Leçon 246.   Sept centres psychiques   

    Il est  temps d’examiner une question qui est revenue sur le tapis à plusieurs reprises dans nos recherches. Dès le début de la leçon consacrée à l’hypothèse de l’inconscient nous faisions remarquer que les « découvertes » de Freud n’étaient originales que dans un contexte occidental. Ce que C. G. Jung a très bien compris en examinant les Tantras de l’Inde dans lesquels la théorie de la sexualité trouvait naturellement sa place dans la description d’un des centres psychiques, ou chakras en bas de la colonne vertébrale. En présentant la théorie de Maslow nous sommes encore retombés sur la question des centres psychiques. Il ne manque pas d’articles publiés pour aller jusqu’à carrément soutenir que la hiérarchie de Maslow est un « plagiat » de la représentation du Kundalini yoga. C’est excessif, Maslow s’est tout de même fondé sur des études de cas. N’empêche, que pour qui connaît ne serait-ce qu’un peu l’ancien système du yoga, les rapprochements avec la « pyramide » de Maslow sont on ne peut plus évidents. Avec Ken Wilber, il n’y avait plus aucun doute, il en parle assez souvent et on peut dire que c’est quasiment le fil conducteur de son idée de constitution d’une psychologie intégrale.

    Donc il va bien falloir y venir. La difficulté pour présenter cette question au public occidental tient à un certain nombre de préjugés. Au refus systématique de prendre en compte les données de la spiritualité indienne et ce qu’elle pourrait nous apporter. C’est un tabou universitaire très frenchy. Ce genre de limitation n’existe pas outre-atlantique où quantité de thèses universitaires ont été publiées sur la pensée indienne, sur Krisnamurti par exemple. En France c’est la croix et la bannière pour dénicher un spécialiste qui accepte de parrainer ce genre de travail. Autre difficulté dans le même registre : le sujet sera étiqueté « la théorie hindoue des chakras » ! Manière de conduire un vrai détournement de sens, pour faire passer la chose sous l’angle des « croyances », alors qu’il est question de la structure psychique de l’être humain. De tous les êtres humains. Il se trouve que cela fait des millénaires que cette exploration a été conduite en Inde de manière très expérimentale. Ce qui n’a rien à voir avec un quelconque credo. Le Yoga est un des six systèmes de philosophie classique mais son optique est tournée vers l’expérience directe de la conscience. La question des centres psychiques de l’être humain est très documentée et quiconque pratique le Yoga peut aller vérifier par lui-même. En fait la seule objection valable serait que cette approche requiert une grande pratique et une discipline de vie hors pair pour que la perception subtile soit dégagée. Mais rien ne nous interdit de déployer la théorie. Donc, allons-y gaiement,  que représentent les sept centres psychiques de l’être humain ?

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A. Une architecture subtile

    Le mot chakras signifie roue en sanskrit ; comme pour tous les termes techniques, il existe un usage subtil qui est ésotérique qui relève de l’expérience intérieure et un usage grossier et exotérique où le terme est déplacé vers le domaine empirique. Ainsi le mot désigne tout à la fois un centre psychique et un symbole de pouvoir politique. Nous avons déjà fait cette remarque au sujet du mot « pouvoir ». Ce qui nous intéresse c’est évidemment le sens subtil qui a un étroit rapport avec le prâna, l’Énergie qui circule dans le corps. Les Chinois disent le Chi. ... sept centres énergétiques du bas de la colonne au sommet du crâne ainsi que d’autres secondaires. Ma Ananda Moyi, une très célèbre mystique indienne, les décrivait très exactement. Elle n’avait rien lu sur le sujet (elle ne savait qu’à peine lire et écrire). C’est aussi le cas de beaucoup de ceux qui ont approfondi les techniques de pranayama (souffle) du raja-yoga. Il est bon de garder à l’esprit que la clarification d’un tel sujet est expérimentale, elle n’est pas d’abord un sujet d’érudition, ou en second lieu à partir de la pratique. Il faut même ajouter que le bricolage n’est pas de mise, cette exploration n’est pas sans danger et nécessite le suivi d’un maître compétent, car elle touche à une énergie extrêmement puissante. Shri Aurobindo mettait en garde ses disciples. Il préférait favoriser la descente de l’énergie depuis le septième centre, le sahasrâra vers le bas que la méthode tantrique de la libération de la montée de la kundalini à partir du centre du bas. Bien plus risquée. On consultera sur le sujet le livre célèbre d’Arthur Avalon La Puissance du Serpent. Si on part du bas vers le haut, voici brièvement ce que donne la description traditionnelle :

