Leçon 236. Recherches sur les expériences de mort imminente (2)   

    Le dossier des NDE connaît depuis quelques années des avancées formidables. Le seul fait qu’il monopolise une armée de chercheurs de toutes nationalités et qu’il donne lieu à un très grand nombre de publications devrait nous interpeller. Si vraiment ce n’était que des hallucinations comme certains le croient encore, cela fait belle lurette qu’il aurait été abandonné. Mais il ne s’agit pas d’hallucinations ni d’altérations de la conscience, c’est bien plus radical.

    Les témoignages s’accumulent, ils ont indéniablement une cohérence. Leur nombre interdit de les considérer comme anecdotiques. Selon les dernières études statistiques 60 millions de personnes ont connu cette expérience après un arrêt cardiaque, ce qui fait au moins 4% de la population occidentale (2,5 millions de Français, 12 millions d’Américains), évidemment beaucoup moins dans les pays où les techniques de réanimation sont inexistantes. L’usage banalisé du défibrillateur automatique ne fait qu’augmenter le nombre des récits. Le fait qu’un très grand nombre de livres soit sortis sur le sujet n’a par contre eu aucune incidence sur le phénomène.

    Dans cette leçon, nous allons faire un pas supplémentaire dans la recherche en donnant la parole au travail de plusieurs scientifiques. Nous disions plus haut que Moody ne trouvait pas vraiment pertinent d’appliquer l’approche objective de la connaissance aux NDE en raison du caractère très intuitif, noétique de l’expérience. Mais ne faut-il pas tirer des conclusions théoriques sur la nature de la conscience à partir des NDE ? C’est ce que nous allons aborder ici. Il se pourrait bien en effet que nous devions changer notre paradigme actuel de la relation entre la conscience et le corps. Ce qui ouvre des perspectives inédites.

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A. La NDE et la remise en cause du réductionnisme

    Nous allons commencer par reprendre les résultats rassemblés par Pim Van Lommel. Son livre, Mort ou pas ? est très riche, nous allons revisiter avec plus de détails que précédemment, les tentatives d’explications physiologiques des NDE.

    1) Nous avons vu que la définition clinique de la mort n’est pas une question facile. Elle a changé dans l’histoire. Autrefois, on considérait que l’arrêt du cœur signait la mort, mais on sait aujourd’hui faire repartir de cœur. Le consensus s’est alors orienté vers un autre concept : il y a mort clinique quand l’électro-encéphalogramme  (EEG) est plat.

    Il est admis que lors d’un arrêt cardiaque, la respiration s’arrête et il y a blocage complet de l’oxygénation du cerveau. Quand la respiration s’éteint, les réflexes du corps disparaissent, et si la réanimation s’est pas entreprise dans les cinq à dix minutes le patient meurt. On sait par ailleurs que lorsque l’oxygénation du cerveau est seulement insuffisante (hypoxie), elle produit non pas de l’inconscience, mais de l’agitation, de la confusion. On admet que le cerveau étant l’organe le plus sensible à l’absence d’oxygène, la privation fait disparaître la conscience, étant entendu bien sûr dans cette hypothèse que l’on part du principe que le cerveau produit la conscience.

    Mais cette théorie est complètement inapplicable aux NDE, parce que une NDE  « s’accompagne toujours d’une conscience lucide avec souvenirs » et le plus souvent d’une plus grande sensibilité perceptive. En outre, elle peut survenir sans lésion du cerveau, brusquement dans l’imminence d’un accident de voiture par exemple, ce qui n’implique pas un déficit d’oxygénation. Il existe même des exemples de NDE par empathie, vécues par des proches autour d’un parent en train de mourir. Dans les NDE il n’y a pas de confusion mentale, ce qui serait effectivement le cas si c’était une hallucination. Le sujet décrit une expérience claire et la description de la scène qu’il donne peut être vérifiée et corroborée par plusieurs témoins. Dans le cas des OBE (out of body experience) . « Lorsqu’un patient sort de son corps pendant la réanimation, il enregistre des perceptions depuis un point situé au-dessus de son corps sans vie, et les médecins, infirmières et autres témoins peuvent ensuite vérifier les perceptions qui leur sont rapportées. Ils peuvent aussi confirmer l’instant précis où s’est produite l’EMI (NDE en français) avec décorporation pendant la réanimation. Et puis, comment les hallucinations pourraient-elles se produire quand le cerveau ne fonctionne plus, puisqu’elles nécessitent un cerveau fonctionnel ?"

    En 2010 les journalistes ont monté en épingle une étude sur 52 cas, avec 21% de personnes ayant rapporté une NDE, on a trouvé une corrélation entre le taux de CO2 dans l’air expiré et le sang du patient et le fait d’avoir eu une NDE. Gros battage médiatique pour peu de choses. « Trouver une corrélation ne signifie pas prouver une causalité ! ». Les auteurs de l’étude en question étaient beaucoup plus réservés que les journalistes en recherche de sensationnel. On ne sait toujours pas pourquoi « la majorité des patients présentant un taux élevé de CO2 n’a pas éprouvé une EMI ». Conclusions très prématurées.

