Descartes a profondément marqué la pensée occidentale avec un mode de pensée reposant sur le dualisme corps/esprit. Sa postérité immédiate a dû affronter un problème resté sans solution claire, celui de la relation corps-esprit. Spinoza reprochera à Descartes de ne pas respecter le principe des idées claires et distinctes et trouvera très obscure l’hypothèse de la glande pinéale, comme jonction de l’esprit et du corps. Cependant, la séduction spontanée de la pensée duelle est telle que nous avons tendance à l’emprunter de manière systématique, sans pouvoir y échapper, ni parvenir à la dépasser, ce qui nous met en butte avec des oppositions artificielles et une manière toute aussi artificielle de vouloir les surmonter.
Il est intéressant de noter que très souvent la pensée traditionnelle, pour penser l’être de l’homme, préférait à la dyade corps/esprit, la triade âme-esprit-corps. La logique du trois-en-un est bien plus souple que celle de la dualité. Nous avons vu qu’elle se rencontre partout dans le domaine le plus subtil de la relation. Dans le domaine des relations sublimes, rien de ce qui existe n’a de contraire, ce qui est se donne dans une manifestation où l’intériorité vient s’exprimer dans l’extériorité dans une solution de continuité. Comment comprendre la relation entre l’âme, l’esprit et le corps ? En quoi l’âme se distingue-t-elle de l’esprit ? En quoi l’esprit constitue le lien entre l’âme et le corps ?
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L’approche objective de la science moderne
nous a habitué à la démarche consistant à partir de l’extériorité physique pour
appréhender la nature de l’intériorité. Cependant, il est douteux qu’une
approche objective puisse jamais ressaisir la subjectivité, qui est justement un
plan non-physique. Ce n’est que dans une ontologie qu’il est possible de définir
le corps, de donner toute sa mesure à la dimension consciente du
sujet et enfin
à envisager la pure donation à soi de l’âme. Si on peut définir l’homme, comme
La Mettrie, comme une machine, c’est qu’alors on le résume à son corps.
Descartes, lui, regarde l’homme comme à la fois un corps et un esprit, mais,
conformément à son dualisme, il confond
l’esprit avec l’intellect et semble ne trouver dans l’âme que l’activité de la pensée.
Comment peut-on, sans réduction, tout à la fois distinguer et relier le corps,
l’esprit et l’âme ? (texte)
1) Dans l’attitude naturelle
le corps est nommé justement le physique. Dans les
Méditations métaphysiques,
Descartes définit tout d’abord le mot corps par la physique en disant qu’un
corps est une chose qui occupe un certain lieu et qui possède des dimensions
pouvant faire l’objet d’une mesure. Un corps est un objet dont il est
possible de déterminer les
propriétés géométriques. Il
suffit de ne retenir de son appréhension que ses qualités premières et d’évacuer
tout ce qui relève de notre
expérience subjective, les
qualités secondes, pour donner à la physique son champ d’action et son empire
sur que l’on nomme la
matière. Mon corps à ce titre est fait de
la même texture que le morceau de
cire. Il peut être analysé de la
même manière dans sa forme, ses dimensions, son poids etc. Dans l’analyse de la
physique classique, on dira qu’il est composé de molécules, d'atomes,
qu’il est d’un point de vue chimique composé d’eau, de carbone, de minéraux etc.
Dans la physique contemporaine, poussant plus loin l’analyse de la matière, on
admettra que la texture du corps est soutenue par la structure dynamique d’un
champ d’énergie pure que nous
percevons à notre échelle comme un objet solide. Cette énergie en apparence
gelée dans une forme, n’est en définitive qu’une fonction d’onde macroscopique
dans le réseau de l’univers. La solidité de mon corps est alors en réalité
appuyée sur une vacuité fondamentale
dont le dynamisme infini tient en équilibre une superstructure qui va de
l’atome, vers les molécules complexes, la totalité systémique auto-référente des
tissus, des organes et du corps tout entier. Je ne peux pas traiter mon corps,
comme un corps en général, objet de la physique. En restant dans le cadre de
l’approche objective, je dois d’abord admettre que c’est un corps vivant. Il
partage avec tous les vivants une échelle de complexité supérieure qui le range
parmi les objets de la biologie. Les caractères spécifiques
du vivant suffisent à émanciper la biologie par rapport à la
physique. De fait,
les biologistes se contentent le plus souvent d’une version de la physique qui
se limite à la physique classique et ne prend pas en compte les avancées de la
théorie quantique. Le
Corps
quantique, selon le titre du livre de
Deepak Chopra est bien plus proche
de la conscience que le corps-objet défini à partir de la physique classique. Il
permet de mieux comprendre la relation corps-esprit en nous débarrassant d’une
conception trop rigide du dualisme, le corps/esprit
légué par la modernité. Nous n’allons pas reprendre tout ce qui a été montré
précédemment sur cette question. (texte)
Mon corps n’est pas un corps en général, ou un corps vivant, mais un corps sujet-objet et précisément le lieu de mon incarnation. La problématique de l'incarnation n’appartient pas à la science, car elle pose la question de la relation entre le plan physique de l’existence et le plan non-physique. Comme l’a si bien montré Raymond Ruyer, (texte) la science en restant dans le champ de l’observable, occulte le participable. Elle prend pour argent comptant le caractère surfaciel de la perception, incline de manière décidée la pensée vers .... (texte)
« Nous croyons que les choses et les êtres sont comme nous les voyons, tout en peau, extérieure ou faussement intérieure, surface réfléchissant la lumière. Un homme de notre connaissance, nous savons que son corps a un envers, ou plutôt un endroit : sa propre vie et sa propre conscience, parce qu’il nous parle. Un chien aussi atteste son endroit, en protestant quand on lui marche sur la patte. Un arbre que l’on émonde, ou une herbe que l’on foule, ou un cristal que l’on comprime ne protesteront jamais. Aussi nous les considérons comme sans ‘endroit’ comme étant ‘tout corps’… Le matérialisme consiste à croire que ‘tout est objet’, ‘tout est extérieur’, ‘tout est chose’. Il prend pour argent comptant le caractère ‘surfaciel’ de la perception visuelle et de la connaissance scientifique. Il prend pour endroit (right side) l’envers (wrong side) des êtres ». L’endroit est la conscience et le corps est cet envers de la conscience qui n’existe que dans la représentation d’une autre conscience.
