La philosophie a par nature pour vocation par nature d’être le carrefour obligé de tous les savoirs. C’est en elle que convergent toutes les réponses, car c’est elle qui pose toutes les questions. Elle est le creuset dans lequel viennent se fondre toutes les interrogations. Cependant, ce serait trop demander à ceux qui l’enseignent d’être au courant de tout. De fait, on peut le regretter, l’enseignement officiel de la philosophie fait l’impasse sur la philosophie extra-européenne, ignore les nouvelles perspectives de la physique quantique comme celles de David Bohm, ou des travaux comme ceux de James Lovelock, de Rupert Sheldrake, ou de Dominique Laplane. Le dossier des NDE fait partie de ces questions passées sous silence. Comme pour d’autres dossiers qui nous semblent importants, nous allons ici tenter de lui rendre justice.
Nous avons vu que la question de la mort pouvait renvoyer à sept réponses différentes, suivant le point de vue que nous prenons sur elle. La quatrième d’entre elles portait sur la possibilité d’une expérience intime de la mort. Nous avons présenté très brièvement quelques unes des recherches portant sur les NDE. Mais le dossier des NDE s’épaissit et prend aujourd’hui une telle ampleur, qu’il n’est plus possible de feindre de l’ignorer. Sur le sujet, nous ne sommes plus au temps des explorateurs, nous sommes au temps de la recherche et de l’interprétation. On ne peut pas s’en tirer sur cette question par un évitement philosophique de principe, même s’il prétend s’appuyer sur des références d’autorité contemporaines.
On ne peut pas indéfiniment ronronner avec des vieilles références quand une provocation nouvelle d’une telle envergure s’impose à nous. Le philosophe doit avoir son mot à dire sur un thème qui le concerne de si près. Il ne s’agit pas d’en faire un tabou officiel et il n’est pas très sérieux intellectuellement de faire complètement l’impasse sur le sujet. Trop de questions importantes sont soulevées, les témoignages ont un poids, une cohérence. Ils forcent l’interprétation et on ne peut pas indéfiniment se défiler devant la nécessité d’une prise en compte de la question. C’est une dérobade sophistique que de tourner les talons en prétendant à la va-vite que la mort « personne ne saurait jamais ce que c’est ». La moindre des choses, avant même de critiquer, serait d’abord de prendre connaissance du dossier. De l’examiner honnêtement, avec attention et rigueur avant de se prononcer. De ne juger qu’après examen et non avant. C’est ce que nous allons essayer ici.
En quelques mots la question est celle-ci : Quel enseignement pouvons nous tirer des expériences de mort imminente ?
* *
*
Décrire un
vécu de conscience est
l’approche la plus directe que puisse emprunter le philosophe, car c’est dans la
donation consciente de l’expérience que s’offre le vécu.
C’est dans l’expérience que l’essence se donne pour ce qu’elle est. Un concept,
coupé de toute expérience, est comme une coquille vide, il n’a pas reçu de remplissement intuitif
(R) et reste voué à l’indétermination d’une abstraction vide.
Inversement, une intuition sans concept n’est guère communicable, dans la mesure
où elle ne trouve pas de mots pour se dire. Il est donc de bonne méthode en
philosophie de ne tenir de discours que là où il y a une
expérience possible.
L’expérience possible est comme la clé de voûte de la vérité. Elle supporte le
discours.
Ce qui est attendu, a) c’est bien sûr que l’on prenne appui sur une expérience
authentique, non pas falsifiée ou faussée. b) Il est
aussi souhaitable qu'elle soit d’un ordre aisément accessible tout être humain, afin
que chacun puisse par lui-même relier ce qu’il éprouve à ce qui a été apporté à
titre de description. c) Une expérience prend une valeur
objective quand
elle peut donner des résultats invariants chez tout observateur en possession de
son bon sens. d) Il n’existe pas d’expérience « objective » en soi, toute
expérience est subjective, mais un consensus d’expérience en commun
détermine ce que nous appelons objectivité.(texte)
1) Avec les NDE il est indiscutable que nous sommes en
présence d’un vécu conscient,
tout à fait concret pour celui qui l’éprouve. Nous
disposons de descriptions de cette expérience sous la forme de témoignages.
Quiconque a déjà étudié les récits des experiencer, comme on les appelle
aujourd’hui, ne pourra que reconnaître que l’expérience a aussi un caractère
intuitif, bien que les témoins peinent à
trouver les mots juste pour essayer de décrire ce qui s’est passé. C’est plutôt
un vécu direct, un voir immédiat qui a duré pendant le temps du coma. Ce n’est
pas la démarche inverse consistant à partir de la spéculation avec des concepts
pour raisonner sur un thème précis, celui de la mort, et conclure ensuite vers
des faits. Indéniablement, le critère de l’expérience possible fonctionne.
L’authenticité respire dans ces textes saisis sur le vif. Le sujet des NDE n’a
que rarement de culture spécifique sur le sujet, il
rapporte ce qui s’est passé. Ce n’est pas nécessairement un esprit religieux,
bien au
contraire. Le seul problème phénoménologique sérieux, dans l’analyse des NDE,
c’est la difficulté qu’il y à partager ce type d’expérience, de la relier à
soi, dans la mesure où l’expérience n’a pas été personnellement vécue et qu’elle
est relativement rare.
Notons à ce sujet que ce problème épistémologique du
témoignage n’est pas spécifique aux NDE. Après tout, il se pose avec encore plus
de difficultés dans la plupart des sciences humaines et en particulier en
histoire. Le témoin historique rapporte une situation unique. Une
expérience qui ne peut pas être répétée. Il dit ce qu’il a vu ce jour là, de
l’endroit où il était placé. Il ne rapporte pas une expérience d’un type
spécifique pouvant être connue par d’autres personnes. Pour faire un
rapprochement pertinent, la même question se poserait dans l’ordre de
l’expérience synchronistique. Nous disposons aujourd’hui d’une masse importante
de rapports d’expériences que nous n’avons pas ailleurs, comme dans l’ordre des
témoignages mystiques. Il fallait donc pour les étudier forger une méthodologie
adaptée au phénomène. Ce que plusieurs chercheurs ont fait.
L’histoire
commence avec la parution d’un livre qui va connaître un tirage colossal, La
Vie après la Vie de
Raymond Moody. Nous sommes en 1970, philosophe et
psychiatre, Moody a été interpellé par le témoignage de ses propres
étudiants au sujet de récits rapportés par des proches ayant connu un coma. En
tant que psychiatre, il a eu affaire assez souvent à des réanimations. De nature
très affable, certains de ses patients n’hésitent pas à lui raconter ce qu’ils
avaient vécu pendant un arrêt cardiaque prolongé. Moody commence à prendre des
notes, accumule petit à petit une documentation et décide un jour, un peu par
jeu, pour provoquer ses confrères, de publier la somme de ses réflexions sur ce
qu’il nomme les NDE. Le livre devait être au départ un petit tirage
confidentiel. Il va vite devenir un best seller, faire des vagues et lever tout
d’un coup un tabou, car pour la première fois quelqu’un ose parler de ce que
bien des gens avaient pu connaître, mais n’osaient pas dire, même à leur
proches. Moody procède en paléontologue, il découpe les récits, les compare et
essaye de reconstituer une sorte d’animal étrange, ce que nous appellerons
l’archétype de l’entrée dans la mort.
