Leçon 133.  L’Éthique de la  vertu       pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Les anciens accordaient une importance fondamentale à l’éducation morale en vue du développement de la vertu. De Platon à Aristote, d’Épictète à Sénèque, le mot revient sans cesse. Mais pour nous c’est un terme qui ne va plus de soi, un terme que nous trouvons un peu niais, vieillot et démodé. Nous sommes dans la postérité de Sade avec Les infortunes de la vertu. Petite vertu de la virginité, vouée à la perte dans la consommation de la sexualité. Un étudiant a beaucoup de mal a comprendre le sens ancien du mot vertu et il lui est très difficile de faire une explication de texte sur ce thème. Signe tout à fait caractéristique, ce que l’on désignait autrefois sous l’appellations des « vertus », tel que l’honnêteté, le courage, la fidélité, la pudeur etc. est aujourd’hui interprété sous un nom différent : nous parlons nous de « valeurs ». Or être attaché à des valeurs n’a pas le même sens que de cultiver des vertus. Cela nous engage moins.

    Le livre récent d’André Comte-Sponville Petit Traité des grandes Vertus a donc beaucoup surpris par l’archaïsme de son projet. Remettre à la mode une notion aussi ancienne que la vertu dans un contexte postmoderne passe pour une gageure. Cependant, le défi mérité d’être relevé. Nous reconnaissons aujourd’hui que l’éducation morale est indispensable. Il se pourrait bien que seule la vertu puisse sauver le monde du chaos. Nous aimerions donner aux générations à venir les rudiments d’une morale civique. Mais comment nous y prendre ? Faut-il revenir aux leçons des anciens ? Devons-nous redonner un sens à la vertu ? L’éthique peut-elle en donner une définition claire ? Qu’est-ce que la vertu ? Une habitude acquise de conformité aux bonnes mœurs ? Un effort persévérant vers le bien ? Un qualificatif purement relatif de ce que nous opposons à ce que nous prenons pour des vices ? Un idéal moral ?

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A. Dualité de la vertu et du vice et postmodernité

     Dans le domaine du relatif, une chose ne peut être pensée sans son contraire ; la vertu est indissociable de son opposé le vice. Vertu/vice ne peuvent pas plus être séparés,  que plaisir/douleur, (cf. Hume texte) bien/mal, ou bonheur/malheur etc. Dans l’attitude naturelle, une vertu est une qualité qui fait l’objet d’une louange et d’une approbation morale, et le vice est un défaut qui fait l’objet d’un blâme et d‘une réprobation. Il est par exemple assez curieux de remarquer que dans la représentation commune l’idée est de connaissance de soi est d’abord entendue ainsi : « c’est important de connaître ses défauts et de ne pas sous-estimer ses qualités » ! De même, on entendra dans le même sens la connaissance d’autrui (voir les « bons côtés » de quelqu’un, ne pas trop s’attarder sur ses « défauts »).  La signification du terme de "vertu" est obscure; et  nous ne parlons plus de vertu. Pourquoi ?

     1) L’homme postmoderne  n’emploie pas le mot « vertu » et il réserve le mot « vice » uniquement pour désigner un comportement sexuel obsessionnel ! Cependant, il juge et condamne éperdument, il sait faire une évaluation morale dans laquelle il est « bien » de posséder certaines qualités et il « mal » d’avoir les défauts contraires. Il reconnaîtra en aparté que la qualité de retenue devant la nourriture et pensera que la gourmandise est un « vilain défaut ». Si nous devions mettre sur papier la dualité vertu/vice sous la forme de tableau, nous pourrions par exemple noter (à compléter):

     a) Nous vivons dans une atmosphère intellectuelle qui produit un brouillage des repères dû à un psychologisme systématique appliqué à ce qu’autrefois on appelait des vices, qui engendre un déplacement du vocabulaire, du registre du confessionnal vers celui du divan. Sous l’influence de la psychanalyse, l’orgueil a été rebaptisé mégalomanie, la luxure est devenue l’obsession, la concupiscence abhorrée des chrétiens est devenue la tendance libidineuse,  il s’est même trouvé des auteurs pour voir dans l’avarice une rétention fécale. Du coup, la compréhension directe de la vertu est écartée au profit d’un discours qui ne discerne que l’excès dans la pathologie et reste incapable de se prononcer en termes éducatifs, dans le registre des valeurs. Il existe une forme de relativisme dans cette tendance à se défiler dans le psychologisme. C’est une critique souvent adressée à la psychanalyse que de  recouvrir par un langage psychologique des pratiques qui énoncées autrement heurteraient la conscience morale.

