Leçon 274. En quête de sens          

    Précédemment, nous avons en abordant la philosophie de l’Histoire de Hegel distingué deux aspects de la notion de sens : a) ou bien l’idée que le cours de l’aventure humaine a bel et bien une signification et n’est donc pas absurde. b) ou bien l’idée que non seulement l’Histoire est pourvue d’une signification, mais qu’elle a aussi une orientation. Le sens correspondrait alors à une flèche qui va dans une direction. En philosophie de l’Histoire, cette direction, nous pouvions la rattacher à un concept porteur, celui du progrès, ou celui de lévolution.

    S’agissant du sens de la vie humaine, la distinction des deux points de vue reste valide, mais le contenu est différent. D’un côté nous dirons qu’effectivement, il importe que notre vie soit sensée, qu’elle ait une certaine logique, une cohérence interne et nous croyons qu’une vie significative s’inscrit dans le langage normal de la vie de notre époque. Une conduite insensée, absurde, est comprise comme déviante, hors contexte. D’un autre côté, mener une vie à peu près sensée ne garantit pas du tout que nous aurions découvert le sens de la vie, sa véritable direction, bref a minima que nous ayons le sentiment de nous inscrire pleinement dans son courant, d’être porté par son flot vivant.

    Le plus drôle dans cette affaire, c’est que l’on peut très bien mener une vie qui aux yeux du monde parait sensée et se rendre compte intérieurement qu’elle est complètement insensée, parce qu’elle n’est pas portée dans une direction satisfaisante et support de vie. Petit constat amer et vertige de la jeune fille qui sort d’une école de commerce et se retrouve en tête de gondole d’un supermarché en tailleur Chanel pour vendre du café : « Mais… qu’est-ce que je fais ici ?? ». Ou encore, dans le documentaire En quête de sens que nous allons aborder, le job consistant à bosser pour vendre aux Américains… de l’eau minérale française. L’anthropologue David Graeber s’est pas mal amusé des bullshit job. Juste pour y revenir, un extrait de son questionnaire : « Avez-vous l’impression que le monde pourrait se passer de votre travail ? Ressentez-vous la profonde inutilité des tâches que vous accomplissez quotidiennement ? Avez-vous déjà pensé que vous seriez plus utile dans un hôpital, une salle de classe, un commerce ou une cuisine que dans un open space situé dans un quartier de bureaux ? Passez-vous des heures sur Facebook, YouTube ou à envoyer des mails persos au travail ? »

    Bien sûr ce genre de questions ne se pose pas d’ordinaire car elles sont évitées dans l’inconscience ordinaire… jusqu’au moment où intérieurement cela devient intenable et l’absurdité saute aux yeux, ce qui implique une remise en question et un revirement radical. C’est le moment où la vie prend soudainement une autre direction, plus profondément significative, avec des choix qui sont davantage vivants, même si, aux yeux du monde ils peuvent paraître insensés ! Mais qu’est-ce qui nous permet de dire que la vie a un sens ?

A. Les raisons de vivre du capitalisme triomphant

    Si on écoute le sens commun, la réponse semble aller de soi : la vie a un sens parce que nous avons tout un tas de « raisons de vivre ». Ce qui veut dire ? Si on repose la question, il y a en général une certaine gêne, mais qui peut être contournée par un discours du genre (je pousse un peu) : « ma femme m’aime, mes enfants sont charmants, mon patron est sympathique, je profite des avantages de la ville, dans dix ans j’aurais fini de payer les traites de ma maison, le vendredi je profite d’un moment passé avec quelques potes devant une chope de bière, l’été je profite de camping sur la côte… J’me pose pas de question… ça me suffit ». C’est intentionnellement que nous avons répété « profiter », parce que c’est effectivement le mot qui revient de manière lancinante dans le langage courant, il est caractéristique de la postmodernité. Dans l’acception courante, il précise l’idée de « raisons de vivre » dans une somme de plaisirs, la profondeur molle d’un canapé, l’idée d’un esprit rangé dans la normale, embourgeoisé et satisfait. Mais les raisons de vivre se confondent-elles avec le sens de l’existence ?

    1) Mieux vaut insister, quitte à reprendre ce que nous avons vu ailleurs. En régime capitaliste, si pour beaucoup de gens le sens de la vie c’est de « profiter », c’est qu’ils croient que leur raison de vivre consiste à grappiller quelque chose que la société doit leur offrir. Cela peut s’entendre diversement. En Occident, profiter c’est consommer, comme le consommateur qui profite des soldes pour exploiter au maximum les remises. Profiter peut vouloir dire aussi faire du profit, du business, ou encore faire de l’argent en ne faisant rien, en jouant à la bourse, dans la spéculation. Enfin profiter c’est tirer le maximum de plaisir, comme on trait une vache pour en tirer le maximum de lait. On peut profiter du système, comme on profite des soldes, comme on profite des autres, comme on profite de la vie. Si vous allez à la plage, la question au retour : « alors, vous avez bien profité ? » signifie que vous devez tirer un maximum en baignade, crème solaire, bronzage, glaces, soda etc. « on a bien profité ! ». L’idée sous-jacente relève du matérialisme ambiant, il s’agit d’exploiter le plus possible : les divertissements, le paysage, les installations, l’environnement, la Nature, etc. En avoir pour son argent. Donc, s’il pleut ou que je me fais une entorse, je ne vais pas pouvoir « profiter » ! Je serai frustré du voyage… qui n’aura plus guère de sens : je n’ai pu « profiter » de rien.