- Le premier centre du bas est appelé muladhara, il est localisé dans le sacrum. Muladhara est relié à prithivi l’élément Terre. La tradition du yoga relie muladhara au métabolisme, au système lymphatique, à la vessie et aux glandes surrénales. Nous pouvons sentir la présence de ce centre psychique dans certaines circonstances, sous la forme d’un resserrement douloureux lié à l’empathie avec la misère extrême. Par exemple, si vous êtes particulièrement sensitif et que vous êtes confronté à des lieux, à des personnes, plongés dans une grande détresse matérielle, vous pouvez éprouver une sensation dans ce point particulier du corps. Observons que, comme dans la tradition du Yoga, nous disons « le fondement » pour désigner ce point. Maslow situe en bas de sa hiérarchie les besoins qui ont trait à la survie physique, l’instinct primordial qui nous attache à la vie. Thème explicite dans les Yoga-sutras, l’attachement à la vie, abhinivesha est extrêmement puissant et peut en tant que telle être décrit comme un aspect de l’inconscient très élémentaire. prépersonnel. On peut caser ici tout ce qui relève de la psychologie du survivalisme à la mode ces temps-ci : le comportement primal de survie, l’autoconservation, la protection archaïque d’un territoire et la forme de conscience primitive qui lui est associée.  Muladhara  est le siège du besoin d’assurance matérielle, de conscience du monde terrestre que nous portons en nous. Muladhara c’est notre enracinement dans la Terre. C’est par lui qu’est renforcé tout ce qui est considéré comme «sécurisant » dans le domaine de la matière : la maison, le travail, l’argent. Équilibré et ouvert, Muladhara donne l’expérience de la force physique, de la confiance, de l’assurance et de la stabilité intérieure. La paix de celui qui est très « posé ».

- Le second centre est appelé Svādhiṣṭhāna, il est localisé dans le coccyx et associé à âpas, l’élément Eau. Il est lié aux organes sexuels, il régit l’activité des ovaires et des testicules, mais en dépendent aussi les intestins et le système immunitaire. Les Tantras ont développé un étude complète de l’énergie sexuelle. Souvenons-nous que dans sa présentation, Maslow passe effectivement à ce degré évoquant « les besoins en rapport avec la sexualité», disant qu’une vie active, .... font partie de l’équilibre de l’être humain. Freud avant lui avait commencé par une théorie du refoulement pour en venir à une théorie de la sexualité. Nous dirions une psychologie de « niveau 2 ». Les freudiens se sont évidemment intéressés à la correspondance entre leurs thèses et le plan du psychisme décrit dans les Tantras. Cette voie est dite de « main gauche » en Inde, distingué de la voie plus orthodoxe de « main droite » qui préfère ne pas entrer dans ce travail très difficile de par son ambiguïté même. On sait depuis des lustres que la sexualité mobilise une énergie puissante qui requiert un très grand contrôle. Cette connaissance détaillée, réhabilitée dans sa dimension spirituelle, a permis  à la culture indienne de ne pas dévaluer la sexualité et de découvrir son sens Sacré. Pas en théorie. Pas dans des mythe ou dans une littérature. Non. De manière expérimentale, sur le plan énergétique. Il y a ici une logique qui nous fait défaut en Occident dans l’appréhension globale de la conscience humaine. Nous avons vécu sur une longue tradition du refoulement de la sexualité, ...Si nous nous plaçons dans une culture traditionnelle où depuis des millénaires la structure énergétique de l’être humain a été reconnue, la question ne se pose plus de la même façon. Pourquoi nier ce qui fait partie de l’architecture subtile de l’être humain ? N’est-il pas alors préférable, comme dit Nietzsche, de « sublimer, de diviniser le Désir ? » C’est bien ce que nous observons dans plusieurs cultures anciennes. Les freudiens se sont empressés de montrer que l’énergie vitale, qu’ils nomment la libido, est sexuelle. C’est juste, mais en partie seulement, les Tantras confirment ce point de vue, pour ce qui est de ce centre en particulier. Il y a bien un niveau de l’inconscient qui est relié à la sexualité. L’erreur du pansexualisme serait de ne fonder sa description psychologique que sur un seul des vortex énergétiques en ignorant les autres. Inutile ici d’évoquer l’expérience, elle est partout étalée dans nos magazines ; il est tout à fait exact que l’orgasme a une dimension spirituelle, il est directement en rapport avec Svādhiṣṭhāna qui s’ouvre dans l’union amoureuse. Si nous voulons vraiment savoir ce qu’est la dimension spirituelle de la sexualité, il est indispensable de comprendre comment circule l’énergie dans le corps. Svādhiṣṭhāna éveille la sensualité, l’ardeur généreuse comme dirait Platon, le désir. De manière très logique, Maslow l’a compris, dès que la sécurité du premier chakra est assurée, l’être humain se relève et prend conscience du désir. L’ouverture de Svādhiṣṭhāna  offre le sens premier de la relation. C’est bien entendu aussi la génération, par suite de la famille ; mais aussi, les prémisses de la créativité, l’imagination, le sens de la courtoisie dans la relation, comme celui de la patience et l’accueil.