2) Moody dégage dans ces témoignages une série de
constantes
sous la forme de 14 caractères spécifiques. Par la suite, les chercheurs
travaillant sur le sujet ont précisé différents stades, plus ou moins avancés de
l’expérience. Certains sujets ne vont faire l’expérience que de a), b), ou c),
d’autres rapporteront directement aussi d), e), f) etc.
a) La NDE s’accompagne d’un sentiment d’amour
inconditionnel. Le sujet qualifie directement d’indicible cette expérience,
tant elle diffère de l’expérience habituelle, de l’attachement affectif à
la vie ordinaire. Le témoignage de Philippe Labro : (N°1) « Je n'éprouve qu'une consolante et surprenante
sensation de paix et encore plus d'amour que je n'en ai ressenti récemment, à
l'égard des miens ou des autres. Cet amour est indéfinissable. Je voudrais
pouvoir le donner et l'offrir autour de moi comme du miel, mais je ne suis
entouré que de lumière. Comme des voiles de lumière, des passages et des
courants de blancheur, quelque chose de diaphane, quelque chose de cristallin.
Il n'y a personne vers qui je puisse dispenser l'abondance d'amour qui me
submerge ».
b) Le sujet a la surprise de s’entendre déclaré mort et
tout lui semble soudain étrange. Témoin ces propos, très fréquents chez les
sujets ayant vécu une NDE : (N°2) «
Je n'ai pas compris tout de
suite qu'il
s'agissait de mon corps. Je ne pensais pas que j'étais mort. J'ai entendu
l'infirmière annoncer : " Je ne trouve plus son pouls. Elle ne respire plus,
elle y est passée. " ... Je me sentais très détachée, très à l'aise. Je pensais
en moi-même : qu'est-ce qui t'arrive ? Il y a quelque chose qui ne va pas, je le
sais. Et alors, tout d'un coup j'ai pensé : Oh ! Je suis en train de mourir,
c'est donc ça -- et honnêtement j'en étais heureuse... Et alors je l'ai entendue
(l'infirmière) crier : " Mon Dieu ! Elle est morte…à travers cette obscurité
j'entendis mon mari, comme s'il était très loin, s'écrier : " Cette fois, c'est
fini ! " Et moi je pensais : " Oui, il a raison, c'est fini ! "
c) Le sujet éprouve une sensation profonde de calme et de
paix. Ce que dit assez bien ce témoignage : (N°3) «
Je me sentais
paisible. Je me sentais calme... Je me souviens uniquement de cette sensation de
beau absolu. De paix... et de bonheur ! Oh ! D'un si grand bonheur... le
soulagement... La peur n'existait plus. Je ne ressentais absolument rien si ce
n'est paix, réconfort, bien-être, un grand calme. J'avais l'impression que tous
mes ennuis avaient cessé, et je me disais : " Que c'est doux, que c'est
paisible, je n'ai mal nulle part ».
d) Le sujet entend un son qui lui vient de l’intérieur.
(N°4) «
La première chose dont je me souvienne c'est d'un formidable
grondement. Il me semble avoir entendu comme une espèce de sirène. Une sirène et
quelque chose qui ressemblait à un grand bruissement dans les arbres. Au souffle
d'un grand vent dans les arbres... je commençais à entendre une espèce de
musique : une musique très belle, très majestueuse ». L’expérience alterne
souvent avec son contraire, celle d’un arrière fond d’un Silence jamais éprouvé
auparavant.
---------------e)
Le sujet se sent sortir de son corps et se voit de
l’extérieur. Par exemple : (N°5) «
ma mère et ma bonne criaient et
pleuraient parce qu'elles pensaient que j'étais morte. Je me sentais vraiment
navrée pour elles et pour mon corps ... Juste une profonde, profonde tristesse.
Je peux encore ressentir cette tristesse.(...) puis je me souviens que j'étais
collé au plafond et je regardais les gens en dessous de moi qui s'occupaient de
mon
corps. Après quoi je me retrouvai en train de flotter à peu près à un mètre
cinquante au-dessus du sol, à environ cinq mètres de la voiture. À la suite d'un
accident de la circulation (...) je m'élevais doucement en l'air, et pendant que
je montais je vis d'autres infirmières pénétrer dans la chambre en courant.
Alors j'ai voulu attraper les mains pour les empêcher de me triturer, mais en
vain... (Au cours d'une intervention chirurgicale -- NDA) Je ne sais pas si les
miennes leur passaient au travers ... Je ne sentais pas le contact de ces mains
que j'essayais d'empoigner. J'avais l'impression d'avoir un autre corps (...).
Il était très mince, très délicat. Très léger, très léger. Ce n'était pas un
corps : rien qu'un très léger brouillard, une vapeur.
Cela ressemblait à ces
nuages que produit la fumée des cigarettes lorsqu'ils s'éclairent en passant
auprès d'une lampe (...). Tandis que je sortais de mon corps (...) je les voyais
très nettement (...). Je voyais également ma soeur qui est infirmière à
l'hôpital X (où se trouvait hospitalisé le sujet). (...) Je la voyais entrer
dans l'hôpital pour travailler (...). Quelqu'un lui annonça ce qui se passait et
elle se précipita en haut à toute vitesse. Je l'ai vue faire. Je l'ai vue monter
par l'ascenseur, dire aux gens qu'ils ne pourraient pas sortir à leur étage --
ce qu'elle m'a raconté ensuite et moi de même -- parce qu'elle utilisait le
dispositif d'urgence de l'ascenseur, et elle est montée droit à l'étage ».
f)
Le sujet se sent aspiré à travers un tunnel. Philippe Labro (N°6) «
Le tunnel n'a plus rien d'effrayant. Non seulement il n'est pas en pente, il ne
descend pas, mais il semble monter doucement, dans une ascension bienveillante.