    Autre explication très à la mode : les drogues et le cerveau. (C’est un recours très systématique pour les matérialistes). On a utilisé la kétamine comme anesthésique avant de l’abandonner, on sait qu’elle peut provoquer des hallucinations, bloquer des récepteurs neuronaux et donne une impression de se détacher du corps. Il n’en fallait pas plus pour qu’on s’en serve comme d’une explication. Or, « on ne connaît pas de cas où elle aurait entraîné la rencontre avec des personnes décédées, la vision d’un film de la vie, ou des transformations positives ». Ceux qui en ont reçu ne veulent surtout pas en recevoir à nouveau car elle provoque des images effrayantes. « Dans la mesure où aucune substance naturelle proche de la kétamine n’a pu être découverte dans le cerveau, cette explication éventuelle a dû être abandonnée. Même schéma de raisonnement avec les endorphines. Elles fonctionnent comme des neurotransmetteurs et dans les situations de stress intense, elles sont déchargées en grande quantité dans le cerveau, ce qui permet d’éliminer la douleur et de provoquer un sentiment de bien-être. « Mais les effets des endorphines durent généralement plusieurs heures, alors que l’absence de douleur et le sentiment de paix disparaissent immédiatement après le retour à la conscience » dans les NDE. Et l’on peut continuer sur la lancée avec les drogues psychédéliques, vu qu’elles bénéficient d’un attrait dans le public, il est certain que la perspective du shoot final  en excitera plus d’un. Il est exact que certaines drogues peuvent artificiellement provoquer un état de conscience accru, un sentiment de détachement par rapport au corps et une flambée d’amour inconditionnel. Cela se produit parfois, le tout suivi de la descente. Mais rien de très significatif n’en ressort au sujet des NDE.

    Autre explication à succès : le recours à l’épilepsie pour rendre compte des NDE. On décrit la crise d’épilepsie comme une sorte d’orage électrique se propageant dans le cerveau. On note que dans certain cas, elle peut s’accompagner d’observations confuses, de sentiments de déjà-vu, d’hallucinations olfactives et visuelles. De là à penser qu’en stimulant le cerveau dans certaines zones, on pourrait déclencher une décorporation, il n’y a qu’un pas. Qui a été franchi. Wilder Penfield « a parfois réussi à faire surgir de bref souvenir (jamais le film d’une vie), des expériences de lumière, de son ou de musique ». Or, « bien que Penfield ait traité des centaine de patients au fil des années, aucune décorporation avec  perceptions vérifiables et aucune transformations ultérieure n’a jamais été rapportée ».

    En résumé : (je passe les détails), les explications physiologiques sont incapables de donner un éclairage suffisamment pertinent : il n’existent pas de preuves suffisantes que des anomalies telles que la teneur en gaz, l’activité chimique du cerveau soient des causes suffisantes dans les origines d’une NDE. De plus, le plus souvent les effets constatés ne correspondent pas aux éléments caractéristiques des NDE. Par contre, en ce qui concerne les drogues psychédéliques, surtout le DMT, Van Lommel reconnaît qu’il pourrait jouer un rôle dans l’élargissement de la conscience pendant la NDE. Il lèverait les inhibitions naturelles de l’organisme.

    2) Suivent quatre études, celle de Van Lommel en Hollande, une étude américaine et deux études britanniques. Venons aux conclusions qui nous mènent au vif du sujet. Voici en clair les faits : « La conscience avec des souvenirs et parfois des perceptions, peut être expérimentée pendant une période d’inconscience – c’est-à-dire une période où le cerveau ne manifeste aucune activité mesurable et où toutes les fonctions cérébrales telles que réflexes du corps, réflexes du tronc cérébral et respiration ont cessé. Il apparaît donc que dans ces circonstances une conscience lucide soit possible, indépendamment du cerveau et de l’organisme. Cette conclusion s’est imposée à partir de preuves incontestables que l’EMI se produit pendant la période de la mort clinique et non juste avant ou juste après l’arrêt cardiaque ». Il est donc important de pouvoir déterminer avec précision le moment où débute la NDE, car cela permet d’éliminer toute autre conclusion que celle de la cessation d’activité du cerveau pendant la NDE. Les recherches ont bien insisté sur ce point.

    Pesons les mots car ils sont d’une importance colossale : « Si l’hypothèse selon laquelle la conscience et les souvenirs sont localisés dans le cerveau était exacte, il ne pourrait y avoir aucun signe de conscience au moment où le cerveau ne manifeste plus d’activité ». Or on a massivement observé le contraire. Ce qui est admis c’est que « cette situation est considérée dans la plupart des cas comme la mort clinique, un coma ou la mort du cerveau ». Question : « comment peut-on jouir d’une conscience exceptionnellement lucide pendant une période d’interruption de toutes les fonctions mesurables du cerveau? ». Et les conclusions des quatre études citées sont implacablement cohérentes : elle pointent toute sur une difficulté majeure. Bruce Greyson dans l’étude paru dans The Lancet : « une sensorialité nette et des processus perceptifs complexes pendant une période de mort clinique apparente ébranlent la conception d’une conscience exclusivement localisée dans le cerveau ». Sam Parnia et Peter Fenwick : « … Des expériences aussi complexes que le contenu des EMI ne devraient ni se produire ni être mémorisées. Ces patients ne devraient avoir aucune expérience subjective”. Penny Sartori : « Le fait que des expériences nettes, lucides aient été rapportées d’un moment où le cerveau était dépourvu d’activité… ne s’accorde pas facilement avec le credo scientifique actuel ».

    Et le credo en question est bien sûr fondé sur le matérialisme qui est le consensus actuel dans lequel la profession médicale est maintenue. En fait un seul cas très documenté poserait déjà un problème redoutable. Une véritable énigme scientifique. Nous avons celui de Pamela Reynolds très bien décrit par le cardiologue Michael Sabom avec tout le luxe de détails d’une opération du cerveau très dangereuse où les chances de survie étaient très minces. Le chirurgien : « Avant le début de l’opération, il se passe beaucoup de choses. La patiente est endormie, ses yeux sont fermés par des bandes autocollantes, et on met dans ses oreilles des petits émetteurs qui cliquettent pour surveiller le cerveau. Ensuite on couvre complètement le corps de la patiente : la seule chose qui dépasse, c’est l’endroit de la tête où nous allons intervenir ». Sabom ajoute : « Le cerveau de Pamela était bien mort, comme l’on confirmé trois tests cliniques – encéphalogramme plat, aucune réaction du tronc cérébral, et absence de circulation sanguine dans le cerveau… Ses yeux avaient été lubrifiés pour éviter qu’ils se dessèchent et fermés par des bandes collantes. En outre, elle était sous anesthésie générale ». Suit un long témoignage tiré du livre de Sabom et de son interview dans un documentaire de la BBC.