    Le contraire exact de profiter, c’est donner, c’est le mouvement généreux opposé au vampirisme de l’exploitation qui « profite » de tout. Le consommateur est le profiteur de base du capitalisme, dressé dès le berceau à toute les formes d’avidité du consumérisme, mais pas du tout éduqué pour donner, pour se donner, pour donner de soi en direction des autres. Ce qui veut dire aimer. Il ne sait même pas vraiment apprécier sans que l’avidité s’en mêle, il lui en faut toujours plus. Il faut remplir le caddie et être sûr d’avoir fait des affaires. Le consommateur n’a jamais été éduqué dans la joie du don. Au contraire il a été formé pour des exigences, jusqu’à la démesure. Donc, comme il identifie ce qui est sensé, avec le fait de se remplir de satisfactions, une benne pleine à rebord de satisfactions doit procurer toutes sortes de « raisons de vivre ». Dans le consumérisme, le plaisir doit être pensé comme corrélat du désir et le désir comme corrélat du marché. Il faut implicitement ignorer une satisfaction qui ne serait pas marchandisable. La convergence activement recherchée dans le marketing veut que le plaisir ultime soit identifié à l’acte consommation elle-même. Ainsi la boucle est bouclée, le désir ne s’éloigne pas de la consommation et la promesse de plaisir est la consommation elle-même. Le conditionnement le plus achevé advient donc quand les raisons de vivre s’identifient à la consommation et que le consumérisme est parvenu à cloner indéfiniment des sujets désirant dans sa propre matrice. Trivialement : comment donner du sens à la vie ? … (en voix off) Allez faire du shoping ! A partir du moment où ce type de croyance tourne en tâche de fond dans la conscience collective, la logique veut que la principale raison de vivre soit … de gagner de l’argent. L’argent est la seule voie d’accès et le passage obligé en direction d’un unique univers du sens, celui de la consommation.

    Pour faire un discours de l’implicite : « Aujourd’hui la question du sens ne se pose plus. Elle est devenue inutile. Pourquoi se poser des questions existentielles quand on a un mode de vie est aisé ? On baigne en permanence dans un univers de sens qui se reflète à l’infini dans des affiches, des magazines, des publicités, des clips et des jeux vidéo, des séquences radio. Cela permet d’assurer en permanence notre participation à l’univers de la consommation et c’est ce que tout le monde souhaite. Inutile de réfléchir pour donner un sens. Il suffit de se laisser porter, moins on pense et plus on dépense et on adore ça. La réponse au problème du sens est partout dans les vitrines, pour que la vie ait un sens, il suffit de satisfaire ses besoins primaires. Une bonne vie, c’est un bon standard de vie. Mais ce n’est pas donné, le bonheur est souvent gagné de haute lutte au prix d’efforts persévérants dans le travail. Le but premier c’est de gagner suffisamment pour se procurer une vie avantageuse et la sécurité. La question n’est pas de savoir si le travail a un sens, ce qui compte c’est de savoir combien il rapporte ; ensuite l’argent ouvre toutes les portes, car il permet de se procurer toute sortes de satisfactions ». (prosopopée du sens de la vie selon le matérialisme ambiant)

    2) Bien sûr ce type de discours ne se dit pas ouvertement, il relève des croyances inconsciente. C'est le choix par défaut du sens de la vie, mais c'est un choix quand même. La croyance est tellement bien relancée dans nos sociétés qu’elle passe pour une évidence, une vérité, et pas du tout comme une croyance. Le choix repose sur l’adhésion à un modèle de société et ses valeurs. Or, comme nous allons le voir, on peut très retirer son adhésion à ce modèle.

    Ce qu’il faut toutefois souligner, c’est qu’on peut aimer la vie pour ce genre de raison, sans avoir pour autant découvert son sens. Une raison de vivre aussi limitée peut tenir lieu de sens. Le capitalisme offre donc aux masses un substitut de sens : produire et consommer…produire et consommer… produire et consommer. Il obtient quelques réussites indiscutables qui suffisent pour valider une adhésion globale. L’accès à un mode de vie facile et frivole, le confort, les substituts et les avancées technologiques, la fierté que l’on tire de la maîtrise de la Nature, les attentes enthousiastes vis-à-vis du progrès, les assurances et la sécurité etc.

    Ce qu’il ne dit pas, c’est que ce substitut de sens demeure très pauvre, très insuffisant, très éloigné des aspirations réelles de l’âme et du sens de la Vie dans la totalité. Il offre une justification très fragile, et directement exposée aus situation de crise. Ce qu’il ne dit pas non plus c’est que, tout en faisant une propagande active de l’individualisme, il engage chacun dans une dépendance très étroite vis-à-vis du système. Le système appelé capitalisme n’est pas du tout conçu pour favoriser la solidarité, enseigner la résilience et conduire à l’autonomie. Il met directement l’individu à la merci des fluctuations chaotiques de l’économie. Donc, si je suis mis au chômage, si je suis ruiné, si mes revenus se réduisent brutalement au point de m’installer dans la survie, je perds mes raisons de vivre et la déclaration que font les gens réduits à cet extrémité est : « ma vie n’a plus de sens ». Il faut dire que le sens en question ne tenait pas à grand-chose, il était très facile à balayer d’où cette implosion intérieure des raisons de vivre dans la dépression.