En outre, il est clair, de plus en plus clair, il devient même tellement
lumineux que je suis aveuglé par cette lumière et je ne vois plus que cela : de
la lumière.(...) Ici, maintenant, il n'y a aucune souffrance. La lumière vient
m'apporter une sensation de paix comme je n'en ai pas connu depuis mon entrée en
réa, depuis que je me suis retrouvé subissant la machine et
les prises de sang,
les étouffements et le chaos ». La représentation du tunnel varie dans les
métaphore : tourbillon, spirale, trou aspirant etc.
g) Le sujet rencontrent des entités sous la forme de
proches, de parents. Ce stade n’apparaît pas dans toutes les NDE, mais il
est tout de même assez fréquent. (N°7) «
Quand j'ai entendu le médecin
parler de ma mort, j'ai cru que j'allais reprendre connaissance. C'est à ce
moment que je me suis aperçue de la présence d'un tas de monde, presqu'une
foule, planant à la hauteur du plafond de ma chambre. Tous des gens que j'avais
connus autrefois et qui étaient passés dans l'autre monde (...). Ils avaient
tous l'air content, c'était une circonstance heureuse, et je savais qu'ils
étaient venus pour me protéger ou pour me guider (...). Ce fut une minute
magnifique, toute de splendeur. Et en plus de ça, au cours de ce mois de mai, ma
compagnie avait perdu quarante deux hommes (témoignage d'un GI gravement blessé
lors d'une opération de guerre au Viêt-Nam). Les quarante deux gars étaient tous
là. Ils n'avaient pas la forme sous laquelle nous percevons le corps humain, et
je ne peux pas dire quelle allure ils avaient, parce que je ne le sais pas. Mais
je sais qu'ils étaient là. Je sentais leur présence. Nous communiquions sans
parler avec nos voix. »
h) Le sujet perçoit une lumière très puissante. Par
exemple : (N°8) «
Au début, elle m'a paru un
peu pâle, mais, tout à coup, il
y a eu ce rayon intense. La luminosité était prodigieuse, rien à voir avec un
éclair d'orage, une lumière insoutenable, voilà tout (...). C'était d'un blanc
étincelant, tirant un peu sur le jaune -- mais surtout blanc. Cela éclairait
tout alentour (...) la salle d'opération, le docteur et les infirmiers, tout.
J'y voyais très distinctement, sans être aveuglé. (...) j'ai de nouveau vu cette
lumière. Quasiment la même que j'avais aperçue au bout du tunnel. Elle était du
même doré vif, jaune Tout ce qu'il y avait, c'était une lumière éclatante qui
brillait de plus en plus, mais ça ne vous faisait pas mal aux yeux. ». « On ne
peut comparer cette lumière à rien de ce qui existe sur terre. Ce que je peux
dire de la lumière -- non, ce n'était pas une lumière mais l'absence
d'obscurité, totale et absolue (...). Eh bien, quand vous pensez à la lumière,
vous imaginez
une grande lumière qui éclaire tout et qui fait des ombres, etc. Cette lumière
était vraiment l'absence d'obscurité. Nous n'avons pas l'habitude de ce genre de
concept (...). Mais cette lumière était tellement totale, tellement absolue que
vous ne regardiez pas la lumière, vous étiez dans la lumière. Vous voyez ce que
je veux dire ? »
i) Le sujet voit un défilé très rapide de sa vie dans un
luxe de détails. Ce n’est pas la représentation mythologique d’un Jugement
terrible, mais plutôt un film qui restitue ce par quoi le sujet a pu toucher
affectivement l’ensemble des personnes qu’il a croisées dans sa vie qui donne à
voir sans juger. (N°9) « Je suis tombé à la renverse… et toute ma vie a
défilé devant moi comme un ordinateur très rapide et je n'arrêtais pas de penser
à toutes les différentes choses que j'avais faites ou, peut-être, que je n'avais
pas faites. À l'instant de l'impact, toute ma vie a commencé à défiler devant
moi ; cela remontait à l'époque où j'étais tout bébé, puis les images se sont
mises à progresser dans le temps. Je me rappelais tout et tout était
incroyablement vivant... Il n'y avait rien de pénible dans tout ça, j'y
assistais
sans regrets… la projection d'une série de diapositives, comme si
quelqu'un se chargeait de faire défiler les photos à toute vitesse. J'ai eu peur
parce que je voyais que le camion allait heurter le parapet du pont… Eh bien,
pendant le court laps de temps pendant lequel le camion glissait, j'ai repensé à
tout ce que j'avais fait… je devais avoir deux ans…, au moment d'aller à
l'école. (...) chacune de mes années de classe, j'ai revu tous mes professeurs,
et les petits faits marquant de chaque année. (...) et tout le reste jusqu'à
l'heure présente (...). Cela n'a probablement duré qu'une fraction de seconde.
Toutes les pensées de mon enfance et ma vie entière m'attendaient au bout du
tunnel, comme jaillissant devant moi (...). Je ne sais pas comment vous
l'expliquer, mais tout était là, tout se trouvait là en même temps ».
j) Le sujet rencontre à un moment une limite et a le
sentiment qu’il doit revenir dans son corps-physique. Un mur
infranchissable, un moment de suspension comme s’il s’arrêtait sur un seuil de
non-retour. (N°10). « Jean identifie son dernier voyage par la présence
d'éléments
différents : l'apparition d'une porte lumineuse qu'il lui était
interdit de franchir, il a tendu la main pour tenter de l'ouvrir, mais
impossible de l'atteindre ; la présence d'ancêtres : sa grand-mère morte quand
il avait douze ans et son père décédé alors qu'il en avait dix sept, il a eu
l'impression d'un jugement dans leur regard, sans pouvoir en dire plus car il
n'y a pas eu de dialogue ».
k) Le sujet fait l’expérience de réintégrer son corps,
expérience assez désagréable, souvent vécue comme s’il enfilait une combinaison
de plongée un peu trop petite. (N°11). «
J’ai fait une plongée verticale comme
tirée par un élastique. J'ai eu du mal à retrouver mon volume dans mon corps,
mais j’y suis rentrée et me suis dépliée. Je ne sentais plus mes jambes et ma
voix avait disparu ».
m) Le sujet émerge de l’expérience et constate
l’impossibilité où il est de pouvoir raconter et de se faire comprendre.
(N°12). Témoin cette femme qui a pris contact avec l’association de
recherche française sur les NDE « Cela m’aida beaucoup et je le suis enfin
délivrée de ce secret ! …Cela, bien sûr, m’a aidée à supporter l’incompréhension
de ma famille et le peu d’intérêt que cela lui inspirait ».
n)
Le sujet n’a plus peur de la mort. (N°13). «
Ce
qu'il y a d'intéressant là-dedans (...) c'est que ça devait se passer en dehors
du temps et de l'espace. C'est obligé, parce que le contexte est tout simplement
(pause) on ne peut pas le classer dans un genre de chose temporel (...). On ne
peut l'associer à aucune notion de temps. Je n'ai plus peur de mourir (...)
encore aujourd'hui même, la mort ne me fait plus peur et je me rends compte que
ça (la NDE) y est pour beaucoup. Cette expérience a changé ma vie comme d'une
simple pichenette. Je me faisais toujours du souci au sujet de la vie : comment
la vivre, essayer de rendre la vie plus facile en travaillant plus dur pour
gagner plus d'argent (...). J'ai arrêté de faire ça (...). J'ai vu la mort et
cela ne me dérange pas. Je n'en ai pas peur. La mort n'est plus quelque chose
qu'il faut subir (...). J'ai encore ma vie à vivre. J'en suis très heureux.
