Leçon 279.
Croyances et société
A
écouter les sociologues on a parfois l’impression qu’ils croient vraiment que
ce qu’ils nomment les « déterminants sociaux »
existent par eux-mêmes ; un peu comme s’ils étaient disposés là à demeure,
comme des blocs de béton en travers du chemin, de sorte que l’individu devrait
buter dedans ou les éviter sur sa route. Il y a le bloc des conditions économiques, le bloc des conditions familiales, le bloc de l’influence des traditions, le poids des partis
politiques, des religions, des groupes de
pressions en tout genre etc. Si
on veut bien concéder à l’individu un tout petit degré de libre arbitre, ce sera dans la mesure
limitée où il pourra contourner ces poids lourds.
Mais cette
analogie n’est même pas exacte, car la situation est d’ordinaire décrite comme
bien
pire. Ce serait plutôt celle d’une bille dans un flipper propulsée pendant
une durée déterminée d’un point à un autre par des forces « sociales » qu’elle ne
contrôle pas, auxquelles elle est soumise, jusqu’à ce qu’à la fin, elle tombe
dans le trou quand la partie est finie. Cela s’appelle la mort,
qui elle aussi est très encadrée socialement !
Dans pareil cas de figure donc, pas de liberté du tout et le fatalisme théorique conduit
droit au discours de victime : « que
voulez-vous, c’est la société qui nous a fait, qui nous formate et nous
manipule, et cela depuis l’enfance. On n’y échappe pas ! On est le produit
du conditionnement de la culture, de la famille, des
préjugés d’une classe, d’une tradition,
des conditions économiques etc. ».
Alors
quoi ? Il faudrait fuir la
société, partir au bout du monde sur une île pour enfin être libre ? Mais
si on pense que ces fameux déterminants existent en soi et qu’ils nous ont
formé, ils vont encore nous suivre, partout où qu’on aille. A moins que… à
moins qu’ils n’existent pas en soi, mais seulement à travers de nos croyances, de sorte que ce sont
surtout nos croyances qui nous déterminent bien plus que ces abstractions
érigées en puissances réelles et personnifiées. Après tout, la « société », cela n’existe pas, il n’existe que des
individus et ce sont eux qui font corps dans une conscience collective. Mais
justement, même quand ils sont corps dans une société, la question se pose :
Les
croyances collectives produisent-elles des déterminismes sociaux ? Rien
n’est plus facile que de renforcer la croyance
dans la puissance des déterminismes
sociaux, c’est quasiment enfoncer une porte ouverte tellement elle est ancrée
dans les mentalités. Il est plus difficile de mettre
au jour le fondement psychologique sur lequel elle s’appuie.
* *
*
A. La puissance des
croyances
Suite à une longue tradition qui remonte certainement aux Lumières et au combat
contre l’obscurantisme, nous avons tendance à interpréter les « croyances » dans
un sens exclusivement religieux, ce qui donne l’idée fausse mais néanmoins
répandue, que les croyances seraient cantonnée dans un domaine spécifique,
tandis qu’ailleurs elle seraient absentes. A cela s’ajoute une autre idée fausse
selon laquelle les croyances se réduiraient à l’adhésion à un
credo selon le modèle des religions du
Livre. Il y aurait les croyances des Musulmans, des Chrétiens, des Juifs, des
Coptes, des Orthodoxes, des Protestants etc. et les autres dans le même registre
etc. Manière de penser complètement erronée. Il existe des formes de
religions
dépourvues de ce type de croyances et pourtant animée d’une foi qui du coup
devrait s’appeler autrement, vu l’usage que l’on fait du mot en Occident.
Surtout, ce que nous ne voyons pas clairement, c’est qu’en réalité, les
croyances sont partout présentes. Il n’existe pas un seul domaine du savoir ou
de la vie qui leur échappe. Elles sont même à la racine de nos conduites
les plus ordinaires, car communément, un être humain agit toujours en fonction
de ses croyances, en fonction de ce qu’il
croit être bien pour lui-même ou
pour autrui. La question ensuite est de savoir s’il existe une spécificité des
croyances à caractère social ou pas.
1) Pour la clarté de l’exposé commençons par quelques distinctions. Quand
l’esprit adhère à une opinion particulière, il y
croit dans la mesure où il pense qu’elle est
vraie. La croyance peut prendre
la forme d’une opinion personnelle au sujet de quelque chose quand elle formule
un simple avis. « Je pense que ». La croyance porte sur
des affirmations qui sont tenues pour vraies. C’est le champ de ce que nous
pouvons appeler la
croyance-opinion. Notons immédiatement que ce qui est personnel dans
la croyance-opinion, c’est surtout la prise de
position, pas le contenu, car celui-ci est presque toujours emprunté aux idées
courantes qui circulent dans la conscience collective. Il peut aisément être
d’une indicible banalité. Le « moi je pense que » cherche à se singulariser en
se posant face à d’autres, mais sur le fond, on a vite fait de reconnaître des
idées répandues dans la société. Et même des appartenances et des clans.
L’opinion pense dans le mental collectif qui est de part en part social. La
prétention à afficher des « opinions originales » est largement surfaite, ce qui
n’empêche pas qu’il puisse y avoir une réflexion
personnelle élaborée tout à fait originale quand quelqu’un
se met à penser par lui-même et
qu’il prend justement ses distances vis-à-vis de la croyance-opinion.
Dans un second sens, on entend par croyance la
croyance-foi, adhésion aux
vérités révélées par les textes religieux. Le fidèle d’une confession
religieuse, croit dans un ordre supérieur de vérité qui dépasse la certitude
sensible, l’Écriture portant témoignage d’une révélation de Dieu faite à
l’homme. La croyance, organisée dans une religion, est son credo, c’est la Foi
au sens religieux tel qu’on l’entend en Occident. Ce
qui est personnel dans la croyance-foi relève d’une
adhésion intime, les
croyances centrales, mais qui ne peuvent êtres isolées de la société
entendue comme communauté des croyants. Par contre, il est clair que la
croyance-opinion peut ne pas avoir ce caractère intime et rester une
croyance périphérique assez peu
rattachée à un sens de l’identité. De
là l’idée que l’on peut changer d’opinion comme de
chemise. Il n’en n’est pas de même dans la croyance-foi qui est plus ancrée dans
un souci d’appartenance, des valeurs et une image du moi.
Donc,
dans un cas comme dans l’autre les croyances ont bien un caractère social., il
est tout aussi évident qu’il est strictement impossible de penser une société
indépendamment de ses croyances. Ce serait un non-sens. On peut même aller
encore plus loin : toute considération portant sur la société enveloppe des
croyances racines au sujet de la société, croyances à partir desquelles
on interprète la société. Que celles-ci
soient justes ou fausses, pertinentes ou infondées est un tout autre débat que
l’on peut aisément éluder. C’est exactement ce qui se passe d’ordinaire.
L’interprétation fonctionnera encore très bien, quand bien même on ne ferait
rien pour remettre en question les croyances et surtout si on ne fait rien pour
les mettre au jour.
2
-----------------------------------------------------------------------------------------------
L'accès à totalité de la leçon est protégé.
Cliquer sur ce lien pour obtenir le dossier
Vos commentaires
©
Philosophie et spiritualité, 2017, Serge Carfantan,
Accueil.
Télécharger.
Notions.
Le site
Philosophie et spiritualité
autorise
les emprunts de courtes citations des textes qu'il publie, mais vous devez
mentionner vos sources en donnant le nom du site et le titre de la leçon ou de
l'article. Rappel : la version HTML est une ébauche. Demander la version
définitive par mail ou la version papier.