-  Le troisième centre psychique est maipūra, localisé dans le plexus solaire, au dessus du nombril et associé à agni, l’élément Feu. Il est relié au système digestif, au pancréas, au foie à la vésicule biliaire. L’âyur-veda, l’ancienne médecine indienne, en corrélation étroite avec cette description, insiste sur l’importance du feu digestif et recommande l’adjonction chez les personnes qui ont un « agni faible », de compléments alimentaires qui réchauffent la digestion. Sur le plan psychologique, ce que retiennent les textes traditionnels ;  c’est, dans l’équilibre, le côté chaleureux du plexus solaire, l’envol de la volonté pour entreprendre, l’élan qui porte à aider, le sang-froid des personnes qui ont une vitalité maîtrisée, l’énergie débordante ; mais attention, dans le déséquilibre, c’est aussi la passion brûlante et le feu de la colère, l’emportement du pouvoir personnel, de l’autorité imposée, le besoin impératif de régner dans une sphère d’influence, appuyée sur une identité sociale affirmée. L’incapacité de maîtriser l’émotionnel. L’expérience de maipūra  est relativement fréquente, tout le monde a éprouvé à un moment ou un autre la chaleur dans le plexus solaire.

- Le quatrième centre psychique est Anahata, localisé dans la poitrine au niveau du cœur, le sternum  et associé à vâyu, l’élément Vent. Il est en lien étroit avec le système circulatoire, les poumons et le thymus. Dans l’équilibre, c’est le siège de l’amour inconditionnel, de l’ouverture du pardon, de la compassion, de l’aptitude à comprendre autrui, l’énergie de la dévotion, de la joie, mais aussi des sentiments, comme l’acceptation pleine et entière de soi et de l’autre. Mais dans le déséquilibre, c’est aussi tout ce qui relève d’un resserrement du cœur, le processus de l’isolement, la difficulté à vivre en société, voire le fait de se sentir vidé de toute énergie quand on est en situation promiscuité, le sentiment permanent d’être incompris, la difficulté de s’accepter soi-même. Sans le savoir, beaucoup d’êtres humains en font l’expérience directe, autant dans l’ouverture désintéressée, que dans la fermeture qui met mal à l’aise dans la relation.

- Le cinquième centre psychique est  Vishuddha, localisé au niveau de la gorge, entre la pomme d’Adam et la fosse jugulaire. Il est associé à l’Ākāśa, l’Élément Éther (présent chez les philosophes de la Nature Grecs, chez Hippocrate et Aristote). Il est relié au système respiratoire et au fonctionnement de la glande thyroïde. Sur le plan psychologique, il est inséparable de la parole et de l’écoute : Il joue dans le registre du Verbe. Il donne à la parole la disponibilité, le dialogue ouvert sans inquiétude ni timidité. – Se souvenir que l’Ākāśa porte le son et la mémoire-. Vishuddha permet l’expression libre de la parole, l’éloquence dans la communication, l’inspiration des beaux discours comme dirait Platon. Mais aussi : la voix de la sagesse, de la confiance, de l’intégrité, le sens de la véracité éprouvée au cœur de la parole, celui de la liberté de parole et le sens de l’indépendance, le fait d’écouter et de suivre son intuition. Dit autrement, le sentiment d’être sensible à la voix intérieure, le daimon socratique qui nous guide. Ce qui suppose la capacité de mettre le mental en silence. Mais c’est aussi dans le déséquilibre, l’inaptitude à verbaliser ses émotions pour les évacuer, la difficulté à transmettre une pensée, le fait de constamment revenir sur ce qui a été dit et de regretter, le besoin de contrôler autrui à tout prix. De monopoliser la parole, de mentir et de chercher des excuses. On reconnaît  maipūra dans l’expérience de la « gorge nouée », ou des "gorges chaudes" de l’éloquence.

- Le sixième centre est Ajna, localisé entre les sourcils et appelé familièrement troisième œil. Il est associé à manas, l'esprit, il soutient la vue, est en lien avec l’hypophyse, le système nerveux, il est le siège naturel de l'intuition, (le côté gauche du cerveau), de la lucidité, de la clarté de la perception, de l’intuition. Nous avons suffisamment insisté dans le cours sur la liaison entre le voir et la lucidité. Ajna  est nettement corrélé non avec l’intellect et sa capacité de disséquer le réel, mais avec l’intelligence comme capacité de relier et de synthétiser. Aurobindo dit le mental supérieur, ou le mental intuitif, pour autant qu’il va au-delà de la raison et qu’il tend vers l’essence spirituelle, notre véritable nature. Le sens intuitif de la reconnexion avec Soi. C’est là que se tient l’inspiration de l’artiste, la vision du poète, la clairvoyance d’une vision intérieure. Dans le déséquilibre on trouvera tous aspects de la cécité de l’intelligence, l’existence évidée de toute intuition vivante: aucun sens de l’orientation, une humeur maussade, le sentiment que la vie est triste et vide de sens, l’absence de confiance en soi, l’égarement et l’absence de but, une pensée confuse et l’incapacité de rassembler son attention. La mention a souvent été faire d’expériences verticales dans lesquelles une très nette ouverture est expérimentée au milieu du front, avec une dégagement d’énergie assez considérable. L’effort ajouté à l’attention donne la concentration… mais avec un pli au milieu du front. Les sages inversement ont souvent le front lisse.