Pendant mes 56 premières années, j'ai vécu dans la peur constante de la mort. Je
voulais avant tout éviter la mort qui m'apparaissait comme une chose
épouvantable. Après cette expérience j'ai compris qu'en vivant dans cette
crainte de la mort, je m'empêchais de profiter de la vie ».
o) Le récit du sujet est concordant par rapport aux
événements qui se sont déroulés autour de lui pendant la NDE. (N°14).
Voyez à ce sujet le récit du cas N°39 dans La Source noire, de Patrice
Van Eersel. Un GI américain qui se trouvait au Viet-Nam reçut un éclat de
mortier qui le laissa pour mort. Le sujet raconte l’arrivée de l’hélicoptère, le
transport des corps dans des sacs, l’arrivée à la morgue, la visite de
l’hôpital, la buanderie avec une machine à laver bruyante etc. C’est une
expérience assez commune de voir un enfant qui a connu un coma prolongé raconter
exactement ce qui s’est passé dans le détail pendant son opération et que les
dires soient confirmés par les infirmières et les médecins présents.
Il faut se souvenir, quand on aborde les NDE d’une remarque
importante de David Hume : celle de l’exemple du roi africain qui envoie un
émissaire en Europe. L’émissaire revient et raconte qu’il a vu de l’eau dure
comme de la pierre (gelée), le roi se met en colère et fait couper la tête du «
fabulateur ». Le roi n’a jamais vu de l’eau gelée, pour lui, l’eau ne peut
exister que dans l’état liquide ou en vapeur. Le consensus d’expérience de sa
culture qui lui sert de référent exclut par avance une expérience comme « de
l’eau solide ». Il décrète donc comme impossible ce qui ne s’intègre pas dans le
consensus d’expérience de sa culture et s’en éloigne. Il n’a pas de concept pour
comprendre pareille chose.
Avec les NDE nous avons exactement la même situation. Nous
sommes devant une
expérience différente de la nôtre et qui n’a pas l’appui du
consensus d’expérience qui nous
est commun. En fait notre consensus de savoir nous vient surtout de la science
classique et c’est aussi d’elle que nous tirons notre définition de la
rationalité. Au lieu de nous tenir à une neutralité de jugement, ce qui voudrait
dire éviter l’apologie naïve et la condamnation sommaire, nous convoquons très
vite l’émotionnel pour nous emporter dans des jugements expéditifs. Il serait
plus pertinent de suspendre nos évaluations et d’admettre qu’il pourrait fort
bien exister des expériences différentes de la nôtre qui soient pourtant
authentiques. C’est une possibilité que nous ne pouvons pas exclure. A moins de
raisonner comme le roi africain. Il est aussi possible que nous ayons affaire à
des hallucinations ou à des récits qui
sont de pures constructions imaginaires.
C’est bien ce qu’il faut examiner posément.
Patrice Van Eersel La
Source noire.
---------------1) - Du côté de l’apologie naïve, bien sûr, on
s’attend à voir danser les esprits religieux qui trouveraient dans les NDE de
quoi amener de l’eau à leur moulin. Les critiques penseront que ces gens sont
sûrement des bigots plus ou moins fanatiques qui plaident pour leur église en se
vantant d’avoir vu l’au-delà. La NDE serait une auto-proclamation de la foi.
Mais la réalité est très différente. L’Église a pris parti officiellement contre
la valeur des NDE en y voyant
plutôt des troubles psychiatriques. La grande
majorité des personnes ayant traversé une NDE avouent qu’elles n’avaient pas de
religion (N°15), étaient athées, ou agnostiques. Il n’est pas nécessaire
d’être croyant pour vivre une NDE. Nous avons aussi quelques rares témoignages
de prêtres qui ont eu un accident (N°16) et ont vécu une NDE. Surprise là
aussi. La NDE ne confirme pas exactement ce qu’ils ont cru jusque là et enseigné
toute leur vie. Ils ne doutent pas un instant de l’authenticité de l’expérience
et avouent que la mort n’est pas ce que l’on croit. Ce qui les amènent à changer
leur point de vue et à abandonner le dogmatisme. Par exemple, sur la question de
la férule sévère du Jugement après la mort : dans le panorama de la vie, on
n’est pas jugé, on voit seulement la série des causes et des effets dans sa
propre vie.
Par contre, ce qui va de soi, l’interprétation que le sujet
donne de sa propre expérience, est nécessairement filtrée par son propre système
conceptuel et ses croyances. Le chrétien tiendra un langage de chrétien, le
musulman le langage de l’islam, le bouddhiste le langage du bouddhisme etc.
Cependant, en tout état de cause, il n’est pas possible de dresser un portrait
type du « sujet NDE » qui peut être n’importe qui. (texte)
- Du côté de la condamnation sommaire, on trouve les
variantes de la position matérialiste. Il y a d’abord le réductionnisme
biologique. L’argument est simple : au seuil de la mort, le cerveau sécrèterait
une forme de drogue, une variété de la morphine, qui induirait des
hallucinations du type de celle que l’on produit avec des opiacés. Bref, le
mourant aurait droit à une overdose finale, mais ceux qui sont ranimé de force,
par les moyens technique modernes, reviendraient de là où autrefois on ne revenait
pas, parce qu’il n’y avait pas de technique de réanimation.
Il est très amusant de constater que c’est un article
avançant ce genre d’explication qui a décidé Patrice Van Eersel à enquêter sur
le sujet dans La Source noire, pour qu’il se rende compte qu’en fait il
s’agissait d’un coup monté, et que le soi-disant chercheur avançant cette
hypothèse avait inventé toute l’affaire de toutes pièces, pour combattre «
l’irrationnel galopant » de tous ces gens qui veulent étudier les NDE !
