Leçon 165.  Recherches sur le corps émotionnel      

    Dans les précédentes leçons nous avons vu que le mental peut, sous le coup de l’émotion, entrer dans un mode réactif. Quand la tranquillité est bien établie, la relation à chaque situation d’expérience est juste, c’est-à-dire qu’elle est une réponse créative dans le présent. Elle est une action et pas une simple réaction. Cependant, la tranquillité, chez la plupart d’entre nous est superficielle. Il suffit de très peu de choses pour nous perturber.

    En d’autres termes, le corps émotionnel est la plupart du temps dans un état latent, ou dormant, jusqu’à ce qu’il soit activé. C’est le moment où nous nous emportons violemment, où nous perdons contrôle. L’activation du corps émotionnel est son passage à un état patent, ou excité. L’activation du corps émotionnel donne lieu au développement d’une énergie très particulière, l’énergie de la frustration. Celle-ci est très reconnaissable comme étant lié à l’entité appelé ego. L’ego est très réactif. Le corps émotionnel et l’ego ne sont pas séparables. En même temps, la tension contenue dans le corps émotionnel laisse penser qu’il est un corps de souffrance. Eckhart Tolle emploie l'expression pain body.

    Est-il possible de prendre conscience du corps émotionnel ?  Quels sont les éléments importants que nous devons repérer pour entrer plus avant dans la compréhension du corps émotionnel ? Quelle relation y a-t-il entre le corps-physique et le corps émotionnel ? Nous avons communément tendance à ramener la réactivité excessive soit à un conditionnement biologique (la décharge d’adrénaline), soit à un conditionnement inconscient (la pulsion). Mais ne faudrait-il pas, plutôt que d’introduire une facteur extérieur, prendre en compte le mouvement du mental ? Ce mouvement n’est-il pas en définitive celui du  temps psychologique ?

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A. Le temps psychologique et les émotions

    Pascal l’a dit dans un texte célèbre, le plus grand malheur de l’homme est de ne pouvoir se tenir dans le présent. (texte). Nos pensées sont le plus souvent tiraillées vers le futur ou nostalgiques du passé. Nous appelons temps psychologique la dimension mouvante dans laquelle le mental ordinaire se déploie vers le passé ou le futur. Le retour vers le passé fait naître toute une série de modalités psychologiques : le regret de ce qui a été, les remords à l’égard de ce qui a été fait et que nous ne pouvons pas changer, l’amertume de voir le temps de notre existence écoulée, tandis que le sablier de la vie nous dit que notre durée est trop brève etc. La projection constante vers le futur crée le terrain de l’anxiété, de la crainte de ce qui pourrait arriver, la menace à l’égard de notre sécurité, mais aussi le caractère déficient de l’instant, en comparaison avec ce que le futur pourrait nous promettre.

     1) Aucune de nos pensées n’est tout à fait neutre, et ce qui l’est encore moins, c’est notre profonde identification avec elles. C’est l’identification au mental qui fait surgir, dans la relation au temps psychologique, l’explosion des émotions qui sont le lot de notre existence quotidienne. Me voici pris dans une file de voiture dans les encombrements d’un centre ville. Le mental dit : « Je pourrais déjà être rentré depuis une heure, et je dois supporter ces encombrements ! Mais c’est une horreur d’être coincé ici alors que je pourrais être ailleurs! ». Alors, c’est la tension, la colère, l’énervement, l’ébullition intérieure. « Ce n’est pas le moment de me faire des remarques dans la voiture ! Et le type qui fait des signes contre sa vitre à côté ferait mieux de rester tranquille. Je vais exploser !».

    Le mental effectue une comparaison : il met en balance le maintenant présent avec la représentation d’un autre maintenant possible un futur, un ailleurs : un autre lieu et un autre arrangement possible des événements : une autre causalité.  Les choses n’auraient pas dû se passer comme elles se sont passées. Le maintenant présent est pourtant seul réel. Il est là, dans la voiture, rue Carnot, en face d’une camionnette. Le possible, lui, n’existe pas, ce n’est qu’une représentation, comme je pourrais en imaginer des milliers d’autres, mais il a pris une telle importance qu’il est parvenu à biffer d’un coup le réel. La contradiction est là : entre une illusion à laquelle ma pensée est agrippée et la réalité qui ne lui correspond pas. Le temps psychologique veut dire ailleurs et autrement. Et la tension entre ici et maintenant et ailleurs et autrement, elle, est bien réelle, elle est patente dans mon irritation, dans l’agitation de mes doigts qui tapent sur le volant, dans le geste rageur d’écraser une deuxième cigarette. C’est devenu insupportable, mieux : inacceptable.

    N’est-il pas dans la nature du mental de ne pouvoir accepter le présent ?(texte) Ou bien est-ce une sorte de dysfonctionnement qui fait que la pensée s’en écarte ? En tout cas, si c’est un dysfonctionnement, il est très commun, au point que nous pourrions considérer qu’il est inscrit dans la condition humaine. Il est à l’origine d’une anxiété constante, de l’agitation mentale qui lui correspond et des cent mille dérivatifs et compensations qui gravitent autour. Bref, il est assez facile d'observer  qu'en dehors des considérations pratiques rationnelles, quand le mental intervient dans la vie quotidienne, c’est pour faire d’une situation un problème. Or  la situation d’expérience est ce qu’elle est. Elle n’est jamais un problème. Elle demande seulement de notre part une réponse juste, adaptée et créative. C’est différent. C’est le mental qui fait d’une situation un problème en l’interprétant de telle manière qu’elle devient problématique, parce qu’elle est inacceptable. Accepter d’être là où je suis ne requiert aucune intervention de la pensée, mais seulement la Présence. Nous n’avons pas à faire d’effort pour être, car l’acceptation est la spontanéité même. Il n’y a besoin d’aucun temps pour être ici et maintenant, par contre, il faut nécessairement du temps pour refuser d’être ici et maintenant.

