Leçon. 272.   Une théologie de l’illusion cosmique    

     Lorsque d’ordinaire nous invoquons la « réalité », il s’agit en tout et pour tout d’une interprétation au mieux collective, qui porte sur notre expérience humaine à l’état de veille. C’est la seule manière de poser un consensus valable sur l’idée même de « réalité ».

    Si nous enlevons le mot « interprétation », nous retombons sur l’idée naïve selon laquelle nos croyances en général sur ce que nous percevons serait la réalité. Personne ne peut sérieusement adhérer à ce genre De la religion à la spiritualitéd’hypothèse. Un peu de lucidité nous oblige à reconnaître que les êtres humains pensent le monde qu’ils perçoivent à travers les lunettes de leurs croyances. Le mental est affamé de cohérence, il cherche sans arrêt à compléter une perception fragmentaire avec des représentations satisfaisantes.

    Si nous enlevons le mot « collective », nous allons être pointé du doigt par les scientifiques. Ils nous ont appris à ne pas faire confiance à ce qui est « subjectif », mais seulement à ce qui relève d’une donnée « objective ». Mais pour y parvenir, nous devons tout de même accepter le critère d’un consensus autour d’une expérience en commun. Sans quoi il n’y aura pas la moindre vérité scientifique dans quelque domaine que ce soit. La possibilité pour le chercheur de refaire une expérimentation, de la rendre renouvelable est une garantie que les résultats ne sont pas seulement les lubies d’un esprit imaginatif, mais qu’ils correspondent bien à des faits « réels ».

    Reste l’expression « à l’état de veille ». Husserl en a pris note dans certains textes, mais le plus souvent, nous n’y faisons pas du tout attention. Cependant, personne ne prend au pour réelles les divagations d’un rêveur. Nous n’accordons de crédit qu’au témoignage de la vigilance et en lui ajoutant en plus toutes sortes de précautions pour éviter les tromperies.

    Nous présupposons que la « réalité » ______________

    Maintenant, s'il y a lieu de parler d’illusion métaphysique, c’est en incluant la totalité des données de l’état de veille. Ce qui veut toute l’expérience empirique et toute l’expérimentation, l’observation,... bref tout ce que nous croyons réel à partir du témoignage de l'expérience, nos instruments de mesure sont une extension de nos organes des sens qui nous permettent de rester dans le cadre d’une expérience possible. Mais alors de quel point de vue se placer pour discuter l'illusion du monde si ce n'est la science? Est-ce à la théologie de décider si le monde est réel ou bien une illusion?

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A. La question théologique et la Création

    Les hommes ont toujours su reconnaître que dans l’état de rêve, le sujet est à même de manifester son propre monde. De manière très étrange, sans le savoir, le rêveur est l’acteur, le scénariste et l’histoire de son propre spectacle. En lui se développe la trame de l’espace-temps-causalité qui lui permet de vivre une aventure qui semble intensément réelle. Mais comparée à la veille, ce n’est qu’une illusion. Le rêveur est le créateur de son rêve, mais il ne le sait pas. En même temps, les êtres humains toujours maintenu une attitude ambiguë au sujet du rêve. Nous n’avons pas de difficulté à reconnaître que les aventures oniriques sont des illusions projetées, mais nos rêves sont parfois si vivants en comparaison de nos vies si difficiles, que nous serions tentés de rêver notre vie plutôt que de la vivre. Nous ne pouvons voir dans le monde de l’état de veille une illusion, nous lui accordons une réalité bien supérieure, voyant dans le rêve une parodie plus ou moins délirante de la veille. Parfois à regret quand il est agréable, quelquefois dans un sentiment de délivrance quand il il tourne au cauchemar. Or, à partir du moment où nous admettons massivement l’existence du monde, il faut bien rendre compte de son apparition. Comment ? Pendant des millénaires, l’homme s’est tourné vers la religion, pour en élucider le problème avec une doctrine de la Création.

    1) C’était une outrecuidance insupportable que de supposer que l’esprit humain pouvait à lui seul créer l’espace-temps-causalité, le monde dit « réel » et le peupler, de personnes, d’êtres vivants, d’objets et d’évènements etc. qui auraient été ses propres créations. Nous devions plutôt admettre que nous n’étions que minuscules poussières dans un univers nous dépassant de toute part qui était l’œuvre du Créateur. Il était facile de supposer que l’aventure humaine, comme tous les événements de notre vie advenait malgré nous. On ne choisissait pas de naître humain, en tel lieu ou à telle époque, on ne choisissait ni la couleur de sa peau, ni la vigueur du son corps ou ses maladies, par plus que les circonstances de la vie.

      

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  © Philosophie et spiritualité, 2016, Serge Carfantan,
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