    Ce que, malgré les échecs, nous ne voulons pas facilement reconnaître, c’est que la plupart d’entre nous qui adhérons à ce modèle, vivons avec un sentiment de vide intérieur, un vide que rien dans l’ordre de l’extériorité ne semble pouvoir combler. Il s’agit d’un manque que nous tentons d’objectiver, mais qui ne peut pas l’être, parce qu’il n’est pas objectif. La question rode, lancinante dans la pensée : « mais qu’est-ce qui manque à ma vie pour que je puisse lui trouver un sens ? Je regarde autour de moi et il semble qu’il y ait des gens qui n’ont pas de manque, qui ont réussi. Cela se voit, il y a des images de bonheur partout dans les magazines people. J’ai beau me battre comme un lion pour acquérir tous les attributs de la réussite, je me retrouve toujours avec le sentiment que… non… ce n’est pas ça ». Mais si nous étions plus lucide, nous verrions que ce n’est qu’en apparence, dans un masque où l’on fait semblant « qu’il n’y a pas de manque ». L’ombre n’est jamais très loin.

    Et il y a encore plus grave, totalement incompréhensible et insupportable : nous voyons qu’il y a des gens qui « ont tout pour être heureux », tout ce dont on peut rêver et qui tombent dans la dépression la plus noire jusqu’au suicide. Un acteur célèbre et adulé, un business man riche à foison ; des personnalités en vue, que tout le monde envie, qui avouent en aparté que leur vie manque de sens. Pour l’entendement ordinaire c’est très difficile à avaler : comment des gens qui ont autant de moyens, qui ont accumulé toute sortes de satisfactions, pourraient-ils ne pas avoir découvert le sens de la vie ? Si la vie manque de sens, comme le sens implique la valeur, c’est qu’elle a une valeur nulle et ne vaut même pas la peine d’être vécue. De la part de la jet set cela semble impossible, en totale contradiction avec tout ce que l’on fait valoir dans les mass media. Logiquement, quand on est parvenu à acquérir tout ce qui fait sens dans notre société, jusqu’au luxe le plus dispendieux, on devrait avoir « atteint le bonheur » (!) et être débarrassé de toutes les questions métaphysiques. Le repos du guerrier. Mais ce n’est pas du tout le cas ; ce qui est très inquiétant, c’est de penser que ceux qui sont des modèles, qui ont le plus haut standard de vie, puisse encore se retrouver encore avec un grand vide intérieur. Ils ne pleuvent même plus espérer d’acquérir quelque chose dans le futur qui pourrait les satisfaire, comme elle pauvre ère qui achète des billets de loterie en pensant qu’il va un jour être riche et comblé. C’est désespérant. Et comme si cela ne suffisait pas, on peut aussi rencontrer des gens simples, qui vivent de peu, dont le sourire parle de la Plénitude et dont le rayonnement atteste une profonde communion avec la vie. Est-ce que cela veut dire que les promesses de capitalisme sont des illusions ? ... Mais comment avons-nous pu nous tromper à ce point sur le sens de la vie ?

B. L’imposture de la modernité et la perte du sens

    Bien sûr on peut immédiatement rétorquer qu’il y a d’autres raisons de vivre que celles qui semblent faire consensus dans notre modèle actuel de société. La crise du sens est devenue si patente qu’il faut un manque de réflexion qui relève d’une sévère absence ou une bonne dose d’aveuglement, pour ne pas le, pour ne pas se rende compte que le paradigme actuel est en voie de désagrégation accélérée. Il suffit d’ouvrir les yeux. Un minimum de lucidité, de réflexion nous invite à déplacer nos raisons de vivre en dehors du contrat tacite. Faut-il pour mieux comprendre un tel changement aller jusqu’à dénoncer une imposture de la Modernité ? On ne peut pas faire l’économie d’un examen critique.

    1) C’est exactement ce que propose Pierre Rabhi. Remontons un peu le temps avec lui. « A la fin des années cinquante, j’étais ouvrier spécialisé d’une entreprise de la région parisienne. Mes camarades, que j’ai aimés et estimés, étaient convaincus que le monde moderne réservait un avenir quasi radieux à leurs enfants ; cela donnait un sens à leur besogne ». Ils n’avaient pas foi dans l’Eglise, le marxisme était dans l’air du temps, « c’est dans le progrès qu’ils avaient foi, progrès auquel ils vouaient une sorte de culte, allant jusqu’au sacrifice de leur personne. Ils disaient : « nous en bavons, mais c’est pour que nos enfants aient une vie meilleure. Grâce à l’instruction qui nous a manqué, ils vivront loin du cambouis, auront des mains propres et lisses. Ils nous vengeront de la servitude et des mains calleuses ». L’après-guerre, « c’était le temps des Trente Glorieuses, et il y avait de quoi s’illusionner : la machine économique tournait à plein rendement, alimentée par les ressources abondantes et pratiquement gratuites du tiers-monde ». On ne voyait même pas que l’idéologie techniciste qui portait l’idée de progrès transcendait les clivages idéologiques, et régnait sans partage de part et d’autre des deux blocs, capitaliste et communiste. Un seul credo universel, une seule idéologie et une fascination collective, le progrès, avec la promesse de bonheur à l’horizon, mais avec deux variantes. Deux paris. Quand il est porté par des illusions, le bonheur c’est toujours pour demain et il faut sacrifier aux promesses qui sanctifient même le travail le plus dégradant. L’Occident pariait lui sur le libéralisme.

