépensé, tandis que dans l’échange anti-naturel, l’argent est seulement avancé. L’usage de la monnaie suppose par définition un crédit qui porte la dette de quelqu’un d’autre, dette qui se résout dans l’échange quand l’argent, dépensé, est en permanence converti en biens et en services. Nous venons de montrer que la monnaie locale revient vers l’échange naturel. L’ingéniosité consiste même, en empêchant l’intérêt sur l’argent,  à faire en sorte que dans l’échange le capital disparaisse. « Je suis votre débiteur !» disait-on autrefois en s’inclinant à celui à qui on devait rendre un service. Et c’est le véritable sens qui ne veut pas dire : « je vous dois de l’argent ».

    Maintenant, examinons la différence entre l’argent qui est seulement avancé et non dépensé. Il peut y avoir deux sens  du mot « avancé »:

    a) ou bien on entend par là que quelqu’un avance de l’argent à quelqu’un d’autre, dans l’intention de l’aider à entreprendre, à développer son activité. L’argent sera investi dans du matériel pour, par exemple fabriquer du tissu, du parquet, des meubles d’intérieur, du yaourt etc.  Notez que dans ce cas de figure, on retrouverait la Grameen Bank de Muhammad Yunus qui propose des micros crédits destinés aux pauvres. Dans ce cas de figure, l’échange part du principe que l’homme est un être multidimensionnel et qu’il est important de l’aider à développer ses talents.

    b) ou bien on entend par là que quelqu’un, un banquier, qui avance de l’argent à quelqu’un d’autre, dans l’intention de faire directement du profit à travers l’intérêt qui vient s’ajouter à la somme avancée et qui devra être remboursée par le débiteur. Dans cette vision, l’échange part du principe que l’homme est un être unidimensionnel  parce que l’échange a pour seule finalité l’accroissement du profit.

    Et la malice de cette seconde logique, c’est qu’il est possible d’inventer des systèmes très astucieux par lesquels l’argent fait travailler l’argent et cela complètement en dehors de toute activité humaine. Dans notre système actuel, dès l’instant où une personne vient à la rencontre d’un banquier et contracte un crédit, il y a ipso facto une création de monnaie, celle de la monnaie scripturale. (texte) Comme nous l’avons vu, ce n’est donc pas comme si le banquier disposait d’un gros coffre-fort dont il sortirait pour son client une pièce d’or sonnante et trébuchante qu’il possèderait déjà. Il n’a pas besoin de puiser ou de se limiter à ses fonds propres. Il peut prêter bien plus d’argent qu’il n’en possède, parce que le fait même de créer une dette chez quelqu’un d’autre est déjà une création de monnaie. (texte) Le contrat signé par le client auprès de la banque fait exister de l’argent sous la forme d’un capital de dette. Ensuite, le contrat de crédit du client est simplement converti par un jeu d’écritures dans une somme, sous la forme du chèque libellé par la banque. Le chèque est alors déposé dans une autre banque qui fonctionne de manière identique. Toutes les banques forment entre elles un circuit fermé,  un réseau de crédit/débit qui se nourrit des intérêts ajoutés. En fait, c’est la dette des uns par rapport aux autres qui met en mouvement tout le système et donc celui-ci ne peut certainement pas être décomposé en unités fragmentaires. De plus, la banque crée le capital qu’elle prête, mais attention, elle ne crée par les intérêts qu’elle réclame ! Il faudra les chercher ailleurs. En clair, si j’emprunte 20.000 euros pour acheter une nouvelle voiture, la banque va créditer 20.000 euros sur mon compte, mais les 8000 euros d’intérêts doivent être par mes soins sortis de la masse monétaire existante. (texte) Or cette masse monétaire est fondée à 92% sur la création de monnaie scripturale, donc en définitive sur les sommes vertigineuses de dette accumulée. En tant que consommateur de crédit, nous ne faisons donc en permanence qu’augmenter la charge de la dette (texte). En fait, même si nous n’en avons pas conscience, nous sommes collectivement et individuellement conduit à nous endetter massivement pour rembourser des intérêts aux banques pour de l’argent créé ex nihilo (texte) à partir de nos propres emprunts !  C’est tout à fait sidérant. Mais vrai. C’est Maurice Allais (prix Nobel d’économie) qui disait : « la création de monnaie par le système bancaire est identique à la création de monnaie par des faux-monnayeurs. Dans les faits, elle se traduit par les mêmes conséquences. La différence c’est qu’elle ne profite pas aux mêmes personnes » ! Ainsi s’explique le harcèlement des crédits auquel nous sommes en permanence soumis qui se déversent dans nos boîtes aux lettres. Crédit auto. Crédit vacances. Crédit étude. On peut même proposer du crédit immobilier sur 50 ans !! On peut toujours prétendre qu’il s’agit de relancer la consommation ou la construction. C’est la justification de façade. En réalité, l’afflux continu de crédit est surtout destiné à alimenter la spéculation, ce qui permet aux banques de « faire de l’argent » sans créer de richesse concrète et sans distribuer de prospérité.

