Il est
temps d’examiner une question qui est revenue sur le tapis à plusieurs
reprises dans nos recherches. Dès le début de la leçon consacrée à l’hypothèse de l’inconscient nous faisions remarquer
que les « découvertes » de Freud n’étaient originales que dans un
contexte occidental. Ce que C. G. Jung a très bien compris en examinant
les Tantras
de l’Inde dans lesquels la théorie de la sexualité trouvait naturellement sa
place dans la description d’un des centres psychiques, ou chakras en bas
de la colonne vertébrale. En présentant la théorie de
Maslow nous sommes encore retombés sur la question des centres psychiques.
Il ne manque pas d’articles publiés pour aller jusqu’à carrément soutenir que
la hiérarchie de
Maslow est un « plagiat » de la représentation du Kundalini
yoga. C’est excessif, Maslow s’est tout de même fondé sur des
études de cas. N’empêche, que pour
qui
connaît ne serait-ce qu’un peu l’ancien système du yoga, les
rapprochements avec la « pyramide » de Maslow
sont on ne peut plus évidents. Avec Ken Wilber,
il n’y avait plus aucun doute, il en parle assez souvent et on peut dire que
c’est quasiment le fil conducteur de son idée de constitution d’une psychologie intégrale.
Donc il va
bien falloir y venir. La difficulté pour présenter cette question au public
occidental tient à un certain nombre de préjugés. Au refus systématique de
prendre en compte les données de la spiritualité
indienne et ce qu’elle pourrait nous apporter. C’est un tabou universitaire
très frenchy. Ce genre de limitation n’existe pas outre-atlantique où
quantité de thèses universitaires ont été publiées sur la pensée indienne, sur
Krisnamurti par exemple. En France c’est la croix et la bannière pour dénicher
un spécialiste qui accepte de parrainer ce genre de travail. Autre difficulté
dans le même registre : le sujet sera étiqueté « la théorie hindoue
des chakras » ! Manière de conduire un vrai détournement de sens,
pour faire passer la chose sous l’angle des « croyances », alors
qu’il est question de la structure psychique de l’être humain. De
tous les êtres humains. Il se trouve que cela fait des millénaires que cette
exploration a été conduite en Inde de manière très expérimentale. Ce qui
n’a rien à voir avec un quelconque credo. Le Yoga est un des six
systèmes de philosophie classique mais son optique est tournée vers l’expérience
directe de la conscience. La question des centres psychiques de l’être
humain est très documentée et quiconque pratique le Yoga peut aller vérifier
par lui-même. En fait la seule objection valable serait que cette approche
requiert une grande pratique et une discipline de vie hors pair pour que la perception
subtile soit dégagée. Mais rien ne nous interdit de déployer la
théorie. Donc, allons-y gaiement, que
représentent les sept centres psychiques de l’être humain ?
* *
*
Le mot chakras
signifie roue en sanskrit ; comme pour tous les termes techniques, il
existe un usage subtil qui est ésotérique qui relève
de l’expérience intérieure et un usage grossier et exotérique où le terme est
déplacé vers le domaine empirique. Ainsi le mot désigne tout à la fois un
centre psychique et un symbole de pouvoir politique. Nous avons déjà fait cette
remarque au sujet du mot « pouvoir ». Ce
qui nous intéresse c’est évidemment le sens subtil qui a un étroit rapport avec
le prâna, l’Énergie qui circule dans le corps. Les Chinois disent
le Chi. ... sept centres énergétiques du bas de la colonne au
sommet du crâne ainsi que d’autres secondaires. Ma
Ananda Moyi, une très célèbre mystique indienne, les décrivait très
exactement. Elle n’avait rien lu sur le sujet (elle ne savait qu’à peine lire
et
écrire). C’est aussi le cas de beaucoup de ceux qui ont approfondi les
techniques de pranayama (souffle) du raja-yoga. Il est bon
de garder à l’esprit que la clarification d’un tel sujet est expérimentale,
elle n’est pas d’abord un sujet d’érudition, ou en second lieu à partir de la
pratique. Il faut même ajouter que le bricolage n’est pas de mise, cette
exploration n’est pas sans danger et nécessite le suivi d’un maître
compétent, car elle touche à une énergie extrêmement puissante. Shri Aurobindo
mettait en garde ses disciples. Il préférait favoriser la descente
de l’énergie depuis le septième centre, le sahasrâra vers le bas que la
méthode tantrique de la libération de la montée de la kundalini
à partir du centre du bas. Bien plus risquée. On consultera sur le sujet le
livre célèbre d’Arthur Avalon La Puissance du Serpent. Si on part
du bas vers le haut, voici brièvement ce que donne la description
traditionnelle :
- Le premier centre du bas est appelé muladhara, il est
localisé dans le sacrum. Muladhara est relié à prithivi
l’élément Terre. La tradition du yoga relie muladhara
au métabolisme, au système lymphatique, à la vessie et aux glandes surrénales.
