Depuis la modernité, la technique a peu à peu conquis le territoire de l’imaginaire de l’utopie et elle est devenue le véhicule de la volonté de puissance humaine. C’est à prendre non comme un jugement mais comme une observation aussi peu contestable qu’une autre tout aussi évidente : notre époque parle le langage de la science comme d’autres époques ont pu parler le langage de la philosophie ou celui de la religion. Et bien sûr quand nous parlons de science nous parlons toujours de techno-science, car il n’est aujourd’hui de développement scientifique qu’orienté par des fins techniques.
Si la technique a triomphé de la nature pour donner les moyens d’en être maître et possesseur, elle devait dans la foulée produire les moyens d’être maître et possesseur du corps humain, les moyens d’être maître et maître et possesseur de l’esprit humain et enfin peut être maître et possesseur de l’âme humaine. Nous avons déjà réalisé les étapes préliminaires du projet techniciste et nous sommes désormais aux étapes avancées que l’on peut résumer dans une expression : la perspective de l’homme augmenté. Or, tout au long de ce parcours demeure la même inquiétude : toujours plus de technique, oui, mais portée par quelle conscience ? Ou par quelle inconscience ? Que nous révèle la perspective de l’homme augmenté sur le sens de la technique ? Est-elle la promesse d’un accomplissement de l’humain ou le signe évident de sa disparition ? N’est-elle pas là que pour signifier désormais l’obsolescence de l’homme face à la technique ou bien pour accomplir les plus anciens rêves de l’humanité?
* *
*
a) Dans la maladie l’homme peut se sentir diminué, réduit même parfois à un état végétatif, ce qui signifie qu’il ne peut plus faire usage de ses capacités de se mouvoir, de penser, d’agir, de créer, de vivre en relation et qu’elles sont fortement réduites. Ce que personne ne souhaite.
b) Nous dirons qu’il est normal de pouvoir jouir de nos facultés, naturel pour chacun de nous de se sentir vivre avec un corps sain, un esprit éveillé, de pouvoir se livrer aux activités qui nous offre de la joie et du plaisir. Cependant, nous savons aussi qu’en général l’être humain ne fait qu’un usage très limité de ses potentialités : celles du corps que notre hygiène de vie respecte mal, et qui pourrait nous offrir davantage si nous savions seulement comment vivre et celles de l'esprit. Enfin, pour quelques uns, il paraîtra évident que l’homme contemporain est spirituellement assez inculte et que sa vie serait bien plus riche et douée de sens si sa conscience était plus développée.
c) L’idée de
l’homme augmenté se comprendra donc à
l’inverse de celle de l’homme diminué et dans le dépassement du « normal », ce
serait l’homme qui a reçu des extensions lui permettant
d’accroître ses
pouvoirs : décupler son énergie en dopant le corps, courir plus vite au moyen de
dispositifs mécaniques sophistiqués, calculer plus vite par la greffe d’un
ordinateur, voir plus loin avec une adjonction d’appareil de vision
sophistiquée, multiplier ses performances sexuelles, supprimer définitivement
la maladie en remplaçant les organes par des prothèses, vaincre la mort etc.
Partant de là, dans quelle perspective s'inscrit l'homme augmenté?
1) Eu égard
à toute notre histoire depuis la
Modernité, une première réponse s’impose : l’homme augmenté est
l’aboutissement du développement de la techno-science vers la symbiose de
l’humain et de la machine. Cette convergence est appelée
singularité. Le
transhumanisme, qui véhicule
l’idéologie de l’homme augmenté, s’inscrit dans le
prolongement direct des pages prophétiques de Descartes (texte)
sur les possibilités à venir de la technique dans le Discours de la Méthode,
et du paradigme mécaniste que l’on reconnaît dans le
Traité de l’Homme. Mais alors que Descartes s’en tenait à un objectif
avant tout médical, celui de pouvoir un jour,
par les moyens de la science, vaincre la maladie ; il refusait en même temps de
réduire l’humain à la machine et soutenait que l’âme,
bien que jointe au corps, (texte)
est d’une essence différente, de nature spirituelle. Nous avons vu plus haut que
l’histoire du matérialisme
a fait peu de cas des positions assumées par Descartes et s’est orientée avec un
succès grandissant dans le développement du mécanisme.
Ceci dit, il devient facile de comprendre que l’apogée du mécanisme est
atteinte quand le paradigme dominant qui gouverne les sciences admet
explicitement que tout ce que l’homme porte en lui se ramène à des mécanismes ou
à un sous-produit de mécanismes, y compris sa conscience. Nous y sommes. Par
conséquent, l’homme augmenté le sera par des dispositifs mécaniques qui
transformeront l’humain en une entité possédant des capacités mentales et
physiques améliorées ; et de même que Descartes avait justifié le développement
de la technique par des préoccupations de santé, avant qu’elle ne se développe
ensuite hors contexte, le même schéma se répétera à l’identique avec l’avènement
de l’homme augmenté.