Pourquoi donc monter une telle supercherie si on n’a affaire qu’à des hallucinations ? Le problème, c’est
qu’une hallucination, c’est par définition très confus. Il suffit de se priver de sommeil
pendant un temps prolongé, et nous voyons le mental onirique se projeter dans la
veille et nous commençons à avoir des visions surimposées à la perception. Les
sujets de NDE sont formels, la NDE n’y ressemble pas du tout (N°17). Au
contraire, la conscience et plus intense et la perception est bien plus vive, et
plus précise. Plus étonnant, l’homme qui porte des lunettes très fortes est tout
surpris d’y voir à merveille pendant la NDE. Des enquêtes ont même montré que
des aveugles qui avaient eu une NDE, (N°18) donnaient un récit de
perceptions visuelles précises. Plus important, on ne voit vraiment pas
comment un sujet en train d’halluciner en plein coma pourrait être capable de
décrire au réveil par le menu son opération, récit qui, vérification faite,
s’avère exact. L’explication par l’hallucination ne tient pas debout. Nous avons
visiblement affaire à autre chose. Les travaux du cardiologue Michael Sabom ne
laissent aucun doute. Ils rassemblent sur ce point l’ensemble le plus important
de faits réfutant les hypothèses selon lesquelles la mort imminente relève
d’anomalies du cerveau, d’hallucinations dues à la sous-oxygénation ou d'une
quelconque bizarrerie psychologique. Il rejette nettement, preuves à l’appui,
les hypothèses de la sécrétion d'endorphine dans le cerveau, d’attaques
cérébrales temporales ou toute autre cause physiologique. La seule
explication plausible des NDE, c’est que ces événements se résument à ce qu'ils sont :
une libération brutale de la conscience hors du corps.
Le réductionnisme psychologique, consiste à avancer
l’hypothèse que le récit est une construction de fantasmes du sujet. On peut
aussi aller chercher Freud et y voir une forme de régression infantile dans le
sein de la mère, ce que Freud affirmait de tous les « sentiment océaniques » à
connotation mystique. Ayant été confronté à sa propre disparition, le sujet se
raconterait des histoires pour se rassurer. La NDE serait une forme de
compensation psychique. A la limite, les sujets aux NDE seraient alors des
mythomanes. Hypothèse légère et passablement simpliste. Comment se fait-il que
les récits possèdent autant de cohérence entre eux ? La plupart des sujets
n’avaient rien lu sur ce thème. Sans compter les expériences des enfants (cf.
Voir les recherches de
Melvin Morse), que l’on ne peut pas
soupçonner d’avoir brodé autour de la lecture d’un livre. Les NDE n’ont pas été
recherchées, elles surviennent dans des circonstances dramatiques et le sujet en
s’attend pas du tout à ce qui se produit. Ce qu’il dit est de première main. Le
nier, c’est ignorer le contenu exact de ce que les sujets rapportent et aussi
l’incidence de l’expérience. Les NDE sont très déstabilisantes, elles ne sont
pas un récit pour se réintégrer socialement après un accident . Au contraire. Le
changement est profond. Certains sujets avouent n’avoir pas intégré l’expérience
et aucun ne prétend en avoir une explication complète. Les NDE soulèvent
beaucoup de questions, y compris pour ceux qui en
ont fait l’expérience. Elles nous introduisent dans un domaine secret, celui de
la mort. La réduction psychologique passe à côté du vrai problème.
Du coup, il devient très intéressant de se demander sur quoi
s’appuient ceux qui se font des adversaires des NDE, en prêtant attention au
contexte du consensus d’expérience en commun que supposent leurs
critiques. Il est dans la nature du mental de juger l’inconnu à la lumière du
connu. Nous avons une image, un connu culturel de la mort. Il est clair que nous
sommes en occident
dans
une culture qui dramatise la mort à l’excès.
Elisabeth Kübler-Ross disait que
l’Occident est champion toute catégorie dans un domaine : la peur de la mort. En
parler, c’est provoquer des frissons, suggérer la frayeur de la mort et autour
d’elle toute une série de clichés : effroi du corps décomposé, de la chair à
vif, croyance dans l’anéantissement pour l’athée, menace du Jugement pour le
religieux etc. Bref, beaucoup d’émotionnel. Nous partageons aussi implicitement
deux opinions : a) la conscience et le corps sont identiques, b) la conscience
n’est qu’une sorte de sécrétion du cerveau. C’est ce que tout élève de lycée
répètera à partir de son étude scolaire de la biologie. Donc, l’opinion
commune, c’est que la mort, c’est la fin de l’existence et d’autre part, plus de
cerveau actif, plus de conscience. Néant.
On comprend dès lors qu’en pareil contexte les récits de NDE
peuvent choquer, et ne risquent pas d’être compris, ou d’être confiés à autrui.
Celui qui oserait le faire serait traité de malade. Certains sujets de NDE
disent carrément que, s’ils se sont tus pendant 15 ou 20 ans, c’est de peur de
se faire enfermer ! « Mon mari m’aurait conduit à l’asile et m’aurait obligé à
voir un psychiatre ! » Il faut donc porter le secret. La censure collective est
insidieuse, mais très
forte. L’effet des travaux de Moody, de Michael Sabom, de
Kenneth Ring a été justement de retirer la chape de plomb qui pesait sur cette
question. Enfin, il était possible de dire ce que l’on avait vécu à quelqu’un et
de rencontrer des personnes qui avaient eu une expérience similaire ! Ouf !
Pouvoir se délivrer du secret.
2) Plaçons-nous dans un autre contexte culturel, donc sur un
arrière-fond de consensus d’expérience en commun différent. Dans la
culture indienne par exemple. Là, la réaction devant les NDE sera très
différente et ne provoquera pas cette surprise ahurie qui est celle de
l’occidental. Ce qui surprend l’indien, c’est que l’occidental soit surpris !
Dans les traités classiques de l’Inde, il y a des précisions très nettes sur le
sujet. Le corps qui reste sur la table d’opération est appelé corps-physique,
sthula-sharira, le corps qui se dégage est appelé corps-subtil,
sukshma-sharira. Le corps-physique comporte des organes des sens,
mais n’est pas le siège des facultés sensorielles qui sont inséparable de cit,
la conscience, le corps qui est manomaya, corps-mental. Même
converti au matérialisme capitaliste, l’indien a entendu parler de tout cela.
C’est une question de culture. Il ne sera guère choqué dans la lecture de ces
récits. Il reconnaîtra la présence d’ânanda, la béatitude, des siddhis,
les pouvoirs de la conscience dont il est si souvent question dans sa
littérature. L’érudit, le pandit, se retrouvera dans un domaine familier et sera
très à l’aise pour décortiquer les NDE.
Il est important de comprendre l’enjeu de cette différence
de contexte et d’en tirer des conclusions. Si les expériences de NDE ne sont ni
des hallucinations, ni de simples fabulations, si elles sont authentiques, tout
d’abord, elles ne doivent pas dater d’hier et des progrès des techniques de
réanimation. L’amélioration des techniques n’a fait que multiplier un
type d’expérience qui doit exister depuis toujours dans l’histoire humaine. Il
devrait y avoir des traces de NDE dans nos traditions les plus anciennes.
