Leçon 233.   Mathématiques et réalité     pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    Nous avons vu qu’il est important de distinguer les sciences eidétiques, comme les mathématiques et la logique, des sciences de la nature et des sciences humaines. Dans les termes de Husserl, les sciences eidétiques, portent sur des idéalités. La logique est dite formelle, parce qu’elle étudie la structure du raisonnement indépendamment de son contenu. De même, il n’est pas nécessaire qu’existe dans la nature un objet réel  tel que le nombre, ... D’où cette réputation que l’on leur prête, d’être une discipline très abstraite, difficile et loin de la réalité.

    Mais le penser est un préjugé que ne résiste pas à l’examen, car nous sommes dans le monde réel en permanence confrontés aux nombres et aux calculs. C’est presque obsessionnel dans les médias qui nous bombardent en permanence par de chiffres: chômage, indices de la bourse, taux de croissances, et statistiques en tout genre. On ne peut même plus regarder du sport à la télévision sans avoir droit à une avalanche de chiffres. Et quand nous voulons exprimer la puissance brute de quelque chose (la cylindrée d’un moteur), ou de quelqu’un (l’estimation de sa fortune) que faisons-nous ? Nous alignons encore des chiffres. Impossible de considérer les mathématiques comme une spéculation à part. Il n’y a pas au monde d’expérience empirique où les mathématiques sont absentes. Aussi loin que remontent les archives de l’histoire humaine, nous trouvons des peuples qui en connaissaient des éléments, très présents notamment dans l’arpentage, l’architecture et la musique.

    Il y a deux façons de considérer le rôle des mathématiques : on peut y voir essentiellement un langage rigoureux permettant de décrire les faits en sortant des ambiguïtés des langues naturelles ; ou bien admettre que les idéalités mathématiques sont immanentes  (R) à la Nature. Telle était la position de Pythagore pour qui l’Univers tout entier est nombre. Mais c'est très étrange. Comment se fait-il qu’un langage aussi abstrait que les mathématiques soit si bien adapté à la réalité ? Quelles relations unissent mathématiques et réalité? Est-ce nous qui projetons nos structures mentales de telle sorte que nous ne faisons qu’en permanence les retrouver ? Ou bien, existent-elles en soi dans l’univers comme son ordre interne ?

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A. La réduction fonctionnelle

    De l'avis de beaucoup de physiciens, on peut très bien se servir des équations de la théorie quantique sans s'interroger sur ses hypothèses ni sur les problèmes qu'elle pose. De manière purement technique, en ne considérant que la fonctionnalité du calcul. De  même, on sert en terminale aux élèves des séries scientifiques les jeux d'équations de la mécanique de Newton pour résoudre les problèmes physiques qu'on leur soumet. De manière purement technique. Nous avons été habitués à ne considérer les mathématiques que comme des outils, dont on apprend le maniement, mais qui doivent servir  dans bien d'autres domaines : des mesures dans les sciences exactes au trading en bourse, en passant par tous les calculs que nous devons faire.

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    1) L’approche objective de la connaissance qui est au fondement de notre techno-science présuppose qu’il n’est possible de comprendre la réalité que si nous pouvons la quantifier et formuler le savoir dont nous disposons dans un langage dépourvu d’ambiguïté. L’Occident marche depuis la modernité dans les traces de Galilée : « L’univers ne peut se comprendre si l’on n’a pas préalablement appris la langue, et à en connaître les caractères employés pour l’écrire. Ce livre est écrit dans la langue mathématique : ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométrique, sans l’intermédiaire desquels il est impossible d’en comprendre un seul mot ». (texte) Etienne Klein en commentaire s’interroge sur le sens à donner au mot « humainement ». Le texte est obscur, mais on peut passer outre en ne retenant que l’idée que les mathématiques forment un langage adéquat, et si, comme le dit Condillac, la science est une « langue bien faite », il est certain qu’elle a trouvé dans les mathématiques son idéal de rigueur. On rencontre chez Descartes les mêmes idées et le même projet (texte) ; une contribution remarquable pour dégager la méthode scientifique de la confusion ésotérique du Moyen-âge. D’où son effort pour simplifier et rationaliser les signes de l’algèbre. Sous la bannière de Galilée et de Descartes, les mathématiques, s...

    Il suffit d’en rester à l’efficacité sans aller au-delà. Et la preuve est faite, non seulement le langage mathématique permet de penser dans des idées claires et distinctes, (texte) mais il est indispensable au développement des sciences expérimentales, qui sans lui n’auraient pas connu le progrès fantastique qui a été le leur depuis la Modernité. On peut encore affiner l’argument en disant que le développement exponentiel de la technique s’est produit dans un développement parallèle des mathématiques avec une volonté constante d’appliquer le langage des mathématiques à toutes les disciplines scientifiques. Avec un succès mitigé certes, mais sans jamais renoncer à l’idéal. La physique s’est mathématisée avec Galilée et Descartes, l’astronomie avec Kepler. La biologie a présenté plus de résistance, mais elle a cédé au point d’être enseignée aujourd’hui avant tout là où des mesures et des calculs sont possibles. Le reste devient secondaire. Il en est de même dans les sciences humaines, mais avec encore plus de difficultés. Point intéressant : ce qui différencie la sociologie de l’histoire, c’est que la première incorpore des mathématiques (sondages), tandis que la seconde en est dépourvue. Si on trouvait quelques régularités et des lois mathématisables en histoire, ce ne serait plus vraiment de l’histoire, mais de la sociologie. Quant à la psychologie, c’est un constat : l’enseignement universitaire privilégie avant tout de qui est mesurable dans les comportements, donc le comportementalisme en général et pour la même raison.