Par exemple,
ce sont bien évidemment les préoccupations médicales qui ont incité l’armée
américaine à développer des programmes de prothèses pour ses GI revenus du
combat en ayant perdu un ou plusieurs
membres. Nous ne pouvons que nous réjouir
de voir un être humain retrouver le sens de la mobilité alors que
« naturellement » il serait cloué sur un lit ou un fauteuil roulant. Les
progrès techniques ont été si spectaculaires que de l’extérieur, on peut ne plus
deviner quand les jambes sont naturelles ou quand elles ne le sont pas. Des
prothèses de combattant, on est passé ensuite à des recherches sur
l’exosquelette de super-soldat, puis au marché privé concernant les personnes
victimes d’accidents graves ayant nécessité une amputation. Avec un succès qui
ne se dément pas et qui reçoit une adhésion entière. Au point qu’en vingt ans,
la représentation collective de l’homme porteur de prothèses s’est totalement
retournée. Si on pouvait autrefois compatir devant ce qui était considéré comme
une déficience,
aujourd’hui,
on commence aujourd’hui à envier le fait de disposer d’une prothèse qui
paraît meilleure que l’organe naturel. Deux témoignages remarquables fournis
dans l’excellent documentaire d’A2, Un homme presque parfait. Celui du
soldat fier de contribuer à une amélioration continue des dispositifs de
remplacement des membres amputés. Celui surtout d’Aimée Mullins née sans jambes
et devenue athlète et mannequin. Elle tient des propos incroyables, disant
qu’une de ses amies a été surprise de la voir plus grande avec de nouvelles
jambes et l’avoir enviée de pouvoir choisir sa taille à volonté. Plus besoin de
s’épiler, plus de lourdeurs et le choix entre plusieurs modèles. Comme d’autres
ont des dizaines de paires de chaussures dans leur placard, elle dit rayonnante
avoir 20 paires de jambes dans son armoire. Elle a très bien noté le changement
de regard portée sur elle de la pitié à l’envie. « L’amputation volontaire,
je pense que ça arrivera.. les athlètes feront n’importe quoi pour avoir les
meilleurs
avantages possibles». Comme il est de pratique répandue de se
faire enlever les dents naturelles pour mettre des dents en céramique. Ce qui
nous renvoie bien sûr aux performances de Pestorius aux jeux olympiques capable
avec des prothèses de battre parmi les meilleurs athlètes. On savait déjà qu’il
devenait très difficile aux joueurs d’échec de battre l’ordinateur, mais
désormais dans cette logique du toujours plus, c’est le corps humain qui
devient dépassé par les performances des prothèses et il devient évident que la
volonté de puissance est déjà bionique. Le
corps physique parait désormais
obsolète. On peut fabriquer des mains, des pieds, des bras ou des jambes
non seulement d’un réalisme époustouflant, mais d’une efficacité supérieure aux
membres de chair. Dans la même logique, pourquoi ne pas remplacer les reins, le
cœur, les yeux ? Le corps physique est donc représenté comme une machine dont
on peut avantageusement remplacer les pièces par des composants mécaniques
plus efficaces, purs produits de la technologie la plus avancée.
2) Personne n’a jamais réellement soutenu que la conscience était complètement indépendante du corps. Ce serait nier l’expérience humaine, celle des limites de la volonté ou l’expérience de la douleur. Être humain, c’est très exactement faire l’expérience de l’incarnation, en quoi l’homme diffère de l’ange qui lui ne serait pas incarné. Un spiritualiste comme Bergson montre que le cerveau est une interface entre l’esprit et la matière et il admet parfaitement que les fonctions mécaniques dans lesquelles la pensée est engagée transitent par le cerveau. On peut très bien admettre que le cerveau est l’organe de la pensée mécanique, tout en soutenant que l’essence spirituelle de l’être humain transcende les fonctionnalités exécutées par le cerveau. Mais le modèle de l’homme augmenté s’appuie lui sur un réductionnisme intégral qui part de l’hypothèse que la conscience est un sous-produit de l’activité cérébrale. Dans la droite ligne de T. Ribot et F. Le Dantec. Humain doué de pensée=homme neuronal.
Il triomphe
en montrant qu’il est possible de relier la pensée motrice à une machine en
récupérant le signal électrique émis par le cerveau, pour le transformer dans un
ordre commandé à une machine. Une sorte de casque percé d’électrodes capte les
ondes cérébrales, qui sont analysées par un ordinateur qui va actionner
ensuite tel ou tel dispositif. Ce qui n’est que la reproduction technique d’un
schéma moteur engrammé dans le cerveau. L’étape suivante est d’implanter
directement dans le cortex une puce, ce qui augmente la précision, mais comporte
aussi des risques d’infection, et on sait aussi qu’un organisme rejette toujours
ce qu’il considère comme un corps étranger. Mais ce n’est qu’un obstacle
provisoire que la technique pense renverser. Parce
que la théorie de l’homme
augmenté part du principe que la fusion de l’homme et de la machine est non
seulement possible, mais qu’elle est déjà en cours. Au point que la mode est
désormais aux puces RFID, aux implants. On cite souvent le cas de Kevin Warwick,
professeur à l’Université de Reading qui s’est rendu célèbre pour s’être fait
implanté une puce dans le nerf du bras pour commander des machines simples.
Animé d’un enthousiasme débordant, il exulte disant qu’il ne veut plus faire
partie de l’humanité ordinaire trop limitée et déficiente à son goût, il
veut être le premier à gagner des superpouvoirs ! Le premier
transhumain.
Comme nous
l’avons vu, la puissance actuelle de la technique peut descendre encore plus
loin dans les manipulations. Dans le microscopique.
Insérer à l’intérieur du corps des nanotechnologies, des robots miniatures pour
réparer les organes, puis les remplacer. De cette manière, non seulement nous
aurions une maîtrise de la sphère de la conscience, mais nous étendrions notre
contrôle sur les zones qui sont en
dessous
de notre conscience et auxquelles nous n’avons pas accès. Un pouvoir accru sur
les fonctions biologiques fondamentales, sur les hormones, donc sur le contrôle
des émotions humaines. L’étape la plus audacieuse étant de reconfigurer
entièrement l’ADN pour prendre le contrôle total des processus vitaux qui jusque
là avait été abandonné au hasard de la sélection naturelle. On dira peut être
que lorsqu’il manipule l’ADN ou même lorsqu’il
parvient à séquencer le génome et le modifier, l’homme n’invente rien, il ne
fait que trafiquer la création, mais il est incontestable que ce
trafic est d’une redoutable efficacité qui tient du prodige. Une sorcellerie qui
ridiculise les yogis, les fakirs, les mages et autres figures de l’ésotérisme.
