Leçon 259.    Le fini et l'infini       pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Nul besoin d’aller chercher dans des livres l’idée du fini, elle réside dans la conscience-de-quelque-chose qui accompagne la vigilance. L’état de veille est d’emblée chosique. Nous pensons d’abord l’existence sur le mode des choses qui nous entourent et qui nous tombent sous la main. Une chose, de quelque manière qu’on la considère, c’est toujours un objet que nous pensons limité. Le coupe-papier ou le cendrier de Sartre. Toute objet perçu est limitée dans l’espace, toute durée limitée dans le temps. Ce que nos sens perçoivent dans l’espace-temps-causalité est irrémédiablement limité. Le mental est accoutumé à penser de cette manière et n’est pas à l’aise avec l’idée contraire d’infini, car elle ne « tombe pas sous le sens » comme on dit.

    Par extension, avec cette extraversion dans le monde des choses, nous nous représentons nous-même comme une chose et c’est pourquoi nous croyons aussi être un corps. Le corps est en effet, vu en troisième personne, est une chose et comme notre réflexion sur nous-même est la plupart du temps obnubilée par une représentation en troisième personne, il est inévitable que nous ayons tendance à nous penser nous-même comme un objet, comme dit Sartre abandonné, délaissé sous le regard des autres. De là l’appréhension de notre finitude qui n’est rien d’autre que la finitude de l’existence humaine dans la forme même du corps. Bref, surgissant dans un état égaré, perdu dans un monde qui semble exister avant moi, je me cogne à des choses qui toutes sont limitées et je rencontre des ...

    Cependant, il y aurait beaucoup à redire sur cette représentation. Elle est de part en part ignorance. Ce n’est pas parce que nous pensons l’existence de manière chosique que pour autant elle l’est, nous sommes peut être abusés par l’état de conscience dans lequel nous pensons, par la vigilance elle-même qui nous porte vers la conscience-de-quelque-chose. Bref, il s’agit d’une illusion d’optique inscrite dans l’état de veille. Il faut rendre raison de la pensée duelle, le concept de fini ne peut exister tout seul, en tant que concept, il n’y a que la dualité fini/infini et l’un ne va pas sans l’autre. ...tant que sujet nous avons tort de nous représenter nous-même comme l’objet fini qu’est le corps ? Et si le corps abritait lui-même l’infini ? Et la conscience elle-même, cette fois restituée à sa vraie position, la première personne était aussi porté par l’infini, celui de la Conscience ? Et si la considération (ou le manque de considération) que nous avons en regardant les autres comme des objets était entièrement fausse ? Et si la perception des limites que je prétends trouver chez les autres était en définitive une illusion ? Une illusion parce que je ne reconnais pas justement en eux cette étincelle de la Conscience qui donne accès à l’infini dans chaque regard ? Et si la représentation de la finitude de la conscience était totalement illusoire ? Illusoire comme cette idée folle selon laquelle je serais séparé d’un monde existant hors de moi et dans lequel je serai jeté. Mais comment le fini peut-il envelopper l’infini ?

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A. Le paradigme mécaniste et la logique du fini

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    1) Nous avons vu comment Descartes parvenait à fixer la définition de la notion de corps de sorte qu’elle puisse sans difficulté être rattachée à la fois à l’ordre de la subjectivité sensible (le morceau de cire qui sent bon et que je touche avec les doigts) et à l’objectivité des mathématiques (un corps est un objet fini qui occupe un emplacement dans l’espace dont on peut donner les coordonnées). Mais dès que l’on conçoit un objet fini, implicitement nous supposons un infini, car nous ne pouvons assigner une limite à l’espace-temps-causalité qui le contient. Nous ne pouvons penser un objet que dans un espace illimité, nous ne pouvons que comprendre la durée brève de son existence que dans une infinité de temps, et enfin, nous ne pouvons penser son apparition que conformément à une succession de causes indéfinie. C’est dans le concept même, le fini appelle nécessairement l’infini. Mais quel infini ? Sommes-nous pas obligés de postuler l’Infini métaphysique de l’Être, voire l’Infini théologique de Dieu ?

    Obscurément pour Descartes, l’espace ne pouvait exister sans la présence de la matière. En cela on peut dire que Descartes tient à rester dans la physique et dans l’horizon du paradigme mécaniste de son époque. A l’inverse, pour Newton, esprit religieux, très féru d’ésotérisme, l’espace est un attribut infini de l’entendement de Dieu. L’Esprit de Dieu, possédant des pouvoirs illimités, peut créer un espace vide, donc dénué de toute matière. C’est dans cet espace, pense Newton, que jouent les lois de la mécanique céleste qui organisent le mouvement de tous les corps. Newton réussit une synthèse magistrale des apports de Galilée et de Kepler. Il démontre que la notion même de corps, comme objet fini est autant valide pour la pomme qui tombe de l’arbre que pour les objets massifs tels que la Lune, les planètes, les étoiles etc. C’est la ...