---------------Et on en trouve ! Par profession Raymond Moody connaissait
bien Platon chez qui on trouve dans La République, le
mythe d’Er le
Pamphylien où on peut lire ceci : « Er, fils d'Arménios, de la race des
Pamphyliens; après que jadis il eut été tué au combat, parmi les morts qu'on
enlevait au bout de dix jours déjà putréfiés, il fut tout d'abord enlevé en bon
état, puis, transporté chez lui, alors qu'on s'apprêtait à lui rendre les
honneurs funèbres, au douzième jour, étendu sur le feu, il revint à la vie, et,
revenu à la vie, raconta ce qu'il aurait vu là-bas. Il dit alors qu'après être
sortie de son corps, son âme avait marché parmi beaucoup d'autres et qu'elles
étaient arrivées en un certain lieu quasi divin ».
Plutarque,
dans ses Moralia, rapporte ce qui a aussi été appelé un "mythe", celui de Thespesios de Soles : « Étant tombé d'un endroit assez élevé, la tête la
première, il n'eut point de blessure grave, mais seulement une contusion qui le
fit s'évanouir. On le crut mort, mais trois jours après, comme on se préparait à
l'enterrer, il revint à la vie. Il reprit en peu de jours ses esprits et ses
forces et il se fit dans sa vie le changement le plus merveilleux. Dans toute la
Cilicie, on ne connut point, de son temps, d'homme plus juste dans les affaires,
plus religieux envers les dieux, plus sûr pour ses amis et plus redoutable aux
ennemis. (...) Il disait qu'au moment où il perdit connaissance il se trouva
dans le même état qu'un pilote qu'on aurait précipité au fond de la mer ;
qu'ensuite, s'étant peu à peu relevé, il lui sembla qu'il respirait
parfaitement, et que, ne voyant plus que des yeux de l'âme, il portait ses
regards vers tout ce qui l'environnait. Il ne vit plus aucun des objets qu'il
avait coutume de voir, mais des astres d'une prodigieuse grandeur, séparés entre
eux par des intervalles immenses. Ils jetaient une lumière éblouissante et d'une
couleur admirable. Son âme portée sur cet océan lumineux, comme un vaisseau sur
une mer calme, voguait légèrement et se portait partout avec rapidité (...). Il
vit l'âme d'un de ses parents, qu'il eut
de la peine à reconnaître, parce qu'il
était mort dans son enfance. Mais elle s'approcha de lui et lui dit : " Bonjour
Thespesios ". Surpris de s'entendre nommer ainsi, il lui fut répondu : " Vous
n'êtes pas mort, seulement la partie intelligente de votre âme est venue ici par
une volonté particulière des dieux ; ses autres facultés sont restées unies à
votre corps comme une ancre qui le retient. La preuve que je vous en donne,
c'est que les âmes des morts ne font point d'ombre et que leurs yeux sont sans
mouvements. " À ces mots, Thespesios, rentrant en lui-même et s'examinant avec
plus d'attention, voit autour de lui une sorte d'ombre assez obscure qui suivait
tous ces mouvements, au lieu que ces âmes étaient transparentes et environnées
de lumière ».
Nous employons ici dans notre littérature le terme très vague de mythe au sujet de ces récits. Ce que nous savons maintenant au sujet des expériences de mort imminente nous invite à une toute autre lecture. Les similitudes frappantes nous autorisent à chercher une source de ces récits dans une NDE. S'il faut employer un vocabulaire apparenté au mythe, il vaudrait mieux parler d'archétype de l'entrée dans la mort. Signalons à ce propos que Carl Gustav Jung auteur de la théorie des archétypes a lui-même connu une NDE (texte) qui a changé l'orientation de ses propres recherches.
3) Quelles
sont les conclusions auxquelles sont parvenus les chercheurs qui, depuis plus de
vingt ans travaillent sur le sujet ? L’analyse de Raymond Moody est claire et
nuancée et elle résume assez bien la position qu’un scientifique peut avoir sur
le sujet. Selon lui, il n’est pas possible dans un domaine qui a trait à la
subjectivité pure, d’obtenir une preuve objective et cela n’a aucun sens, et
cependant, nous avons bien affaire à un ordre de connaissance. « Pendant des
années j'ai essayé de découvrir une explication physiologique à la NDE. Et je me
retrouve aujourd'hui encore les mains vides. Toutes les prétendues théories
explicatives me paraissent incomplètes ou inadéquates ». L’approche objective de
la connaissance de la science classique est tout simplement inopérante en pareil
domaine. Ce serait comme d’amener le rouleau de peinture, pour dessiner une
calligraphie sophistiquée sur une balle de ping-pong. Faisant appel à William
James, Moody soutient « qu'il s'agit d'une expérience noétique. Une
expérience qui se justifie elle-même puisque c'est une forme de connaissance.
Elle est personnelle au point de se trouver au-delà des mots. Et elle transforme
profondément l'existence ». Les NDE provoquent un saut intuitif qui n’est plus
du ressort de la rationalité objective, telle que nous la définissons dans la
science moderne, mais relèvent du Cœur. « Après vingt-deux années de recherche
sur la NDE, je pense qu'il n'existe pas de preuves scientifiquement assez forte
pour affirmer définitivement la réalité d'une vie après la mort. Mais cette
question concerne la science, les questions de la raison. Ce qui relève du cœur
est différent. Ces questions sont alors sujettes à des jugements qui ne
réclament pas une vision du monde strictement scientifique. Mais pour des
chercheurs comme moi-même, elles demandent néanmoins une analyse poussée. C'est
sur la base d'un tel examen que j'ai acquis la conviction que la NDE offre
réellement un aperçu de l'au-delà, une brève incursion dans une réalité tout à
fait autre ».