Nous sommes capables de contrôler la génération en sélectionnant les embryons
(pour choisir une fille ou un garçon), de lancer le programme de Bienvenue à
Gattaca, en commandant un bébé comme on achète une voiture avec ses
options : couleur des yeux, taille, correction des maladies éventuelles,
aptitudes physiques, tempérament etc. Et il aura droit en prime une fois venu au
monde à toutes sortes d’améliorations bioniques.
Quel est le nom que la science fiction a depuis longtemps trouvé pour désigner la perspective de l’homme augmenté ? L’avènement du cyborg. Contraction de cybernetic organsim, terme apparu dans les années 60 au moment où l’homme commençait à prospecter l’espace. Une créature augmentée par des agents mécaniques implantés directement dans son corps. C’est vers ce concept que convergent les avancées techniques. Le cyborg est l’avenir de l’homme, il est le surhomme que l’on prépare en laboratoire et qui devrait bientôt remplacer l’homme.
Mais nous n’avons fait jusqu’à présent qu’effleurer le sujet, car ce qui constitue le nerf de la théorie de l’homme augmenté, c’est une version nouvelle de l’évolutionnisme. Pas celui de Darwin qui, on va le voir, est discrédité : remettre l’évolution au hasard est pauvre, superficiel et inefficace. Encore moins une pensée de l’évolution spirituelle selon Bergson, ou à l’image du projet de Shri Aurobindo qui s’appuie sur la Transcendance et les potentialités infinies de la Conscience. Non, un évolutionnisme matérialiste qui entend congédier la nature et la corriger par la technique.
1) Et là
il va falloir étudier les écrits de
Ray Kurzweil, emprunter les routes d’une
conscience prospective, d’une pensée toute entière dans la temporalité du
futur, qui pense non ce qui est, mais ce qui sera ou ce qui doit être. Voici
les toutes premières lignes d’un article de Kurzweil : « Durant les décennies
à venir, une amélioration radicale des systèmes physiques et mentales de notre
corps, déjà entrain de se faire, utilisera des nanorobots afin d’augmenter et
ultimement remplacer nos organes.
Nous
savons déjà comment prévenir la plupart des maladies dégénératives par la
nutrition et les compléments alimentaires ; ceci sera notre pont vers la
révolution biotechnologique en voie d’émergence, qui à son tour sera un pont
vers la révolution nanotechnologique. En 2030, l’ingénierie inverse du cerveau
humain sera achevée et l’intelligence non biologique fusionnera avec nos
cerveaux biologiques». (texte).
Les écrits
transhumanistes sont toujours formatés sur le même
modèle : ils listent les conquêtes actuelles de la technique et tirent des plans
sur la comète, vers le futur en extrapolant les formes d’augmentation qui
seront acquises par des voies biotechnologiques. Cela remplit des pages, des
pages et des pages, comme dans un argumentaire de vente, mais en plus long,
dans une énumération indéfinie des progrès à venir, le tout bourré de
terminologie et d’autorités
scientifiques. Du point de vue de la réflexion c’est ennuyeux, mais du point de
vue émotionnel pour le technophile, c’est de
l’excitation vitaminée. Il faut donc aller chercher « où il veut en venir » ce
que l’on trouve de manière très allusive dans quelques tournures de phrases.
Dans l’article cité, il est question du passage du corps 1.0 (le corps
physique actuel), au corps 2.0 (bionique). D’une évolution qui va « de
processus démodés », plein de « complications » comme la digestion ou
la respiration actuelle, vers de nouvelles techniques bien plus
performantes qui nous feront oublier les tristes limitations de notre structure
physique actuelle. C’est à prendre au pied de la lettre, le corps humain 1.0
c’est
dépassé et en deux sens : a) trop vieille technologie héritée de
l’évolution ! b) Et puis passé de
mode. La nouveauté arrive, elle est déjà dans
les laboratoires, c’est le corps version 2.0, comme pour les logiciels qui ont
une version 2.0, 3.0, etc. Et comme pour les nouvelles versions, il faudra se précipiter pour acheter la dernière.
Et comme on pouvait s’y attendre, plus loin dans le texte en titre : « Nous devenons des Cyborgs ». Ce qui est explicité comme une « évolution » normale et inéluctable, comme en témoigne la fusion ultime du cerveau et de l’ordinateur : « Nous faisons l’expérience d’une intimité croissante avec notre technique. Au début les ordinateurs étaient d’énormes machines inaccessibles, entourées de techniciens en blouse blanche dans des pièces climatisées. Par la suite ils emménagé dans nos bureaux, puis sous nos bras et maintenant dans nos poches. Bientôt il nous paraîtra normal de les intégrer au corps et au cerveau. Ultimement nous serons davantage non-biologiques que biologiques ».
Ce qui
veut dire que l’identification avec l’objet qui marque l’incroyable fascination
devant
les prouesses de la technique, devenue quasiment obsessionnelle,
légitimera peu à peu son transfert à l’intérieur du corps et ultimement, c’est
tout l’univers numérique qui sera avalé, une connexion Internet permanente dans
la tête. Dès lors l’espace privé des pensées n’aura plus tellement de sens, il
disparaîtra en faveur de l’immersion virtuelle
permanente dans le cyberespace. A la place de l’intimité avec Soi, l’intimité
avec l’objet le plus excitant : le concentré de technologie issu des meilleurs
laboratoires. La fascination de l’objet va avec la fusion entre virtuel et réel.
