Les nouveautés techniques ont depuis toujours apporté avec elles des bouleversements et soulevé un enthousiasme qui n’a que bien peu de rapport avec une appréciation claire, distanciée, mesurée de leur effet réel. S’agissant d’Internet c’est peu de dire que nous manquons de distance. Nous y sommes tous complètement scotchés et engloutis que nous n’avons plus de recul pour comprendre. C’est presque comme s’il fallait n’écouter que les réfractaires qui refusent d’y jeter un œil pour entendre un discours différent de la rhétorique dégoulinante de superlatifs que l’on entend d’ordinaire.
Il est important de cerner le phénomène Internet car, tel l’éclairage électrique envahissant les villes au siècle dernier pour ne plus laisser de recoin obscur, Internet est présent absolument partout et il n’est pas un seul secteur de la vie sociale où son incidence ne soit pas marquée. Une véritable révolution technique dit-on. Oui. L’expression est méritée et la révolution est d’une ampleur colossale. L’image de la toile que nous utilisons est assez parlante. C’est l’araignée qui tisse sa toile à partir d’elle-même. Les fils vont d’un objet à un autre, l’araignée les multiplie et au bout d’un moment il n’y a plus gère d’espace où puisse circuler la moindre bestiole sans y être accrochée. Rapprochement curieux : c’est exactement la même métaphore que nous avions utilisé dans un cours précédent pour désigner l’empire de l’ego sous la forme de l’attachement, chacun des fils désignant un lien de pouvoir (mieux peut être un croc) où s’exprime l’appartenance, la volonté de puissance de l’ego dans la conquête de son monde. Internet fonctionne-t-il comme une sorte de super-ego collectif prédateur en définitive d’une individualité et d’une pensée libre?
Comment comprendre l’enjeu d’Internet entre échange d’informations et trafic de pouvoir ? Alors que tout le monde nous parle abondamment de marché, d’information, de pensée globale, nous allons dans cette leçon essayer de dresser un portrait d’Internet qui prenne...
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Il est dangereux de se lancer dans une discussion sur un sujet sans avoir clairement à l’esprit ce que nous désignons comme objet ; il n’est pas possible de faire l’économie au début de quelques définitions sans quoi on reste dans le vague des abstractions. Ce qui donne le vague de l’argumentation. Nous avons par exemple vu précédemment tout l’intérêt de définir clairement ce que nous devons entendre clairement par machine pour ensuite être à même de comprendre le paradigme mécaniste. Il en est de même avec Internet, il faut avoir l’animal sous les yeux pour en parler avec un peu de pertinence et au moins poser des questions justes. Cela va peut être de soi pour les spécialistes, mais en fait la plupart des gens entretiennent des idées fausses sur la nature d’Internet.
1) Dans les années 1960, en pleine guerre froide, les militaires du Pentagone se demandaient comment il serait possible de protéger l’appareil d’État face à la menace d’une attaque nucléaire soviétique. Le point sensible était le centre de commande. Ils se disaient que s’il était situé en un seul point névralgique, il suffirait que les soviétiques y pointent leurs têtes nucléaires pour que le pays soit entièrement paralysé et que le commandement soit défait. La solution proposée en 1964 par Paul Baran était de construire un réseau qui n’aurait aucun centre, de sorte que si un de ses nodes, de ses nœuds, était détruit, le réseau pourrait tout de même résister et rester fonctionnel, l’information circulant alors différemment, en passant par d’autres nœuds, déjouant ainsi toute tentative de l’ennemis de paralyser l’information vitale dans un conflit. C’est donc à une agence du ministère américain de la Défense, l'Advanced Research Projects Agency, l’Arpa, qu’a été confié le financement et la mise en place progressive de ce réseau décentralisé. Il devait relier les chercheurs des universités, de l'industrie et du ministère de la Défense. Le projet d’ArpaNet est né en 1969 et il était au début constitué d’une toile assez légère, car ne comportant que quatre nœuds, trois en Californie et un à Salt Lake City. Au commencement de cette affaire, il s’agissait d’échanger des paquets de données pour ensuite les traiter sur des ordinateurs ; mais très vite, dans les années 70, les bricoleurs branchés sur l’Arpanet se sont mis à détourner le réseau à des fins plus personnelles pour échanger des travaux, des conseils, des affaires personnelles, jusqu’aux dernières blagues sur le président en fonction, Richard Nixon. En 1972, c’est la première liste de diffusion électronique (sur la science fiction). Évidemment, justement en raison de