Nous pouvons sentir la présence de ce centre psychique dans certaines
circonstances, sous la forme d’un resserrement douloureux lié à l’empathie avec la misère extrême. Par exemple,
si vous êtes particulièrement sensitif et que vous êtes confronté à
des
lieux, à des personnes, plongés dans une grande détresse matérielle, vous
pouvez éprouver une sensation dans ce point particulier du corps. Observons
que, comme dans la tradition du Yoga, nous disons « le fondement »
pour désigner ce point. Maslow situe en bas de sa hiérarchie
les
besoins qui
ont trait à la survie physique, l’instinct primordial qui nous attache à la
vie. Thème explicite dans les Yoga-sutras, l’attachement à la vie, abhinivesha
est extrêmement puissant et peut en tant que telle être décrit comme un aspect
de l’inconscient très élémentaire. prépersonnel. On
peut caser ici tout ce qui relève de la psychologie du survivalisme à la
mode ces temps-ci : le comportement primal de survie, l’autoconservation, la
protection archaïque d’un territoire et la forme de conscience primitive qui
lui est associée. Muladhara est le siège du besoin
d’assurance matérielle, de conscience du monde terrestre que nous portons en
nous. Muladhara c’est notre enracinement dans la Terre. C’est par lui
qu’est renforcé tout ce qui est considéré comme «sécurisant
» dans le domaine de la matière : la maison, le travail, l’argent. Équilibré et
ouvert, Muladhara donne l’expérience de la force physique, de la
confiance, de l’assurance et de la stabilité intérieure. La paix
de celui qui est très « posé ».
- Le second
centre est appelé Svādhiṣṭhāna, il est
localisé dans le coccyx et associé à âpas, l’élément Eau. Il est lié aux organes sexuels, il régit l’activité des
ovaires et des testicules, mais en dépendent aussi les intestins et le système
immunitaire. Les Tantras ont développé un étude complète de l’énergie
sexuelle. Souvenons-nous que dans sa présentation, Maslow passe
effectivement à ce degré
évoquant « les besoins en rapport avec la sexualité»,
disant qu’une vie active, .... font partie de l’équilibre de l’être humain. Freud avant lui avait commencé par une théorie du
refoulement pour en venir à une théorie de la sexualité. Nous dirions une psychologie de « niveau 2 ». Les freudiens
se sont évidemment intéressés à la correspondance entre leurs thèses et le plan
du psychisme décrit dans les Tantras. Cette voie est
dite de
« main gauche » en Inde, distingué de la voie plus orthodoxe de
« main droite » qui préfère ne pas entrer dans ce travail très
difficile de par son ambiguïté même. On sait depuis des lustres que la
sexualité mobilise une énergie puissante qui requiert un très grand contrôle.
Cette connaissance détaillée, réhabilitée dans sa dimension spirituelle, a
permis à la culture indienne de ne pas
dévaluer la sexualité et de découvrir son sens Sacré.