Et il est dit que cette hallucination contrôlée sera un outil pour des besoins
ludiques autant que pour les affaires. La « réalité » n’est plus alors qu’un mur gris
et les moyens technique sont là pour
surimposer mentalement n’importe quel papier peint, au gré de nos caprices.
Nous pourrons nous « offrir une réalité virtuelle à immersion totale qui
inclura tous nos sens. Lorsque nous souhaiterons pénétrer un milieu virtuel,
les
nanorobots
substitueront aux signaux provenant de nos sens réels les signaux qu’aurait
reçus notre cerveau si nous avions été effectivement dans ce milieu virtuel.
Nous aurons une panoplie d’environnements virtuels au choix, aussi bien des mondes terrestres qui nous sont familiers que des mondes qui ne ressemblent en rien à ce que nous trouvons sur la Terre. Il nous sera possible d’aller vers ces lieux virtuels et d’interagir de toute sorte de manières avec d’autre personnes réelles (et simulées), que ce soit un rendez-vous d’affaires ou une rencontre sensuelle. Dans la réalité virtuelle, nous ne serons pas restreints à une seule personnalité, puisqu’il nous sera possible de changer notre apparence et devenir quelqu’un d’autre ». Bref, le summum de l’évolution sera atteint quand la technique parviendra à reproduire le monde onirique, ce que nous faisons déjà en rêve, mais à l’état de veille, quitte à switcher de temps en temps entre virtuel et réel, comme on passe du rêve à la veille ou de la veille au rêve.
La partie
hardware de cette évolution est le cerveau, la partie
software c’est le mental. Et le hardware de l’humanité, notre vieux
système nerveux, est appelé à changer radicalement. « Vers 2040, la partie non
biologique de notre cerveau sera bien plus puissante que la partie biologique.
Et cependant elle fera partie de la civilisation de l’homme-machine », si tant
est que l’expression « civilisation de l’homme machine » puisse encore avoir un
sens, alors que, tout bien considéré, c’est un oxymore. (texte)
(texte)
Mais c’est exactement le sens du projet global : comme dans l’image des deux
équipes forant le tunnel sous la Manche utilisée par
Thuillier: d’un côté la mécanisation de l’homme, de l’autre l’humanisation
des machines et quand elles se rencontrent, la fusion devient la singularité.
Quand nous empruntons
cette direction, le concept d’évolution change du tout au tout,
puisqu’elle n’est plus le fait du hasard darwinien et surtout, elle n’est plus
asservie aux lenteurs interminables de la Nature. A l’ère de
l’homme augmenté, nous ne seront plus dépendant des
errances et des erreurs de
la Nature, nous prendrons le contrôle de notre évolution. Sans avoir à
attendre une mutation de l’humanité qui prendrait 10.000 ans. C’est peut être la
grande idée de Kurzweil, ce que l’homme peut faire grâce à la technique, c’est mettre l’évolution sous contrôle et l’accélérer de manière exponentielle.
2) Il faut toutefois prendre garde à ne pas trop s’enticher de l’idée selon laquelle le succès du transhumanisme lui viendrait d’une théorie nouvelle, plus solide en raisons et plus convaincante que celles qui ont régné jusqu’ici : a) parce que ses enjeux sont beaucoup plus terre à terre, b) parce que, si théorie il y a, c’est plutôt dans les archétypes de la science-fiction qu’il faut aller la chercher. Pas dans la réflexion.
Pour
l’homme postmoderne, que veut dire
évolution au sens concret et positif du terme ? Dans l’acception la plus
triviale qui soit ? Un changement qui permet d’affirmer que les « choses ne sont
plus comme avant » et qu’elles se sont « améliorées ». Ce qui implique,
s’agissant des conditions de vie que nous impose le corps, toute une série
d’améliorations qui permettraient de jouir d’une santé inaltérable, d’une
vitalité dynamique, d’une vie plus confortable. La
publicité dont nous sommes en permanence gavés, répète qu’il y toutes sortes
de produits pour être en « forme », pour entretenir ou même regagner beauté et
jeunesse. Non seulement cela, mais l’homme postmoderne vit dans l’obligation
de s’améliorer constamment, car il subit une pression sociale qui lui
demande d’être toujours plus performant. Ou bien d’être relégué en bas de
l’échelle sociale s’il n’est pas compétitif, ce qui veut dire en sourdine :
« pour rejoindre les inaptes et les incapables ». Bref, il faudrait presque des
qualités de superhéros pour parvenir à gérer un travail, une entreprise ou même
un environnement familial. En sourdine encore, comme voice in the head :
« Si je pouvais me procurer de quoi être plus efficace, plus puissant,
meilleur que les autres, je serais
vraiment très heureux.
Mais… hélas, je suis comme je suis. La vie n’est pas juste… ». Et puis ce n’est pas fini, même
quand il est dans les marges des obligations sociales, le rêve devient à sa
portée sur un écran, et l’homme postmoderne voue un culte extraordinaire à des
célébrités qui exemplifient l’image de ce qu’il
voudrait être. Même quand il s’en moque, c’est encore pour secrètement les
envier. Stars du petit et du grand écran. Perfection inaccessible pour
l’instant… mais peut être pas pour demain. S’il était possible, via des moyens
technologiques surpuissants, de pouvoir ressembler à l’identique aux modèles
sociaux, il n’y aurait pas d’hésitation. On voit déjà des clones de stars dans
les cours de récréation, mais là du coup, on verrait des James Dean et des
Marilyn à tous les coins de rue. L’idéal de pouvoir un jour rester figé dans une
jeunesse éternelle, dans une forme parfaite et une adolescence perpétuelle.
