Nul besoin d’aller chercher dans des livres
l’idée du fini, elle réside dans la
conscience-de-quelque-chose
qui accompagne la vigilance. L’état de veille est d’emblée
chosique. Nous pensons d’abord l’existence
sur le mode des choses qui nous entourent et qui nous tombent sous la main. Une
chose, de quelque manière qu’on la considère, c’est toujours un objet
que nous pensons limité. Le coupe-papier ou le cendrier de Sartre.
Toute objet perçu est limitée dans l’espace, toute
durée limitée dans le temps. Ce que
nos sens perçoivent dans l’espace-temps-causalité
est
irrémédiablement
limité. Le mental est accoutumé à penser de cette
manière et n’est pas à l’aise avec l’idée contraire d’infini, car elle ne
« tombe pas sous le sens » comme on dit.
Par extension, avec cette extraversion dans le monde des choses, nous nous représentons nous-même comme une chose et c’est pourquoi nous croyons aussi être un corps. Le corps est en effet, vu en troisième personne, est une chose et comme notre réflexion sur nous-même est la plupart du temps obnubilée par une représentation en troisième personne, il est inévitable que nous ayons tendance à nous penser nous-même comme un objet, comme dit Sartre abandonné, délaissé sous le regard des autres. De là l’appréhension de notre finitude qui n’est rien d’autre que la finitude de l’existence humaine dans la forme même du corps. Bref, surgissant dans un état égaré, perdu dans un monde qui semble exister avant moi, je me cogne à des choses qui toutes sont limitées et je rencontre des personnes que je peux aussi bien assigner à leurs limites. Partout autour de moi, il n’y a que limites et encore limites, partout des choses finies et encore des choses finies.
Cependant, il y aurait beaucoup à redire sur cette représentation. Elle est de part en part ignorance. Ce n’est pas parce que nous pensons l’existence de manière chosique que pour autant elle l’est, nous sommes peut être abusés par l’état de conscience dans lequel nous pensons, par la vigilance elle-même qui nous porte vers la conscience-de-quelque-chose. Bref, il s’agit d’une illusion d’optique inscrite dans l’état de veille. Il faut rendre raison de la pensée duelle, le concept de fini ne peut exister tout seul, en tant que concept, il n’y a que la dualité fini/infini et l’un ne va pas sans l’autre. Est-il seulement certain que le coupe-papier puisse se réduire à quelque chose de fini ? Et si le moindre objet dans l’univers était porté par l’infini ? Habité par l’infini ? Et si en tant que sujet nous avons tort de nous représenter nous-même comme l’objet fini qu’est le corps ? Et si le corps abritait lui-même l’infini ? Et la conscience elle-même, cette fois restituée à sa vraie position, la première personne était aussi porté par l’infini, celui de la Conscience ? Et si la considération (ou le manque de considération) que nous avons en regardant les autres comme des objets était entièrement fausse ? Et si la perception des limites que je prétends trouver chez les autres était en définitive une illusion ? Une illusion parce que je ne reconnais pas justement en eux cette étincelle de la Conscience qui donne accès à l’infini dans chaque regard ? Et si la représentation de la finitude de la conscience était totalement illusoire ? Illusoire comme cette idée folle selon laquelle je serais séparé d’un monde existant hors de moi et dans lequel je serai jeté. Mais comment le fini peut-il envelopper l’infini ?
* *
*
Nous pouvons dire que la science moderne a pendant longtemps fait des efforts pour conforter l’idée que la réalité était dans le fini, que toute existence était en quelque sorte clouée dans la finitude comme le papillon dans sa boîte. Elle n’a jamais vraiment réussi dans ce projet, car elle a rencontré partout la présence de l’infini. Plus d’une fois agacée, comme si son projet en dépendait, elle a tenté de passer l’infini à la trappe, mais sans jamais y parvenir. Le projet inaugural de la Modernité est en étroit rapport avec la maîtrise pleinement assumé d’un monde fini.
1) Nous avons vu comment
Descartes parvenait à fixer la définition de la notion de
corps de sorte qu’elle puisse sans
difficulté être rattachée à la fois à l’ordre de la
subjectivité sensible (le morceau de cire qui sent bon et que je touche avec
les doigts) et à l’objectivité
des mathématiques (un corps est
un objet fini qui occupe un emplacement dans l’espace dont on peut donner les
coordonnées). Mais dès que l’on conçoit un objet fini, implicitement nous
supposons un infini, car nous ne pouvons assigner une limite à l’espace-temps-causalité
qui le contient. Nous ne pouvons penser un objet que dans un espace illimité,
nous ne pouvons que comprendre la durée brève de
son
existence que dans une infinité de temps, et
enfin, nous ne pouvons penser son apparition que conformément à une succession
de causes indéfinie. C’est dans le concept même, le fini appelle
nécessairement l’infini. Mais quel infini ? Sommes-nous pas obligés de
postuler l’Infini métaphysique de l’Être,
voire l’Infini théologique de Dieu ?