    Pourquoi les particuliers que nous sommes, pourquoi les États croulent-ils sous les dettes ? Faut-il incriminer une « mauvaise gestion » ? Bien sûr, il y a des erreurs qui mènent à des situations épouvantables, telles que celle des paysans indiens endettés jusqu’à la moelle, avec l’épidémie de suicides qui s’en est suivi. Il est exact que le niveau d’endettement des États dans  le monde est gigantesque. Il est très commode de mettre en cause une « mauvaise gestion », cela produit collectivement une résignation qui paralyse toute réforme et entretient une culpabilité maladive chez tous ceux qui voudraient être aidés. Seulement il faut aussi regarder les choses en face et comprendre que, dans son état actuel, le capitalisme est un système qui bloque entièrement l’économie sur la position de l’endettement. La raison fondamentale est simple : le contrôle de l’argent a depuis des années été laissé au système financier lui-même qui a, on vient de le voir, tout avantage à ce qu’il continue de fonctionner sur la base de la dette. Les États qui ont  perdu tout contrôle sur la monnaie sont devenus eux-mêmes des emprunteurs criblés de dettes. Et attention, nous ne parlons plus de dette au sens du service rendu. Il n’y a plus de création de richesse réelle dans un système fondé entièrement sur l’usure. Le paradoxe, c’est que d’un côté le crédit est produit ex nihilo, mais que de l’autre, son corrélat en tant que dette devient tout ce qu’il y a de plus réel ! Bref un asservissement monstrueux est créé à partir de rien.

    C’est exactement comme cela… que l’on décrit en Inde mâya, l’illusion ! Ici l’illusion consiste à croire et surtout à faire croire qu’en faisant travailler l’argent pour l’argent on va créer de la richesse. Ainsi prolifère une hallucination qui nous fait projeter sur un objet, un être humain, un paysage, une « valeur » quantitative en monnaie qui permettrait de les capturer, de les garder le plus longtemps possible ; (combien cela pourrait rapporter ?), tout en perdant la véritable valeur qualitative, infiniment précieuse du monde de la vie. Ce qui se donne sans pouvoir se prendre. Ce qui fleurit dans un sourire. Ce qui rayonne dans la beauté. Ce qui pétille d’intelligence. La Vie même dans son infinie richesse, complètement offerte et épanouie dans l’instant. Non capitalisable, mais toujours partagée.

    Il faut donc rester très méfiant sur cette prétendue évidence de la valeur fixée par la monnaie, car le propre du capitalisme, c’est d’avoir réussi à entièrement falsifier la signification de l’argent. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas possible d’en faire un usage intelligent, juste, pertinent et même généreux. Sans la visée du capital. Ce que vaut l’argent, c’est ce que vaut la conscience de l’homme qui s’en sert. Porté par une conscience fortement égocentrée, l’argent transporte l’avidité de posséder plus, pour se sentir davantage « moi » : plus puissant qu’un autre, plus important, plus riche, avec tous les moyens pour profiter.  Dans tous les sens du terme. Et quand nous voyons en face la laideur, la stupidité de cette conscience, nous ne pouvons pas être étonné de ce qu’elle peut produire.

C. La monnaie au service de la richesse partagée

    Le sens que nous donnons à la monnaie n’est pas séparable du système économique qui la distribue et il ne peut pas être distingué non plus de la manière dont l’économie considère la richesse qui est en l’homme. Or, comme le dit Muhammad Yunus, « le capitalisme a une vue étroite de la nature humaine ; il suppose que les hommes sont des êtres unidimensionnels qui recherchent exclusivement la maximisation du profit ». (texte) Quand l’économie va mal, au lieu de remettre en cause cette croyance, les économistes classiques qualifient « les dysfonctionnements que connaît le monde comme « défaillances du marché ». Ils ont entraîné leurs esprits à croire que le bon fonctionnement du marché ne peut tout simplement pas produire de résultats désagréables ». Mais en fait, « le problème est beaucoup plus profond que cela. La théorie du libre marché souffre d’un défaillance de conceptualisation, d’une incapacité à saisir l’essence de l’humain ». Comment cette défaillance se traduit-elle dans l’usage de l’argent ? Et surtout, quel sens prendrait la monnaie dans une économie qui saurait reconnaître pleinement l’essence de l’humain ?