Triomphe absolu du jeunisme. Voilà un but qui rassemble
les aspirations les plus
banales et qui n’a nul besoin d’être réfléchi ! Du rêve ordinaire et un produit
très vendeur : des apparences
parfaites : un corps plein de vitalité, une peau sans rides, une audition et
une vision parfaite, une symétrie parfaite dans les proportions, des muscles
souples à tout âge, des os solides, une endurance à toute épreuve. A la rigueur,
disposer (quand c’est nécessaire), d’un intellect surmultiplié dans ses
possibilités et d’une mémoire fantastique (en option, le consumérisme suggère
que l’important c’est le look). Et pour cela, pour être bien dans sa
peau, il faut que cette peau reste belle et enveloppe un corps le plus parfait
possible. Surtout, surtout, par pitié ! Éliminer les affres de la condition
humaine, les menaces de déficiences, l’incapacité invalidante, la douleur, les
maladies, tout particulièrement celles qui tuent le
plus aujourd’hui, les
maladies cardiaques et toutes les formes de cancer, mais aussi dans la foulée,
faire disparaître la vieillesse, la laideur, la monstruosité, les gros, les
tordus, les difformes, pour n’avoir, selon le titre d’un site Web, que des
beautiful
people. Qui seront la nouvelle norme, le transhumain après
l’humain.
Eh bien
c’est exactement cette « évolution » qui est proposée à la
Singularity
University, avec une listes de promesses plus stupéfiantes les unes que les
autres. Et pour compléter le tout et mettre les points sur les « i », L'Institute
for Global Future de James Canton ajoute que ce marché de
l'amélioration
de l’humain porté par les nouvelles technologies, va bientôt se chiffrer en
milliards de dollars. De ce point de vue, inutile d’y voir une entreprise de
déconstruction de la personne ou une idéologie, car on s’en fiche, nothing
personnal, just business. Les cadres qui vont suivrent des séminaires dans
la Singularity University n’y vont pas pour philosopher, mais pour
trouver des idées pour de nouveaux marchés. Ce que cherche le prévisionniste et
que peut-il y avoir de meilleur pour envisager les opportunités de créneaux à
occuper dans le futur que le contexte offert par le transhumanisme ? Une
perspective qui est remarquablement en symbiose
avec son époque.
D’où la thèse selon laquelle le transhumanisme ne serait pas une théorie, ni une philosophie, ni une véritable idéologie, mais un courant culturel dans le sillage de la postmodernité. Ses origines datent des premiers envols littéraires de la science-fiction et son aboutissement s’expose en 3D dans les films de superhéros et les jeux vidéos. Voyez la bande annonce de Deus Ex, human revolution. La cause est entendue, l’homme, ce n’est qu’une question de délai, deviendra Dieu, parce qu’il est déjà démiurge de sa propre réalité, parce qu’il a su faire le monde à son image, qu’il saura remodeler le corps à son image, jouer de son esprit comme il l’entend et vivre de manière immortelle grâce à des procédés techniques. We will become gods.
Si on s’en tient à la seule volonté de dépasser les limites humaines, l’idée d’augmentation n’est pas nouvelle, voyez dans la mythologie ; l’exemple est dans le générique de Deus Ex, après tout, Icare s’était « augmenté » avec des ailes pour s’élever près du soleil. Les hommes ont de tous temps imaginé qu’ils pourraient rivaliser avec les puissances de la Nature, les dieux par des subterfuges. C’est un fantasme humain, mais qui a gagné énormément en puissance avec l’expansion démesurée de la technique depuis la Modernité. Il a explosé en idées nouvelles et il a finit par devenir une pulsion qui a irradié la littérature.
Et là, c’est irrésistible, on ne peut éviter de citer Nietzsche : « Je vous enseigne le Surhumain. L’homme n’existe que pour être dépassé. Qu’avez-vous fait pour le dépasser ? Jusqu’à présent tous les êtres ont créé quelque chose qui les dépasse, et vous voudriez être le reflux de cette grande marée et retourner à la bête plutôt que de dépasser l’homme ? » Ce que Nietzsche ne pouvait voir, c’est que la postmodernité finirait par le prendre aux mots, le Surhomme serait un Titan forgé par la technique, mais son avènement serait tellement bien aligné sur le progrès technique qu’il apparaîtrait doucement sans aucune rupture, après trois siècles de propagande mécaniste. Mieux, il serait d’abord nimbé de légèreté, rangé au rayon des plaisirs futiles, des articles de luxe, parmi les accessoires de cosmétique, avant qu’il ne s’immisce peu à peu dans la vie humaine pour petit à petit la remplacer. De la même manière que tous les métiers exigeants des actions répétitives et mécaniques auraient été absorbés par des dispositifs robotiques. L’apparition de la figure du robot dans la science fiction, son hyperdéveloppement ont été tout à la fois le plus impressionnant dispositif de persuasion et d’acclimatation de la conscience collective, et un message des vigiles de l’esprit adressé à ceux qui saurait voir les lignes de l’avenir. De sorte qu’après avoir lu par exemple Isaac Asimov et son cycle des Robots (et bien d’autres) nous ne pourrions pas dire que nous n’avions pas été prévenu. En bonne logique, pour arriver à la singularité, la conscience collective devrait être malaxée dans une mythologie de l’homme augmenté : ce qui se traduit aujourd’hui par la déferlante des films de superhéros, qui sont devenu la principale référence de l’imaginaire des adolescents.
Une investigation sérieuse du thème de l’homme augmenté, si elle ne se borne pas à faire un catalogue d’images futuristes (style brochure de pub), mais reste questionnante, provoque un certain malaise. Celui qui resterait de marbre est soit endoctriné jusqu’à l’aveuglement, soit complice, parce qu’il y défend déjà un intérêt. Mais passé cette impression de gène, les questions se posent, des questions éthiques tout d’abord et des questions sur sens que pourrait avoir la vie humaine (?) dans ces conditions.