Obscurément pour Descartes, l’espace ne pouvait exister sans la présence de la matière. En cela on peut dire que Descartes tient à rester dans la physique et dans l’horizon du paradigme mécaniste de son époque. A l’inverse, pour Newton, esprit religieux, très féru d’ésotérisme, l’espace est un attribut infini de l’entendement de Dieu. L’Esprit de Dieu, possédant des pouvoirs illimités, peut créer un espace vide, donc dénué de toute matière. C’est dans cet espace, pense Newton, que jouent les lois de la mécanique céleste qui organisent le mouvement de tous les corps. Newton réussit une synthèse magistrale des apports de Galilée et de Kepler. Il démontre que la notion même de corps, comme objet fini est autant valide pour la pomme qui tombe de l’arbre que pour les objets massifs tels que la Lune, les planètes, les étoiles etc. C’est la fin de la division entretenue pendant tout le Moyen Age entre une « sphère céleste » des astres et un « monde terrestre », conception dérivée d’Aristote. Ce ne sont pas des lois naturelles différentes qui gouvernent le mouvement des corps en chute libre sur Terre et le mouvement des planètes. Une seule et même force de gravitation agit.
Mais alors, pourquoi une pomme lancée en l’air de parvient-elle pas à se mettre en orbite autour de la Terre ? C’est juste parce que la force qui la propulse est trop faible pour la faire échapper au champ d’attraction de la Terre. La gravitation universelle explique que tout objet attire un autre objet avec une force proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnel au carré de la distance qui les sépare. L’application de cette théorie au mouvement des corps célestes permet d’expliquer les lois de Kepler régissant les mouvements des planètes. Le tour de force de Newton est donc d’assigner aux objets du cosmos la même finitude que celle des objets que nous prenons en main, tout en démontrant que tous les objets finis sont astreints aux mêmes contraintes physiques : celles qui sont inscrites dans les lois nouvellement découvertes de la mécanique céleste. La seule différence entre le paradigme mécaniste des cartésiens et celui qui est introduit par Newton, c’est que les cartésiens ne pouvaient imaginer de causalité que par contact (une boule qui cogne une autre boule, une roue dentée entraîne une autre route dentée, une poulie entraîne une autre poulie ou un ressort etc.) Newton introduit le concept, d’abord très dérangeant, d’action à distance, mais il maintient les présupposés du paradigme mécaniste dont il sera pour des siècles le meilleur représentant.
Toutefois, la portée de la force de gravitation pose un problème. Elle doit être infinie, or si elle est infinie, l’univers aussi doit être infini ; en effet, si l’univers possédait des limites, il existerait nécessairement en son milieu une position centrale privilégiée. Or nous avons que la gravitation attire tous les objets, de sorte que si l’univers était fini, toutes ses parties finiraient par s’effondrer en son centre, créant alors une énorme masse centrale. Mais rien de tout cela n’est conforme à l’univers tel que nous l’observons. Newton en tire la conclusion que les étoiles et les planètes doivent effectivement être réparties dans un domaine qui reste fini, mais toutes sont enveloppées, entourées d’un espace infini et dénué de toute matière. Comme on l’a vu, il n’y avait aucune difficulté pour Newton à concevoir en Dieu la capacité de créer un tel espace. Néanmoins, le problème était loin d’être résolu. Si la force de gravité est attractive et que les corps céleste s’attirent les uns les autres, la configuration de l’ensemble risque d’être très instable. Ce qui contredit la régularité observée. Dans l’hypothèse où seule la gravitation des corps finis opèrerait, tous finiraient à la moindre perturbation par tomber vers un centre unique. Pour perdurer dans le temps et se maintenir, il fallait donc que l’espace soit pour Newton fixe et rigide, tel le cadre d’un tableau, ou tel une scène de théâtre immobile où défileraient les comédiens. Une fois admis, on pouvait désormais postuler que tout ce qui apparaissait sur la scène était strictement déterminé par les lois de la mécanique céleste. Avec l’autorité de Newton en caution, ce sont des générations de savants et de philosophes qui vont avec enthousiasme adhérer à un nouveau credo, celui du déterminisme.
2) Jamais dans l’Histoire humaine la logique du fini ne connu pareil triomphe. Il suffisait de mettre le Dieu de Newton entre parenthèses, comme on avait balayé celui de Descartes et de ne conserver que le concept de loi naturelle régissant des objets finis. Et cela marchait très bien. On allait de découverte en découverte. Pas étonnant que jusque dans les manuels du XIXème siècle on trouvait l’affirmation que la physique était désormais achevée. Il ne restait plus, pensait-on, qu’à tirer les conséquences des lois de Newton. Les mouvements des objets terrestres ainsi que ceux des objets célestes étaient rigoureusement déterminés par des lois mathématiques précises et invariables. Une fois déclanché le petit pinch de la mise en route de la création, tout devenait prévisible à l’avance. On pouvait se représenter l’univers dans la logique du fini, même si, il faut bien se l’avouer cette histoire de « force » dont parlait Newton demeurait tout de même assez mystérieuse.