- Le septième centre est Sahasrāra., localisé au sommet du crâne, la fontanelle et associé à l’Esprit au sens énergétique, spanda, le plus élevé.  C’est la "colombe de l'esprit". Le « lotus à mille pétales ». Il est en relation avec la glande pinéale (épiphyse), le cerveau central et l’hémisphère droit.  Il peut être ressenti parfois sous la forme d’une vive chaleur au sommet de la tête. C’est là où culminent tous  les autres centres psychiques et où la conscience est sublimée. Il est particulièrement important car c’est par lui que la conscience fait l’expérience de ses dimensions les plus élevées. Il y a une relation étroite entre l’expérience permanente du Soi et Sahasrāra. Il y a une relation étroite entre les formes supérieures de conscience, l’ouverture de Sahasrāra, et la Conscience d’unité. C’est de l’ouverture de Sahasrāra  que vient l’expérience de la Plénitude de la Vie, l’expérience noétique de l’absence de séparation dans ce qui est, le sentiment ineffable de la présence du Divin. Parfois aussi  des visions. Aurobindo dit ici le contact direct avec le supramental. Une fermeture de Sahasrāra se traduit par une dépression traînante, des troubles nerveux, le manque de joie de vivre, un manque général d’énergie.

B. Des correspondances remarquables

    Nous avons proposé plus haut quelques comparaisons avec Maslow. Nous allons y revenir. Peut importe au fond de savoir si oui ou non Maslow est allé chercher ses idées dans la physiologie subtile de la tradition indienne. Ce qui est intéressant c’est de relier les fils conceptuels entre les descriptions. Nous ne sommes pas dans la physiologie du corps grossier, celle que l’on peut observer directement avec les organes des sens. Nous dirions avec Wilber que son étude est du quadrant SG, l’investigation de la subjectivité, et non le quadrant SD, qui porte sur l’investigation de l’objectivité. Maslow, comme Jung, a vécu une expérience transpersonnelle, une expérience du Soi. Une expérience de sommet peut-on dire. Il s’est mis en quête d’une reformulation de la psychologie fondée sur l’épanouissement de l’être humain. Il a d’abord utilisé l’expression « psychologie humaniste », mais l’a trouvé insuffisante pour englober le champ de l’expérience spirituelle. D’où le terme de psychologie transpersonnelle choisi, en accord avec Stanislas Grof, qui lui s’était investi dans la recherche sur les états supérieurs de conscience. Le projet transpersonnel devait nécessairement croiser de très anciennes connaissances sur la structure psychique de l’être humain.

