Leçon 260.    La question du sens de l'oeuvre d'art      pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Soyons bien clairs sur les mots. Comme nous l’avons vu précédemment, il y a une différence importante entre un simple objet, le plus souvent voué à une utilité quelconque, comme la cuillère à soupe, la clé pour ouvrir la porte, ou le vélo dans la cour ; et une œuvre, à laquelle nous accordons une valeur, ou un sens. Je ne vais pas traiter l’aquarelle qui est accrochée au mur, (mettons qu’elle a été peinte par mon artiste de frère), comme je traite mon stylo. Elle a une valeur au moins affective, elle a un sens pour moi, dans mes souvenirs. Peut être qu’elle n’aura pas beaucoup de sens pour quelqu’un d’autre, mais, même dans la reconnaissance d’autrui tout de même, elle ne sera pas regardée comme un simple « objet ».

    A la limite, on peut dire que l’utilité d’un objet ne lui donne pas de sens, parce que l’utilité est purement objective, or quand nous disons qu’une œuvre a un sens, nous envisageons immédiatement sa dimension subjective. Poussons un peu plus loin. À la limite, je pourrais garder la cuillère à soupe dans un tiroir, même si elle n’est pas utile, si elle est liée à un très bon souvenir, je garderais pour la même raison dans mon grenier le vélo, même s’il n’a plus d’utilité et qu’il est cassé, s’il est lié à des souvenirs chaleureux : il a un sens. Il y a une différence perceptible quand on dit un sens. La technique nous fourbit de toutes sortes d’objets utiles, (ou inutiles) mais ce n’est pas du sens. Je pourrais vivre entouré de gadgets électroniques, mais dans une absurdité totale, un non-sens, un vide abyssal de l’existence, dans la mesure où tout ce fatras technique n’aurait aucun sens.

    Inversement, en aurait d’avantage ma collection de dessins d’enfants rangés dans un tiroir. Pourtant ce ne sont pas vraiment des œuvres d’art au sens le plus noble du terme, juste quelques productions artistiques ! Problème : d’un autre côté, il y a beaucoup de productions artistiques dans notre monde, toutefois, même dans l’avant-garde de l’art, des productions artistiques semblent n’avoir aucun sens. La question donc se repose donc : l’œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ? Elle n’est pas simple comme on vient de le voir. Qu’est-ce qui confère un sens à l’œuvre d’art ? Pourquoi

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A. Deux points de vue sur les intentions de l’artiste

    La première distinction qui s’impose est bien sûr à trouver l’implication de la pensée de l’artiste à l’origine de ce qu’il crée. Dans l’enseignement artistique contemporain, on exige de l’étudiant qu’il théorise ses objectifs. On demandera à l’élève en art plastique d’expliciter par le menu le sens qu’il a voulu donner à sa performance. Pas question de partir au hasard et de faire n’importe quoi suivant l’inspiration. Il faut un projet bien structuré, puis un agencement méthodique des moyens pour y parvenir. Le sens doit donc précéder la réalisation et être pensé de manière cohérente. Il s’agit avant tout de mettre en œuvre un concept. Mais quel sens ? Commençons par développer quelques opinions communes.

     1) Premier point. On dit souvent en présence d’une œuvre que l’artiste a voulu transmettre quelque chose, donc un sens, cette transmission quand elle est directe, suppose que l’œuvre d’art soit être conçue de telle manière que le sens soit visible, patent, partout lisible et accessible, (il faut identifier le concept) on parlera alors d’un sens exotérique. La version la plus connue, la plus rebattue et la plus banale de cette théorie est celle l’art engagé. Nous ne reviendrons pas sur ce qui a été dit plus haut, mais développons. On dit que l’artiste « fait passer un message ». Nous avons vu que cette doctrine pouvait s’entendre de deux manières très différentes:

    - L’artiste engagé peut de bonne foi (ou sous la contrainte) se mettre au service d’une idéologie. Indéniablement, les œuvres de l’art soviétique ont un « sens », elles font très ouvertement la propagande d’un régime et de ses leaders. L’artiste se met au service d’un parti et déverse la louange de ses idéaux dans ses oeuvres. L’essor des idéologies au XXème siècle est abondamment illustré par cette ambition chez des artistes de livrer au public un sens convenu et exemplaire. S’il n’y avait pas d’art, les idéologies ne pourraient pas gagner autant d’audience, car il est indispensable pour qu’une idéologie s’inscrive dans la pensée commune qu’elle soit déployée dans l’imaginaire de l’inconscient collectif. A travers la peinture, la littérature, le cinéma, la sculpture, l’architecture même. Il a existé et il existe encore une peinture, une littérature, un cinéma une sculpture etc. de propagande. Dans ce cas, on peut aussi bien dire que les statues des dirigeants politiques de Corée du Nord sont des œuvres d’art achevées, parce qu’elles ont un sens (que l’on ne voit que trop bien). Idem pour le cinéma nazi. Mais après tout, quitte à défendre le règne du capitalisme, la gloire du libéralisme, ou la volonté de puissance de la technique, on trouvera aussi dans