Avec l’apparition du
paradigme mécaniste, son succès depuis
Galilée, son
idée directrice prononcée par Descartes, son côté
expérimental chez Pascal, avec
l’introduction de l’atomisme de Pierre Gassendi,
avec les premiers physiologues,
l’image de la Nature se voyait complètement bouleversée. Le
finalisme d’Aristote était renvoyé aux oubliettes. Il
fallait « proscrire les causes finales de
la physique » comme le disait Descartes. On lui emboîtât le pas et il en
résultat quelques temps plus tard le
matérialisme de La Mettrie. Au lieu de discerner dans la
Nature une intelligence
créatrice prodigieuse et de s’en étonner, comme le faisaient les Grecs, les
mécanicistes Modernes
ne
virent plus désormais dans la Nature qu’une vaste horlogerie amorphe, stupide et
bornée. La Terre allaient bientôt être regardée comme un monde étrange apparu on
ne sait comment, jeté dans les grands froids de l’espace par on ne sait quel
hasard, dans on ne sait quelle béance de
l’infini. Une étrange angoisse pointait dans cette vision.
L’homme occidental, comme l’explique bien Alexandre Koyré, était passé à la Modernité de la représentation d’un monde clos à celle d’un univers infini. Du Cosmos des Grecs où chaque chose est à sa place, on arriverait bientôt au chaos des Modernes. Debout sur une petite planète égarée au fin fond d’une galaxie perdue, l’homme pourrait toutefois s’exciter du pouvoir qu’il ne cessait de gagner en maîtrisant les lois de la Nature. Il pensait en effet vivre dans un monde strictement déterministe ; si ce monde était peuplé d’objets, ceux-ci devaient se comporter de manière inerte, soumis aux grandes lois de la physique. L’univers était monté sur ressorts. On pouvait faire de la physique efficace –redoutablement efficace - en se passant de théologie. Il viendrait une époque où on pourrait faire de la physique pour les seules motivations techniques, en se passant de métaphysique, de philosophie ou même de morale. Ou du moins, c’est ce que l’on croyait communément.
D’une certaine manière, pour tous les penseurs un peu exigeants, la logique du fini ne pouvait tout expliquer. L’Infini théologique, Dieu, restait encore présent, mais c’était le Dieu caché de Pascal, Pascal qui, contemplant l’univers dira : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ! ». Célèbre citation entre toutes, mais ô combien révélatrice d’un changement d’époque.
D’un côté, l’Infiniment grand, l’espace vide de l’univers. De l’autre côté, l’Infiniment petit, un monde auquel nous n’avons pas davantage accès, entre les deux, l’homme fini, parce qu’identifié à son individualité et à son corps. L’effroi de Pascal n’a de sens que pour un homme qui a conscience de sa finitude au sein d’un univers qui le dépasse et n’est pas fait pour lui. Toute l’ingéniosité que la technique pourra déployer dans la maîtrise du monde fini ne changera strictement rien à la condition de l'homme : la condition d’une âme enfermée dans des limites et qui se sent en quelque sorte en exil sur un monde fini.
Les Grecs partaient davantage de l’étonnement, de l’émerveillement et non de l’effroi. Ils étaient fasciné par présence de l’intelligence divine dans la Nature, par la beauté de la Nature, or la beauté ne se révèle que dans des formes limitée, la beauté aime la perfection des formes, l’équilibre, l’ordre au sein de ce qui est fini. Ce qui ouvre en abîme vers l’infini semble de prime abord échapper à l’harmonie, bref, l’infini est insaisissable et fait un peu désordre. Comme un nombre irrationnel s’oppose à un nombre rationnel ! Nous allons y venir.
Notons pour l’instant que la science Moderne, de par sa méthode et sa visée technique procède de la logique du fini ; là même où l’on a pu croire son projet achevé, elle n’est jamais parvenue à dompter l’infini, et le moment triomphal du paradigme mécaniste a été suivi immédiatement de sa déconstruction. La Relativité montrera que la scène fixe de l’espace et du temps de Newton n’existe pas. L'Espace-temps-matière forme le continuum des mondes flottants d’un univers en expansion. Le concept rigide de déterminisme est peut être satisfaisant du point de vue de la volonté de puissance technique, mais c’est juste une approximation commode, un concept relatif battu en brèche autant dans l’infiniment petit qu’au niveau macroscopique ou de l’infiniment grand. L’univers est plus souple et plus créatif qu’on ne le pensait, sûrement pas une grande machine, mais plutôt une grande pensée (mind stuff).
Comment se fait-il, si le savoir humain rencontre partout l’infini, qu’il ne puisse le résoudre ? Est-ce dû aux limitation de notre intellect ? Ou plutôt à notre langage ? Nous avons déjà fait état de la proclamation commune de Descartes et de Galilée selon laquelle la Nature est écrite en langage mathématique. La tentation a toujours été de confondre le langage avec cela même qu’il désigne, la carte avec le territoire. Si la réalité, en tout point, ou en tous lieux, bifurque vers l’infini, les mathématiques sont-elles encore adéquates pour la comprendre ?