    On imagine la stupéfaction du chirurgien quand il a entendu le récit détaillé de Pamela Reynolds et confirmé les détails qu’elle donne. Difficile d’accumuler plus d’impossibilités pour qu’une perception lucide puisse avoir lieu… « Elle n’a pas pu voir les instruments. Par exemple, la perceuse, etc. ces choses-là sont complètement dissimulées. Elles ne sont pas visibles ; elles sont à l’intérieur de leur emballage. One ne commence à les déballer que quand le patient est complètement endormi, de manière à préserver un environnement stérile etc. ». Une opération de plus de quatre heures, le corps complètement refroidi, le sang retiré de sa tête. Et pourtant une expérience consciente très claire.

    Une Conscience qui ne peut pas être celle du cerveau. L’épiphénoménisme est une doctrine obsolète. Nous faisons erreur en pensant que la Conscience dépend du cerveau. Le cerveau est une interface entre la Conscience et le monde, une interface dont l'efficience se manifeste dans l’état de veille dans lequel l’incarnation est expérimentée.  Mais la Conscience n’est pas réductible au fonctionnement cérébral, elle est de nature non-locale, elle est pleinement vivante  indépendamment du corps.

B. Retour sur la relation entre la conscience et le cerveau

    Alors, presque en désespoir de cause pourrait-on dire, on ressortira l’argument déjà évoqué plus haut dans le cours : « oui, mais ces personnes ne sont pas vraiment  mortes, ou bien, dira-t-on, s’approcher de la mort, ce n’est pas la même chose que d’être mort ». Et c’est vrai que dans la terminologie, EMI ou NDE, on a été au début été trop prudent au point d’être inexact. Dans le cas précédent de NDE le corps est réellement mort. Mort, cela veut dire que le corps est cliniquement mort. Il est inutile de changer la définition. Le prodige des techniques de réanimation c’est justement de parvenir à le ramener à la vie. Jean-Jacques Charbonier est très affirmatif sur ce point. Pendant son opération, Pamela Reynolds est morte, les progrès immenses accomplis dans les méthodes actuelles font qu’il a été possible de faire redémarrer ses fonctions corporelles et en particulier de ranimer son cerveau. Toutes les questions que l’on se pose disant « elle n’était pas vraiment morte » sont absurdes, elle est vraiment morte pendant l’opération. Mais sa conscience ne l’était pas, parce que la Conscience ne dépend pas du cerveau.

    1) Revenons un peu en arrière. Ce qui phénoménologiquement serait pour la conscience une mort c’est sa disparition dans l’inconscience. Sans aucun doute possible, nous pouvons dire que nous mourrons chaque nuit en tombant dans le sommeil profond : là, plus d’ego, plus de perception, plus personne : le sommeil est la conscience entrant dans la Vacuité, lourdement enténébrée par la torpeur. Prototype de ce néant qui fait si peur à la plupart d’entre nous. Ce qui pourtant ne nous inquiète pas outre mesure quand nous allons nous coucher. Souvenons-nous de L’Apologie de Socrate : si la mort n’est qu’un sommeil sans rêve, il n’y a vraiment pas de quoi la craindre. Mourir serait alors comme aller dormir. Nous disparaissons toutes les nuits. Inversement, se sentir bien vivant, c’est se sentir pleinement éveillé, jouissant d’une haute lucidité, disposant d’une intelligence claire et d’une perception très vive. Ce dont témoignent à foisons les experiencers qui ont connu une NDE c’est très exactement: jamais je ne me suis senti plus vivant que pendant cette expérience. Une intensité de Conscience inoubliable. Ineffable même. Au point que la perception ordinaire qui passe par l’entremise du cerveau semble à côté plutôt fade. Donc, quel rapport avec le cerveau ? Quel rapport entre la vie psychique et la vie biologique ?

    Nous avons précédemment fait une différence, qui est très claire dans la pensée indienne entre une faculté de perception et un organe de perception. Nous n’utilisons nos organes de perception que dans l’état de veille et si l’un d’entre eux est déficient, alors la perception est diminuée. Déjà, la situation est un peu différente dans l’état de rêve, puisque les organes sont au repos et que le sujet fait une expérience onirique parfois très vive et sensible. On notera aussi qu’une personne qui de naissance se trouve privée d’un sens, tel que la vue, ne peut pas avoir des rêves « en couleur », car il y a une relation entre la forme que prend chez elle l’état de rêve et l’état de veille. La limitation de la faculté par la déficience de l’organe se retrouve dans l’imaginaire onirique. Maintenant, si la thèse que nous venons d’exposer est exacte, nécessairement, la Conscience enveloppe la plénitude des facultés de l’esprit. Et nous ne parlons pas d’organe. Logiquement, il devrait être possible que dans une NDE profonde, un aveugle de naissance découvre brusquement une faculté qu’il n’a pas dans l’état de veille. Et il existe effectivement un certain nombre de cas référencés.

    Commençons par le plus anodin. Van Lommel cite le cas de ce patient très myope qui eu la surprise pendant sa NDE d’y voir parfaitement. Ou encore le récit d’une personne daltonienne : « Je voyais des couleur absolument éclatantes, ce qui est d’autant plus surprenant que je suis daltonien. J’arrive à distinguer les couleurs primaires, mais les couleurs pastel se ressemblent toutes. Et là tout à coup je voyais toutes sortes de nuances différents. Ne me demandez pas de les nommer, je manque de l’expérience  nécessaire pour pouvoir le faire ».