    Mais en même temps, planait « un climat moral désabusé, probablement dû à la surabondance ». « Un étrange malaise, comme si les excès de l’avoir abolissaient les besoins de l’être, la société de consommation créant simultanément besoins et frustrations. Le consommateur est à l’évidence un rouage une machine qui produit toujours plus, afin que l’on consomme toujours plus ». (texte) Cet appareillage sophistiqué dissimulait en fait un traquenard. Il devait être dénoncé dans le soulèvement de mai 68, un soulèvement qui a été très clairement une insurrection contre la société de consommation. Un moment pétillant où l’on a commencé à mettre en cause le modèle, à parler de modération, où l’on a commencé à comprendre que la surabondance et le bonheur n’allaient pas forcément de pair ; un moment où l’on se rendait compte que ce monde matériellement pétrifié dans le fait accompli du libéralisme (There is no alternative !) confisquait en douce la créativité et la vie. D’où cet élan fou pour la révolution permanente, l’imagination, l’aventure, le retour à la terre, la revendication de la joie de vivre, revers exact d’une société qui commençait à se momifier dans l’ultralibéralisme.

    Mais ce coup d’éclat n’était qu’un avertissement sans suite, un fanal lancé en direction des temps futurs. Allait lui succéder une période d’immersion intégrale dans le consumérisme, la postmodernité qui rendrait obsolète toutes les idéologies pour installer un conformisme béat où précisément la publicité deviendrait une idole, où l’argent deviendrait roi, où l’attractivité financière en complet veston passerait pour le summum de la réussite sociale. Ce qui laisse songeur. « Comment, pour tout dire, ne pas douter d’une civilisation qui fait de la cravate le nœud coulant symbolique de la strangulation quotidienne ? Cet ornement ne serait-il pas en fait une laisse tenue par la fameuse main invisible ? »… La main invisible d’Adam Smith sensée réguler magiquement le « marché », devenu le terrain de jeu et le terrain de chasse du profit ? Et si on veut continuer avec la sémantique, il y a bien d’autres signes, car on verrait croître en importance des concepts du genre : « matériel humain, compression de personnel, ressources humaines, statut, cadre » Et c’est là que nous commençons à entrevoir ce qui était en route, « le caractère dérisoire de cet être humain pris dans une société de l’argent-finance, une fois intégré au système de valeurs ». Dérisoire, de plus en plus dérisoire. Dépourvu de sens. Avec la « compétitivité », « l’agressivité » commerciale, « l’art de se vendre », viendrait l’apprentissage de la vanité d’une réussite sociale, mais dans un faux semblant de sens et l’apparence d’une vie réussie.

    La vitrine de cette civilisation, en mettant exclusivement en avant le progrès technologique, laisse croire qu’il englobe (ou rend obsolète ?) les autres facettes du progrès, comme si le progrès technologique était une bannière suivie en bonne discipline par la cohorte du progrès moral, du progrès esthétique et spirituel. Un mensonge colossal pourtant démenti par deux guerres mondiales. En vérité l’idée de progrès indéfini lancé par Condorcet n’a jamais dépassé le stade du mythe. La vérité, c’est que « derrière les apparences séduisantes d’une ère censée libérer l’espèce humaine », il y a « la célébration d’un démiurge occidental autoproclamé, un être qui s’est voulu l’égal des dieux de l’Olympe par la seule puissance de sa raison. Ce postulat, renforcé par les théories matérialistes péremptoires, a… évacué de la nouvelle pensée née sur le terreau occidental ce qu’on appelle la spiritualité ». « Coupé de l’intelligence de la vie, dont chacune et chacun de nous est une des créations, l’intégrisme de la pure raison a édifié et structuré un monde parallèle aujourd’hui en grande déconfiture ». En deux ou trois siècles la Modernité a peu à peu éradiqué tout ce qui n’était pas conforme à son modèle, pour ne faire valoir qu’un positivisme radical excluant la subjectivité, la sensibilité et l’intuition. C’est le règne de l’intellect analytique et de l’abstraction mentale tous azimuts. Le projet de la Modernité ne voit la réalité que d’une « manière fragmentaire et mécaniste, appelant une prolifération de spécialistes, ce qui est contraire à la vision unitaire et interdépendante qui est celle de l’écologie ». En tant que croyance, il fonctionne dans la conscience collective soustrait à toute critique, comme une évidence absolue, ce qui autorise un prosélytisme acharné. On pourrait faire le tour des dégâts collatéraux comme dans l’éducation. Dans le domaine culturel, cette pensée « s’est employée, sans y réussir tout à fait, à dépouiller les peuples de leurs convictions et expériences acquises par des voies subjectives ; qui, du point de vue d’un scientisme tyrannique, ne seraient qu’obscurantisme et superstition ».