    ------------------------------Nous pouvons même aller plus loin : il a aussi fallu du temps pour graver dans la mémoire les traces de l’expérience passée qui nous sert de référent pour soutenir qu’il y a de bonnes raisons (texte) pour  justifier notre agacement et notre impatience. Sans ces raisons tirées du passé,  qui mettent de l’huile sur le feu, il n’y aurait ni agacement, ni impatience. La non-acceptation (texte) a ses racines dans une histoire personnelle. Encore le temps psychologique. La résistance au maintenant  a une histoire. Elle peut par exemple évoquer une situation similaire vécue dans le passé qui n’a été que trop douloureuse et que nous ne voulons pas voir réapparaître. Si le passé n’existe plus, toutefois, la trace demeure dans la mémoire. De même, la justification qui dit que je devrais déjà être arrivé suppose la représentation d’un futur. Je voudrais être déjà là-bas où je ne suis pas encore. Le futur n’existe pas. Il n’existe que dans ma pensée qui lui donne une consistance. Il est porté par une attente et il prend la forme d’un espoir, d’une crainte, d’un agréable fantasme etc. Il n’est qu’une production de ma pensée et rien d’autre. La magie du mental est de pouvoir produire une illusion et de me convaincre que cette illusion a bien plus de valeur que le réel. L’agitation mentale devient illico une agitation émotionnelle. Cela s’observe dans le comportement déjà dans le fait de se ronger les ongles ou de mâcher un chewing-gum, de patauger dans les eaux saumâtres de l’ennui et d’avoir constamment ce regard vague qui dit que l’on aimerait bien être ailleurs. Somnolence de la rêverie et absence. Délit de fuite.

      

   2) La réactivité du corps émotionnel et la conscience de l’ego sont une seule et même chose. L’ego se manifeste dans les réactions et il rejoue le disque de ses conditionnements passés. Dans la conscience commune, nous le savons, mais seulement en ce qui concerne le rapport à autrui. Nous en jouons parfois sur le mode de l’humour et le jeu va jusqu’à la manipulation. En raison de la présence du corps émotionnel et de l’inconscience du processus qui l’accompagne, il suffit en effet d’appuyer sur le bouton pour déclencher une réaction chez autrui. Toujours la même. Cela marche très bien. C’est automatique, car les réactions ont effectivement un caractère mécanique. On dit couramment de certains parmi  nos proches « qu’ils démarrent au quart de tour » ! Comme un robot avec un bouton in/off. Un élément déclencheur et la séquence des réactions est automatique. C’est comme si la personne était tout d’un coup possédée par la prégnance du moi alors que, tranquille quelques minutes auparavant, elle était sans ce fardeau d’un ego. L’ego est éminemment prévisible. Ses modes d’apparition sont toujours les mêmes. Le moi apparaît surtout sur un mode défensif. Avec lui se manifeste une contraction physique très caractéristique. C’est très facile à observer autour de soi. Il y a toujours une tension qui accompagne la conscience de l’ego. Plus le moi est sévèrement affirmé et plus la crispation physique est forte. Nous pouvons ainsi remarquer que chez certaines personnes, le corps émotionnel presque constamment actif, tandis que chez d’autres, il reste « en pause ». L’hyperactivité du corps émotionnel nous fait dire que certains sont de véritables boules de nerfs et cet état se montre jusque dans les yeux injectés de sang d’une extrême tension accompagné d’une grande souffrance. Sa manifestation immédiate se traduit par une négativité qui n’attend qu’une occasion pour se déverser, retournée contre elle-même, elle colporte un déni, une tendance dépressive.

    La négativité n’est pas une action consciente, c’est une réaction inconsciente. L’action consciente ne prend place que dans l’acceptation complète du présent. Si je respecte entièrement le présent, si j’honore l’instant, je réponds immédiatement à la situation d’expérience, sans faire d’histoire, sans faire intervenir mes histoires personnelles. L’action juste n’intervient que dans un état alerte dans lequel chaque situation est sa propre urgence, une urgence qui ne laisse pas l’opportunité au mental de se déverser et de s’épandre en réactions. Ce n’est pas le moment de faire des histoires et de rejouer les vieux disques des comportements habituels. Je fais exactement ce qui doit être fait. Quand j’honore l’instant, la toile de fond de la conscience est impersonnelle. Elle est Présence et la Présence est une conscience tout à fait nouvelle et différente. La Présence met fin à l’identification au corps émotionnel et permet de le voir tel qu’il est. Parce que l’ego a partie liée avec le corps émotionnel et que sa hargne est de vouloir persister dans ses revendications, l’ego craint la lumière de la Présence qui le révèle. Il ne peut rejouer ses compulsions que dans l’inconscience.

   

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Vos commentaires

Questions :

1.       Qu’est-ce que l’identification ?

2.       Peut-il y avoir colère sans justification?

3.       Comment se fait-il que nous confondions action et réaction émotionnelle ?

4.       Les croyances inconscientes peuvent-elles se maintenir quand elles sont mises sous le regard de la conscience ?

5.       Pourquoi est-il si important de travailler l’acceptation?  

6.       Revenir vers le corps est impératif dans une situation où la réactivité est fortement sollicitée. Pourquoi ?

7.       Quel est le contenu de « la petite  voix dans la tête » ?

 

     © Philosophie et spiritualité, 2007, Serge Carfantan,
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