     ... qu’un présupposé implicite conduit toute l’histoire de notre techno-science : le réel doit être quantifiable pour que nous puissions le comprendre et le maîtriser et ultimement, seul ce qui est quantifiable est réel. Formule qui rejoint la position extrême de Hegel : « Tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel et réel ». Mais ce que nous devons surtout retenir c’est l’idée que les mathématiques donnent à l’homme une prise solide et ce que la technique délivre ensuite une emprise complète sur le réel. Selon Auguste Comte, les mathématiques forment « l’instrument le plus puissant que l’esprit humain puisse employer dans la recherche des phénomènes naturels », mais il dit aussi que le savoir conduit au pouvoir, son efficacité conditionne l’efficacité même de notre pouvoir sur la nature.

    2) Et il y a mieux encore. Même si nous concédions que les mathématiciens forment une sorte de congrégation à part de savants qui spéculeraient en dehors de la réalité, la réalité historique les rattrape assez souvent. On ne compte plus les théories qui sont d’abord sorties du cerveau d’un mathématicien pour être plus tard reprises et utilisées par des physiciens. Déjà dans l’antiquité, le traité des Coniques d’Apolonios de Perga, bien avant Kepler et Newton qui s’en serviront pour étudier les trajectoires des planètes, la théorie des groupes de Galois, le calcul matriciel, et l’exemple stupéfiant de la géométrie non-euclidienne de Riemann, d’abord rangée au rang des excentricités de mathématiciens, avant d’être mise au service de la théorie de la relativité d’Einstein. Théories toutes sans emploi avant d’avoir été appliquées. Bien sûr, il ne s’agit pas de prétendre qu’une construction mathématique doit être prouvée par l’expérimentation, ce qui est archi-faux. C’est confondre l’optique de la physique avec celle des mathématiques. Mais le fait qu’une construction mathématique jaillisse de l’esprit d’un obscur savant et soit provisoirement inutilisée ne veut pas dire qu’elle soit inutilisable. Très étrangement les mathématiques se révèlent un remarquable instrument d’anticipation. Et ce qui est aussi très troublant c’est qu’en plus il existe de nombreuses découvertes simultanées qui tendent à détruire l’idée selon laquelle il y aurait une originalité absolue, une particularité (R) irréductible du génie scientifique.

    On tirera alors la conséquence : les mathématiques seraient de part en part une invention de l’esprit humain et les notions mathématiques de pures créations de l’esprit, mais dont l’utilisation serait particulièrement commode en tant que langage. Selon un mot de Goblot : « Les mathématiques n’ont pas besoin pour être vraies que leurs objets soient réels… Le mathématicien construit, sans autre instrument que sa pensée, une science dont les objets n’ont de réalité que dans sa pensée». On ajoutera bien sûr qu’il faut-il acquérir cette pensée avant que de pouvoir s’en servir. Ce qui a fait l’objet d’études en psychologie génétique. Piaget a retracé le cheminement par lequel l’enfant passe progressivement des objets concrets vers les notions abstraites. Il ne sait pas encore compter, mais il s’aperçoit qu’il manque une figurine dans sa collection. Il ne sait pas contrôler par le calcul quantitatif, mais il a une appréciation qualitative des différences. On dira qu’il ne sépare pas encore nettement le nombre et les objets nombrés. Il l’apprendra en accédant à l’abstraction avec l’aide des explications fournies par l’adulte.

     3) Une mise au point s’impose ici car il y a trop d’ambiguïtés : il faut rester très méfiant vis-à-vis de l’affirmation selon laquelle les mathématiques se réduiraient à un langage utilitaire, ce qui est beaucoup trop rapide. D’autre part, dire que les mathématiques sont une pure invention de l’esprit pourrait laisser croire qu’elles sont aussi fantaisistes que les créations de l’imagination en général. Ce qui est faux. C’est une répartie que l’on peut parfois entendre dans une salle de classe : « 2+3=5, parce qu’on l’a décrété, on pourrait dire ce que l’on veut 6, ou 7 !» Ce que l’on ne peut pas laisser passer sans rien dire. Il faut 5 secondes pour sortir une sottise, mais au moins dix minutes pour expliquer pourquoi c’est une sottise ! Les idéalités mathématiques telles

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Vos commentaires

Questions:

1. Si le point est sans dimension, la ligne sans épaisseur comment pourraient-ils composer un solide physique?

2. Quelle différences marquer entre l'image du triangle et l'idée du triangle?

3. En quel sens peut-on parler de beauté des mathématiques ?

4. Comment distinguer mathématiques et physique?

5. Comment expliquer qu'il existe depuis des siècles une mystique du nombre d'or?

6. L'observation des régularité mathématiques dans la Nature conduit-elle nécessairement à l'idée de Dieu que se font les religions?

7. Au fond qu'est-ce qui sépare la science grecque de la science moderne dans l'interprétation qu'elles donnent des mathématiques?

 

  © Philosophie et spiritualité, 2013, Serge Carfantan,
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