    « Mais le délit suprême imputable à cette pensée régressive est d’avoir livré la beauté, la majesté de la vie et l’être humain lui-même à la vulgarité de la finance, et d’avoir instauré par son entremise un ordre universel dont ce que nous appelons la crise financière est l’un des effets ». Et c’est là que l’humanité a touché le fond. Le sens le plus Sacré de la vie profané par l’ignorance. « C’est sous l’inspiration d’une rationalité sans âme que s’est construit le monde actuel. Il est comme dépoétisé, propice à l’ennui et au désabusement. »

    Ainsi, « la concentration urbaine, qui ne cesse d’augmenter, semble restreindre l’espace de la créativité tangible, au profit d’une extension, d’une prolifération de concepts non validés par l’épreuve ou l’expérience, abstraction se révélant souvent chimériques ». Le génie du lieu où l’être humain vient s’épanouir, remplacé par l’ingénierie de l’espace où la première pensée va vers la circulation automobile. Un monde de plus en plus compartimenté et carcéral. Et le mot n’est pas trop fort. Pierre Rabhi aime évoquer l’itinéraire de êtres humains en ces termes : « de la maternelle jusqu’à l’université, ils vivent un enfermement. Le vocabulaire que nous employons au quotidien en est, sans que nous en ayons conscience, représentatif : certains d’entre nous se rendent dans des casernes, pendant que d’autres travaillent dans de petites ou grandes « boîtes ». Même pour nous divertir, nous allons en « boîte », et comment ? dans nos « caisses », bien sûr ! Il y a même les « boîte à vieux », avant que notre itinéraire ne s’achève, lui aussi, dans les boîtes ultimes ». « Qu’ils en soient conscient ou non, tout est exigu dans la vie des citadins… Cet univers quasi carcéral atteint son apothéose avec la prolifération des clés, serrures, codes d’entrée, caméras de surveillance, etc. Un tel climat de prévention, de suspicion ne peut évidemment produire que des toxines sociales exacerbant le sentiment d’insécurité en créant de véritables barricades, intérieures et extérieures ». Beaucoup de stress aussi et une forte consommation d’anxiolytiques.

    2) Faudra-t-il un jour construire un mur entre la cité des actifs, des plus nantis du système et de l’autre celle de la populace sans travail comme dans la série Trepalium ? Si on continue sur la logique actuelle c’est inévitable. Le comble, c’est que ce ne serait même pas une séparation entre une élite menant une existence « pleine de sens » et un peuple de gueux désœuvrés de force et voués au divertissement marginal dans le non-sens. Dans Trepalium le travail des nantis (les actifs) est aussi absurde que la vie des laissés pour compte (les zonards). Toujours en vertu de la même logique technocratique. En effet, « il est une claustration encore plus importante par son caractère insidieux et pernicieux. Elle concerne directement la psyché humaine et passe par le développement exponentiel des outils électroniques, informatiques, télématiques, etc. Leur influence est telle qu’on a l’impression qu’ils façonnent à leur usage, avec une efficacité extraordinaire les nouvelles générations ». Ce processus, s’il est détaché de la vie réelle et ne fait que suivre sa propre logique d’abstractions mentales, et il mène droit à un monde, ou le travail devient complètement vide, ressemblant à un jeu vidéo sur un écran, tandis que le loisir consiste encore à jouer dans le vide avec le mental dans des images sur un écran ou à bavarder sur les réseaux sociaux sur un écran. L’absurdité gagnant toute la société comme une maladie contagieuse. Au final ? Est-ce que l’homme en créant des outils virtuels, avec l’illusion qu’il les contrôle, sans que sa conscience soit plus élevée que ses outils, n’aurait pas « pour finalité de s’abolir lui-même ? Questions plus sérieuse qu’on n’imagine.» (texte)

    « L’accès à tout moment, à toute l’information est gage de liberté ? ». C’est ce que l’on dit. Mais dans un monde pareil « l’information que l’opinion peut tenir comme incontestable peut être aussi la pire désinformation. Tous les simulacres, toutes les mystifications étant possibles, il y a lieu de s’inquiété du sort du « « vrai » ». Dans l’hypermarché de l’information, tout et son contraire cohabitent dans une incroyable confusion. Le citoyen non seulement ne peut plus se faire une opinion, mais en plus il est implacablement poussé à ne plus raisonner que dans la dualité : « perdu dans le labyrinthe des « pour » et des « contre », des « pro » et des « anti » il doit choisir son camp. Vulgarité systémique. Et s’il a le malheur de hurler « où est l’issue ?», « où est la vérité ? » il y aura toujours un imbécile ou un cynique pour dire : « …mais qu’est-ce que la vérité ? » sous-entendant « à chacun la sienne »…

    D’où la nécessité dans ce monde d’excès en tous genres de faire la diète de l’information qui nous submerge et de s’accorder enfin un peu de silence. Jeûne purificateur et acte de sobriété des plus bénéfiques. L’intelligence a besoin du silence pour rester éveillée et limpide. Pierre Rabhi a le mot juste : « Aucun outil ne peut entamer notre intégrité s’il est maîtrisé par une conscience éveillée ». Et il faut d’urgence s’éveiller. C’est la tâche prioritaire.

    « Le temps n’est-il pas venu de sortir d’une fascination mortelle, assez proche d’un ensorcellement, pour admirer ce que la vie nous offre de vivant et renouer avec la sensibilité et l’intuition afin d’appréhender le message tangible de la réalité ? ». (texte)

    Que l’on retourne les choses en tous sens, on revient toujours à cette priorité : « La modération est certainement l’un des moyens qui peuvent permettre au génie humain d’être vraiment au service de l’humain et du vivant. Il est évident que jamais, dans toute l’histoire, il n’y eut un ordre aussi générateur de dépendance que la modernité. La prolifération des outils semble, en fait, avoir pour seul but de nous rendre la frénésie insupportable, alors qu’il serait impératif de la remettre en question comme l’anomalie majeure qu’elle est. Le temps en serait-il pas venu d’instaurer graduellement une existence où les rythmes et les cadences, les outils et les moyens seraient maîtrisés par une conscience individuelle et collective enfin libérée des illusions ? ». (textes)