    1) Rappelons quelques unes des idées de Maslow. Il affirme que les besoins du vital, s’ils ne sont pas satisfaits, mobilisent d’ordinaire toute l’attention du sujet. Pour l’homme affamé, le paradis est un lieu qui regorge d’une nourriture abondante ; mais s’il est satisfait, il peut passer à une autre idée du paradis, s’intéresser à un niveau plus élevé de besoins et déplacer son attention vers des désirs plus élevés. Et ainsi de suite. L’homme affamé est rivé au stade du 3ème chakra, tandis que les deux premiers correspondent aux besoins physiologiques. Quand Maslow évoque le besoin de sécurité, il pense immédiatement au développement psychologique de l’enfant qui a besoin d’une monde ordonné, prévisible d’un espace d’amour pour grandir. Que se passe-t-il si le climat d’affection est détruit ? L’enfant a besoin d’un monde dans lequel règnent des parents puissants qui le protègent. Les disputent, les accès de colère des parents, la violence, l’agressivité constante, les querelles ont un effet dévastateur sur sa conscience. Et là on est dans le domaine d’influence du 4ème chakra, celui du cœur au centre duquel réside le sentiment de sécurité. Maslow souligne longuement que lorsque les besoins élémentaires sont satisfaits, émergents les désirs relationnels, ceux qui permettent au sujet de se situer au sein d’un groupe. C’est exactement ce que représente le 5ème chakra, qui est corrélé à l’expression de la communication, à la verbalisation. Ensuite, Maslow développe par le menu la question de  l’estime de soi. Il s’agit de la gestion de l’image du moi. Il est évident que chacun d’entre nous a besoin du respect et nous traversons tous un période dans la vie où le désir de reconnaissance joue un grand rôle. Comme nous l’avons montré, il ne peut pas être entièrement séparé de la volonté de puissance. Qu’on le baptise comme ... n’y change rien. Ce sont toujours les mêmes structures psychologiques inchangées depuis des milliers d’années et ce sont des structures attenantes à l’ego lui-même. Pas étonnant donc que dans l’exposé de Maslow apparaissent ensuite les désirs ostentatoires de réputation, de prestige, de valorisation de sa propre importance personnelle. Le bon côté, c’est que la confiance dans sa propre valeur conduit au désir d’être utile dans le cours du monde. L’ego est invité au service. D’un autre côté, cette forme de l’ego, coulée dans le moule de la valeur personnelle, accepte mal le sentiment d’infériorité, les situations de faiblesse et d’impuissance. Ce qui est étroitement lié au 6ème chakra. Nous savons que l’ego est en souci de sa propre valeur,qu’il n’existe que par le mental pensant. Nous avons que la volonté de puissance de l’ego non contrôlée aboutit invariablement à la domination ; mais nous avons aussi vu que la frustration de la volonté de puissance, loin de saper l’affirmation de l’ego, conduit au développement d’une identité de victime, à la figure de l’impuissance et de la faiblesse. Et comme cette situation tourne en rond, comme une vie égotique est par nature faite de frustrations, il doit y avoir un moment ou le sujet se rend compte de l’inanité des désirs de l’ego et se met à la recherche d’une forme supérieure de conscience. De son véritable Soi. C’est ainsi que naît le chercheur spirituel. D’où le désir central d’accomplissement de soi. Et là bien sûr, nous sommes à l’étage du 7ème chakra. Le seul qui est à même d’intégrer la totalité de l’être en sublimant les qualités de chacun des niveaux précédents sans les nier. Et là où nous voyons vraiment que nous sommes dans l’universel, c’est que Maslow, à la lumière de sa propre expérience, a très bien compris que le plan spirituel est très paradoxal : il est possible de parler d’une « devenir » de l’être humain en développement, mais simultanément le Soi n’est pas dans le devenir, mais dans l’Être. Le Soi n’est pas dans le temps, mais dans la Présence ici et maintenant. Il est possible de faire l’expérience de l’unité de l’âme avec l’univers, mais pas de la communiquer par le mental. Et ainsi de suite, les mots se tirent la langue car l’expérience spirituelle dépasse la dualité. Maslow, pour tenter d’aller le plus loin possible, finit par dire que l’homme accompli, en contemplant le monde, devient conscient des Idées, des Valeurs. Pour citer un passage de L’Accomplissement de soi :

« La perception et la contemplation des valeurs ultimes deviennent les mêmes que la contemplation de la nature du monde. Chercher la vérité peut être semblable à chercher la beauté, l’ordre, l’unité, la perfection, la droiture. La science alors devient-elle distincte de l’art? De l’amour ? De la religion ? De la philosophie ? Une découverte scientifique de base à propos de la nature de la réalité est-elle aussi une affirmation spirituelle ou axiologique ?... J’ai émis l’hypothèse ailleurs que le besoin et l’utilité d’être conscient qu’il y a une hiérarchie des plaisirs, depuis par exemple le soulagement de la douleur, en passant par le plaisir d’un bon bain chaud, la joie d’être avec de bons amis, le plaisir que procure de la grande musique, le bonheur d’avoir un enfant, l’extase d’expériences d’un Amour supérieur, jusqu’à la fusion avec les Hautes Valeurs….Ces Hautes Valeurs, vues comme des satisfactions ou des méta-besoins, sont également les plaisirs ou les bonheurs les plus élevés que l’on connaisse. Du point de vue de l’éternel et de l’absolu que l’humanité a toujours recherchés, il se peut que ces hautes Valeurs puissent également, jusqu’à un certain point, servir ce but. Elles sont autonomes, indépendantes des caprices humains pour leur existence. Elles sont perçues, non pas inventées. Elles sont au-delà de l’humain et de l’individuel».

    Une description pareille pourrait trouver sa place… dans un commentaire relatif au 7ème chakra. En passant, ...  le modèle des centres psychiques.

    2)  Nous avons vu à quel point l’usage des termes « conscient » et « inconscient » est très confus et on ne peut pas dire que la psychanalyse ait arrangé les choses. Freud a néanmoins le mérite d’avoir proposé une classification topologique composée de plusieurs niveaux : conscient, subconscient (ou préconscient) et inconscient. Il y a deux idées : primo, existent bel et bien des éléments dont le sujet n’est pas conscient dans l’état de veille. Un nœud psychique peut très bien exister en moi, sans que j’en ai clairement conscience, mieux, Freud s’est rendu compte qu’il existait dans le psychisme des éléments inconscients mais non refoulés. Secondo, une présentation topologique désigne un terrain géologique composé de différentes couches superposées les unes aux autres, et des matériaux différents, là du limon, du gypse, là du sable etc.  Pourtant il y a un seul champ qui est la totalité.