    b) L’inconstance dans les jugements moraux, leur absence de fondement, est la caractéristique de notre époque. Nous vivons dans un monde sans règles. Ce monde de l’hédonisme postmoderne est extrêmement habile à faire passer un "vice" pour une « vertu ». La société de consommation légitime par avance la gourmandise, l’orgueil, le luxe et la vanité. Les valeurs de la compétition sociale ont leur effet. L’agressivité et la combativité sont les « vertus » du manager, l’ambition et la ruse des « vertus » politiques, l’avidité une vertu de consommateur. Les héros du petit et du grand écran sont souvent insolents, violents, vulgaires, cyniques et on s’y est habitué, comme les adolescents ont l’habitude de faire « comme dans le film », sans penser le moins du monde que ce genre de conduite puisse blesser et faire du tort. Avec un conditionnement de plusieurs heures par jour, il ne faut s’étonner que les conduites soient sous influence et le moins qu’on puisse dire, c’est que la télévision n’est certainement pas un parangon de vertu. Du coup, tout est plus ou moins moral, parce que dans les mœurs ou habituel. On ne se rend même plus compte d’être en présence de ce qui pourrait être ressenti comme malsain. Nous sommes aussi assez malins pour dissimuler ce que l’observation de bon sens donnerait immédiatement comme une corruption morale.

    2) Inversement, on peut aussi tourner une vertu dans le vice. Ce qui est le plus sous-jacent à ce nivellement, c’est la tendance de notre société à légitimer un accroissement de l’avoir : plus de temps, de pouvoir, plus d’argent, plus de prestige, plus de conquêtes, plus de sexe, plus de possessions etc. Nous vivons sous l’emprise de la croissance quantitative. Du coup, n'importe que accroissement est jugé bon, toute incitation dans le sens de la tempérance mauvaise et donc implicitement laminée dans la dérision. Il faut être excessif en tout pour que cela se voit et que les choses en vaille la peine !

      Nous savons depuis Aristote que la vertu se trouve dans le sens de la médiété, de la juste mesure, ce que notre époque délivre, c’est au contraire une constante incitation à la démesure sous la forme du toujours plus. L’idéologie de la consommation doit nécessairement inculquer le sens de l’excès et l’habiller de « vertu ». Le consommateur profite et il est bon qu’il cherche en permanence à profiter, car c’est de cette manière qu’il contribue aux profits de ceux qui produisent et aux profits de ceux qui font la promotion des produits. Nous avons vu avec quelle habileté la rhétorique publicitaire réalise ce tour de passe-passe avec les valeurs morales. Nous sommes dominé par l’empire du quantitatif : compte de l’électorat de droite et de gauche, des heures passées à travailler, des coups gagnants, des femmes conquises, des milliards dans les coffres, des disques vendus, des résidences et des jours de vacances, des stock option, des voyages, du bonus de l’assurance, des fins de mois impossibles, des dettes écrasantes, des échéances déprimantes, des visites qui s’espacent de plus en plus etc. il faut tout compter. Dans ce registre, le toujours plus est le bien, le toujours moins est le mal et la simplicité a perdu toute signification. Pour invoquer l’importance de quoi que ce soit ou de qui que ce soit, on invoque... des chiffres! La quantité mesure l’importance du sujet et de l’objet et la dette de reconnaissance qu’on lui doit. Que ce soit la frappe d’une balle

   

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     © Philosophie et spiritualité, 2005, Serge Carfantan,
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