La montée au pouvoir d’un homme porté par l’enthousiasme des masses, le rejet d’un gouvernement par un peuple, les déchaînements meurtriers des guerres, les conversions massives dans une religion, l’avènement d’une période historique visiblement nouvelle, les périodes créatives de manifestation artistique, de haute architecture ou de développements technologiques accélérés, les conduites hystériques d’une foule dans un stade, un rassemblement citoyen spontané de grande ampleur: tout cela constitue des événements collectifs. Ils nous rappellent que l’existence individuelle n’est pas séparable de la société dans laquelle elle se déploie. Il ne peut exister dans le réel de système fermé comme on peut en concevoir dans un laboratoire quand on veut isoler un phénomène en le soustrayant à la totalité dans laquelle il est engagé. Ce qui existe, c’est l’interdépendance réciproque à l’intérieur d’un système ouvert.
L'idée dérange. Nous avons une fâcheuse contention en tant qu’ego à vouloir nous considérer comme isolé. C’est la croyance de base de l’individualisme. Ce n’est pas complètement faux, du point de vue du vécu, nul ne peut vivre l’expérience d’un autre. Chacun d’entre nous vit de manière singulière ce qu’il peut vivre, comme il devra rencontrer seul sa propre mort. Pourtant, nous savons aussi qu’à travers la mort d’un être humain, c’est toute la communauté humaine qui est affectée par le deuil. Exactement de la même manière, dans chaque naissance c’est toute la communauté qui est en joie. Ce que chacun d’entre nous éprouve reste perméable à tous les autres. Le vécu n’est pas scellé et mis en bouteille ; un chagrin, une souffrance, une joie est comme un parfum dans la présence d’une personne. Mais l’inverse n’est-il pas tout aussi vrai ? Les mouvements de la conscience collective n’emportent-ils pas comme un fétu de paille par grand vent la conscience individuelle ? Peut-on appeler inconscients ce type de comportement ? Quelle relation existe-t-il entre la conscience individuelle et les événements collectifs?
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On attribue parfois à Freud la paternité de l’étude psychologique des conduites collectives, mais c’est une erreur. Freud a dans ce registre suivi Gustave Le Bon dont le livre, Psychologie des Foules, est paru en 1905. Freud en a reconnu l’intérêt et repris le contenu pour l’infléchir dans la direction de la psychanalyse. Le travail de Le Bon est original et doit être lu sans la grille d’interprétation de la psychanalyse. Même si le texte reste assez marqué par les mentalités de son époque, il contient quelques observations très pertinentes.
1) Une remarque pour débuter. L’analyse des phénomènes collectifs est plus large d’extension que l’analyse des comportements de foule qui forme un sous-ensemble particulier. S’agissant des foules, on pense notamment à ce qui se passe parfois dans les stades, dans les meetings politiques, les manifestations de rue, les réunions publique, les assemblées festives, les one man show des pasteurs évangélistes etc. L’analyse des foules psychologiques est importante, car elle dévoile un aspect grégaire du comportement humain que nous ne devons jamais oublier et dont il faut tenir compte.