    Qu’est-ce que la représentation des centres psychiques de l’être humain apporte en plus à ce type de description? Aucun des chakras n’est perceptible en tant qu’objet grossier, sthula,  à l’état de veille, jagrat avastha. Ils peuvent être ressentis, expérimentés, mais ils ont une forme subtile, suksma, qui nécessite un raffinement de la perception pour être perçu. Nous pouvons donc dire qu’en ce sens précis, ils font partie de « l’inconscient ». Ce ne sont ni des « êtres de raison », ni des appellations allégoriques ou des concepts, ils sont présents chez tous les êtres humains, ils ont une existence spécifique et des caractéristiques propres. Exactement de la même manière que les points des acuponcteurs qui en dérivent, les chakras secondaires des nadis.

     Personne n’a jamais vu le « moi » ni le « surmoi » qui ne sont pas des objets au sens grossier. Pour Alain, le Çà  freudien est une appellation allégorique car, en réalité il n’existe que des « mécanismes » inconscients qui échappent à la volonté.  C’est à la fois vrai et faux. Si nous localisons le Çà à sa juste place, au niveau du 2nd chakra, nous comprendrons immédiatement que l’énergie de la libido dont parle Freud n’est rien d’autre qu’un aspect de la Kundalini. Freud a effectivement redécouvert à sa façon un aspect du psychisme humain. Alain a toutefois raison en parlant globalement de « mécanismes » dans le sens où se trouvent logés à cet étage des conditionnements très archaïques. L’étage des pulsions est très primitif, c’est le « singe de l’homme » comme dit Michel Henry. Les Tantras contiennent des avertissements nets : libérer l’énergie du 2nd chakra sans préparation et sans contrôle est très dangereux. Il vaut mieux que la montée de la Kundalini, se produise de manière naturelle, sans que l’on force les choses. Malheureusement, la « révolution sexuelle » des années 70, parce qu’elle était dépourvue de véritable connaissance spirituelle, n’a rien compris à cet enjeu, elle a à sa manière relâché les pulsions, avec les conséquences que l’on sait. Même en Inde, où pourtant sur les temples les représentations de l’union sexuelle abondent, on sait que la libération forcée de la Kundalini en partant du bas peut être très déstabilisante, et même conduire à un déséquilibre mental. Il est essentiel que les chakras supérieurs soient auparavant équilibrés avant de tenter quoi que ce soit à ce niveau. Encore une fois, le bricolage personnel sur le plan énergétique est très risqué. Ce domaine ne tolère pas l’amateurisme, il recèle des niveaux d’énergie sans commune mesure avec les forces physiques que nous rencontrons d’ordinaire à l’état de veille. Et si d’aventure, on s’appuyait sur une vision matérialiste pour rejeter d’un revers de main ces avertissements… les conséquences ne manquerait pas d’arriver. Qu’on y croit ou qu’on y croit pas ne change rien à l’affaire, c’est un fait, il existe bel et bien une architecture psychique subtile du corps humain. Le mot « psychique » retrouve alors tout son sens, non pas ce qui est « physique », que l’on peut observer comme un objet, mais la Conscience qui porte l’appréhension des objets dans sa dimension vivante qui est énergétique. Ce qui est psychique a un rapport très étroit avec la psyché, l’âme, mais ne peut être connu que de l’intérieur, pas de l’extérieur.

    Quand Bernard Stiegler conduit un procès de la télé-réalité, jugeant que les producteurs sont « des apprentis sorciers », qu’ils ont « ouvert la boîte de Pandore », qu’ils « sont entrés dans un vortex conduisant au pire », on peut le prendre comme une simple métaphore. Mais celui qui a une connaissance spirituelle de la Kundalini, ne l’entend pas du tout de cette oreille, il sait que ces mots n’ont pas été prononcés au hasard, et que leur signification pointe vers le niveau énergétique. Les chakras sont effectivement des vortex énergétiques et chacun d’entre eux est une boîte de Pandore, sauf que la boîte ne contient des « maux » que pour une humanité qui n’est pas préparée, elle contient des trésors pour une humanité éveillée. Les « apprentis sorciers » de la mise en scène du psychique ... puissance du serpent lovée dans le 2nd chakra sans se soucier des conséquences. Plus exactement, plus grave, comme Chomsky l’a compris, la manipulation des peuples est d’autant plus facile que l’on fait usage de moyens régressifs. Soyons un peu conspirationniste, juste par hypothèse : Exciter la peur et l’insécurité, (1er chakra), exciter la pulsion sexuelle, (2nd chakra), en permanence, c’est maintenir une emprise très puissante sur la conscience collective, c’est même tirer la conscience de l’humanité vers le bas et l’empêcher de reprendre son pouvoir qui est logé dans les niveaux supérieurs. C’est en particulier chercher tous les moyens étourdir les facultés de la lucidité (6ème chakra).  Pour verrouiller l'accès il ne resterait plus qu’à faire tourner en boucle la dérision sur les "fadaises indiennes" des chakras, le folklore débile du New Age sur le sujet, ce qui liquiderait par avance tout intérêt -pour un sujet qui est en réalité sérieux dès lors que nous en avons une expérience claire. La récupération commerciale à l’américaine ...de la théorie des chakras a contribué à décrédibiliser le sujet, à le vider de tout son sens et à le vendre comme des exercices d’aérobic à la mode. Quand ...