    Le cas (qui n’est pas isolé) d’une aveugle ayant eu une NDE : « Je n’ai jamais vu quoi que ce soit, ni lumière ni ombre, rien du tout. On me demande souvent si je vois du noir. Non je ne vous pas de noir. Je ne vos absolument rien. Et dans mes rêves, je n’ai aucune impression visuelle. Ce ne sont que les goûts, impressions tactiles, son et odeurs. Mais pas d’impressions visuelles de quoi que ce soit.

    Quand je suis revenue à moi, j’étais au « Harborview Medical Center » en train de regarder d’en haut ce qui se passait. Et c’était effrayant parce que je n’avais pas l’habitude de voir les choses visuellement, puisque ça ne m’était jamais arrivé ! Et au début c’était plutôt angoissant ! Et finalement, j’ai reconnu mon alliance et mes cheveux. Et j’ai pensé : c’est mon corps, là, en bas ? Je suis morte ou quoi ? Ils n’arrêtaient pas de dire « on n’arrive pas à la ramener, on n’arrive pas à la ramener ! » Et ils s’activaient frénétiquement autour de cette chose que je venais d’identifier comme mon corps et dont je me sentais très détachée, genre : « Et alors ? » Et je me demandais ce qui mettait tous ces gens dans un état pareil. Et puis j’ai pensé, je ne suis pas là, je ne peux pas me faire entendre par ces gens. Et dès que j’ai pensé ça, je suis passée à travers le plafond comme si de rien n’était. Et c’était merveilleux de me trouver dehors et d’être libre, sans avoir peur de me cogner dans quelque chose, et je savais où j’allais. Et j’entendais ce son de carillon éolien... ». Et, bien entendu, une fois le corps réintégré, le myope redevient myope, le daltonien daltonien et l’aveugle aveugle. Les limitations de corps attachées à l’expérience de l’état de veille reprennent leur place, comme le froid senti par Pamela Reynolds, les douleurs etc. Toute l’expérience charnelle médiatisée par le cerveau.

    2) Nous nous retrouvons donc dans une situation théorique très intéressante pour le philosophe, car mis au défi de trouver une quelconque correspondance entre une expérience objective identifiable dans le cerveau, mettons un processus identifiable par IRM, et une expérience subjective connue très nettement par le sujet et donnée dans son témoignage. Or ce que la NDE démontre, c’est… qu’il peut n’y avoir aucun rapport ! Mais les scientifiques ont été élevé dans l’idée qu’il devrait y en avoir un, de sorte qu’un schéma neuronal soit la cause de la dite expérience. Et si on ne trouve rien de tel et qu’on s’agrippe au présupposé matérialiste sans oser le mettre en cause, il ne reste plus que la solution… de nier en bloc l’expérience subjective en prétendant qu’elle n’a jamais existé, pour s’en tenir au fait que l’on a rien mesuré. Donc cela n’existe pas. S’enfermer dans un blockhaus théorique entouré des barbelés de présupposés qu’il est interdit de discuter. Le sujet, lui, n’a pas le moindre doute sur l’authenticité de son expérience et il se contrefiche du fait qu’elle ne soit ou non explicable, il n’a besoin d’aucune « preuve » objective, car il a une preuve intuitive éclatante.  Celle d’une expérience noétique. L’explication objective, ce n’est pas son rayon.

    La question devient alors : mais est-il vraiment exact que l’on puisse dériver une expérience subjective des conditions objectives du fonctionnement cérébral ? Nous arrivons au chapitre IX du livre de Van Lommel. Un des plus difficiles. « Ce que nous savons c’est que notre conscience dépend de trois structures déterminées et des connexions qui les relient entre elles. Ce sont : 1) le système réticulaire activateur ascendant (SRAA), dans le tronc cérébral ; 2) le cortex cérébral, en particulier le lobe frontal, les lobes temporaux et les lobes pariétaux ; 3) les connexion entre cortex et tronc cérébral, via l’hypothalamus et l’hippocampe… Ces centres manifestent une activité distincte chez l’individu conscient, et toute déficience de ces centres mène à l’inconscience ou au coma. La conclusion logique est que la collaboration entre ces trois centres joue un rôle dans l’expérience de la conscience de veille quotidienne ». Maintenant, les recherches actuelles sur le cerveau sont elles assez précises pour mesurer ce qui a lieu ? Qu’est-ce que l’on mesure ? Et ce que l’on mesure a-t-il un rapport exact avec ce que le sujet expérimente ? L’IRM ne peut enregistrer actuellement qu’une image toutes les deux secondes, ce qui est très lent pour suivre des processus de quelques millisecondes : ce qui équivaut à lire un livre en déchiffrant un mot sur mille. En fait même le scanner le plus précis ne peut pas fournir une explication de ce que se produit dans l’esprit. Et il ne nous apprend strictement rien sur le contenu des pensées et des sensations. Ce dont il faudrait s’inquiéter, c’est qu’il y ait encore des gens qui croient que c’est possible. Andrea Roepstorff, un neuroscientifique a exprimé à ce sujet sont scepticisme lors d’une interview. Le journaliste qui l’interrogeait précisa à l’occasion que « Roepstorff avait un message très ennuyeux pour ses pairs » : « En dépit de tous les scanners cérébraux, une connaissance complète et objective de la nature du mental humain est impossible ». Et il se mit à raconter qu’il avait lui-même participé en tant que volontaire à une expérience sous scanner IRM dans laquelle les sujets étaient placés dans la cabine tandis qu’on leur chatouillait les pieds. Il s’agissait d’identifier la manière dont le cerveau traitait cette information. Mais Roepstorff était en colère contre le chef expérimentateur. Il décida de lui jouer un tour. Quand il était chatouillé, il pensait à un match de foot, quand il en voyait l’image dans le miroir, il se rappelait l’enterrement de son chat. Le scanner aurait dû montrer de l’activité dans différentes parties du cerveau, le chef expérimentateur n’aurait dû rien comprendre aux résultats obtenus. Mais les images du scanner n’étaient pas différentes de celles des autres sujets. Et le chef ne remarqua rien du tout.