1) Zénon
d’Élée, qui vécu entre 495 et 435 avant J.C. est resté célèbre pour avoir
formulé une série de paradoxes ayant trait à l’infini. L’intuition qu’il suit
lui vient de Parménide pour qui l’Être doit nécessairement être non-changeant
sous peine de contradiction, ainsi toute idée de
Devenir,
ou de changement devait tout aussi nécessairement se révéler contradictoire et
en définitive une chimère, car l’Être seul est la Réalité, le temps ne pouvant
exister que comme une apparence. Si l’Être demeure inchangeant, toute
transformation n’est donc qu’illusion. Zénon aurait laissé une quarantaine de
démonstrations, dont deux seulement nous sont parvenues ; elles sont restées
fameuses et ont donné naissance à toutes sortes de développements autant
philosophiques que littéraires.
- Le paradoxe du coureur. Soit un coureur qui doit aller d’un point A vers un point B.
A_________________________________________________B
Si on analyse mathématiquement le déplacement du coureur, pour aller de A vers B, il doit bien sûr parcourir la moitié de la distance avant d’atteindre son but.
A_______________________0_________________________B
Puis après la valeur ½ il lui faudra parcourir encore la moitié, donc ½ + ¼, puis encore la moitié, donc ½ + ¼ + 1/8 et ainsi de suite à l’infini. Parce que le coureur doit parcourir un nombre infini d’étapes, il ne pourra jamais parvenir à destination. L’analyse mathématique du mouvement le rend impossible. Et pourtant le bon sens nous dit qu’il est possible de finir la course.
- Achille et la tortue. Si on pose qu’Achille est dix fois plus rapide que la tortue et qu’il lui accorde disons une avance de dix mètres, il s’ensuit qu’une fois lancé, quand Achille fait dix mètres, la tortue n’en fait qu’un. Si Achille parcourt 1 mètre, la tortue fait un décimètre… mais dans l’analyse le processus se répète dans une itération à l’infini. Achille ne pourra jamais rattraper la tortue. Et pourtant, là encore, le bon sens nous dit qu’Achille aux pieds léger aura tôt fait de doubler la tortue.
Dans les deux cas, l’argumentation semble logiquement et mathématiquement inattaquable, mais elle débouche sur une conclusion intenable.
C’est
Aristote qui rapporte les paradoxes de Zénon (nous avons perdu tous les textes
originaux). Il s’en tire avec une grande élégance. Selon lui l’existence de
l’infini serait seulement
en puissance et non en acte. Dans
un vocabulaire contemporain on dira potentiel ou même parfois
virtuel Le boulanger qui fait du pain, met son savoir en acte, quand il
dort, son savoir est seulement en puissance, quand il se réveille, il peut
retourner au four et le mettre à nouveau en acte. Mais Aristote exprime une
inquiétude typique des Grecs devant l’infini, il l’écarte ; l’infini pour
Aristote est condamné à demeurer potentiel sans pouvoir passer en acte.
Dans ses
propres
termes l’existence de l’infini serait donc à jamais potentielle, ce qui veut
dire qu’il n’existe pas en réalité, ou encore, dit autrement, l’infini
actuel n’est pas réel. Ce qui veut dire que dès lors que, de manière
empirique, nous accordons une réalité au Devenir, nous en venons à nier
l’infini, ce qui veut dire que de ce point de vue, l’infini ne saurait se
manifester dans la Nature. S’il existe un infini « potentiel », c’est d’une
toute autre manière, il ne peut exister que dans l’imagination des
hommes, dans la pensée. Dans la représentation. Sur ce
terrain, il n’y a pas de problème, car l’analyse qui introduit l’infini permet
en effet de résoudre certaines difficultés mathématiques, mais elle demeure dans
le mental. Sur plan de l’existence on peut marcher et courir tant que l’on veut
et atteindre notre but dans la magie d’une foulée bien rythmée. En mathématique
nous savons que la suite des nombres entiers : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7… forme une
séquence qui n’a pas de fin, il suffit d’ajouter 1 à n’importe quel nombre pour
en obtenir un plus grand. La séquence est potentiellement infinie, mais si on
veut transporter l’opération dans l’actuel, on débouche sur des paradoxes ; on
obtient une blague très drôle du genre : « Chuck Norris a déjà compté jusqu'à
l'infini… Deux fois » ! Complètement absurde, mais drolatique. Ce qui n’empêche
pas que la suite infinie des nombres entiers soit toutefois exacte, même si elle
est potentielle et non actuelle.