     1) Ce que souligne avec insistance Muhammad Yunus, c’est que notre conception de l’échange est appauvrie par l’idée restrictive du profit comme étant sa principale ou son unique motivation. Ce qui est une forme de conscience très, très limitée. Oscar Wilde disait que les hommes de l’argent connaissent le prix de toutes choses, mais la valeur de rien ! Le capitalisme est un système qui repose sur une forme de conscience non-développée et spirituellement immature.

    Il est indispensable de reconnaître la psychologie sous-jacente à l’expression du capitalisme, sans quoi nous en resterons à des généralités formelles. Le monde que nous avons créé est certes une sédimentation de l’histoire, mais il est avant tout l’expression de notre conscience collective. Dit autrement, par Hervé Kempf dans Pour sauver la Planète, sortez du Capitalisme :

    « Le capitalisme a changé de régime depuis les années 1980, durant ces trois décennies où une génération a grandi, voyant les inégalités s’envoler, l’économie se criminaliser, la finance s’autonomiser de la production matérielle et la marchandisation généralisée s’étendre à la terre entière.

    Mais une lecture purement économique de ce déroulement historique passerait à côté de l’essentiel. Si le mécanisme culturel de la consommation somptuaire est au cœur de la machine économique actuelle, l’état de la psychologie collective auquel nous sommes parvenus en est le carburant ».

    Le capitalisme a imposé une représentation de la vie fondée sur l’individualisme pur et dur mais à y regarder de près, ce n’est rien d’autre qu’une expression magnifiée de l’ego. Cette représentation conditionne tellement notre vision au point que nous n’arrivons même pas à imaginer que l’homme puisse agir à partir de motivations différentes. (texte) Et donc, comme le dit très justement Hervé Kempf, pour « sortir de la mécanique destructrice du capitalisme », il faut impérativement « se défaire du conditionnement psychique » qui l’a produit. Malheureusement très peu d’économistes se sont penchés sérieusement sur cette question. Les économistes classiques raisonnent encore dans le paradigme de l’objectivité forte. En cherchant à objectiver les processus économiques, (texte) ils se sont imaginés qu’ils existaient par eux-mêmes et comme indépendamment des sujets conscients. Ce qui est absurde. Ce qui fait tourner l’économie, c’est l’échange humain et l’échange humain se déploie dans la conscience des hommes. Une communauté humaine hautement évoluée, une communauté dans laquelle les hommes auraient une conscience élevée, le sens de l’unité humaine et de l’unité avec la vie, adopterait naturellement une forme d’échange fondée sur la coopération et non sur la compétition ; et certainement pas ce système appelé « capitalisme » qui est le sous-produit d’une forme de conscience limitée et très égocentrée. Nous avons précédemment évoqué cette question à partir de La Belle verte de Coline Serreau.

    Une exception intéressante parmi les économistes, Thornstein Veblen. Selon lui, la structure psychologique sous-jacente à l’expression du capitalisme est ce qu’il nomme la rivalité mimétique. Dans la société de consommation, la richesse n’a pas pour finalité de répondre à une satisfaction des besoins et d’assurer des conditions de vie meilleures, mais surtout d’assurer une « distinction provocante ». Le ressort principal selon Veblen, c’est « la tendance à rivaliser – à se comparer à autrui pour le rabaisser ». C’est un mécanisme de l’ego très élémentaire et bien sûr, l’un des ressorts principaux du marketing. L’ego se sent augmenté quand il peut exhiber devant un autre sa magnificence. Avoir plus donne le sentiment d’être davantage. C’est totalement illusoire, mais cela marche. Et c’est qu’au bout du compte prolifère la consommation ostentatoire et le gaspillage généralisé. Comme l’acquisition dépend de l’argent qui permet de posséder tout le reste, il s’ensuit que la monnaie doit, dans la conscience de l’ego, être perçue comme un fétiche, un instrument magique pour se sentir exister davantage comme « moi ». La rétention de l’argent n’a pas besoin d’être interprétée à la manière de la psychanalyse, c’est bien plus simple et plus radical : il s’agit de feed the ego, de nourrir l’ego. L’argent, comme le pouvoir et la célébrité, sont les nourritures favorites de l’ego. Le mental mis au service de l’ego attise la comparaison. Si j’ai moins qu’un autre, je me sens diminué. Si j’ai beaucoup plus, je me sens augmenté. L’écart entre l’opulence démesurée du riche et le statut de crève-la-faim du pauvre est donc une véritable fête pour l’ego. Il permet d’exhiber la supériorité et de porter l’enflure personnelle à son plus haut degré. Plus le fossé se creuse entre ceux qui sont riches à foison et ceux qui n’ont rien et plus le mental peut s’en nourrir. Le riche en veut encore plus pour se sentir davantage, le pauvre qui n’espère qu’une chose en avoir plus pour imiter le riche ; l’un et l’autre pris dans le même mécanisme psychologique de la conscience de l’ego.