 C. Une vision de l’univers sous l’angle de l’énergie

    Ce qui ne signifie pas à l’inverse que la connaissance approfondie de l’architecture du psychisme soit indispensable à une démarche spirituelle. Elle peut être admise juste en toile de fond, sans être exposée, parce que l’insistance de l’Enseignement est ailleurs. Par exemple, l’approche introspective de Byron Katie peut fort bien s‘en passer. En général il n’est pas indispensable d’évoquer une chose qui n’est pas directement dans l’expérience. Dans ses Lettres Aurobindo donnait des explications ponctuelle, si les disciples mentionnaient des expériences particulières qui avaient un rapport étroit avec les chakras. Les auteurs Vedânta en parlent assez peu parce qu’ils mettent l’accent avant tout sur la connaissance non-duelle. Par contre, dans les milieux de la pratique du Yoga et du tantrisme, en raison de l’approche plus expérimentale du psychisme, il en est souvent question. Et il en est de même sous une forme très sophistiquée et technique dans les textes anciens sur les nâdis de l’Ayur Veda, relatifs à l’acupuncture ou ceux où il est question de soins comme les massages. Des siècles de pratique condensés dans des planches et des ouvrages à usage médical avec un luxe de raffinement technique inouï. Nous allons dans ce qui suit donner une petite idée du Tantrisme à travers Arthur Avalon. Dans ce qui suit nous allons développer la métaphysique sous-jacente à la nature des centres énergétiques. L’exposition sera assez condensée dès lors que nous croiserons des aspects déjà élaborés ailleurs dans les leçons. Il suffira pour la clarté d’explorer les liens.

    1) Le tantrika est très intéressé par l’aspect énergétique, la puissance de la shakti, à l’œuvre dans la Nature, prakriti, tout comme le yogi ; le Vedantin est lui plus intéressé par l’Absolu impersonnel, purusha qui sous-tend, vyakti, la Manifestation. Mais les uns et les autres se rencontrent dans l’Éveil. Il en est ainsi parce que la réalité suprême, irréductible, est âtman, Esprit dans le sens de Conscience pure  (Cit), dont procèdent comme sa Force (shakti) et par elle, le mental et la matière. L’Esprit est un, en lui, ni différence, ni degrés, l’Esprit dans l’homme est l’Esprit unique présent en toutes choses. Identifié à l’objet d’un culte, il est appelé le Seigneur, Ishvara.  Le mental et la matière sont multiples, avec des degrés et des qualités. Atman est la Plénitude, purna du Tout, sans séparation, akhanda, le mental et la matière sont des parties du tout. L’Esprit est infini aparichchinna et sans forme arûpa, tandis que le mental et la matière sont finis, parichichinna et formels, rûpa. Atman est l’Immuable, shakti est sa puissance active sous la forme du mental et de la matière. Si la Conscience pure sous-jacente à la Manifestation est Cit, on peut dire que la matière est l’inconscient. Mais selon le Vedânta, le mental aussi est inconscient, car tout ce qui est objet détaché du Soi est inconscient. « Cela ne signifie point qu’il soit inconscient en lui-même (au contraire tout est essentiellement conscience) ; mais il est inconscient parce qu’objet du Soi conscient. Car le mental limite la Conscience pour permettre à l’homme d’avoir une expérience finie ». En réalité le monde de la multiplicité est l’Englobant, Brahman, et tout est Brahman, sarvam khalvidam brahma. La nature de Brahman est sat-cit-ânanda, Etre-Conscience-Béatitude. La conscience dans son essence est identique à l’Être, mais en vertu de sa nature, et en raison de la structure même de l’état de veille, « l’homme croit fermement à une existence objective en dehors et indépendamment de lui-même. Et une telle objectivité existe aussi longtemps que, étant l’Esprit incarné, jîvâtmân, sa conscience est voilée » par l’Illusion, mâya. Sans le voile, la différence disparaît et n’existe que la Totalité indifférenciée, l’expérimentateur, l’expérience et l’objet de l’expérience. Le trois-en-un. Quand nous parlons de conscience comme sensibilité, ce qui est connu est toujours une manifestation changeante et limitée de Cit, mais qui est portée par un principe immuable, le Fond de toute expérience. Cet être-Conscience est béatitude, repos dans le Soi svarûpa-vishranti. Béatitude, parce qu’à la plénitude, purna, rien ne peut manquer. Ananda est la nature dernière de la réalité ultime.

