Nous avons précédemment relevé quelques distinctions. Par illusion d’optique nous avons désigné les effets comme ceux de la réfraction de la lumières, les jeux de lignes qui dans un dessin ont tendance à induire le jugement en erreur. Nous avons vu toute l’importance de l’illusion onirique, dans laquelle l’esprit plongé dans l’inconscience est aux prises avec ses propres constructions mentales au point d’en être subjugué il ne peut les remettre en question qu’en revenant à l’état de veille. Par illusion psychologique, nous avons vu qu’il faut entendre la tendance du mental à projeter ses propres productions, ses attentes et ses craintes, notamment sur le futur. Ce registre d’illusion nous l’avons rangé sous la catégorie d’illusion individuelle, mais nous avons vu que celle-ci peut aussi avoir la portée d’une illusion collective, car ce sont les mêmes mécanismes qui oeuvrent sur le plan du mental collectif.
Dans toute illusion l’esprit effectue une sorte de recouvrement de la réalité, l’illusion projetant un voile qui se superpose au réel, de sorte que le mental adhère à une représentation qui est de son propre fait, mais n’a qu’un rapport lointain avec la réalité. Bref, l’illusion opère une subversion du réel. Étant donné que la question de la Réalité est le thème central de la métaphysique, il est clair que nous ne pouvons pas éviter de pousser un peu plus loin l'interrogation en posant le problème de ce que nous appellerons l’illusion métaphysique.
Dans ce qui suit, il sera sous-entendu que les leçons précédentes ont été assimilées. Nous n’allons pas nous embarrasser de détours très compliqués, mais nous attaquer directement à une seule question : qu’est-ce que l’illusion métaphysique ? Elle recoupe le titre d'un petit ouvrage de Michel Hulin sur le Vedânta que nous allons croiser, mais comme nous pratiquons ici la philosophie générale et non le commentaire ...
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Commençons par déblayer le terrain pour y voir plus clair, car, du côté des attitudes superficielles, crédules, imbues d’elles-mêmes, cyniques, il y a toutes sortes d’entourloupes pour éviter la question et fabriquer à la chaîne des sophismes.
1) Commençons par le sophisme de la légèreté, celui de la répartie facile, souvent appuyé par une rigolade un peu forcée, qui consiste à camper sur une conception de la réalité jamais soumise à l’examen, pour déclarer tout de go que celui qui interroge est dans l’illusion. Répétons encore une fois ce qui a été dit plus haut : dénoncer une illusion n’a de sens que si on est en mesure de s’appuyer sur quelque chose de bien plus solide que cela même que l’on prétend dénoncer, sinon ce n’est que parole en l’air. A ce compte l’alcoolique plongé dans un delirum tremens, en proie à des hallucinations, (texte) pourrait tout aussi bien dire que son cauchemar est la réalité et que la perception claire et lucide de l’individu à jeun, est une illusion. Et puis, tant qu’on y est, pourquoi ne pas dire que les fantasmes de fashion victim sont la réalité et que le reste n’est qu’illusion ? Pourquoi ne pas dire que l’adhésion inconditionnelle à la vision du consumérisme ambiant est l’ultime réalité ? Après tout, n’est-ce pas souhaitable, voire nécessaire d’un point de vue du marketing ? Mieux, la logique de l’appât du gain ne serait-elle pas l’unique réalité, tout le reste n’étant qu’illusions nocives, car risquant de contrarier les intérêts du profit ? Il faudrait alors discréditer systématiquement toutes les remises en cause du système. Mais soyons tranquille, sur la voie du sophisme de la légèreté, personne ne tient la route et les joueurs quittent très vite la partie et refusent de discuter. Refusent de se poser des questions. Notons cependant que l’évitement généralisé, et l’évitement de toutes les questions essentielles est exactement ce à quoi nous sommes souvent invités… sur un mode ludique et lubrique ! Ce qui est la caractéristique la plus évidente de l’irresponsabilité chronique ...