    - Ou bien, inversement, l’artiste s’insurge, exprime sa révolte, conteste, proteste contre un état de chose qu’il refuse, se bat pour une cause qu’il défend en opposition directe à ce qui est établi. L’exemple de Gernica de Picasso est dans toutes les mémoires, mais on en trouverait beaucoup d’autres notamment dans la littérature. Zola et l’affaire Dreyfus. Voyez dans la photographie, dans musique populaire le nombre d’artistes versés dans le militantisme. L’album de Pink Floyd contre la guerre des Malouines. La chanson engagée des années 60 avec Jacques Brel, Brassens, Léo Ferré. Aux Etats-Unis Bob Dylan, Joan Boaez etc. On pourrait même croire que c’est ce genre d’intention qui a guidé Andy Warhol avec sa chaise électrique, comme s’il voulait s’insurger contre une institution.

    La réponse donnée à la question précédente devient alors évidente, l’œuvre d’art a un sens : elle est là pour « faire passer » un message d’ordre politique et l’artiste ne fait de l’art que parce qu’il se sert de ses moyens d’expression (en peinture, en poésie, en sculpture, en musique etc.) pour militer.  L’art n’est alors rien d’autre qu’un outil au service d’en engagement politique, exactement au même tire que peut l’être la radio, un journal, la télévision ou Internet, donc un simple média pour véhiculer un sens qui lui est complètement extérieur. Ce qui importe dès lors pour l’artiste, c’est la capacité à mettre en forme un message politique et non l’art en tant que tel. Les oeuvres politiques seraient même de l’art accompli à la perfection si on considère que le but de l’artiste est d’exprimer sa solidarité avec les luttes sociales. Sa tentative désespérée dans l’art est de communiquer : comment vais-je mettre en forme mon œuvre pour qu’elle puisse « porter mon message » et contribuer à une révolution ?

    L’art engagé, parce qu’il exprime un message en direction du plus grand nombre et surtout un message politique que tous peuvent entendre, serait la forme suprême de l’art, tout le reste devenant beaucoup moins sérieux. Ce qui veut dire que le reste en question est léger, a moins de sens, est juste un « divertissement » vide de tout message et surtout de tout message politique. Donc d’un côté, on aurait le bon artiste, à la limite, celui qui met en musique le credo du libéralisme, le petit livre rouge de Mao, ou la doctrine du parti en Corée du Nord. Le bon artiste a compris que l’art n’est que propagande et publicité. D’un autre côté – mais cela reste exactement sur le même plan – le bon artiste sera aussi celui qui transforme la littérature, la peinture, la musique en instrument de critique, voire d’insurrection politique, il n’est artiste que parce qu’il se dit anarchiste, libertaire ou nihiliste, contre une société abjecte qu’il vilipende. Et là on peut ratisser large, inclure toute la littérature contestataire des années 60, jusqu’au heavy métal tendance suicidaire. Le mauvais artiste lui n’aurait aucun « message » à faire passer, rien à dire puisque le dire en question est politique et il se cantonnerait dans la facilité, la flatterie, le sentimentalisme bourgeois. Bref, les émissions de variétés où il s’agit surtout de se faire voir, la société du spectacle en général où on parle d’œuvre d’art à tout bout de champ pour n’importe quelle production artistique. Mais aussi, il faut aller jusqu’au bout, pour la musique sans parole, la peinture naïve, la décoration ornementale, l’architecture classique, la poésie mystique,

    ____ Amadeus, Mozart s’écrie « je déteste la politique » ! Ce qui n’enlève rien à son génie. L’art engagé est une partie négligeable de l’ensemble de la production artistique et on ne voit pas pourquoi il faudrait lui attribuer une si grande importance quand il entre si peu en compte dans le travail des artistes. La doctrine de l’art engagé était très à la mode dans les années 60-70, il en reste encore quelque chose dans nos mentalités, mais elle est très marginale. Quand « on » relaye dans l’opinion ce genre de point de vue, c’est les trois quarts du temps sur un mode rétro sans vraiment y croire : pour se donner bonne conscience, en pensant qu’il y a des gens, les « artistes », qui s’investissent dans des luttes, alors qu’en réalité… tout le monde s’en fout. Dans l’ère postmoderne les idéologies se sont effondrées, la politique ne fait plus guère recette, l’idée d’engagement passe pour un héroïsme suranné, l’unique intérêt des individus est « moi », un intérêt privé et nombrilique ; mais comme on a quelque part mauvaise conscience de ce désinvestissement massif, on continue vaguement à louer l’artiste qui « donne un sens » à ses œuvres dans un engagement social.