    ---------------Et bien sûr, c’est aussi le dopant de la mondialisation. Rajendra Pachauri, le président du GIEC disait : « les pays en développement ou émergents sont imprégnés par les images de la prospérité des pays riches. Leur imaginaire baigne dans la consommation, la culture occidentale ». Sudha Mahalingam confirme : « Les classes moyennes en Inde voient ces images puissantes à la télévision, le mode de vie occidental qui est si désirable, ils voient les feuilletons anglais, ils regardent les chaînes Discovery, Travel, ils veulent ça, ils pensent que c’est le bon mode de vie ». On pourrait évoquer le culte de l’image en Chine. Et on peut continuer sur tous les continents et faire le même constat. Sur ce plan là, nous ne sommes pas différents. Ce n’est pas un phénomène « culturel », c’est tout simplement humain. Le capitalisme est taillé pour libérer l’avidité de l’ego, il est l’incarnation de l’ego sous la forme de système économique. Il ne faut pas se laisser abuser par la rhétorique compliquée des économistes classiques. Il faut aller au-delà des formalismes mathématiques et trouver la forme de conscience qui est à l’œuvre. La toucher comme nous toucherions un arbre. La démasquer. Voir en pleine lucidité la motivation fondamentale et la mettre en lumière. Posons-nous ces questions : en terme de conscience, à quoi correspond le capital du capitalisme ? Qu’est-ce que la recherche du profit ? Qu’est-ce que la monnaie ? Que représente un crédit qui n’est consenti que pour l’intérêt ? Qu’est-ce que l’usure ?

 Quand nous gagnons la vision en profondeur de ces mécanismes, le doute n’est plus possible. L’absurdité éclate au grand jour. Il devient évident que seul un changement de conscience radical peut nous offrir une issue. « L’individualisme, conjugué à l’obsession de la compétition, nourrit la névrose collective qui ronge les sociétés ».

    2) Si la monnaie constitue une réserve de valeur et que nous décidons que désormais son usage doit servir  le bien de tous, il faut impérativement revenir à son usage de crédit à vocation sociale et abandonner la visée du capital. Hervé Kempf fait une remarque à ce propos sur les mots utilisés par les commentateurs de l’économie. « Auparavant, « investisseur » désignait un entrepreneur qui engageait son capital dans une opération industrielle ou commerciale à l’issue incertaine. Maintenant, le terme qualifie les personnes ou les firmes qui jouent sur le marché financier et qui ne sont, au vrai, que des spéculateurs » !

    Yunus propose de revenir au premier sens du crédit, en allant même jusqu’au bout de la logique dans le social business d’entreprises dont la vocation explicite n’est pas le profit mais l’amélioration des conditions de vie, la valorisation des talents humains, la lutte contre la pauvreté. Afin de  reconnaître la complexité des aspirations de l’être humain, « il nous faut  créer un nouveau type d’activité économique visant des buts autres que la maximisation du profit – une activité économique totalement dédiée à la résolution des problèmes sociaux et environnementaux ».

    Il faut alors nettement distinguer trois formes d’activité économique. Dans un tableau, cela donne ceci :

Entreprise classique

Social business

Fondation caritative

Objectif : maximiser le profit

Objectif : résoudre les problèmes sociaux et environnementaux

Objectif : Apporter une aide pour résoudre les problèmes sociaux et environnementaux

Investisseur visant un bénéfice

Investisseur ne retirant pas de bénéfice, mais pouvant récupérer sa mise

Fonctionnement sur la base des dons reçus, sans but lucratif

Entreprise

Entreprise

Organisation charitable

Doit couvrir ses coûts

Doit couvrir ses coûts

Ne couvre pas ses coûts

Facture un prix pour les biens et les services vendus

Facture un prix pour les biens et services rendus

Obligation de lever des fonds

Capital

Sans capital

Dons réuni pour des actions humanitaires ONG

Ex : produits alimentaires de luxe avec emballage coûteux

Ex : produits alimentaires destinés au marché des enfants pauvres, peu chers

Ex : actions contre le SIDA, contre la faim etc.