    La meilleure manière de conclure cette partie, c’est encore de lire ce texte ramassé en quatrième de couverture : « J'avais 20 ans quand j'ai réalisé que la modernité n'était qu'une vaste imposture. Ce que nous appelons la modernité s’est organisée selon des principes qui en ont fait une idéologie à part entière avec ses dogmes, ses postulats, ses doctrines et ses credo. Prenant appui sur le miracle industriel avec la technologie et la science, cette idéologie a fondé un paradigme qui, sous l’invocation du progrès, a donné libre cours à toute activité lucrative sans aucune limitation. Le monde est perçu comme un gisement de ressources dont il faut s’emparer pour créer de la richesse monétaire. (...) Tandis que l’humanité continue de jouer son destin selon un scénario ambigu sur le théâtre du monde, le caractère sensible, fragile et limité de la biosphère n’a toujours pas été pris en compte. Les signes avant-coureurs d’une grande « révolte de la nature » d’une amplitude imprévisible menace l’avenir. Et voici la modernité face à une immense déconvenue. Non seulement le progrès pour tous se révèle n’avoir été qu’un mythe, un vœu pieu, mais les dommages qui en découlent pour l’humain et la nature constituent une combinatoire conduisant à l’enlisement voire à la finitude de notre histoire. Nous sommes pour la première fois et comme en un ultimatum, sommés de changer pour ne pas disparaître. Le changement ne peut se suffire de quelques aménagements de notre modèle d’existence erroné mais d’un changement de paradigme plaçant résolument, honnêtement, l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations ». (texte)

    C. Un changement de conscience pour une transformation du monde

    Venons maintenant au documentaire auquel nous avons emprunté le titre, En quête de sens. Il illustre à merveille l’itinéraire de la prise de conscience que nous venons de développer. La parole de Pierre Rabhi y occupe une bonne place, à côté notamment de Satish Kumar, Vandana Shiva sur la vision de l’économie de Gandhi. Le drame des milliers de suicides des paysans indiens devenu esclaves de l’agronomie industrielle est particulièrement douloureux, mais il ne fait que conformer ce que nous venons de montrer. Le paysan du Maghreb évoqué par Pierre Rabhi et le paysan Indien soutenu par Vandana Shiva, étaient les plus à même de résister aux sirènes de la société de consommation pour gagner une autonomie relative en vivant justement dans une sobriété heureuse. Mais la propagande du progrès a marché et ils se sont retrouvés tous deux dans les mâchoires d’un système économique démentiel. Quand partout sur la Terre des situations de ce genre se multiplient et que l’on voit dans quelle détresse l’humanité est enfermée, la première réaction est de penser à des alternatives viables en contre pied du système actuel.

    1) Parce qu’il procède d’une pensée fragmentaire et à court terme dans le profit, le système économique actuel génère mécaniquement de l’absurdité. Deux camions de tomates l’un de L’Espagne vers la Hollande et l’autre de la Hollande vers l’Espagne qui dans un accident se rentrent dedans en France. Les patates qui font 4000 km pour arriver à l’hypermarché, alors qu’on pourrait les obtenir dans le champ d’à côté. Des tonnes de pain jetées à la poubelle en Suisse quand non loin de là des êtres humains peinent à survivre. Un jeune africain fils de paysan, qui émigre en Espagne pour travailler dans des serres qui vont exporter des légumes dans son pays et ruiner sa famille etc. On peut continuer indéfiniment sur des pages et des pages ; ce n’est pas parce que nous ne voyons pas l’absurdité qui nous entoure qu’elle n’existe pas. Le fait de s’extraire de l’envoûtement dans l’illusion par la critique crée un certain décalage, mais doit aussi nous rendre un peu de bon sens, car c’est bien le bon sens que l’on perd dans toute cette insanité collective.

    Si nous voulons parer au plus pressé pour assurer des conditions de vie décentes aux plus défavorisés, il y a un certain nombre de principes qui s’imposent : D’abord renouer le contact avec la Nature, car tout part de là. Un être humain complètement coupé de la Nature est un névrosé sur pattes. Dans chaque école, comme cela existe au Bhoutan, enseigner aux enfants l’unité de la vie, le jardinage, le soin des plantes, le sens de la responsabilité de nos actes, tout ce qui est élémentaire à l’agrobiologie. Revaloriser le travail manuel artisanal à tous ceux qui en savent rien faire de leurs mains à part pianoter sur des téléphones portables. Apprendre à d’autres qui vivent dans des bidonvilles aux abords des cités surpeuplées qu’ils ont tout à gagner à reconquérir leur espace traditionnel. Au Brésil on a trouvé comment sortir de la violence des favelas par la promotion de l’agriculture urbaine. Il faut relocaliser l’économie, créer et produire au sein de la communauté à destination de la communauté. Aller en sens opposé de l’individualisme en favorisant l’échange et le lien social, l’économie sociale et solidaire. Réinventer la fonction de l’argent qui nourrit l’échange et pas le profit, penser l’argent en circuits courts avec la monnaie locale. Rechercher contre la dépendance du consommateur, l’autonomie alimentaire et l’autonomie énergétique. Ne jamais perdre de vue que l’interdépendance de fait de la vie ne veut pas du tout dire la dépendance. Etc.

    Pour ceux qui ne s’en rendent pas compte, cette transition est déjà en marche. Dans une floraison d’initiatives de la société civile. Quand on remet l’humain au cœur de la Nature et que l’on prend en compte son besoin d’autonomie, on rend à l’être humain de son pouvoir et que on fait honneur à sa dignité. La vie devient déjà nettement plus sensée.