1) Supposons que dans cette humanité augmentée, la conscience reste la même que ce qu’elle est à l’heure actuelle, avec son caractère foncièrement égotique, ne connaissant d’expression que sous la forme du pouvoir, du contrôle et de la performance. Le monde change, mais malheureusement l’homme reste le même. Le monde change technologiquement, mais d’un point de vue psychologique, c’est toujours la même structure mentale, toujours aussi dysfonctionnelle. Avec ou sans prothèses et augmentations, l’homme intérieur peut être spirituellement immature. Nous avons vu que contrairement à ce qu’a pu penser Condorcet, il est possible de concevoir une société scientifiquement et technologiquement avancée, mais en même temps moralement barbare, inculte, esthétiquement nulle et d’une intelligence très limitée. Ce n’est pas contradictoire.
Bref, ce
n’est pas avec des augmentations que nous serons sortis de nos problèmes et de
nos angoisses, car nos problèmes égotiques non seulement ne seront pas résolus,
mais ils vont augmenter eux aussi. Car la technologie sera mise au
service de l’ego augmenté ! Et la science fiction l’a abondamment illustré.
Un futur à la Mad Max, ou Blade Runner, parait un
prolongement
bien plus logique de notre monde actuel, qu’une vision rêveuse qui nous
présenterait l’avenir comme une balade à Disneyland. Même le cinéma ado est
assez honnête pour montrer que les superhéros, bien que représentatifs d’une
humanité augmentée, ont leur obscurité humaine et leur humanité triviale. Pire,
ils sont souvent d’un conformisme affligeant, immatures, instables, névrosés,
dopés à fortes doses au patriotisme made in USA, mais sans beaucoup de
jugement. Bref, ils ne sont « super » qu’en surface et pour épater la galerie,
de l’intérieur, c’est de l’américain moyen, gonflé avec des superpouvoirs, mais
d’une psychologie très basique. Très réactifs à l’écran, mais comme des machines
manipulables, avec des boutons émotionnels,
pas très conscients d’eux-mêmes, pas éveillés non plus, plutôt du genre bourrin
qui cogne d’abord et réfléchit ensuite.
Donc, ne changeons pas d’un iota la conscience humaine actuelle et voyons ce qu’il en résulte. Les consommateurs (très riches) qui réclameront des formes d’augmentation voudront améliorer leurs conditions de vie mais sans changer leur conscience de la Vie. Disposer d’un nouveau foie quand on est rongé par l’alcool et que l’on veut garder ses habitudes. Acheter les dernières prothèses qui repoussent les limites des performances dans le sport pour être le meilleur et jouir d’une reconnaissance à faire pâlir de jalousie la concurrence. Se faire implanter la dernière puce 2400G qui permet de recevoir dans votre crâne 300 chaînes de télévision, que vous pourrez regarder en hologramme, tout en faisant distraitement autre chose. De sorte que la vie sera une distraction permanence : un di-vertissement et jamais un in-vestissement sérieux. Pour une femme, réserver un utérus artificiel dans un centre de fécondation pour lui confier le développement d’un foetus, quand elle ne veut pas s’encombrer d’un gros ventre, éviter les rides et les vergetures d’une grossesse. Moyen de pouvoir garder une silhouette jeune, mener une carrière dynamique, continuer à sortir en boîte de nuit et de mener une vie très libre, avec un corps qui ne fait pas son âge. Les années sexy de la jeunesse que l’on voyait passer autrefois comme l’éclair pour aller vers l’âge mûr, deviendront le seul standard de vie. Plus d’âge mûr et plus de maturité tant qu’on y est. La techno-science permet de lutter contre le temps, elle promet déjà de le vaincre et de l’immobiliser dans une jeunesse éperdue. Celle-là même que nous connaissons aujourd’hui avec ses plaisirs et ses jeux, sa légèreté et son look aguicheur. Les experts du transhumanisme nous annoncent que dans un proche avenir, les personnes âgées pourront profiter d'une durée de vie indéfinie dépourvue de maladie, avec comme seules causes de la mort, les accidents et la criminalité. Mieux, tout sera fait pour que le look âgé disparaisse. Et ce n’est pas tout, dans la foulée, le look naturel sera aussi démodé, il disparaîtra en faveur d’un look androïde bien plus fashion, qui sera la norme commune. Pour aller au terme de l’évolution technique, la singularité sera achevée quand il ne restera plus sur Terre que des robots, l’humanité se sera débarrassée de ce sac d’os et de chair douloureuse qui constituait l’incarnation. Alors elle aura consommé son propre suicide. Après avoir pendant des siècles adoré la Machine, idolâtré la dureté du métal, la puissance des armes, l’orgasme high-tech et les héros en plastique, elle accèdera enfin au rang suprême de son objet culte : la Machine.