    Roepstorff en tire des conclusions dépitées. Les pensées sont subjectives. Il est possible, via une pénétration psychologique de les déduire du comportement de quelqu’un, « mais le sujet lui-même a un accès direct à sa pensée. Cette contradiction entre point de vue à la première personne (subjectif) et point de vue à la troisième personne (objectif) met le scientifique devant des problèmes méthodologiques insurmontables. Comment le neuroscientifique peut-il acquérir une connaissance objective de la conscience quand l’accès direct au cerveau, l’introspection, est purement subjectif ? La conscience est fondamentalement invérifiable et échappe donc aux critères de la science… Cela réduit en fumée tout espoir d’une connaissance totalement objective de la conscience. Tôt ou tard, vous serez obligé de parler à vos sujets, si bien qu’il y aura toujours un lien subjectif». On voit dans quelles absurdités s’engouffre l’approche objective, car la première personne est au fondement de tout le reste. Roepstorff le dit clairement : il est carrément stupide de croire que nous pourrions nous connaître nous-même via notre cerveau. Cela fait penser à cette blague débile sur les behaviouristes : le type qui vient de faire l’amour avec sa partenaire et qui lui demande « et pour moi c’était bien ? » (il demande un point de vue de troisième personne à la place de la première, lui-même).

       3) Là il faut bien appeler un chat un chat et un préjugé un préjugé. Un autre neuroscientifique, Alva Noë, en partant de recherches différentes, arrive aux mêmes conclusions : « Toute théorie scientifique, dit-il, repose sur des hypothèses. Il est important que ces hypothèses soient vraies ».  Or l’hypothèse que la conscience est un phénomène neuroscientifique et qu’elle se produit dans le cerveau est parfaitement erronée. « La recherche contemporaine sur la conscience en neuroscience repose sur des fondements jamais remis en question et qui pourtant mériteraient de l’être. La conscience ne se produit pas dans le cerveau. … L’idée que « nous sommes notre cerveau » n’est pas quelque chose que les scientifiques ont découvert ; c’est plutôt une idée préconçue. On ne remet pas en question l’idée que la conscience naît dans le cerveau. C’est une hypothèse de départ non-démontrée… C’est un préjugé ». Van Lommel commente : « Noë avance l’idée que la conscience n’est pas un produit du cerveau mais le cerveau a pour tâche de faciliter un schéma d’interaction dynamique entre lui-même, le corps et le monde ». Ce que nous avons vu précédemment. Alors même que l’on ne parvient pas à expliquer comment le comportement neuronal pourrait rendre compte du contenu des pensées et des sentiments, on persiste à soutenir que les processus cérébraux sous-tendent tous les aspects de la conscience. Van Lommel cite Einstein qui ironisait : il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé ! Alors comment peut-il se maintenir ? Par l’inertie indécrottable de la science normale. Contre les faits. Nous n’allons pas revenir sur le cas de John Lorber diplômé de mathématiques, avec un QI  de 126 à qui on découvrit une hydrocéphalie : 95 % de son crâne rempli de fluide cérébrospinal, vivant normalement avec un cerveau de cent grammes. Et il faudrait ajouter les prouesses de la neuroplasticité, le cas d’une fillette de  trois ans opérée à Baltimore à qui on a amputé le cerveau gauche, mais qui une fois remise s’est développé normalement, qui court, saute et travaille bien en classe ! La vicariance des fonctions qui fait qu’elles se sont transportées dans l’hémisphère restant est-elle compréhensible si c’était le cerveau qui produit la conscience ?

C. A la recherche d’un nouveau paradigme

Nous sommes donc invités à revoir notre modèle de la conscience et peut être même à le retourner entièrement. Ce qui nous ramène à un très ancien débat philosophique. Nous avons appelé, spiritualisme l’opposé exact de l’épiphénoménisme matérialiste. Un autre terme usité est  celui de panpsychisme. Comme chez Raymond Ruyer. Cette position consiste à considérer la matière comme un épiphénomène de l’Esprit. Il faut retenir la belle image de Plotin : le corps est tel un filet jeté sur l’océan de l’Esprit. L’océan est la Conscience, le filet, le corps qui la localise dans une expérience humaine : celle de l’incarnation. Le corps localise la conscience dans le champ de la matière, mais la Conscience est non-locale. C’est exactement le point vers lequel convergent les recherches qui tentent de modéliser le phénomène des NDE.