    Mais alors, pourquoi une pomme lancée en l’air de parvient-elle pas à se mettre en orbite autour de la Terre ? C’est juste parce que la force qui la propulse est trop faible pour la faire échapper au champ d’attraction de la Terre. La gravitation universelle explique que tout objet attire un autre objet avec une force proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnel au carré de la distance qui les sépare. L’application de cette théorie au mouvement des corps célestes permet d’expliquer les lois de Kepler régissant les mouvements des planètes. Le tour de force de Newton est donc d’assigner aux objets du cosmos la même finitude que celle des objets que nous prenons en main, tout en démontrant que tous les objets finis sont astreints aux mêmes contraintes physiques : celles qui sont inscrites dans les lois nouvellement découvertes de la mécanique céleste. La seule différence entre le paradigme mécaniste des cartésiens et celui qui est introduit par Newton, c’est que les cartésiens ne pouvaient imaginer de causalité que par contact (une boule qui cogne une autre boule, une roue dentée entraîne une autre route dentée, une poulie entraîne une autre poulie ou un ressort etc.) Newton introduit le concept, d’abord très dérangeant, d’action à distance, mais il maintient les présupposés du paradigme mécaniste dont il sera pour des siècles le meilleur représentant.

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 que la gravitation attire tous les objets, de sorte que si l’univers était fini, toutes ses parties finiraient par s’effondrer en son centre, créant alors une énorme masse centrale. Mais rien de tout cela n’est conforme à l’univers tel que nous l’observons. Newton en tire la conclusion que les étoiles et les planètes doivent effectivement être réparties dans un domaine qui reste fini, mais toutes sont enveloppées, entourées d’un espace infini et dénué de toute matière. Comme on l’a vu, il n’y avait aucune difficulté pour Newton à concevoir en Dieu la capacité de créer un tel espace. Néanmoins, le problème était loin d’être résolu. Si la force de gravité est attractive et que les corps céleste s’attirent les uns les autres, la configuration de l’ensemble risque d’être très instable. Ce qui contredit la régularité observée. Dans l’hypothèse où seule la gravitation des corps finis opèrerait, tous finiraient à la moindre perturbation par tomber vers un centre unique. Pour perdurer dans le temps et se maintenir, il fallait donc que l’espace soit pour Newton fixe et rigide, tel le cadre d’un tableau, ou tel une scène de théâtre immobile où défileraient les comédiens. Une fois admis, on pouvait désormais postuler que tout ce qui apparaissait sur la scène était strictement déterminé par les lois de la mécanique céleste. Avec l’autorité de Newton en caution, ce sont des générations de savants et de philosophes qui vont avec enthousiasme adhérer à un nouveau credo, celui du déterminisme.

    logique du fini ne connu pareil triomphe. Il suffisait de mettre le Dieu de Newton entre parenthèses, comme on avait balayé celui de Descartes et de ne conserver que le concept de loi naturelle régissant des objets finis. Et cela marchait très bien. On allait de découverte en découverte. Pas étonnant que jusque dans les manuels du XIXème siècle on trouvait l’affirmation que la physique était désormais achevée. Il ne restait plus, pensait-on, qu’à tirer les conséquences des lois de Newton. Les mouvements des objets terrestres ainsi que ceux des objets célestes étaient rigoureusement déterminés par des lois mathématiques précises et invariables. Une fois déclanché le petit pinch de la mise en route de la création, tout devenait prévisible à l’avance. On pouvait se représenter l’univers dans la logique du fini, même si, il faut bien se l’avouer cette histoire de « force » dont parlait Newton demeurait tout de même assez mystérieuse.

    Avec l’apparition du paradigme mécaniste, son succès depuis Galilée, son idée directrice prononcée par Descartes, son côté expérimental chez  Pascal, avec l’introduction de l’atomisme de Pierre Gassendi, avec les premiers physiologues, l’image de la Nature se voyait complètement bouleversée. Le finalisme d’Aristote était renvoyé aux oubliettes. Il fallait « proscrire les causes finales de la physique » comme le disait Descartes. On lui emboîtât le pas et il en résultat quelques temps plus tard le matérialisme de La Mettrie. Au lieu de discerner dans la Nature une intelligence créatrice prodigieuse et de s’en étonner, comme le faisaient les Grecs, les mécanicistes Modernes ne virent plus désormais dans la Nature qu’une vaste horlogerie amorphe, stupide et bornée. La Terre allaient bientôt être regardée comme un monde étrange apparu on ne sait comment, jeté dans les grands froids de l’espace par on ne sait quel hasard, dans on ne sait quelle béance de l’infini. Une étrange angoisse pointait dans cette vision.

    L’homme occidental, comme l’explique bien Alexandre Koyré, était passé à la Modernité de la représentation d’un monde clos à celle d’un univers infini. Du Cosmos des Grecs où chaque chose est à sa place, on arriverait bientôt au chaos des Modernes. Debout sur une petite planète égarée au fin fond d’une galaxie perdue, l’homme pourrait toutefois s’exciter du pouvoir qu’il ne cessait de gagner en maîtrisant les lois de la Nature. Il pensait en effet vivre dans un monde strictement déterministe ; si ce monde était peuplé d’objets, ceux-ci devaient se comporter de manière inerte, soumis aux grandes lois de la physique. L’univers était monté sur ressorts. On pouvait faire de la physique efficace –redoutablement efficace - en se passant de théologie. Il viendrait une époque où on pourrait faire de la physique pour les seules motivations techniques, en se passant de métaphysique, de philosophie ou même de morale. Ou du moins, c’est ce que l’on croyait communément.

    D’une certaine manière, pour tous les penseurs un peu exigeants, la logique du fini ne pouvait tout expliquer. L’Infini théologique, Dieu, restait encore présent, mais c’était le Dieu caché de Pascal, Pascal qui, contemplant l’univers dira : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie !  ». Célèbre citation entre toutes, mais ô combien révélatrice d’un changement d’époque.

    D’un côté, l’Infiniment grand,

 

 

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     © Philosophie et spiritualité, 2015, Serge Carfantan,
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