Progressivement Arpa (doc) perdait le contrôle et les fins du projet étaient oubliées ou plutôt dépassées par d’autres plus ouvertes qui se surimposaient au projet initial. Logiquement, Arpanet finit en 1983 par se détacher du reste du réseau qui deviendra alors Internet, International Network ou Interconnected Network. L’armée passait la main à la National Science Foundation qui allait se consacrer au financement du blackbone, de la moelle épinière du réseau, « l’os central » du système en quelque sorte. La suite est connue et elle appartient à l’histoire : une expansion fulgurante, une pléiade d’autres agences, comme la Nasa, les agences de recherche, les entreprises de communication etc. vont brancher leur propre réseau de communication interne au nouveau réseau en développement croissant. Le système fondé sur un répertoire FTP (File Transfer Protocol) était encore assez obscur pour un usage aisé de la part d’un visiteur qui n’était pas rompu à la technicité du réseau. La surcouche apportée dans les années 1990 d’un système de
...titre de phénomène Internet, comme étant typiquement un phénomène technique et cela en deux sens. Primo, Internet partage une caractéristique que l’on rencontre dans une multitude d’inventions techniques : le fait que sa provenance soit liée à des motivations militaires. Secondo, le fait qu’Internet se soit développé de manière phénoménale, tel un flot qui ne cesse de grandir et devient un raz-de-marée emportant tout sur son passage ; ou encore, tel une locomotive lancée à toute vapeur et que plus rien ne peut arrêter. Ce que l’on dit du progrès technique en général quand on voit qu’il s’agit clairement d’un processus en auto-développement. Les deux cas sont différents, mais ils impliquent une forme de pouvoir.
2) Procédons maintenant par distinctions (Je condense ici des éléments empruntés à Benjamin Bayart avec quelques ajouts). Internet est donc un réseau, mais il n’est pas le seul, ni le premier, ni le concept qui en pose la notion. On pourrait encore aller bien plus loin, en amont de la technique humaine, si nous cherchons comment l’information se communique dans le vivant et entre les vivants, entre les vivants et la planète Terre et quel rôle elle joue dans la structuration des formes dans l’univers matériel. L’univers tout entier est en réseau, il cohère avec lui-même. Le vivant sensifie en permanence, l’Univers est informatif ; Internet n’a rien inventé, il a dupliqué technologiquement le concept d’une trame d’intelligence qui est déjà dans la Nature.
commutation de circuits (36 15… quelque chose) pour un service, il fallait se déconnecter et se reconnecter à un autre 36 15. A la différence, Internet commute des paquets de data, de données. Ces paquets sont des contenus très variés (du texte, des images, de la voix, de la vidéo etc.). Le réseau fait suivre les paquets, parfois il en perd des bouts, mais la grande différence, c’est que contrairement aux anciens réseaux, il permet de faire plusieurs choses à la fois. Ce qui n’est pas possible dans une commutation de circuits. Internet est aussi un réseau passif, à la différence des réseaux à l’ancienne qui étaient actifs, centralisés et contrôlés par un superviseur, type réseau de chemin de fer de la SNCF. Internet est a-centralisé, cela veut dire qu’il forme un patchwork de réseaux indépendants (plus de 40.000) qui se servent du même protocole et s’entendent pour ne jamais utiliser simultanément la même adresse. Donc pas de centre. On ne peut pas dire tout à fait qu’il est hors contrôle, puisque chacun des sous réseaux peut faire ce qu’il veut sur les données qui le traversent vers tel ou tel point ; cependant, le fait notable, et d’une immense importance demeure, il n’y a pas de centralisation. C’est là depuis le début et c’est justement ce qui fait la force et la résistance du système. Ce qui veut dire par exemple que si dans la toile on fait une coupure en deux, il y aura alors deux Internet, mais… qui ne se parlent plus, tout en restant vivants chacun de leur côté. Cela arrive avec la censure d’un État et cela peut aussi se produire par accident. Mettons des câbles sous-marins qui cassent dans un séisme. Donc les seuls points d’entente des 40.000 réseaux sont l’usage du protocole IP qu’ils ne vont pas changer et la gestion d’un stock d’adresses reçu de l’organisme qui gère toutes les IP. Un peu comme les numéros de téléphones. Et là non plus ils ne vont rien changer. En fait le réseau fonctionne justement quand personne n’intervient pour modifier quoique que ce soit, car si chacun voulait bricoler dans son coin « son » Internet, il se mettrait immédiatement hors jeu du réseau global. Internet est donc de ce fait extrêmement résistant, parce que sa base protocolaire est très simple. Il n’y a qu’un seul service centralisé c’est le service de nommage, les DNS et il pourrait être décentralisés.
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© Philosophie et spiritualité, 2015, Serge Carfantan,
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