    1) Pour commencer, il faut dire deux mots sur le Dr Eben Alexander : un cas qui n’est pas pour nous déplaire, car il s’agit d’un neurochirurgien américain de renom… qui, à la suite d’un coma assez grave, (sept jours) a vécu une NDE qu’il a raconté dans La Preuve du Paradis, un livre exceptionnel à plus d’un titre, car on ne peut imaginer homme plus armé de par sa formation contre l’idée même de NDE. Il débute son chapitre 33 en citant Descartes : « Pour examiner la vérité, il est besoin, une fois en sa vie, de mettre toutes choses en doute autant qu’il se peut ». Une invitation directe à remettre en cause le préjugé analysé précédemment.  Il écrit plus bas : « Quand je suis tombé dans le coma, j’étais un médecin matérialiste qui avait effectué toute sa carrière dans certaines des plus prestigieuses institutions de recherche au monde, et essayé de comprendre les connexion entre le cerveau humain et la conscience. Non pas que je ne croyais pas à la conscience, mais j’étais tout simplement mieux informé que la plupart des gens de la colossale improbabilité mécanique qu’elle puisse exister indépendamment – de quoi que ce soit ! ». (Au passage : il faudrait que les matérialistes se demandent pourquoi des personnes haut placées risqueraient leur réputation pour parler de leur NDE  si c’était des hallucinations). Eben Alexander a examiné avec beaucoup de soin son expérience et étudié en professionnel les enregistrements de ses propres données relevées pendant son coma. Il a rédigé son témoignage de ce qu’il avait vécu en suivant la recommandation de son fils de ne pas lire un seul livre sur le sujet avant d’avoir terminé son récit. Il ne connaissait rien aux NDE. Nous avons donc un témoignage de première main et de la part d’un spécialiste du cerveau.

    Nous n’allons pas raconter son expérience, le lecteur se rapportera au livre. Venons à son propos sur la conscience. Comme Van Lommel il a épluché les explications scientifiques courantes et il se dit choqué par leurs évidentes faiblesses. Il sait de quoi il parle. Le cadre conceptuel de la physique classique est inadéquat pour décrire la réalité de la Conscience. Alexander d'emblée fait référence à la théorie quantique. Que dit-elle? "Lorsqu'on observe un phénomène quantique, il est impossible de séparer entièrement l'observateur (c'est-à-dire le scientifique qui fait l'expérience) de ce qui est observé". L’observateur-l’observation-l’observé forment un tout insécable. Mais dans l’état de veille, nous introduisons la dualité sujet/objet. « Nous voyons l’univers comme un endroit rempli d’objets séparés (des tables et des chaises, des personnes et des planètes) qui interagissent occasionnellement entre eux, mais qui demeurent toutefois essentiellement séparés ». Ce qui est faux, car la séparation n’existe pas. La mécanique quantique le sait. « Au niveau subatomique, … cet univers d’objets isolés se révèle une totale illusion… En fait, il n’existe pas véritablement d’objets du tout dans le monde, mais seulement des vibrations de l’énergie et des relations». Nous pourrions dire que le sujet qui fait une NDE va intuitivement embrasser cette vérité dans une évidence éclatante en comprenant que la Conscience est l’unique substrat qui supporte tout l’univers. On voit par là « qu’il est impossible de rechercher la réalité ultime de l’univers sans utiliser la conscience. Loin d’être un produit dérivé sans importance des processus physiques (comme je le pensais avant mon expérience), la conscience est non seulement très réelle – elle est en fait plus réelle que le reste de l’existence physique, et elle est très certainement la base de celle-ci ». Nous savons grâce à la physique, qu’il existe une corrélation infinie dans l’univers, mais dans la vie quotidienne, ce n’est qu’une idée vague, la théorie ne parvient pas à impacter une expérience quotidienne fondée sur la dualité. « Quand j’ai laissé mon corps derrière moi, j’ai éprouvé ces faits directement. En fait, je pense pouvoir dire que, même si je ne connaissais plus le mot à ce moment-là, je « faisait de la science » lorsque j’étais dans le Passage et dans le Cœur ». Shri Aurobindo utilise  l’expression connaissance par identité. L’accès de l’intelligence à ce qui est au-dessus du mental ordinaire. Ce qui se produit parfois dans une percée intuitive, une cognition propre au génie scientifique. Alexander insiste sur ce point, il dit que sa découverte n’est pas seulement  « intéressante » ou « spectaculaire », elle est scientifique. Disons pour un nouveau scientifique qui aurait dépassé l’ancien paradigme de la conscience et intégré la conscience d’unité dans sa propre vie. Seulement, le malheur, c’est « que nous avons perdu le contact avec le profond mystère qui réside au centre même de notre existence – notre conscience ». Cette connaissance de la Conscience est  quelque chose « qui a été perdu par notre culture occidentale sécularisée à mesure que nous tombions amoureux du pouvoir de la science et de la technologie moderne». Le résultat, c’est que « notre focalisation sur le progrès exponentiel de la science et de la technologie a laissé nombre d’entre nous relativement dépourvu dans le domaine du sens et de la joie». Dès que la Conscience est perdue de vue, plus rien n’a de sens et la vraie joie n’est plus expérimentée. Et pourtant, « chacun de nous est plus familier avec la conscience qu’avec quoi que ce soit d’autre». Mais tout notre savoir s’est développé dans le champ de l’objet, nous en savons bien plus « sur le reste de l’univers que sur les mécanismes de la conscience… » De sorte que paradoxalement, la Conscience est « tellement proche de nous-même qu’elle est presque à jamais hors d’atteinte… En fait, l’indice le plus grand de la réalité du domaine spirituel est ce profond mystère de notre existence consciente ».