Ex : système énergétique haut de gamme installé par une firme internationale

Ex : système d’énergie renouvelable pour communautés rurales

Ex : système énergétique apporté dans une campagne d’aide

Fonctionne à partir de l’actionnariat d’entreprise

Ne compte pas sur les dons extérieurs pour assurer son équilibre

Compte sur les subventions et les dons pour combler ses pertes

Dépendance financière à l’égard du capital

Recherche l’indépendance financière (autofinancement)

Dépendance financière à l’égard des dons

 Entreprise qui doit réaliser des profits, ne pas avoir de perte et doit distribuer des dividendes à ses actionnaires

« Entreprise qui ne réalise pas de perte et ne distribue pas de dividende »

Organisation fondée sur les initiatives caritatives cherchant à réaliser des objectifs sociaux, sans profit

Multinationales et mondialisation

Développement au niveau local

Intervention locale

Satisfactions de voir les marges augmenter, de faire grandir l’entreprise

Satisfaction d’apporter des bienfaits et d’améliorer les conditions de vie qui peut s’étendre dans la durée

Satisfaction de la philanthropie, mais sous forme d’actions ponctuelles

Compétences de gestion

Compétences multiples

Compétences multiples

Crédit classique

Principe du micro-crédit

Donations

     Le point important concernant l’usage qui est fait de l’argent comme crédit, c’est que celui qui investit dans le social business  ne recevra pas en tant qu’actionnaire de rémunération. Il pourra cependant, un peu plus tard, récupérer sa mise. Il ne s’agit pas pour autant d’une organisation caritative, mais bien d’entreprise, la différence portant sur la nature des objectifs qu’elle se propose. Le micro-crédit est, comme la monnaie locale, au service de la relocalisation de l’économie et il part aussi du principe que l’économie réelle doit être gérée sans introduire la motivation du capital. Il s’agit indéniablement de changer notre paradigme économique en modifiant radicalement notre manière d’utiliser l’argent.

      3) Quel modèle économique est le plus en accord avec les besoins d’une économie verte ? Inutile d’évoquer par le détail les méfaits désastreux du capitalisme sur l'environnement. (texte) Il existe suffisamment d’études pour les montrer. Le dossier à charge est accablant. Mais ce que nous ne voyons pas assez clairement semble-t-il, c’est l’enchaînement logique qui va de « profit à « profiter » dans la productivité comme dans la consommation.

    - Cette logique dans la productivité va a) de la maximisation des profits vers b) la croissance frénétique, c) le contrôle total des ressources,  jusqu’à d) leur épuisement. Une entreprise régie par la loi du profit fonctionne dans une logique de guerre : « premier arrivé, premier servi » ! Ce qui implique directement que l’usage de l’argent nourrit l’avidité de pouvoir et quiconque possède l’un et l’autre n’a plus qu’à s’assurer par-dessus le marché des moyens militaires pour parvenir à ses fins. Faire toujours plus de profit.  Eau, pétrole, charbon, gaz, terres agricoles, poissons etc. tout ce qui est exploitable sera exploité. La logique du profit mène directement à la spoliation et à l’exploitation. Et quand les ressources se tarissent, il reste encore les moyens de la guerre pour aller les chercher ailleurs.  Seulement, les ressources se prennent sur un territoire ce qui implique tous ceux qui y vivent. Mais ont-ils seulement voix au chapitre ? La question est simple : « Il n'y a pratiquement jamais de siège autour de la table pour la population dont la vie dépend du partage des ressources. Si l'on se fonde sur la logique capitaliste, pourquoi tenir compte de ces gens? En quoi leurs besoins contribuent-ils à la maximisation du profit ? »  Et c’est là que nous comprenons qu’il en serait tout autrement avec le social business qui a d’emblée des objectifs différents. Le social business réunit naturellement responsabilité sociale et environnementale. L’expérience a suffisamment montré que lorsque la logique du profit et la responsabilité sociale sont en conflit, la recherche du profit l’emporte toujours. Dans la mentalité qui prévaut dans le monde des affaires, accepter de limiter les profits afin de contribuer au bien-être social, c’est… se voir accuser d’irresponsabilité financière par les actionnaires ! Et ne parlons pas du souci de préserver la planète, car, ou bien on s’en fiche éperdument, ou ce n’est qu’un argument marketing et pas un objectif réel. Nous ne pouvons donc pas trouver sur le terrain du capitalisme de solution sérieuse. Il faut rompre avec son paradigme et en inventer un autre.