Plus solide intellectuellement, le sophisme moral sur la réalité. Il consiste à partir de ce qui devrait être pour aller ensuite vers ce qui est. L’obligation doit exister, parce que nous en avons besoin. Nous l’avons dit et redit et une lecture sérieuse de Krishnamurti le fera aisément comprendre, partir de ce qui doit être pour aller vers ce qui est précisément la façon la plus illusoire qui soit d’approcher la réalité. En prétendant juger par avance de la réalité, la représentation morale la recouvre d’un voile de présupposés. La question n’est pas de savoir comment fabriquer une réalité qui soit conforme à nos exigences, pour ensuite en chercher confirmation sous forme d’argumentation bien montée. La question est : qu’est-ce qui est réel ? Ou qu’est-ce qui est illusoire ? C’est un reproche que David Hume adresse à Leibniz que de commencer par des considérations morales pour imaginer Dieu comme l’entité qui devrait obligatoirement les remplir. Un
------------------------------Dieu soumis au cahier des charges des doléances morales de l’homme. La morale ne peut par décider de ce qu’est la réalité et bien au contraire, le moralisme est le plus sérieux obstacle que l’on puisse trouver dans l’interrogation métaphysique. Bien sûr, de là suit que le sophisme moral enveloppe par définition le sophisme religieux pour autant que la religion se fonde sur un credo et se présente effectivement avant tout comme système moral de prescriptions. Ce qui veut dire qu’il faut être prêt à accepter que la réalité fasse exploser nos croyances, dans la mesure où elles ne sont aucunement fondées.
2) Mais ce n’est pas fini. Il y a encore une autre ruse. Le sophisme du sophisme du relativisme subjectif qui se présente comme suit : « vous avez votre réalité, j’ai la mienne, à chacun sa réalité et puis c’est tout ». A quoi on rétorquera bien sûr : alors à chacun ses illusions aussi ! L’illusion est un processus dans lequel précisément l’ego veut s’isoler, s’enfermer, s’imaginant qu’il est le seul maître de son territoire personnel. Il suffit alors de lancer en l’air n’importe quelle opinion pour qu’aussitôt elle soit aussitôt décrétée comme la vérité et la réalité. Le résultat calamiteux, mais que nous ne voulons pas voir, c’est qu’il n’y a alors plus d’erreur ni d’illusion possible ! Je décide que 2+3 = 9, que la Terre est plate, que Louis XVI n’a pas été guillotiné, que les camps de concentration n’ont jamais existés, que les étrangers sont tous des dégénérés etc. c’est « ma » réalité ! Je suis dans ma bulle de pensées et c’est « ma » réalité. On dirait mieux, mes illusions. Le propre de l’illusion c’est de nous faire vivre dans une bulle et tôt ou tard elle doit éclater. Les illusions ne durent pas, elles sont par nature vouées à l’effondrement parce qu’elles ne sont pas réelles. Certes, nous avons vu qu’il est rationnel d’admettre que notre savoir est limité et qu’il peut être remis en cause jusque dans ses fondements, donnant lieu à un changement de paradigme. Mais cela ne veut pas dire pour autant que toutes les affirmations en l’air se valent et que nous ne savons rien de la réalité. Là où le savoir réussit, c’est quand il atteint des invariants, quand il fait des percées remarquables et personne ne le contestera, il y a bien eu des découvertes fantastiques tout au long de l’histoire des sciences.
Argument qui, brandit comme un étendard de
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Questions:
1. Quelles conséquences pourrions-nous tirer de l’idée selon laquelle la manifestation de l’univers est avant tout artistique ?
2. Si on résume, qu’est-ce qui oppose travail de l’artiste et travail de l’ouvrier soumis à la technique ?
3. Comment l’art peut-il récupérer la technique sans se soumettre à sa logique ?
4. Est-ce une même chose que d’expliquer une œuvre par référence à son auteur et d’expliquer une œuvre en terme d’esprit humain et de conscience ?
5. Comment expliquer que certains artistes suent sang et eau pour produire une œuvre et conservent des doutes sur sa valeur ?
6. Pourrait-on rendre compte de la créativité artistique par une simple puissance, une énergie psychique peu commune ?
7. Qu’est ce que l’art peut nous dire d’essentiel sur le sens du travail ?
© Philosophie et spiritualité, 2012, Serge Carfantan,
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