2) Mais la question n’est pas pour autant résolue. Nous sommes obligé d’admettre, même si c’est très déroutant qu’il existe bel et bien une logique de l’infini. Reprenons notre liste des entiers 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7… Galilée, après avoir été mis en résidence surveillée par l’Église, rédigea Deux nouvelles Sciences, ouvrage dans lequel il fait dialoguer Salviati (lui-même) et Simplicio (pour les esprits un peu simples de l’Inquisition). La suite 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7… explique-t-il, est infinie, si on élève au carré chaque nombre on obtient 1, 4, 9, 16, 25, 36, 49 … une nouvelle liste infinie. Les deux listes sont censées, par une correspondance biunivoque, posséder le même nombre d’éléments. Or on observe que chaque élément de la suite des nombres au carré est aussi inclus dans la liste des entiers positifs. On peut donc dire que la seconde suite est à la fois égale à la première et aussi qu’elle est plus petite ! Et on arrive donc à une conclusion intenable du point de vue de la logique du fini : « dès que l’on considère une ensemble infini, un sous-ensemble de celui-ci peut contenir autant d’éléments que l’ensemble tout entier » ! Galilée ne cherche pas à résoudre ce problème épineux, mais il fait cette remarque : « Quand il s’agit de quantités infinies, il est impossible de dire qu’une quantité est plus grande qu’une autre ». On doit donc avouer que dans ce cas, le tout n’est pas plus grand que la partie, si on allait encore plus loin on finirait par dire que le tout peut en un sens être contenu dans la partie, ce qui est très choquant pour le bon sens qui ne se fonde que sur l’expérience de la vigilance. Il n’a pas tort, mais seulement dans une logique du fini. Dans une liste de couples mariés le nombre d’hommes est égal au nombre de femmes. Si nous considérions un sous-ensemble, (les bruns ou les blondes) le nombre sera plus petit. C’est vrai dans une liste finie, la seule à laquelle nous avons affaire dans la vie courante, mais cela ne marche plus avec une liste infinie.
Nous sommes en
mathématiques, tout cela n’est pas arbitraire. Il existe des propriétés
caractéristiques des suites infinies. Une suite est déterminée par l’itération
qui en règle le processus. La suite des entiers positifs est obtenue en ajoutant
1 au nombre qui précède et ceci indéfiniment. Les mathématiciens se sont alors
demandés, si en faisant la somme des tous les nombres d’une série infinie,
celle-ci serait finie ou infinie. A priori question idiote, car en faisant
pareil somme, l’occurrence doit déboucher sur un résultat infini. Mais ce n’est
pas toujours le cas ! Ou plutôt c’est le cas quand la série est
divergente.
En fonction des éléments qui composent la série (nombres positifs ou négatifs,
croissants ou décroissants) la somme peut être divergente ou
convergente.
Dans la série utilisée par le paradoxe de Zénon, on a affaire à une série
convergente 1/2 + 1/3 + 1/8 + 1/16 … La somme tend vers une limite finie 1. A
vitesse constante, donc le coureur atteindra son but et Achille aux pieds légers
dépassera la tortue. (ouf! le bon sens est sauvé) Mais nous sommes alors obligés
d’admettre ici que le fini découle de l’infini ce qui est
tout de même assez dérangeant. Et ce n’est pas tout, les propriétés
caractéristiques des suites infinies sont stupéfiantes. L’évêque Nicole Oresme
(1325-1382) a par exemple démontré que la somme d’une série infinie peut
différer selon la méthode suivant laquelle elle est calculée ! Pour le dire dans
les mots de Trinh Xuan Thuan dans Désir d’Infini, c’est un peu comme si,
pour quelqu’un qui serait infiniment riche, le montant de sa fortune dépendait…
de la manière dont il la compte ! Ce qui choque le bon sens.
3) On comprend pourquoi certains
mathématiciens, et même des plus brillants, ont voulu mettre un
veto dogmatique
sur la question de l’infini. Une situation similaire à la linguistique où à une
époque on interdisait toute publication sur l’origine des
langues. C’est à en perdre la raison. Ou alors… ou alors, la pensée
s’aventure dans une logique de l’infini complètement différente
et en rupture
avec la logique du fini. A ses risques et périls.
Dans les années 1870, Cantor reprend le problème laissé en suspend par Galilée, résolu de montrer que l’infini est actuel et non potentiel. Il se heurte à l’opposition farouche de son professeur Kronecker qui n’aura de cesse de le persécuter pendant toute sa carrière. Jalousie égotique du maître dépassé par son élève et position rigide et dogmatique dans l’idée que l’infini est seulement potentiel. Jusqu’à dire : « Dieu a seulement créé les nombres entiers. Tout le reste n’est que l’œuvre des hommes » au point même de nier la valeur des travaux accomplis depuis les Grecs.
Mais rien n’y fait, Cantor persiste et va défricher le jardin de l’infini mathématique avec un brio exceptionnel au moyen de deux concepts simples, celui d’ensemble, comme collection d’objets, collection finie ou infinie ; et celui de correspondance biunivoque vu précédemment. Dans l’exemple donné par Galilée, les deux séries semblent égales, bien qu’il semble y avoir plus de nombres entiers que de carrés. Cantor utilise la correspondance biunivoque pour définir la taille d’un ensemble (son cardinal). Il établit que deux ensembles, fini ou infinis, s’ils peuvent être mis en correspondance, comportent le même nombre d’éléments. Autant de nombres pairs que de nombres impairs, de carrés que d’entiers.
Que les propriétés découvertes paraissent absurdes nous place devant nos limitations mentales. Que le tout soit plus grand que la partie est vrai à l’échelle de l’expérience empirique dans la logique du fini inscrite dans l’expérience duelle de la vigilance. Toutefois, il n’y a aucune raison pour laquelle la logique de l’infini doive obéir à de telles conditions et donc à l’expérience duelle de la vigilance. L’univers a sa cohérence propre, mais qui ne répond pas à la logique que nous voudrions lui imposer. Les ensembles infinis n’obéissent pas aux mêmes lois que les ensembles finis. On a donc ce genre de résultat étrange selon lequel un ensemble infini peut être mis en correspondance biunivoque avec une partie de lui-même !