    La clé est dans l’éducation qui est à l’heure actuelle dans un état de détérioration accélérée et par défaut orientée vers le marché. « Ce que tout le monde appelle « éducation » est une machine à fabriquer des soldats de la pseudo-économie, et non de futurs êtres humains accomplis, capables de penser, de critiquer, de créer, de maîtriser et de gérer leurs émotions, ainsi que e que nous appelons spiritualité ; « éduquer » peut alors se résumer à déformer pour formater et rendre conforme ».

    Pas étonnant ensuite, qu’il y ait un malaise grandissant dans cette jeunesse ; elle est condamnée au naufrage. On lui fait croire que le système allait la prendre en charge, on l’a déresponsabilisé au maximum, on a encouragé la tendance à la fuite dans le virtuel, le désintérêt généralisé pour motif de rigolade ; on l’a incité à surtout ne jamais penser, mais surtout à dépenser ; à se divertir plutôt qu’à s’investir, on lui a fait croire que sa dispersion sur Internet était une forme de culture, que ses potins sur les réseaux sociaux étaient une forme de communication, qu’elle était « trop tendance », alors qu’elle était vouée à n’être que la cible de toutes les manipulations publicitaires. Le résultat de ce lavage de cerveau continuel est qu’elle est complètement « blasée » ; elle se moque de tout et elle a un mal fou à se donner du sens dans le monde actuel, si bien que dans sa frustration, elle détourne sa colère et son ressentiment dans le rap, quand elle n’est pas tentée par l’extrémisme politique, la violence ou la guerre sainte. Normal. C’est la conséquence d’un nihilisme passif qui est déjà dans le système actuel.

    La question suggérée dans un autre documentaire « nos enfants nous accuserons » de savoir dans quel état nous laisserons la planète à nos enfants après nous est pertinente, mais comme le dit Pierre Rabhi, une autre question se pose en même temps : quels enfants laisserons-nous à la planète dans le désert de sens que nous avons préparé pour eux ?  Il faut donc commencer très tôt et offrir une vision nouvelle en rupture avec l’ancien paradigme. « Dans le nouveau paradigme, il faut être en priorité attentif à l’enfant, en développant une pédagogie de l’être qui permettent avant toute chose de le faire naître à lui-même, c’est-à-dire de l’aider à révéler sa personnalité unique, ses talents propres, pour répondre à la vocation que lui inspire sa présence au monde et à la société. C’est le doter d’une cohérence intérieure qui lui donnera le sentiment d’être à sa véritable place dans la diversité du monde ».

    Dans ce qui suit nous allons reprendre et commenter la Chartre internationale pour la Terre et l’humanisme de Pierre Rabhi.

     2) Dans le nouveau paradigme nous incarnons l’utopie. Dans un monde tel que le nôtre le mot a été dévitalisé sous les coups du défaitisme et du cynisme ambiant ; le défaitisme de ceux qui, vaincu par les pesanteurs de l’ancien paradigme se résigne à l’idée que rien ne peut être changé, ou ce cynisme de ceux qui décident de profiter de la résignation. Utopie devient alors synonyme d’illusion, ou de chimère, alors que son sens exact est plutôt la représentation d’un idéal, il faut aller jusqu’à dire l’ouverture d’un domaine de toutes possibilités. A partir du moment où nous avons une claire conscience des impasses où nous conduise le paradigme actuel, nous libérons la créativité pour « rendre possible ce que nous considérons comme impossible ». C’est dans les utopies d’aujourd’hui que vont naître des solutions pour demain.

- « La première utopie est à incarner en nous-même, car la mutation sociale ne se fera pas sans le changement des humains ». Il faut comprendre que le monde qui nous entoure est le reflet de notre monde intérieur, le reflet de nos représentations et de nos croyances ; et si l’être humain ne les modifie pas, s’il ne se développe pas en pleine liberté et en pleine conscience, il ne fait que reproduire dans le monde extérieur ses propres conditionnements. Encore la même chose sous une nouvelle forme. La véritable révolution commence à l’intérieur. Il faut de prime abord sortir de la confusion pour mener une existence sensée et ordonnée. Si l’on veut un monde plus humain, plus sensible, plus chaleureux, plus vivant, il faut en premier lieu développer la conscience. Pierre Rabhi l’a répété, il ne suffit pas de se mettre à manger bio et d’entrer dans les démarches de l’économie alternative, si l’on a pas changé sa manière d’être et de penser, sinon, le résultat inévitable, c’est que l’on va reproduire les mêmes structures qui sont à la base du système que l’on prétend remettre en cause.

- « Nous reconnaissons en la terre, bien commun de l’humanité, l’unique garante de notre vie et de notre survie ». En pleine conscience, nous nous engageons « à contribuer au respect de toute forme de vie et au bien-être et à l’accomplissement de tous les êtres humains ». « Nous considérons la beauté, la sobriété, l’équité, la gratitude, la compassion, la solidarité comme des valeurs indispensables à la construction d’une monde viable et vivable pour tous ». 