Pas en théorie. Pas dans des mythe ou dans une littérature. Non. De manière expérimentale,
sur le plan énergétique. Il y a ici une logique qui nous fait défaut en
Occident dans l’appréhension globale de la conscience humaine. Nous avons vécu
sur une longue tradition du refoulement de la sexualité, ...Si nous nous
plaçons dans une culture traditionnelle où depuis des millénaires la structure
énergétique de l’être humain a été reconnue, la question ne se pose plus de la
même façon. Pourquoi nier ce qui fait partie de l’architecture subtile de
l’être humain ? N’est-il pas alors préférable, comme dit Nietzsche, de
« sublimer, de diviniser le Désir ? »
C’est bien ce que nous observons dans plusieurs cultures anciennes. Les
freudiens se sont empressés de montrer que l’énergie vitale, qu’ils nomment la libido, est sexuelle. C’est juste, mais
en partie seulement, les Tantras confirment ce point de vue, pour ce qui
est de ce centre en particulier. Il y a bien un niveau de l’inconscient qui est relié à la sexualité.
L’erreur du pansexualisme serait
de ne fonder sa description psychologique que sur un seul des vortex
énergétiques en ignorant les autres. Inutile ici d’évoquer l’expérience, elle
est partout étalée dans nos magazines ; il est tout à fait exact que l’orgasme
a une dimension spirituelle, il est directement en rapport avec Svādhiṣṭhāna qui
s’ouvre dans l’union amoureuse. Si nous voulons vraiment savoir ce qu’est la
dimension spirituelle de la sexualité, il est indispensable de comprendre
comment circule l’énergie dans le corps. Svādhiṣṭhāna éveille
la sensualité, l’ardeur généreuse comme dirait Platon, le désir. De manière
très logique, Maslow l’a compris, dès que la sécurité du premier chakra est
assurée, l’être humain se relève et prend conscience du désir. L’ouverture de Svādhiṣṭhāna
offre le sens premier de la relation. C’est bien entendu aussi la
génération, par suite de la famille ; mais aussi, les prémisses de la
créativité, l’imagination, le sens de la courtoisie dans la relation, comme
celui de la patience et l’accueil.
-
Le troisième centre psychique est maṇipūra,
localisé dans le plexus solaire, au dessus du nombril et associé à agni,
l’élément Feu. Il est relié au système digestif, au pancréas, au foie à la
vésicule biliaire. L’âyur-veda, l’ancienne médecine indienne, en corrélation
étroite avec cette description, insiste sur l’importance du feu digestif
et recommande l’adjonction chez les personnes qui ont un « agni
faible », de compléments alimentaires qui réchauffent la digestion.
Sur le plan psychologique, ce que retiennent les textes traditionnels ;
c’est, dans l’équilibre, le côté chaleureux du plexus solaire,
l’envol de la volonté pour entreprendre, l’élan qui porte à aider, le
sang-froid des personnes qui ont une vitalité maîtrisée, l’énergie
débordante ; mais attention, dans le déséquilibre, c’est aussi la passion brûlante et le feu de la colère,
l’emportement du pouvoir personnel, de l’autorité
imposée, le besoin impératif de régner dans une sphère d’influence, appuyée sur
une identité sociale affirmée.
L’incapacité de maîtriser l’émotionnel.
L’expérience de maṇipūra est
relativement fréquente, tout le monde a éprouvé à un moment ou un autre la
chaleur dans le plexus solaire.
- Le quatrième
centre psychique est Anahata, localisé dans la poitrine au niveau
du cœur, le
sternum
et associé à vâyu, l’élément Vent.
Il est en lien étroit avec le système circulatoire, les poumons et le thymus.
Dans l’équilibre, c’est le siège de l’amour
inconditionnel, de l’ouverture du pardon, de la
compassion, de l’aptitude à comprendre autrui, l’énergie de la dévotion, de la
joie, mais aussi des sentiments, comme l’acceptation pleine et entière de soi
et de l’autre. Mais dans le déséquilibre, c’est aussi tout ce qui relève d’un
resserrement du cœur, le processus de l’isolement, la
difficulté à vivre en société, voire le fait de se sentir vidé de toute énergie
quand on est en situation promiscuité, le sentiment permanent d’être incompris,
la difficulté de s’accepter soi-même. Sans le savoir, beaucoup d’êtres humains
en font l’expérience directe, autant dans l’ouverture désintéressée, que dans
la fermeture qui met mal à l’aise dans la relation.