    2) Il est extrêmement frappant  de constater que le sujet d’une NDE rende compte d’une expérience où tout est si étroitement interconnecté, nous aurions immédiatement envie de dire totalement intriqué. Dans le diaporama de vie, il peut parcourir le film de sa vie d’un point de vue où seul le présent existe et où le temps n’existe plus. Les événements passés sont là dans l’esprit et il suffit que l’esprit se tourne vers eux pour qu’il s’y rende : le bébé dans le berceau, l’étudiante en voyage d’étude, le vacancier d’Australie etc. Comme le dit Pim Von Lommel :« Le temps ne joue plus aucun rôle ; tout existe dans un éternel présent ». Et ce qui est vrai du temps l’est aussi de l’espace. L’intention de voir ses proches fait que la personne se trouve immédiatement dans la pièce d’à côté où ils attendent la fin de l’opération, comme dans l’expérience de Nicole Dron. Dans cet état de conscience, qui n’est pas notre état de veille habituel, « l’esprit semble tout contenir en même temps dans une dimension dénuée de temps et d’espace. Or dans la théorie quantique, cette interconnexion sans temps et sans espace s’appelle « non-localité » ». Nous avons vu précédemment que dans la physique quantique deux particules isolées, éloignées l’une de l’autre peuvent avoir « l’une sur l’autre un effet instantané, parce qu’elles peuvent devenir intriquées. C’est la non-localité, et elle a donné naissance au concept quantique d’espace non local… L’espace non local représente une réalité cachée qui, au niveau quantique, exerce une influence continue sur notre monde physique, qui est le complément de l’espace non local. On pourrait aussi appeler cet espace vide absolu, le vrai vide ; il n’a pas de structure, pas de temps, c’est un vide où les quarks (particules élémentaires et constituants essentiels de la matière), les électrons, la gravité et l’électricité sont devenu un, et, donc, n’existent plus. Cet espace constitue le fondement d’un nombre infini de possibilité, et à la température du zéro absolu, le vrai vide possède une quantité d’énergie infinie ». Il n’en fallait guère plus pour que plusieurs physiciens de renom avancent que cette Vacuité absolue pourrait constituer la base de la conscience.

Bref, les concepts de la physique quantique collent admirablement avec l’expérience des NDE. Inversement, quand on revient sur les concepts de la physique classique, nous retrouvons… exactement les limitations rencontrées dans l’état de veille ! Dans cette physique, il est impossible de se trouver en deux endroits à la fois, de se déplacer instantanément en un autre espace ou un autre lieu, la vitesse est limitée par une constante. Selon la physique classique, nous vivons dans une réalité « objective », dans une structure espace-temps-causalité qui fait bloc. Donc, en adhérant à la vision classique, nous supposons que la réalité est objective et nous pensons même qu’elle existe en dehors de nos observations. Les lois physiques impliquent que tout ce qui se produit dans la nature est pensé de manière causalement déterministe et donc de façon prévisible. Nous l’avons déjà montré, « en physique classique, la causalité est primordiale. Cela veut dire que le temps est unidirectionnel et que l’ordre de cause à effet est toujours une conclusion prévisible ». De même, et c’est très facile à comprendre car c’est le cadre conceptuel de l’état de veille, « la physique classique suppose la localité », la première idée étant que les objets ne sont influencé que par contact direct, (théorie des cartésiens) ce qui élimine toute possibilité d’influence à distance (d’où le scandale des idées professées par Newton, rejetées par les cartésiens). Or, comme on le voit, même en physique classique on a secoué rudement le cadre habituel de notre représentation vigile en acceptant l’idée d’une influence à distance. Et comme on l’a vu plus haut, il n’a pas fallu longtemps pour que l’on démolisse l’opposition entre matière et champ d’énergie, pour en arriver à l’affirmation selon laquelle l’univers n’est qu’Énergie et rien d’autre.

Mais ce qui rend la physique quantique complètement révolutionnaire, c’est que selon elle, si « la matière peut être mesurée… c’est l’esprit qui détermine ce que nous savons. Nos pensées et nos affects jouent un rôle dans notre vision du fonctionnement de l’univers et dans notre manière de percevoir cet univers ».  On imagine le choc qu’elle a provoqué dans la physique, ses « répercussions en philosophie et dans la recherche sur la conscience ». Max Born, physicien quantique et prix Nobel, met la cerise sur le gâteau : « Je suis maintenant convaincu que la physique théorique est en fait de la philosophie ».

Nous ne sommes donc pas du tout, dans les recherches sur les NDE, dans une époque où des gens un peu bizarres spéculeraient tout seul dans leur coin, comme des alchimistes avec chapeau pointu. Non, incontestablement nous approchons la même chose et nous avons même la possibilité de communiquer dans un langage commun. Nous pouvons planter là les matérialistes qui s’obstineraient à ériger des portes hermétiques entre toutes les disciplines.

 3) Venons maintenant aux modèles. Nous avons dans une autre leçon proposé les distinctions suivantes entre doctrines concurrentes : a) L’épiphénoménisme, qui déclare que la conscience n’est jamais qu’un phénomène produit par le cerveau, comme le foie produit de la bile, a été en vogue au XIX ème siècle. Il est encore très prisé aujourd’hui. Comme nous venons de le voir, il est très sérieusement mis à mal dans l’étude des NDE. b) Le dualisme a été professé historiquement par Descartes et récemment par Karl Popper et John Eccles. Il soutient que la conscience et le cerveau sont radicalement différents, mais hautement interactifs. Son problème a toujours été de savoir comment préciser cette interaction. Nous avons vu qu’il n’est pas réfuté ni vraiment éclairci par les NDE. c) Le parallélisme que l’on rencontre par exemple chez Leibniz et qui voit matière et esprit comme deux séquences accordées est une explication trop compliquée et qui cadre mal avec le phénomène NDE. Reste, d) ce que nous avons appelé spiritualisme, ou plutôt panpsychisme, qui admet que l’Esprit est la seule réalité, la matière étant son épiphénomène dans le monde tridimensionnel.  Cette position est nettement plus en accord avec la phénoménologie des NDE que les précédentes.