« Le fait le plus frappant que présente une foule psychologique est le suivant : quels que soient les individus qui la composent, quelque semblables ou dissemblables que soient leur genre de vie, leurs occupations, leur caractère ou leur intelligence, par le fait seul qu'ils sont transformés en foule », ils forment une conscience collective « qui les fait sentir, penser, et agir d'une façon tout à fait différente de celle dont sentirait, penserait et agirait chacun d'eux isolément. Il y a des idées, des sentiments qui ne surgissent ou ne se transforment en actes que chez les individus en foule ». Qu’un juge lors d’un match de foot signe un penalty que le public ne reconnaît pas et voici que la colère monte, se propage comme une onde émotionnelle à l’intérieur du stade, et il s’en faut de peu pour qu’une masse de supporter ne fasse irruption sur le terrain en criant « à mort l’arbitre ! » dans un déchaînement de violence. Il y a sûrement parmi ces gens en délire des personnes qui prises à part sont fluettes, timides et effacées, mais voilà, portées par la foule la contagion émotionnelle est très puissante, elle passe directement à l’acte depuis l’empathie collective. Une foule est tel un gros animal réactif, primaire et irréfléchi. La foule n’est pas dans la réflexion, elle est tout dans le réflexe, elle n’agit pas, elle réagit, elle n’est pas consciente, elle est plutôt inconsciente. « L'évanouissement de la personnalité consciente et l'orientation des sentiments et des pensées dans un sens déterminé,… sont les premiers traits de la foule ». (texte) Le plus étonnant, c’est d’observer que la présence au milieu d’une foule dont émotionnel est excité procure un accroissement vital à chacun de ses membres. Une excitation que l’individu ne connaît pas d’ordinaire dans sa vie rangée et anonyme. C’est d’ailleurs une raison majeure pour laquelle il ira voir un match de foot ou de catch qui sont exactement dans le même registre. « L'individu en foule acquiert, par le fait seul du nombre, un sentiment de puissance invincible qui lui permet de céder à des instincts que, seul, il eût forcément refrénés. Il sera d'autant moins porté à les refréner que, la foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement ». En effet, perdu dans la masse, « on » ne se sent pas responsable, « on » est comme délivré de la responsabilité personnelle puisque le soi propre s’est identifié à tous les autres.
Ce qui frappe Gustave Le Bon c’est le phénomène de la contagion émotionnelle (texte) qu’il relie immédiatement à une sorte d’hypnose de groupe. « la contagion, intervient … pour déterminer chez les foules la manifestation de caractères spéciaux et en même temps leur orientation. La contagion est un phénomène aisé à constater, mais non expliqué, et qu'il faut rattacher aux phénomènes d'ordre hypnotique …Dans une foule, tout sentiment, tout acte est contagieux, et contagieux à ce point que l'individu sacrifie très facilement son intérêt personnel à l'intérêt collectif ». Dans le cas de l’hypnose, le sujet accepte de se soumettre aux suggestions de l’hypnotiseur, s’il s’y refusait, l’hypnotiseur ne pourrait rien faire. Mais dans la foule ? L’analogie est toujours valable, car il se produit propagation de suggestions nées dans le mental collectif et aussitôt suivies en masse. Il doit y avoir un assentiment mais il est passif. L’image la plus parlante qui nous vient à l’esprit c’est quand même celle du troupeau de moutons qui d’un seul tenant, suivant l’impulsion de quelques-uns, va se jeter dans un précipice.
C’est un phénomène étrange, car d’ordinaire l’être humain est centré sur son ego, il n’a en vue que son intérêt personnel, mais dans ce phénomène collectif, il y un effet de confusion, le moi se perd dans la masse. La solution que ne donne pas Le Bon serait de dire que la conscience collective fait émerger un ego agrandi, un « nous », face à un « eux », un ego de masse auquel chacun s’identifie. Notons le bien ! En l’absence d’identification, il pourrait y avoir un observateur témoin, mais non engagé, c’est parfaitement possible dans la pleine lucidité, mais celui-là est intérieurement en retrait par rapport à la foule.
Toujours est-il que, « l'individu plongé depuis quelque temps au sein d'une foule agissante, se trouve bientôt placé − par suite des effluves qui s'en dégagent, ou pour toute autre cause que nous ne connaissons pas − dans un état particulier, qui se rapproche beaucoup de l'état de fascination où se trouve l'hypnotisé dans les mains de son hypnotiseur ». « La personnalité consciente est entièrement évanouie, la volonté et le discernement sont perdus. Tous les sentiments et les pensées sont orientés dans le sens déterminé par l'hypnotiseur.
Donc, évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en actes les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l'individu en foule. Il n'est plus lui-même, il est devenu un automate que sa volonté ne guide plus.
Aussi, par le fait seul qu'il fait partie d'une foule organisée,
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© Philosophie et spiritualité, 2017, Serge Carfantan,
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