Puisque la
conscience n’aura pas changé, cela voudra dire que les enjeux égotiques du
pouvoir ne seront pas modifiés d’un iota et que par-dessus tout, l’argent
demeurera au sommet de l’échelle des valeurs. Car
c’est avec l’argent que l’on achètera
l’immortalité, comme on remplit aujourd’hui son caddie avec des articles sur les
rayons, et comme dans ce monde hyper-matérialiste,
il n’existera pas de
promesse plus élevée que l’immortalité, il faudra donc
s’attendre à des luttes extrêmement violentes, à des trafics, à des réseaux de
marché noir, à des mafias pour accéder aux augmentations du standard de vie
techno. Vu les puissances chaotiques mises en
jeu, il y aura obligatoirement une scission brutale entre des masses populaires,
condamnée à une vie « naturelle » mais n’ayant de rêves, d’espoirs, de visions
et d’envies que dans l’imitation du mode de vie des riches. En face, la
caste techno devant se militariser et s’isoler de plus en plus, pour jouir de
ses plaisirs légers, s’étourdir pour ne pas entendre les hurlements des masses
aux pieds de ses citadelles. La société fondée sur l’homme augmentée deviendra
donc de plus en plus policée. Pour mettre en images tout cela, nous n’avons que
l’embarras du choix dans la littérature de science-fiction et le cinéma. Le
monde ne sera pas pacifié, ni débarrassé de la violence, car le concept d’homme
augmenté attisera les tentations et le sentiment d’injustice, plus que tout
autre idéologie n’aura pu le faire dans l’histoire humaine.
On répondra donc fermement que l’homme augmenté devra être démocratisé ! Ce qui est juste, mais complètement irréaliste, car on tombe alors dans des difficultés sans nombre. Il faudrait pour développer la magie hight-tech piller les ressources naturelles de la Terre à une cadence effrénée, alors même que beaucoup sont déjà épuisées. Sans terres rares et métaux, pas de technologie. Sans compter la demande formidable en énergie qu’il faudra satisfaire. Il est déjà strictement impossible de généraliser à 7 milliards d’êtres humains le mode de vie du consommateur occidental. Il faudrait au moins cinq planètes pour y parvenir. Mais le pousser à l’extrême dans un pur fantasme technologique, c’est s’évader dans les bouffées délirantes. Non seulement le fantasme de l’homme augmenté, augmentera la pression de l’argent sur toutes les sociétés, mais il augmentera aussi la pression de l’exploitation frénétique de la Terre. Ce qui veut dire - très sérieusement- qu’il ne peut tenir que si dans un proche avenir, l’homme parvient à prospecter l’espace. D’ailleurs, entre nous, ce serait peut être une très bonne chose que d’expédier tous ces hommes augmentés sur Mars pour qu’il nous fiche la paix sur Terre !!!
2) Plaisanterie à part, qu’adviendrait du sens de la vie si l’humanité prenait définitivement le virage de l’homme augmenté, à supposé qu’il ait un sens, à supposer (cela fait beaucoup) qu’il soit possible de l’emprunter sans allumer la mèche d’une implosion radicale de vers l’autodestruction ?
Voulons-nous vraiment une société aussi superficielle ? Ce type d’existence ne se révèrerait pas très vide et sans substance? On peut crever d’ennui au milieu du luxe et sentir au fond de soi l’abîme d’une existence devenue fantomatique. C’est le mot qu’emploie Günter Anders dans L’Obsolescence de l’Homme. Les prothèses en plus n’y changeront rien. Sans Passion créatrice, sans l’embrasement de la Vie qui fait nous sentons pleinement vivants, l’humanité ne va nulle part, elle se supporte à peine. L’absurdité de la vie sera d’autant plus visible que la bulle de l’élite qui pourra en jouir, ne pourra être maintenue à flot que par la répression, le contrôle de ceux qui ne pourront pas accéder à son statut. Situation insoutenable à regarder en pleine face pour ce qui resterait de compassion dans le cœur de l’homme, pour tout esprit un tant soit peu intelligent et sensible. Ce qui mènera droit à la révolte ceux qui encore un peu de dignité : mieux vaut mourir pour sauver le peu d’humanité qui nous reste, que de crever d’ennui au milieu d’une vie illusoire.
Bien sûr, on
rétorquera que certes, l’existence repose sur des décisions, et si vous ne
voulez pas de l’homme augmenté, vous serez libre de ne pas faire ce choix !
Merci. Mais il y a tromperie manifeste, dans la mesure où le monde s’aventure
dans cette direction, inévitablement l’homme augmenté deviendra la norme.
Qui sera de fait imposée. Imposée par la demande des employeurs au
travail (comment ? Vous ne vous êtes pas fait augmenter ? … L’entreprise a
besoin de cadres dynamiques…). Imposée très tôt à l’école et sensible dans tout
le cursus scolaire : en bref, les sous-doués « naturels » et les sur-doués
« augmentés ». Sans compter les gouvernements qui militeront pour l’augmentation
des soldats et des élites au pouvoir. On aura donc nécessairement une société
eugéniste de la performance qui ne laissera en fait pas le moindre choix. Il
faudra pour être intégré socialement accepter les formes d’augmentation et se
soumettre à la logique eugéniste du système. Celle de la disqualification des
anormaux en tous genre, voire de leur élimination systématique. Pour ceux qui
refuseraient, l’argument économique tombera comme une massue : pourquoi
voulez-vous que la société assiste les inadaptés ? Elle ne peut que favoriser
les plus aptes, les augmentés. Lors de la dernières guerre on se demandait aussi
se que pouvait coûter à la société les impotents, les fous, les malades, les
inadaptés sociaux, et ce que l’on pourrait gagner en les éliminant. Songeons
combien il sera difficile de gérer l’image du moi, pour l’homme ordinaire qui
devra sans cesse se mesurer avec une norme auquel il ne pourra pas prétendre,
comment pourra-t-il éviter ce dernier homme ne pas voir honte de lui-même ?
Honte devant toutes ces machines perfectionnées en
passe de remplacer l’humain ?
Son existence sera une sorte de monstruosité aux yeux du nouveau monde.