Nous avons vu la découverte de Pythagore de la
relation entre les notes de musique et la
division
de la longueur d’une corde (les nœuds harmoniques). On obtient l’octave à 1/2,
puis 2/3, pour la quinte, 3/4 pour la quarte. Pythagore pensait que tout dans
l’univers était réglé par des nombres entiers. L’idée que tout est dénombrable
est pour la raison un appui solide. Il faut se souvenir que dans sa nature
l’intellect est lié à la mesure et la mesure
consiste à dénombrer. Cantor a exploré la notion de dénombrement des ensembles
et leur classification. Si nombrer c’est compter des intervalles, on pourrait
penser qu’entre les nombres entiers il y a moins de places qu’entre les carrés,
or l’existence des nombres rationnels (en fraction a/b où b ne peut pas prendre
la valeur 0), démontre qu’il peut y avoir une infinité de fractions entre deux
nombres entiers. La divisibilité à l’infini de
tout intervalle se poursuit, à l’opposé exact du concept d’atome d’Épicure
qui refusait cette possibilité, arguant que la divisibilité ne pouvait pas aller
à l’infini. Que nous le voulions on non, l’infini peut être contenu dans
le fini.
Cependant, les nombres rationnels reste encore dénombrables. Or Pythagore lui-même a découvert qu’il existait des nombres indénombrables, impossibles à parcourir, ce sont les « irrationnels », le premier découvert est racine carrée de 2 (1,41421…), en effet, seule une infinité de chiffres peut lui donner sa vraie valeur. On raconte que cette trouvaille fit scandale dans la confrérie de Pythagore. On prêta même serment de la tenir secrète de peur qu’elle ne sème le désordre dans la Cité ! Le malheureux Hippase qui vendit la mèche fut jeté à la mer lors d’un voyage. On a ensuite découvert toute une pépinière de nombres irrationnels. Déjà la racine carrée de tous les nombres premiers et bien d’autres.
Mais il y a encore plus étrange. Le plus célèbre des irrationnels est le nombre p. Archimède tenta d’en calculer la valeur approchée en partant de la méthode des polygones réguliers inscrits dans un cercle. Par la suite François Viète (1540 1603) démontra que p pouvait être calculé en servant uniquement du chiffre 2 dans une succession infinie d’additions, de multiplications, de divisions et de racines carrées et on a trouvé d’autres méthodes de calcul. En fait, comme le dit Trinh Xuan Thuan : « quand l’infini se manifeste p fait son apparition ». Il y aurait donc des raisons mathématiques solides dans la symbolique antique qui faisait du cercle le symbole de la perfection, on peut montrer qu’il est directement lié à l’infini. Il en est de même pour f le nombre d’or abordé précédemment qui peut être construit géométriquement avec un arc de cercle à partir d’un carré. Conclusion : « il y a quelque chose d’infini dans un cercle (se manifestant par p ), dans un segment de droite (se manifestant par f) ».
Cantor est
immensément admiré pour ses travaux et son legs aux mathématiques. Il a ouvert
dit-on les portes du jardin de l’infini. Malheureusement son histoire finit mal.
Entre la persécution de Kronecker et l’obsession mise par Cantor dans la
résolution du problème de la continuité de l’infini, on sait pas très bien ce
qui a pu le faire basculer dans la démence.
Toujours
est-il que l’histoire a retenu que vouloir avec acharnement penser l’impensable
conduit à la folie. Et le comble, c’est que le même phénomène s’est répété plus
tard avec K. Gödel qui voulu
reprendre le problème de l’hypothèse du continu de Cantor. Lui aussi vit sa
santé mentale se dégrader avec les mêmes symptômes. Dans les intermittences de
ses périodes de dépression, il pu tout de même en 1937 prouver qu’il était
impossible de démontrer la fausseté de l’hypothèse du continu de Cantor, mais
comme Cantor, il passa la fin de sa vie hanté par une fixation obsessionnelle.
L’un et l’autre pensaient pourtant apporter une contribution décisive à la
compréhension de l’Infini théologique. Sans résultats.
On ne peut plus s’en tenir à la définition d’un infini potentiel, l’infini mathématique est actuel, il n’est pas en marge de la réalité, il a prise sur elle, il offre à la pensée une perspective pour entrevoir l’infini qui décidément semble bien un Infini métaphysique. Mais entrevoir l’Infini n’est pas le circonscrire, la pensée qui procède du fini ne peut atteindre l’Infini.