- Le cinquième
centre psychique est Vishuddha, localisé au niveau de la
gorge, entre la pomme d’Adam et la fosse jugulaire. Il est associé à l’Ākāśa,
l’Élément Éther (présent chez les philosophes de la Nature Grecs, chez Hippocrate
et Aristote). Il est relié au système respiratoire et au fonctionnement de la
glande thyroïde. Sur le plan psychologique, il est inséparable de la parole et
de l’écoute : Il joue dans le registre du Verbe. Il
donne à la parole la disponibilité, le dialogue ouvert sans inquiétude ni
timidité. – Se souvenir que l’Ākāśa porte le son et la mémoire-. Vishuddha
permet l’expression libre de la parole, l’éloquence dans la communication,
l’inspiration des beaux discours comme dirait Platon. Mais aussi : la voix
de la sagesse, de la confiance, de l’intégrité, le sens de la véracité éprouvée au cœur de la parole, celui
de la liberté de parole et le sens de l’indépendance, le fait d’écouter et de
suivre son intuition. Dit autrement, le sentiment d’être sensible à la voix
intérieure, le daimon socratique qui nous guide. Ce qui suppose la capacité
de mettre le mental en silence. Mais c’est aussi dans le déséquilibre,
l’inaptitude à verbaliser ses émotions pour les évacuer, la difficulté à
transmettre une pensée, le fait de constamment revenir sur ce qui a été dit et
de regretter, le besoin de contrôler autrui à tout prix. De monopoliser la
parole, de mentir et de chercher des
excuses. On reconnaît maṇipūra dans
l’expérience de la « gorge nouée », ou des "gorges chaudes"
de l’éloquence.
- Le sixième
centre est Ajna, localisé entre les sourcils et appelé
familièrement troisième œil. Il est associé à manas, l'esprit,
il soutient la vue, est en lien avec l’hypophyse, le système nerveux, il est le
siège naturel de l'intuition, (le côté gauche du cerveau), de la lucidité, de
la clarté de la perception, de l’intuition. Nous avons suffisamment insisté
dans le cours sur la liaison entre le voir
et la lucidité. Ajna est
nettement corrélé non avec l’intellect et
sa capacité de disséquer le réel, mais avec l’intelligence
comme
capacité de relier et de synthétiser. Aurobindo dit le mental supérieur,
ou le mental intuitif, pour autant qu’il va au-delà de la raison et
qu’il tend vers l’essence spirituelle, notre véritable nature. Le sens intuitif
de la reconnexion avec Soi. C’est là que se tient l’inspiration de l’artiste, la vision du poète, la clairvoyance d’une vision
intérieure. Dans le déséquilibre on trouvera tous aspects de la cécité de
l’intelligence, l’existence évidée de toute intuition vivante: aucun sens de
l’orientation, une humeur maussade, le sentiment que la vie est triste et vide de sens, l’absence de confiance
en soi, l’égarement et l’absence de but,
une pensée confuse et l’incapacité de
rassembler son attention. La
mention a souvent été faire d’expériences verticales dans lesquelles une très
nette ouverture est expérimentée au milieu du front, avec une dégagement
d’énergie assez considérable. L’effort ajouté à l’attention donne la
concentration… mais avec un pli au milieu du front. Les sages inversement ont
souvent le front lisse.
- Le septième
c....
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Questions:
1.
Ne trouve-t-on pas dans le langage ordinaire des des expressions communes
associés aux centres psychique? Exemple : "Avoir la gorge
nouée". Chercher.
2.
Idem, ne peut-on relever dans formes d'expériences qui implicitement relèvent
des centres psychiques? Chercher.
3.
Quelles son les incidences qu'une telle doctrine pourrait avoir sur la
psychologie?
4.
Faire une recherche sur la symbolique du premier centre, en relation avec la
psychologie transpersonnelle.
5.
Faire une recherche sur la symbolique du second centre en relation avec la
doctrine de Freud.
6.
Mettre en correspondance ce qui est dit ici du troisième centre et la doctrine
platonicienne tripartite de l'âme.
7.
Rechercher dans la mystique des éléments en relation directe avec le septième
centre psychique.
© Philosophie et
spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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