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L’esprit est appelé le non-physique.
L’usage de la définition n’est aisé que sur le plan physique, car la définition
n’est précise qu’en rapport avec une forme déterminée, dans le domaine de
l’extériorité. En-deçà de toute forme, dans l’intériorité, il devient très
malaisé de définir quoi que ce soit. Ce serait prendre le sujet qui définit pour
l’objet d’une définition et du même coup s’échapper du site originel de la
conscience. Comme le dit Stephen Jourdain : « L’esprit… Il en est de ce mot-clé
comme des quelques autres mots-clé : si transparent, si évident que soit son
sens pour notre intuition, il se montre absolument rebelle à la définition. On
ne peut le définir que négativement. Dire ce qu’est l’esprit, non ; dire ce
qu’il n’est pas, oui ». Négativement, l’esprit n’est pas matière, n’est pas une
forme étendue dans l’espace. « L’esprit n’est pas matière. L’esprit est
irréductible à tout phénomène matériel, quel que soit son degré de fluidité ». «
L’esprit est irréductible à tout phénomène spatial. L’esprit est
fondamentalement immatériel et inétendu ». (texte)
Mais positivement alors ? La réponse de Stephen
Jourdain est
volontairement elliptique : « L’esprit commence au moment où l’esprit s’éprouve
comme Esprit. Le sens du mot sujet peut être abordé directement dans les même
termes : le sujet commence d’exister au moment où il s’éprouve lui-même comme
sujet. C’est ce qu’on peut dire de moins bête sur l’esprit et le sujet ». A
l’esprit correspond trait pour trait l’expérience consciente. Cela veut dire que
l’esprit est d’abord ce que nous appelons le conscient et qu’il n’est pas séparable du
sens du moi et du mental. « L’esprit est moi ». L’esprit est la pensée
dans son mouvement, son aptitude à élaborer des constructions mentales dans
l’immanence première et définitive du maintenant vivant. La source de la pensée
est aussi appelée l’Esprit, ...
« Il faut ajouter que l’esprit existe
sous deux états : un état A s’imposant nécessaire et absolument premier, qui
correspond à ce qu’on entend couramment par ‘esprit pur’ et ‘âme’ ; et un état B
s’imposant, lui à l’intelligence comme complexe, contingent et second, qui
correspond à ce qu’on entend couramment par ‘mon esprit’ pouvant être évoqué
plus poétiquement comme celle qui unit la source et l’eau qui jaillit d’elle…
Une autre manière plus décisive d’évoquer cette même relation est de dire que
‘mon esprit’ est la pure imagination de l’esprit 'pur’ ou ‘âme’ ». L’eau qui
vient de la Source n’est pas différente d’elle. Toute pensée dans son essence est
spirituelle et porte en elle la puissance et la potentialité de l’Esprit. Si le
Je pur désigne l’esprit, toute pensée enveloppe aussi un je qui la désigne comme
appartenant à un sujet et ne saurait exister sans lui. Sous la forme d’une
question simple :
« Que trouve-t-on dans ‘mon esprit’, dans ‘un esprit’ ?
On y trouve un sujet, qu’on doit qualifier de second relativement à ce sujet
premier qu’est l’esprit pur, ou âme et qu’on peut utilement se représenter comme
la résurgence du sujet premier.
Ce sujet accomplit un certain nombre d’actes qui lui sont
propres, et qui correspondent, en gros, aux différentes facultés intérieures que
nous nous reconnaissons. L’acte de la pensée, bien sûr, vient en bonne place,
parmi ces actes et, à mon avis, intervient une seconde fois dans cette activité
interne en la sous-tendant entièrement ».
Une grande part des difficultés
d’interprétation des textes traitant de l’esprit tient à ce que suivant les
auteurs, le terme est utilisé au sens de l’état A tandis que chez d’autres, il
est utilisé au sens de l’état B. Parfois, on identifie même l’esprit à une seule de
ses opérations. Par souci de clarté, il est nécessaire, autant de distinguer sans
opposer, que d’unir sans pour autant confondre. La
pensée recoupe à la fois a) l’activité
mentale, considérée en tant que phénomène psychologique, état ou vécu de
conscience. b) et l’idéation, qui elle relève
de la connaissance et de la logique. L’esprit est un terme générique enveloppant
l’acte intentionnel de
perception à travers les cinq sens, l’acte de
discriminer et de calculer de l’intellect, l’acte d’imaginer
de l’imagination, l’acte de se souvenir de
la mémoire, l’acte de concevoir de
l’entendement, le travail de synthèse, d’organisation, de hiérarchisation de la
raison.
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© Philosophie et spiritualité, 2006, Serge Carfantan,
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