- « Nous considérons que le modèle dominant actuel n’est pas aménageable et qu’un changement de paradigme est indispensable. Il est urgent de placer l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations et de mettre tous nos moyens et compétence à leur service ». C’est une remarque de Vandana Shiva : c’est une grande naïveté de se propose comme idéal un « consumérisme vert » sans remettre en question l’idée même de consumérisme. Il faut songer en effet à toutes les récupérations du greenwashing qui s’approprie les idées nouvelles sans rien changer au paradigme dominant. C’est la faiblesse du concept de développement durable qui a souvent tendance à n’être qu’un « aménagement » du paradigme actuel.

- « La subordination du féminin à un monde masculin outrancier et violent demeure l’un des handicaps à l’évolution positive du genre humain. Les femmes sont plus enclines à protéger la vie qu’à la détruire. Il nous faut rendre hommage aux femmes, gardiennes de la vie, et écouter le féminin qui existe en chacun d’entre nous ». La direction féminine de la vie est une option sensée dans un monde largement fondé sur des valeurs excessivement masculines et pour ne pas dire sexistes. 

- « De toutes les activités humaines, l’agriculture est la plus indispensable, car aucun être humain ne peut se passer de nourriture. L’agroécologie que nous préconisons comme éthique de vie et technique agricole permet aux populations de regagner sur leur autonomie, leur sécurité et leur salubrité alimentaires, tout en régénérant et préservant leurs patrimoines nourriciers ». Sur cette question voir aussi le travail de Vandana Shiva sur les semences traditionnelles.

- « Face au toujours plus indéfini qui ruine la planète au profit d’une minorité, la sobriété est un choix conscient inspiré par la raison. Elle est un art et une éthique de vie, source de satisfaction et de bien-être profond » Elle représente un positionnement politique et un acte de résistance en faveur de la terre, du partage et de l’équité ».

- « Produire et consommer localement s’impose comme une nécessité absolue pour la sécurité des populations à l’égard de leurs besoins élémentaires et légitimes. Sans se fermer aux échanges complémentaires, les territoires deviendraient alors des berceaux autonomes valorisant et soignant leurs ressources locales. Agriculture à taille humaine, artisanat, petits commerces, etc. devraient être réhabilités afin que le maximum de citoyens puissent redevenir acteurs de l’économie ».

- « Nous souhaitons de toute notre raison et de tout notre cœur une éducation qui ne se fonde pas sur l’angoisse de l’échec mais sur l’enthousiasme d’apprendre. Qui abolisse le « chacun pour soi » pour exalter la puissance de la solidarité de la complémentarité. Qui mette les talents de chacun au service de tous. Une éducation qui équilibre l’ouverture de l’esprit aux connaissances abstraites avec l’intelligence des mains et la créativité concrète. Qui relie l’enfant à la nature, à laquelle il doit et devra toujours sa survie, et qui l’éveille à la beauté, et à sa responsabilité à l’égard de la vie. Car tout cela est essentiel à l’élévation de sa conscience ».

    Nous n’existons pas de manière séparée. S’il y a bien une illusion majeure et qui en entraîne une pléiade à sa suite c’est bien la croyance dans l’existence séparée.  Si l’écologie est à même de nous renouer au sens de la vie, c’est justement en démontrant que partout dans la nature interdépendance et coopération prévalent sur cette étrange abstraction qu’est la volonté de se séparer et d’exister à part qui donne sa substance à l’individualisme. Le conditionnement que nous avons reçu dans le modèle actuel dans la pensée fragmentaire se réplique dans des structures qui sont en totale contradiction avec la vie. La Nature n’est pas faite de choses, de formes, d’événement, de fragments d’histoires disjoints et distincts les uns des autres, car tout est lié, elle œuvre dans la Totalité. La nature et l’humanité sont fondamentalement interconnectés dans la trame de la vie. C’est au comble de l’ignorance que l’on en vient à croire qu’il y a même une réalité objective de l’histoire pouvant être séparée de la conscience.

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    Nous venons de voir qu’il y a de facto un sens ou mieux un substitut de sens à l’intérieur du capitalisme, de quoi procurer des raisons de vivre par défaut. On est jeté dedans dès le berceau ; il est déjà livré avec l’eau minérale, le biberon, le lait en poudre et les couche culottes (de marque).  Personne ne naît au monde dans l’hypothèse de la cire vierge de tout sens des empiristes. Dit autrement, dans le registre du relationnel, on est même les autres avant que d’être soi, on est consommateur avant que d’être citoyen et citoyen avant d’être écocitoyen intelligent et responsable. Le substitut de sens qu’offre le consumérisme ne peut pas faire sens très longtemps, il n’est même pas capable de procurer des raisons de vivre que nous puissions revendiquer à titre de valeur. Il est spirituellement complètement vide au sens d’une sorte de trou à l’intérieur de soi, d’un manque de soi, d’un manque de contact avec la Plénitude de la vie. Le consumérisme n’est pas et n’a jamais été une forme de culture. Parler de « culture pub » c’est se moquer du monde. Mais le plus grave, c’est que ce substitut de sens est un camouflage qui dissimule une prédation frénétique de la nature et une exploitation de l’homme par l’homme.

    La génération nouvelle qui s’est engagée dans les alternatives inspirées par la vision écologique du monde n’est pas dupe. Elle est plus éveillée. Cela ne veut pas dire qu’elle n’ait aucune difficulté à construire un projet qui tienne la route. Nous sommes au temps des utopies, mais la voie est dégagée, nous sommes en train de relier nos initiatives dans le collectif humain, nous sommes en train de nous au sens de la vie au sein de la Totalité et c’est très nouveau.

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  © Philosophie et spiritualité, 2016, Serge Carfantan,
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