    - Le lien entre « profit » et « profiter » dans la consommation va de a) multiplier sans fin les objets dans la prolifération de l’inutile, sans aucun égard à ce que nous avons réellement besoin. b) Mettre l’accent dans le marketing sur la séduction de l’emballage, plus que dans ce qui est dedans, au point que parfois la publicité et l’emballage valent plus cher que le produit. c) D’où une surproduction monumentale d’ordures et un gaspillage démentiel. d) Avec le marketing, le conditionnement du sujet qui va avec : impulsif, irresponsable, léger, superficiel aussi stupide dans l’échange que le consommer-jeter de son mode de vie habituel. e) D’où par effet de contamination le renversement de toutes les valeurs au profit d’une seule qui tient dans un mot : « profiter » ! Au point d’ailleurs que dans la foulée ne compte plus que la quantité de ce que l’on peut posséder ou accumuler. N’oublions pas que nous sommes dans le déroulement complexe des conséquences à partir d’une idée simple « capital ». Ce qui implique l’accumulation. f) D’où un effet de déconnexion complète avec la vie. 

    Le social business partant d’une logique différente qui n’est pas axée sur le profit, a un enracinement local plus profond et il est plus à même d’être à l’écoute des vrais besoins. Et pour commencer la faim des populations en souffrance. Il peut être un porte-parole (texte) efficace des voix populaires qui demandent le respect de leur cadre de vie et l’accès à une existence décente. Dans le cadre du social business, il est tout à fait possible de mener une pédagogie pour enseigner les modes de vie les plus sains, aider à comprendre pourquoi la nourriture locale est meilleure. Aider à comprendre combien il est facile d’améliorer nos conditions de vie si on privilégie la simplicité volontaire (cf. Serge Mongeau texte).

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    La situation actuelle est d’une telle gravité que plus personne ne peut plus nier les dysfonctionnements du capitalisme financier. Ils sont devenus parfaitement visibles. A partir du moment où nous voyons clairement les dysfonctionnements d’un système, nous ne pouvons plus y adhérer, ce qui veut aussi dire que nous ne pouvons plus nous identifier aux croyances qui le soutiennent.

    Si nous ne voulons ouvrir la voie à des alternatives et pas reproduire les erreurs du système actuel, il est indispensable d’ouvrir les yeux sur la signification réelle de la monnaie. La monnaie a été instituée pour servir l’échange, permettre la satisfaction des besoins individuels et l’amélioration des conditions de vie. Elle n’a jamais été destinée à nourrir l’avidité, à exacerber la compétition et le besoin égocentrique de dominer autrui. La leçon de la monnaie locale consiste à nous montrer qu’il faut rendre à la monnaie sa fonction de simple moyen de mesurer l’échange et cesser de la considérer comme une fin en soi. Cela veut dire regarder l’échange comme une coopération et non comme une compétition. Nous avons maintenant assez d’expérience pour envisager de créer des monnaies municipales sous contrôle démocratique qui soient non-capitalisables et entière dédiées au service du développement local et de la valorisation directe des capacités disponibles.

    L’apparition du micro-crédit et dans la lignée d’une forme d’entreprises à vocation sociale et environnementale nous montrent que, contrairement à ce que certains prétendent, il existe bel et bien des alternatives au capitalisme.

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Vos commentaires

Questions:

1.  Quelles différences y a-t-il entre un système d'échange local et le travail au noir?

2.  Pourquoi cette idée de déprécier tous les mois de 1% la monnaie locale?

3.  Y a-t-il conflit entre monnaie locale et monnaie d'État ?

4.  Quels avantages y a-t-il à ce que le pouvoir politique récupère le contrôle de l'argent?

5.  Quelle relation y a-t-il entre le développement de la dette et la spéculation financière?

6.  Que veut dire : "l'homme est un être multidimensionnel?

7.  Le capitalisme fait dans la publicité et l'image sa propre propagande, son dépassement n'implique-t-il pas de notre part en contrepartie un énorme travail d'éducation?

 

      © Philosophie et spiritualité, 2009 Serge Carfantan.
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