Nous continuons sur la lancée avec Ken Wilber. Cette leçon fait suite à Essai de pensée intégrale et ne peut être lue à part. Nous prenons pour fil conducteur deux textes de Wilber La Vision intégrale et le livre précédemment commenté, Une brève Histoire de tout. Nous avons vu de manière rapide – trop rapide – l’approche de Wilber par le biais des quatre quadrants. Elle contient des implications philosophiques importantes très éclairantes et qui méritent d’être exposées. Les philosophes apprécieront ce prolongement.
La méthode des quadrants apporte en effet des solutions inespérées à un certain nombre de difficultés qui embarrassent tout étudiant soucieux de se tenir informé sur l’état du savoir ou tout esprit qui veut y voir clair. Elle permet de dénouer un certain nombre de confusions fréquentes dont il est difficile de se dépatouiller sans une aide solide. Edgar Morin répète à l’envi que le savoir de notre époque est devenu très fragmentaire et ésotérique au sens de compréhensible que par des spécialistes qui se parlent entre eux. Nous avons poussé très loin l’art de l’analyse dans jusqu’au plus petit fragment dans tous les domaines. Il oublie d’ajouter que nous mélangeons aussi des instruments de compréhension qui, s’ils sont valides dans un domaine, ne sont plus du tout fonctionnels ailleurs. Le service que rend Wilber est de situer chaque avenue du savoir dans le quadrant qui est le sien et de préciser quel point de vue théorique lui convient. Pour l’essentiel, la discrimination tient à la différence entre point de vue subjectif, (quadrant SG), le point de vue objectif (quadrant SD), interobjectif, (quadrant ID), et intersubjectif (quadrant IG). Sous la forme d’une question : Qu’est-ce qui fait la spécificité théorique de la démarche objective, de la démarche subjective, interobjective et intersubjective ?
Il est vivement conseillé de prendre ensemble toutes les leçons consacrées à Wilber dans l’ordre où elle ont été écrite à savoir, les trois yeux de la connaissance, prépersonnel et transpersonnel, essai de pensée intégrale et enfin celle-ci.
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Revenons sur la figure des quatre quadrants. Le tableau ci-dessous. Pour commencer le supérieur droit. Nous savons que le paradigme de l’objectivité est le modèle théorique dominant dans la culture occidentale. Il est structuré sur la conscience-de-quelque-chose, la conscience de l’objet « que l'on peut voir empiriquement, d'une manière ou d'une autre, avec les sens ou leurs extensions – microscopes, télescopes, équipement photographique et tout ce que vous voudrez. Ce sont toutes des surfaces que l'on peut voir ». Avant tout l’extériorité dans sa forme particulière. Le savoir qui lui correspond est monologique, il n’engage en rien la subjectivité réelle de celui qui connaît qui est au contraire évacuée et il se définit par la factualité, la vérité de fait. C’est une conquête des Lumières.
Individuel |
Intérieur |
Extérieur |
collectif |
Légitimité Adéquation culturelle Compréhension mutuelle Justesse
Intersubjectif
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Adéquation fonctionnelle Toile de la théorie des systèmes Fonctionnalisme structurel Entrelacement des systèmes sociaux Interobjectif
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1) « le paradigme fondamental des Lumières était le paradigme de la représentation – le paradigme de la cartographie
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Nous sommes alors dans le règne d’un savoir enclin à ne voir de réalité que dans l’objectivité et, comme nous l’avons vu, ce modèle classique est celui de l’objectivité forte. Dans ce paradigme, le sujet, préalablement vidé de toute « subjectivité » (le terme devenant péjoratif !), construit l’objet au sens où Kant dira dans la Critique de la Raison pure, que les Modernes, contrairement au Grecs, ont compris avec Galilée que la science devait imposer ses questions à la Nature au lieu de se laisser naïvement conduire par elle. Mais en fait il s’agit d’une objectivité « sans sujet ». Comme nous le remarquions plus haut, Kant, qui révérait Newton, (s’il n’avait pas été philosophe aurait été physicien) a admirablement servi à la physique de son temps la théorie de la connaissance qui allait avec. Une théorie de la connaissance d’une raison formelle qui laissait le champ libre au paradigme mécaniste. En toute logique, il est facile ... la science devait, avec Galilée, Descartes et Newton trouver son modèle de rigueur dans la physique. Il est Incontestable qu’elle a obtenu le succès historique extraordinaire qui était inscrit dans son projet, sous la forme de l’hyper développement de la techno-science. Elle a produit notre monde technique, tout à la fois le monde quantifié et l’univers disqualifié dans lequel nous vivons.
Sous l’impulsion de la Modernité, le positivisme de Comte et de ses successeurs se faisaient fort d’élever toutes les disciplines à la rigueur de la physique : d’où la série indéfinie des « positivismes » juridique, linguistique, sociologique, historique etc. Tous inspirés par la même fascination de l’objectivité forte. Avec des succès cependant mitigés et pas mal d’échecs, car s’il est possible de demeurer dans un monologue objectif face à la nature, dès qu’on aborde l’humain les questions ne sont plus les mêmes. Il est indispensable de prendre en compte la subjectivité et l’intersubjectivité. Le cas de l’histoire est exemplaire. Il est en effet apparu très vite aux historiens que le positivisme historique menait dans une impasse : à quoi bon étaler comme le faisait Seignobos à la fin de sa vie, dans un livre une liste « objective » de documents pour laisser le soin au lecteur d’en écrire l’histoire ? Refuser l’empathie avec les acteurs de l’histoire ? C’est renier la démarche interprétative indispensable à l’historien. La Nouvelle histoire balayera toutes ces prétentions.
2) Dans la démarche objectivante du sentier de droite, ... observer le « comportement objectif. Vous regardez le comportement des atomes ou des cellules ou des populations ou des individus ou des sociétés ou des écosystèmes ». Et c’est correct à ce niveau : « Il n'y a rien de mal dans ces sentiers empiriques et scientifiques de droite. Sauf qu'ils ne disent pas toute l'histoire. Vivre uniquement en fonction du côté droit, c'est comme passer sa vie perpétuellement sous le regard d'un technicien de laboratoire. C'est tout empirisme, tout regard monologique, tout béhaviorisme, tout objet aux brillantes surfaces monochromes – pas d'intériorité, pas de profondeur, pas de conscience ». Ironie de l’Esprit : avec l’arrivée de la mécanique quantique, c’est au cœur de la physique que des coups sévères seront portés au modèle de l’objectivité forte. Et ce sont les physiciens qui se mettront à parler de la nécessité d’intégrer la conscience dans l’observation ! Incroyable retournement des choses.
Il n’empêche que de la domination écrasante
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Questions:
1. Si on voulait s'amuser à utiliser les quadrants pour classer les mentalités des peuples, que pourrait-on en dire? Un anglais est plutôt SD, un indien traditionnel... Chercher.
2. Que veut dire d'un point de vue épistémologique "la vieille guerre entre sentier de gauche et de droite"?
3. Pourquoi l'écologie est-elle assez critique avec la méthode SD?
4. Expliquer la différence de point de vue entre les quadrants IG et SG.
5. On a parfois tendance à donner une dimension spirituelle à la méthode du quadrant ID, mais n'est-ce pas une illusion?
6. Illustrer la méthodologie convenant au quadrant IG.
7. Quelle est l'originalité de l'approche du quadrant SG?
© Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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