Nous avons vu plus haut le problème de la définition de la
mort clinique. On admet que le cerveau est
l'organe le plus sensible au manque d'oxygénation. L'arrêt de la circulation du
sang devrait, selon le modèle
épiphénoméniste, provoquer un arrêt de toute forme de conscience. Ce qui n'a
visiblement pas lieu. A la conscience rattachée au fonctionnement du
corps-physique et qui s'exprime à travers les organes des sens, succède une
autre forme de conscience, celle du corps-subtil, comportant des
facultés sensorielles. La distinction n’est pas compliquée. Elle opère déjà dans
la différence entre l’état de veille et l’état de rêve, mais avant tout en
introduisant un jeu onirique avec les éléments du
subconscient. Ce n’est que dans l’état
de veille que notre conscience prend appui sur le corps-physique. Ce qui n’a pas
lieu ni dans le sommeil profond, ni dans le rêve. Dans la NDE le sujet
décolle
du corps-physique et simultanément, il se produit une expansion de conscience
au-delà de la vigilance habituelle. Nous le savons déjà avec l’état de rêve, le
corps-subtil est un déploiement du mental. Il est fait de pensée. Mais la
pensée, dans l’état de veille est orientée par l’attention
à la vie, par le champ de préoccupation que trace le mental. Nous faisons une
expérience limitée de l’énergie de la pensée dans la veille. La conscience, sous
la coupe de la pensée ordinaire, n’est que rarement dans un état de réceptivité
élevée, à l’écoute, lucide et sensible. La
NDE produit un changement d’état que la plupart des sujets perçoivent comme une
surconscience, comparée à la conscience habituelle. Ce déplacement concerne un
changement de la nature du champ de conscience, d’une conscience localisée, vers
une conscience dont le caractère principal est holographique. D’où les
particularités d’une vision à 360°, d’une précision des détails. L’intention de
voir suffit pour que la perception soit surmultipliée. D’où aussi la possibilité
du panorama de la vie, qui est un accès
holographique à la mémoire totale du sujet. Le sujet transcende les
conditions de la vigilance habituelle et
se trouve dans un état dans lequel l’espace-temps-causalité
est différent, immédiatement plus intuitif et fondamental. Certains auteurs emploie la formule «
cinquième dimension » pour désigner ce point de vue. Les textes de l’Inde
parlent, dans le mouvement de réintégration vers le Soi d’un accès au
corps-causal, karana-sharira. Là encore, le rapprochement est assez
frappant. Tout se passe comme si dans la NDE la fréquence vibratoire de la
conscience était plus élevée et que le sujet faisait un pas vers l’intérieur,
vers Soi, à partir de l’abolition de l’identification au corps-physique. Entre
le plan du corps-physique et le plan du corps-subtil, il y a une
différence vibratoire. La matière du corps-physique est une forme d’énergie
lente, coagulée, l’esprit est une forme d’énergie dans un état de vibration plus
élevée. Le sujet, à l’état de veille, s’identifie au corps-physique, ce qui
structure l’expérience qui est la sienne. Dans une NDE, il cesse de s’identifier
au corps-physique, ce qui structure donc une expérience différente. Le
déplacement de son attention de l’extérieur vers l’intérieur lui permet
d’accéder à un niveau énergétique plus élevé et à des potentialités différentes
du mental.
Les NDE,
bien qu’elles nous fournissent un matériel d’informations considérable, ont le
point faible de ne pas être reproductibles. Le cinéma a surfé sur la
vague de la découverte des NDE. Il serait très dangereux de procéder comme dans
le film L’expérience interdite où on voit des étudiants provoquer un arrêt
cardiaque et ranimer des expérimentateurs. Mais une NDE peut-elle se produire en
dehors des circonstances d’un accident grave ? Est-il possible expérimentalement
d’induire une décorporation telle que celle qui est obtenue brutalement dans un
accident et se traduisant ensuite par un récit de NDE ?
1) Première piste. Raymond Moody est très affable,
mais têtu. Il s'est demandé s’il n’y avait pas moyen de provoquer une NDE à
volonté, une expérience directe, sans trucage, sans médium, channel etc. Il ne
s’est pas endormi sur sa célébrité, mais s’est mis pendant des années à faire
des recherches sur les méthodes d’initiation de l’Antiquité. Il tombe sur un
thème qui le retient, celui du miroir des
âmes.
Il relit Homère, Hérodote, Platon, Strabon et Posanias, se rend en Grèce et
finit par dénicher une découverte, datant d'un quart de siècle et passée
inaperçue : le psychomantéum d'Épire. Je cite un article de Nouvelles
Clés suivi d’un dialogue entre Marc Sautet, le fondateur des cafés philo et
Raymond Moody :
« C'est l'archéologue grec Sotiris Dakiris qui, interprétant
l'Odyssée à sa façon, a découvert l'emplacement de ce psychomantéum, en 1958.
Sous une chapelle orthodoxe, au sommet d'une colline au nord-ouest de la Grèce,
il a dégagé les restes totalement enterrés d'un fantastique labyrinthe. Pour s'y
rendre, les Grecs antiques devaient marcher trois jours, puis on les enfermait
pendant un mois lunaire dans des corridors sombres où, sous la conduite de
psychogogues (littéralement : “qui conduit la psyché” ), ils entraient peu à
peu dans un état modifié de conscience. A la fin du séjour, les pèlerins se
retrouvaient par petits groupes dans la salle de l'oracle, au centre du
labyrinthe, placés autour d'un immense chaudron, rempli d'un liquide sombre à la
surface miroitant -les Anciens ne connaissaient pas nos miroirs de verre ».
L’idée folle de Moody, c’est de reconstituer le psychomantéum et de le
tester ensuite sur une cinquantaine de volontaires ! Moody réaménage la
procédure en la simplifiant et dispose l’ensemble. Et c’est le choc. Moody
pensait qu’il y aurait peut être face au miroir une ou deux expériences
significative… mais il obtient 35 résultats positifs sur 50. Au minimum des
expériences synchronistique très nettes, au mieux la perception très claire de «
fin de tunnel » des NDE, c'est-à-dire le contact avec des disparus. Moody en rit
de bon cœur et ne prétend rien prouver, mais il a maintenant entre les mains un
phénomène reproductible, ce qui change la donne à côté de l’aspect
frustrant des NDE pour celui qui n'en n'a jamais vécus. Huit autres psychomantéums sont montés aux États-Unis, dont cinq délivrent des résultats
encore meilleurs que ceux de Moody. Non seulement cela, mais il semble que
l’expérience a un effet thérapeutique puissant sur les sujets qui contribue à ce
que Elisabeth appelait l’unfinished business, de l’accompagnement des
mourants. Dès les premières études sur les NDE, en tant que psychiatre, Moody
avait été intéressé par le fait qu’il existe donc des expériences qui provoquent
un élargissement de conscience et un recentrement de la personne. Le rêve de
tout thérapeute qui cherche sincèrement à améliorer la vie de ses patients.
Conscient de l’état actuel de la psyché de notre temps il dira vouloir « trouver
des techniques de changement d'état de conscience ». La formule aurait pu le
conduire directement vers les pratiques du raja-yoga de l’Inde ou le
soufisme. Et le plus étonnant dans l’affaire, c’est son retour inattendu à la
Grèce de l’orphisme et des philosophes.