Descartes écrit dans la troisième des Méditations métaphysiques : « De cela même que je suis une substance, je n'aurais pas néanmoins l'idée d'une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n'avait été mise en moi par quelque substance qui fût véritablement infinie ». L'Infini qui est, est antérieur au fini qui est conçu, comme le parfait est avant l'imparfait, l'étendue avant la figure. Ce n'est pas que l'infini doive être d’abord pensé comme « quelque chose » de non fini, c’est le fini qui est quelque chose et quelque chose qui nous semble non infini. Toutefois, le mental limité dans son usage commun peut s’éveiller à une intuition noétique dans laquelle l’intelligence reconnaît l'infini en elle-même. Dans ce cas il ne peut s’agir de la pensée au sens ordinaire du terme et de la forme de conscience qui la soutient. C’est la vraie question. L’irruption d’une conscience de l’Infini. Dans L'Essence du Christianisme, Feuerbach disait que la conscience de l'infini n'est rien d'autre que la conscience de l'infinité de la Conscience : dans la conscience de l'infini, le sujet conscient a pour objet l'infinité de sa propre essence. Mais comment comprendre cet enveloppement de l’infini pourtant accessible à un sujet fini ?
1) Il
existe en Occident une philosophie qui s’est attaquée à cette question, celle de
Leibniz auquel Cantor vouait une admiration. Pour Leibniz le
panpsychisme est
évident, la Conscience est présente en toutes choses. Chaque corps est lui-même
composé de vivants et chaque point de conscience, chaque
monade, reflète l’univers tout entier. Chaque partie de l’univers
est inséparablement liée à toutes les autres, de sorte que tout ce qui advient
dans l’ordre phénoménal affecte toutes choses. L’univers est en sympathie
avec lui-même en tant que tout mais aussi dans la moindre de ses parties :
L’univers est tout d‘une pièce, comme l’océan. « Chaque chose tient à toutes les
autres et en est affectée ». « L’univers étant une manière de fluide, de tout
d’une pièce et comme un océan sans borne, tous les mouvements s’y conservent se
propagent à l’infini, quoique insensiblement, comme les cercles.. qu’une
pierre
jetée fait naître dans l’eau, sont propagés visiblement à quelque distance, et
quoiqu’ils deviennent invisibles à la fin, l’impression ne laisse pas de
continuer et de s’étendre à l’infini ».
Le principe de division de l’atomisme, modèle achevé de la logique du fini est faux. Il est trompeur en ce qu’il impose des limites abstraites à ce qui n’en n’a pas, il est aussi trompeur parce qu’il fragmente dans le fini ce qui ne peut être séparé de l’infini. Or l’infini est partout présent dans la Nature sous une forme actuelle et métaphysique. « Je suis tellement pour l’infini actuel, qu’au lieu d’admettre que la nature l’abhorre, comme on le dit vulgairement, je tiens qu’elle l’affecte partout pour mieux marquer les perfections de son auteur ». (texte) La moindre parcelle de la matière ouvre sur un monde d’infinité. « Quand je dis qu’ils n’y a aucune matière qui ne contienne des monades, j’illustre la chose par l’exemple du corps humain ou d’un autre animal, dont toute partie, solide ou fluide, contient à son tour d’autres animaux ou végétaux. Et je pense qu’on peut dire cela de toute partie de ces vivants, et ceci à l’infini »… "J’userai d’une comparaison : imaginez un cercle, et décrivez en lui trois autres cercles, les plus grands possibles, égaux entre eux ; et imaginez que cela va ainsi à l’infini ». (texte) Mandelbrot, le théoricien des fractales, a explicitement écrit que son concept fondamental était chez Leibniz.
On peut
tout aussi bien dire que le génie de Leibniz est d’avoir approché de très près
le principe holographique abordé plus haut
dans les leçons. Nous disions que chaque fragment que nous avons tendance à
abstraire de la Réalité reflète tout l’univers, non seulement parce qu’il n’en
n’a jamais été séparé, parce aussi que l’univers tout entier soutient chaque
élément comme partie indivisible du tout qu’il compose. En vertu de la nature
holographique de l’univers, chaque élément est un point d’accès à la
totalité, dans le vocabulaire de Leibniz on dirait une monade. Un
point métaphysique, ou un pli du réel, non pas un point mathématique. Il
n’est donc pas étonnant que l’on découvre partout l’infini. Pas étonnant et
logique que la physique contemporaine ait été amené à déconstruite entièrement
le concept de corps, comme chose ou comme
objet séparé. Le concept de corpuscule n’est rien d’autre que le concept d’objet
relatif à un sujet, un concept valide sur le plan phénoménal et distinct pour la
conscience de veille. Mais cette
conscience qui se déploie dans la diffraction
intentionnelle, dans le mouvement
volitif sous la forme de la dualité sujet/objet est une forme de
conditionnement. Elle a son utilité sur le plan
empirique, dans le monde des objets et des phénomènes, dans le monde de
l’espace-temps-causalité, mais elle est un non-sens du point
de
vue de la Réalité ultime.