Jean-Michel Besnier dit très justement que les utopies de l’homme augmenté «
seraient révélatrices d’une fatigue d’un être soi manifeste : si l’homme
doit être perfectionné, c’est avant tout pour se montrer digne des machines
qu’il a inventées ». Et donc : « ce que veut le transhumanisme, ce n’est pas
parfaire l’humanité, mais nous arracher à l’humanité. Faire de nous des
êtres qui ne naîtront plus mais qui seront fabriqués, lisser la vie psychique,
ne plus vieillir grâce au téléchargement de la conscience, éradiquer la
souffrance et donc le plaisir. Le désir même, alors que c’est le moteur de
l’humanité. Arrêtons de dire que c’est au service de l’humanité alors que c’est
pour la détruire ».
Si on voit d’un seul coup d’œil, dans un insight fulgurant, toute cette absurdité, on ne peut que rompre avec ce délire collectif pour décider de vivre autrement. Ou de vivre vraiment ici et maintenant. Passionnément. En assumant avec un plus de sagesse son humanité réelle. Souvenons nous de ce que disait Jacques Ellul : la technique ne nous laisse qu’une alternative, ou bien on l’utilise comme elle doit l’être, en suivant ses règles et donc on y est engagé, ou bien… on ne l’utilise pas du tout ! Après tout, je peux très bien jeter le poste de télévision à la poubelle et trouver très agréable de ne plus subir son intrusion, même si on me rappelle gentiment à l’ordre pour me signaler que je devrais le regarder.
La réponse se trouve dans le rapport étrange de l’homme au temps. Faut-il s’aggrave au passé et vouloir retourner dans l’adolescence ? Cela vaut-il la peine de vouloir arrêter le cours du temps, le processus de l’âge ? Y a-t-il quelque chose de sensé dans cette volonté de refuser l’expérience qui nous est offerte de la condition humaine ? Maintenant. De refuser d’être ce que nous somme présentement ? Nous n’avons pas la capacité d’arrêter le Devenir, mais cela ne veut pas dire que nous devions nécessairement souffrir du passage du temps. Nous pouvons aussi prendre la vie telle qu’elle s’offre à nous, et faire de chaque instant un moment de délice. Les limitations existent et elles existeront toujours d’une manière ou d’une autre, ce qui est essentiel n’est pas tant de vouloir les changer que d’abord d’apprendre à vivre avec. Dans l’émission citée plus haut, il y a le témoignage émouvant du fils du pianiste prodige Michel Petrucciani. Il dit en substance : « Mon père à pensé que cette vie, même avec une infirmité, méritait d’être vécue ». Peut être qu’au soir de notre existence auront nous cette même pensée, même au travers des pires difficultés et des limitations, cette vie valait la peine d’être expérimentée jusqu’au bout. Que serait donc la vie universelle si elle n’avait pas fait l’expérience d’elle-même dans toutes les formes et dans toutes les conditions ? Une pauvreté, pas une richesse. Et comment serions nous seulement capable d’aimer la vie si nous n’avions pas traversé l’expérience des limitations ? Comment un être humain pourrait-il apprécier la profondeur de la vie s’il ne la connaît qu’emballée dans une adolescence perpétuelle ? Que pourrait-il bien savoir de la capacité d’aimer, lui qui a été confiné dans une adulation narcissique ? Lui qui aurait été condamné à rester complètement immature ?
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« La fatigue d’être soi » de l’homme qui languit auprès du transhumain a une étrange résonance, celle d’une pulsion à vouloir retourner à l’inconscience, descendre en dessous de la conscience qui nous fait homme pour sombrer dans l’oubli de soi pour renaître dans sa création la Machine. Nihilisme passif ? Peut être. Il est tout de même assez paradoxal que l’épopée de la technique qui est allée de conquête en conquête en arrive à ce point. Ce qui est encore plus bizarre c’est que cette pulsion soit habillées des promesses les d’accomplissement les plus hardies qui aient jamais été offerte à l’être humain. On dirait presque que l’on a affaire au plus grand show d’illusions que l’humanité s’est donnée à elle-même. Maya s’en donne à cœur joie avec la perspective de l’homme augmenté. Dernier rempart de l’illusion humaine contre la Transcendance, dernier feu d’artifice de l’illusion d’un être qui jusqu’au bout a décidé de se prendre pour Dieu. Alors qu’il tourne le dos aux pouvoirs de la Conscience que l’univers a déposé en lui. Qu’il ne connaît pas encore. Bergson a osé dire dans son dernier livre, Les Deux Sources de la Morale et de la Religion : « qu'on opte pour les grands moyens ou pour les petits, une décision s'impose. L'humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d'elle, de voir d'abord si elle veut continuer à vivre. A elle de se demander ensuite si elle veut vivre seulement, ou fournir en outre l'effort nécessaire pour que s'accomplisse, jusque sur notre planète réfractaire, la fonction essentielle de l'univers, qui est une machine à faire des dieux »". (texte) Mais dans sa pensée, cela ne pourra advenir qu’avec un supplément d’âme apporté au progrès technique, et non par le progrès technique seul.
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Questions:
1. n'assiste-t-on pas dans l'avènement de l'homme augmenté à une déconstruction de l'unité du sujet?
2. Est-ce accidentel si dans l'histoire de la technique en Occident, ce sont les motivations militaires qui ont souvent été premières?
3. Que veut dire l'expression obsolescence de l'homme?
4. Quel portrait du surhomme dessine le projet de l'homme augmenté?
5. Suffit-il d'affirmer de voir le projet de l'homme augmenté comme un objectif commercial pour en rendre compte?
6. Vivre la condition humaine jusqu'au bout n'est-ce pas naître et mourir tel que la nature nous a formé?
7. Les qualités humaines peuvent-elles être préservées si l'homme choisit une condition de machine?
© Philosophie et spiritualité, 2013, Serge Carfantan,
avec l'aide d'Aurélien Carfantan.
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