Un passage de la conversation entre Marc Sautet et Moody mérite la citation :
- Marc Sautet : « Vous présentez
l’enseignement de la Caverne comme une satire, une parodie de l'oracle des
morts. Alors qu'on pourrait sans problème en faire une NDE ! Il n'y a qu'à la
lire : je suis dans l'obscurité du soma-séma (corps-prison), et voilà que
je m'en libère en m'élevant doucement à travers un tunnel, flottant vers une
merveilleuse lumière. Et une fois que je suis là haut, c'est l'effusion et j'ai
envie d'y rester, mais on me dit que ce n'est pas mon heure, qu'il me faut
redescendre... Bref, tout y est, c'est la plus belle des NDE. Pourquoi
n'avez-vous pas utilisé cela ? -
- Raymond Moody : J'y ai évidemment songé, vous pensez bien ! Et j’en parle dans certains de mes livres. Les Grecs avaient d'ailleurs un mot pour dire NDE : ils appelaient ça
deuteropotmos ( “deux fois évanoui” ). Mais vous savez comme Platon était moqueur. A propos de la Caverne, la démonstration de ce que j'avance - est que ce texte se moque du psychomantéum … en réalité, il est clair que la Caverne offre plusieurs niveaux de lecture et je ne suis pas sûr que le niveau décisif, du point de vue de Platon, ait été celui que nous avons appris à l'école ». Voilà que les NDE nous convient à une relecture du texte le plus
Si pareilles possibilités sont à portée de main, elles
devraient au moins nous mettre en garde contre tout dogmatisme dans nos
jugements sur les NDE. Nous ne connaissons pas les possibilités de la
conscience. Il est vraisemblable que nous n’utilisons qu’une fraction de notre
potentiel mental. Nous ne pouvons pas prétendre à la légère qu’il s’agit là
seulement de « rapports anecdotiques et subjectifs ». D’abord, le savoir dont
nous disposons dans les sciences humaines, exclut-il réellement les « rapports
anecdotiques et subjectifs » ? N’est-il as nourri
du témoignage, nécessairement
subjectif, que l’homme peut donner de ce qu’il est ?
Il est temps aussi de sortir des débats simplistes en
raison/tort, j’y crois/j’y crois pas. Il vaut mieux ne pas croire et être
sceptique conséquent. Il faut porter toutes les questions sur le terrain des
faits et de l’expérience. La croyance n’a aucun intérêt sur le plan scientifique
et ne donne pas d’appui en philosophie. De plus, la seule manière de valider
concrètement une connaissance est de la mettre en pratique. Plutôt que de
discuter à perte de vue des affirmations, de manière théorique, autant tester
directement pour vérifier si elles sont justes. Le minimum de l’honnêteté
intellectuelle est d’abord de se documenter avant de juger. S’agissant de la
problématique de la mort, nous avons dégagé plus haut sept
hypothèses. Sans apporter de preuves objectives contraignantes, les NDE
permettent cependant de rayer la première, de remettre
en question la troisième et d’appuyer
nettement la septième. Elles confirment très
clairement la distinction entre la
mort phénoménologique et la mort
biologique. Ce qui est déjà une contribution importante au dossier de la
mort.
3) Reste une question anthropologique entièrement ouverte :
quelles sont les incidences humaines des expériences de NDE ? Y a-t-il un effet
moral, psychologique, social, que l’on puisse évaluer ? Les NDE ont-elles un
impact sur le sens de la vie humaine ?
Ce qui a au début surpris les chercheurs, c’est qu’il
était très difficile de trouver des NDE négatives. Il en existe quelques unes,
souvent associées à une expérience suicidaire. La plupart des NDE ont des effets
profonds et globalement positifs. Nous l’avons vu, le sujet abandonne d’abord un
poids considérable, celui de la peur de la mort. Il a une certitude intuitive,
mais incommunicable, que ce qu’il a connu était bel et bien l’entrée dans la
mort. La mort est pour lui un passage et non un arrêt. L’expérience n’est
pas légère, horizontale et vite effacée, elle est profonde, verticale et
inoubliable. Elle conduit à une réorganisation complète des valeurs. En résumé,
son raisonnement est le suivant : quand on voit ce que représente notre vie
habituelle avec ses luttes constantes, la petitesse de ses objectifs et que l’on
est confronté à cela, la perspective est radicalement modifiée. La vie prend un
tournant spirituel et la vision matérialiste tombe d’elle-même, car elle n’a plus de
sens. L'anthropologue Evelyne-Sarah Mercier dans La Mort transfigurée, en
tire les conséquences : "nous ne pouvons plus faire comme si nous savions pas.
Plus besoin, pour cette révélation d'attendre notre heure dernière. Ils
sont aujourd'hui des millions à nous la faire connaître : la mort ne serait pas
cette décharnée-noire-armée-d'une-faux, mais un
être-rayonnant-dans-tout-l'éclat-du vrai... C'est un séisme qui nous arrive. Il
faut, non seulement penser autrement mais vivre différemment".
Le sujet d'une NDE subit une mutation profonde: a) Dans sa compréhension de la vie, les règles du "je" de son système antérieur. b) Dans la vision qu'il a de l'enchaînement cause/effet interactif de la relation. c) Dans le passage à une évolution consciente plus élevée. d) Dans la qualité de ses perceptions. Son pouvoir d'empathie et son sens de la synchronicité sont plus élevés. e) Du fait de l'élargissement de sa vie à une complexité plus élevée, il gagne aussi un sens de la solidarité plus grand. Il a déjà touché à une conscience de l'unité de la Vie. f) En même temps, il gagne aussi un sens très net de l'auto-référence et de l'autonomie. g) Enfin, la NDE éveille globalement une spiritualité que l'on ne peut pas assimiler à la religiosité traditionnelle.
* *
*
Le dossier des NDE est
très sérieux. Le rejeter d’un revers
de main, par un argument à l’emporte-pièce du genre « la mort on ne saura jamais
ce que c’est», ne suffit pas. Il faut dans ce domaine accepter de prendre des
risques et de mouiller sa chemise. L’indéfendable dans l’ordre de nos théories
admises, n’est pas nécessairement l’impossible dans l’ordre de la Nature.
Il n’y a pas de dossier tabou que l’on ne devrait pas ouvrir
en philosophie. (Au nom de quelle morale ?) Démissionner sur cette question en
prétextant qu’il s’agit de « l’irrationnel », c’est laisser le champ libre à un
ésotérisme confus que par ailleurs le philosophe est le premier à dénoncer. Si
Schelling et Hegel ont écrit sur le « magnétisme » de Mesmer, pourquoi les
philosophes d’aujourd’hui devraient-ils se désintéresser des NDE ? Faut-il
déplorer que Bergson ait fait une conférence sur « les fantômes de vivant »
auprès d’une société de recherche psychique ?
Le paradigme de la représentation de la mort n’est pas
inamovible. Il peut être changé à la suite de découvertes nouvelles. C’est
exactement ce qui se produit aujourd’hui. Comme dans tout changement profond de
paradigme, il y a un choc et une confrontation de points de vue, des tenants de
l’ancienne vision et des partisans d’une nouvelle vision. Comme pour tout
changement de paradigme, un saut intuitif est exigé pour passer de l’ancien au
nouveau. Un changement de conscience. Le séisme provoqué par les NDE n’a pas
fini de nous secouer. Cela faisait bien longtemps que la problématique de la
mort n’avait pas été renouvelée de manière aussi forte. Tout ce que nous pouvons
souhaiter, c’est que les philosophes d’aujourd’hui s’ouvrent à un dialogue avec
la recherche sur les NDE. Après trente ans de travaux, le fruit est mûr
et mérite d’être cueilli.
* *
*
© Philosophie et spiritualité, 2005, Serge Carfantan,
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