2) Souvenons-nous des vers de William Blake :
«
Voir un univers dans un grain de sable,Et un paradis dans une fleur sauvage,
Tenir l’infini dans la paume de la main,
Et l’éternité dans une heure
».Dans le percevoir ordinaire de la dualité sujet/objet, « grain de sable » est un objet, « fleur sauvage » est aussi un objet relativement à un sujet qui est l’ego. (texte) Mais qu’est-ce que sentir poétiquement ? Et si, comme Stephen Jourdain l’enseigne, nous faisions de la métapoésie en lieu et place de toute notre science et même de notre métaphysique ? Que l’ouverture se produire, que disparaisse le sens de la dualité, que frémisse le pressentiment de l’Infini et poétiquement se donnera une intuition toute différente. Le grain de sable, la goutte d’eau ne sont pas seulement des « objets ». Que le sens de l’ego s’efface dans l’unité et il deviendra évident que l’Univers est dans le grain de sable que le paradis des immensités de l’âme est dans la donation heureuse de la fleur sauvage. Alors, en l’absence du fini posé par l’ego et pour l’ego, l’infini est dans la paume de la main et toutes choses respirent dans la présence du Sacré. Et comme la Présence est intemporelle, la conscience de l’éternité porte chacun des moments du temps. Cela est et il n’existe en fait rien d’autre que Cela. Le monde dit « objectif » est superficiel, faux, voire carrément illusoire.
Il y a la pomme vraie et l’autre, comme dit Stephen Jourdain, « sœur mentale de la vraie » qui est un objet. La vraie pomme, si rien ne s’interpose, « comme le trait de l’horizon entre mer et ciel dans la continuité du jour bleu. Cette chair prolonge mon esprit, qui la sait de même nature que lui, et participe de sa vie ». Pas de dualité, continuité. « Au dessus de ce que nous nommons l’état de veille, réellement au-dessus, il n’est qu’une cîme » : Soi révélé à Soi. (texte)
« Vous vous promenez dans votre quartier. Soudain, le paysage familier se fendille, tombe comme une écorce ; dessous, il y a une vielle étrangère où vient d’être débarqué un petit garçon…
Sûrement, l’aventure vous est arrivée plusieurs fois.
En même temps que cette fraîcheur du regard se manifeste, vient la brusque impression d’accommoder, un brouillard dont on ne soupçonnait pas l’existence se dissipe, le monde surgit.
Le sentiment de la réalité des choses s’exalte, et celui du présent aussi.
On remarque mille détails, on s’étonne d’embrasser cette richesse d’un seul regard.
On est intrigué par d’incontestable couleur.
Mais la différence essentielle entre la perception d’avant et celle de maintenant réside ailleurs qu’en tout ceci, il me semble. C’est une certaine impression, une certaine qualité qui se dégage désormais de l’ensemble du décor ; c’est que maintenant il y a là, baignant tout, pénétrant tout, réalité mystérieuse dont les livres ne parlent pas (mais sur quoi l’enfance est très loquace), comme un visage, comme une physionomie, comme une essence, une individualité vaste et unique écoutée passionnément par la part la plus intime, la plus essentielle de soi ».
Il faut, il suffit, d’une « panoramisation de votre attention ». Soi révélé à Soi veut alors dire qu’au « sein du sujet pur se répondent à l’infini sujet et objet », « fondu en une unité parfaite ». « Fondu, oui – mais non pas confondus. Deux termes qui s’en forment qu’un, oui, et ce un doit être affirmé avec passion – et cependant, ici, ainsi que les choses se passent dans la vraie relation d’amour, l’union, loin de signifier une annihilation réciproque de deux personnalités, a pour conséquence l’épanouissement décisif de chacune d’elle ». (texte)
Loin donc l’idée d’un autre sur le mode objectif d’une chose fini. Très loin aussi l’idée d’un « autrui » face à « moi », nous regardant en chiens de faïence dans une dualité devenue conflictuelle ou l’un devient l’enfer de l’autre. L’Infini de la Conscience présent partout, en-deçà des formes apparentes et dans tous les regards. Infini subjectif et subjectivité infinie à la source et au cœur de toute réalité finie.
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Terminons. Comme le reconnaît Aristote, faire de l'infini un principe est logiquement inattaquable, car si l'infini dérivait d'un principe autre, il serait limité par lui, il ne serait plus infini. Et c’est le même argument qui vaut pour l'idée d'absolu. Anaximandre ne séparait pas le principe de la réalité physique et en général, pour les philosophes grecs la présence de l'infini de l'univers était une évidence. Impossible à nier, mais difficile à interpréter quand on essaye de le penser, car la pensée incline d’abord volontiers dans la logique du fini. L’intellect est pris d’effroi devant ce qui passe sa mesure, comme si la pensée dès lors devait reconnaître ses propres limites et que ce qui est dépasse la pensée. Or c’est précisément cette reconnaissance par la pensée de ses propres limitations qui est nécessaire pour que la pensée fasse silence et que se produise une ouverture de la conscience. C’est dans cette ouverture où l’intellect est convié à l’humilité que peut naître une intuition noétique. Que l’intelligence peut entrer en scène. Mais l’intelligence véritable, non-duelle, n’est pas séparée de la subjectivité, ni ne peut être opposé au cœur, de sorte qu’au bout du compte, ce que nous découvrons c’est que l’Infini le plus essentiel ne se tient pas véritablement au-dehors dans les choses, mais au-dedans et au cœur de toutes choses.
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Questions:
© Philosophie et spiritualité, 2015, Serge Carfantan,
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