    2) Second point. Il est aussi tout à fait possible que l’artiste ait cherché volontairement à fixer un sens, de manière symbolique, un sens patent pour tous ceux qui en maîtrisent le langage, comme dans les symboles de la religion ; ou bien, il est aussi possible que le peintre en fasse un usage ésotérique, de sorte que le sens ne soit compréhensible que par certains initiés seulement et non pas par le plus grand nombre.

    En pareil cas, il n’est plus guère question de politique. La politique est un domaine qui relève de la sphère publique, elle est exotérique par excellence. La politique ne fait pas mystère, elle se déroule sur le plan matériel, bien que son fondement ait toujours une portée d’ordre spirituel. Non, ce qui peut constituer un sens illustré ou caché par l’artiste dans son œuvre, est lié à une symbolique religieuse, un sens philosophique, ou spirituel.

    Nous avons vu précédemment la définition de l’allégorie, à propos de Platon et nous disions que le principe existait en peinture. Une allégorie est la figuration d’une idée abstraite, le plus souvent par le biais d’un être animé qui porte toute la symbolique de l’idée, tout au long d’un récit ou d’un tableau. L’usage est très fréquent y compris dans des fresques que l’on pourrait croire destinée à une représentation historique. Autour du personnage central seront disposés des attributs symboliques. Par exemple, on célèbrera la victoire d’un roi en disposant autour de lui des symboles de pouvoir, les écus de ceux qui lui prêtent allégeance, avec des angelots autour pour tenir une couronne de laurier au-dessus de lui. Le décorum est bien sûr intentionnel et fortement signifiant pour qui est invité à admirer le tableau. Il est là pour faire impression.

    L'idée de la mort est par exemple représentée par un personnage sombre vêtu d’une cape noire, une capuche et portant une large faux ; ou encore, la mort sera représentée par des squelettes animés dans une danse macabre. Voyez dans les tableaux de Jérôme Bosch qui très visiblement fait de la mise en scène symbolique. Il faut dire que vers 1490 la peste frappe très durement les populations d’Europe et la mort est partout. Elle est aussi symbolisée par le crâne, le squelette portant le sablier symbole de la brièveté de l’existence et de sa vanité. Mais la mort pour le chrétien, c’est aussi l’angoisse devant le jugement de Dieu, la culpabilité, la peur du châtiment une fois que l’âme aura quitté le corps et rejoint le ciel. Bosch montre le déchirement entre le bien et le mal de celui qui va mourir. Les démons sont là près de lui, ils viennent une dernière fois tenter l’avare avec une bourse d’or pour qu’il accumule encore et encore plus de richesses dans le coffre au pied du lit. Mais que peut-il emporter dans l’au-delà ? Un ange est aussi présent pour accompagner son départ et il l'exhorte à élever son âme en lui présentant le crucifix et la lumière divine. La mort attend et rode ; elle porte la flèche qui décochée sur le mourant coupera le lien entre l’âme et le corps.

    Autre exemple avec une peinture de Lorenzo Lippi, un peintre qui vécu à Florence entre 1606 et 1685, l’allégorie de la dissimulation. On y voit une femme au beau visage énigmatique et détaché, tenant d’une main un masque et de l’autre une grenade ouverte. Le masque est la persona, l’emblème par excellence du théâtre, lié au mensonge et à l’illusion. La grenade est un fruit qui de l’extérieur semble former une unité, mais dès qu’on l’ouvre il offre une surprise, ce n’est qu’une apparence, au-delà de l’apparence, c’est la multiplicité des graines. L’apparence ______________

    Dernier exemple, Mozart avec La flûte enchantée. Au premier abord un opéra charmant, parfaitement adapté à un public profane, puis, si on y regarde de plus près, une disposition très précise de symboles ésotériques lisibles seulement par les initiés. Mozart était franc-maçon comme que son librettiste, Emmanuel Schikaneder. On voit le temple de la Nature, le temple de la Raison, le temple de la Sagesse. (doc) La construction est à double sens, elle fait allusion à la maçonnerie opérative qui doit guider l’évolution spirituelle l’homme, les « maçons du caractère ». A l’époque, Léopold, l’empereur d’Autriche est fâché avec la franc-maçonnerie qu’il soupçonne d’avoir fomenté la Révolution française. Mozart doit être prudent. Il dit clairement qu’il y a un être suprême, transcendant et moteur de l’univers, mais ne met pas en scène le Grand Architecte des francs-maçons. Il choisit plutôt des divinités égyptiennes, Isis, symbole de la vie et mère universelle, Osiris, dieu de la mort et de la renaissance spirituelle. Comprenne qui pourra ! mais l’intention de l’artiste y est.

B. L’interprétation de l’œuvre d’art

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