Le modèle que privilégie Van Lommel peut s’illustrer (comme tous les paradigmes)  par une image : un poste radio allumé peut se brancher, si on tourne le bouton des fréquences, sur différentes stations. S’il est éteint, cela n’empêche pas les fréquences d’exister dans un champ. Le champ serait la Conscience, le poste le cerveau et le corps, les fréquences les niveaux d’information disponibles et accessibles. « La conscience complète et infinie, avec ses souvenirs accessibles, a son origine dans un espace non local sous la forme de fonctions d’ondes indestructibles et non observables directement. Ces fonctions d’ondes, qui contiennent tous les aspects de la conscience sous la forme d’informations, sont toujours présentes dans le corps et autour de lui (non localement). Le cerveau et le corps fonctionnent que comme des stations relais recevant une partie de la conscience totale et une partie de nos souvenirs dans notre conscience de veille ». Lors d’une NDE, le sujet ne serait plus l’ego inscrit dans les limitations de l’état de veille, mais la subjectivité infinie du Soi de la Conscience universelle. Dans le saut de la transcendance, le sujet élargi aurait accès à une connaissance infiniment plus vaste que ce qu’il capable de « penser » dans l’état de veille. Parce que la Conscience est infinie, il éprouverait une expansion infinie, d’où l’ouverture du Cœur à l’amour inconditionnel et le sentiment d’avoir accès à toute l’information présente dans l’univers.

Si nous revenons maintenant à l’expérience de veille qui est nôtre, alors il faut aller jusqu’à dire que « le cerveau fonctionne comme un émetteur-récepteur ; le cerveau ne produit pas la conscience, il la rend possible ». Van Lommel ajoute que certaines substances produites par la glande pinéale jouent certainement un rôle dans la distribution de ce processus. « La conscience contient les graines de toute l’information qui est stockée en tant que fonction d’onde dans un espace non local. Elle transmet l’information au cerveau et reçoit de lui des informations provenant du corps et des sens. Cette conscience affecte autant la forme et les fonctions du cerveau que l’organisme ». Il est alors logique d’admettre que la Conscience non locale est par essence immatérielle et donc que « la conscience n’a aucune base matérielle ». Une autre analogie (comme toute les analogies à ne pas entendre de manière trop stricte), consiste à « comparer cette interaction continue, invisible et instantanée entre l’esprit et le corps avec la communication mondiale actuelle ». Nous baignons en effet dans des faisceaux d’ondes d’informations continues qui nous entourent jour et nuit, y compris cette pièce dans laquelle vous lisez ce texte. Nous pouvons ignorer cette information jusqu’au moment où nous allons allumer la télévision, la radio, décrocher un téléphone ou surfer sur Internet. A ce moment là nous accédons à une information. Et nous pouvons accéder à la même information que quelqu’un d’autre très distant. (Aurobindo disait lui que beaucoup de nos pensées, soi-disant « personnelles » sont en fait captées dans le mental universel). La conséquence, c’est qu’il n’est alors plus possible de parler « d’esprits » séparés. Il n’existe que des ego qui se croient séparés. Donc, en définitive, nous devons dire l’Esprit, non pas « mon » esprit, car tout esprit n’existe que dans sa participation avec l’Esprit. La NDE serait une forme d’expérience verticale, ou transcendantale si on préfère, par laquelle le sujet éprouverait au plus vif de son vécu que cette unité seule est Réelle. Ce qui veut dire en retour, que la vie phénoménale que dans l’état de veille nous croyons réelle ne l’est pas vraiment. Juste dans le point de contact de l’instant avec l’éternité de la Conscience ! Laissons le dernier mot à Pamela Reynolds : « je pense que la mort est une illusion. Je pense qu’en réalité la mort n’est qu’un mensonge pernicieux ».

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    D’ici dix ou vingt ans nous pourrons dire que les recherches sur les NDE ont été parmi les plus grandes découvertes du XXème siècle. Pour l’heure, nous en sommes encore à assimiler des données et à nous poser des questions, mais nous ne pouvons plus le faire avec l’extrême timidité d’un étudiant qui aurait la peur au ventre d’oser une interprétation pour la voir balayée ensuite. Il y a une masse de preuves.

    Nous sommes dans une enquête réellement philosophique touchant un sujet très sérieux. Sérieux mais en même temps avec des résultats explosifs, car ce que nous découvrons dynamite complètement le matérialisme qui prévaut chez les spécialistes. Pas étonnant que les réactions au livre de Van Lommel aient été très vives ! « Imaginez qu’il y ait la moindre vérité dans les affirmations de Van Lommel… ne serait-ce pas extrêmement bizarre » ! Oui, tout à fait ! Mais la vérité n’est pas censée se présenter en complet veston. C’est très bizarre et cela nous obligerait à remettre en doute une fois dans notre vie tout ce que nous avons appris ! C’est difficile. Il est nettement plus facile de tout envoyer promener d’un revers de main : « foutaises » ! De refuser de se documenter et de discuter, pour se défiler avec une pirouette sophistique. Ce que font la plupart des intellectuels. C’est très courant. Van Lommel note que c’est ainsi que fonctionne la science normale : des idées bien arrêtées, des présupposés que vous devez d’abord admettre avant d’ouvrir la bouche pour parler. Un petit jeu qui ne peut pas durer longtemps car il est par nature contraire à la démarche scientifique elle-même. Si nous sommes seulement honnête intellectuellement, nous devrons placer le dossier des NDE dans la problématique de la conscience. Nous découvrirons alors que c’est une pièce essentielle d’un puzzle qui tout d’un coup fait sens avec beaucoup d’autres.

    Allez, pour le plaisir, une magnifique citation d’Erwin Schrödinger : « Il ne s’agit pas tant de voir ce que personne n’a encore jamais vu, mais de penser ce que personne n’a encore jamais pensé, à propos de ce que tout le monde peut voir ».

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  © Philosophie et spiritualité, 2013, Serge Carfantan,
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