    Le mental n’est pas la Conscience pure, il reste limité... Ce qui le limite doit être quelque chose d’inconscient en soi, ou bien capable de produire l’apparence de l’inconscience. Cependant, rien dans le monde phénoménal n’est absolument inconscient, même si certaines choses semblent être plus inconscientes que d’autres. Cit n’est absent de rien. Ce qui change, c’est le degré de manifestation déterminé par le développement mental et le corps dont il est revêtu. L’Esprit demeure le même, le mental et le corps varient.  La Manifestation est moins limitée à mesure qu’on s’élève du minéral vers l’homme. Dans le règne minéral, Cit se manifeste sous la forme de conscience la plus faible. La sensibilité des plantes est plus développée, bien qu’elle demeure une conscience endormie. Dans le règne animal la conscience devient plus centrale, plus complexe et elle ... l’homme qui possède toutes les fonctions psychiques : connaissance, perception, sensibilité et volonté. Mais comme à travers tous ces différents degrés de la vie Cit demeure le même, il ne se développe pas en réalité. L’apparence du développement est simplement due au fait qu’il est plus ou moins voilé par le mental et la matière. C’est en voilant la Conscience que la shakti crée le monde. Qu’est-ce qui voile la Conscience et produit l’expérience cosmique ? C’est la Force, shakti en tant que mâyâ. Mâyâ-shakti est cela qui, en apparence, change le Tout, pûrna, en un non-tout apûrna, l’infini en fin, l’informel en formes et ainsi de suite. C’est donc une puissance qui réduit, voile et nie. Nie quoi ? La Conscience pure. Et pourtant Shakti est en son Fond la même chose que Cit. La Conscience. Elle est donc sat-cit-ânânda-mayî.

    Il existe toutefois au moins en apparence une subtile distinction. Shakti vient de la racine SHAK « avoir de la puissance », « être capable ». Elle ne fait qu’un avec la déité  Shiva. Dit autrement, la puissance de la Conscience est la Conscience sous son aspect actif. Donc, si Shiva et Shakti sont tous deux Conscience, le premier est l’aspect statique et immuable de la conscience et Shakti l’aspect actif et énergétique de cette même Conscience. C’est la signification de la représentation de la déesse qui danse sur le corps de Shiva endormi. La puissance particulière par laquelle le monde de la dualité est manifesté est Mâyâ Shakti et donc Shakti est donc celle qui tout à la fois voile, avarana, et projette, vikshepa. Elle tire de l’amas des expériences passées, samskâra, l’idée d’un monde dans laquelle elle pourra faire l’expérience d’elle-même dans la souffrance et le plaisir. L’univers est de ce point de vue l’imagination créatrice shrishtikalpanâ, du Penseur suprême du monde, ishvara. Mâya est la puissance formidable par laquelle les choses sont mesurées, formées et manifestées. Elle apporte avec elle le sens de la différence bedabuddhi, qui fait que l’homme voit le monde, toutes les choses et toutes les personnes qui s’y trouvent, comme différent de lui-même, alors qu’essentiellement l’homme, le monde et tous les êtres sont le même Soi unique. Shakti, pour la plus grande joie du Jeu cosmique, la lila, établit une séparation dans ce qui serait, sinon, une expérience d’unité. Elle produit le sens de la dualité inhérent à toute expérience phénoménale. Shakti en tant qu’active, voile la conscience en se niant Elle-même comme Conscience et cela à des degrés divers. Avant la Manifestation de l’univers, sat-cit-ânânda était Seul et c’est l’éclat fulgurant de l’expérience totale que peut connaître l’être humain au sommet de sa conscience. L’expérience de la Plénitude, pûrna dans laquelle le Soi connaît le Soi et l’aime. C’est là que réside cet Amour qui est ânanda, béatitude ou repos dans le Soi et c’est pourquoi l’Amour suprême est béatitude. Dans la conscience d’unité, l’aspect transcendant, parasamvit et l’aspect immanent, créateur et toujours changeant, nommé shiva shakti tattva, sont Un.  « Je », aham, et Cela, idam, c’est-à-dire le monde des objets, sont indissolublement unis.

    2) Selon les Tantras, shiva shakti tattva est la première émanation de l’Absolu, suivie de toute une procession de tattva. Mâyâ divise la conscience une, de sorte que l’objet est perçu comme différent du soi, puis dispersé dans les multiples objets de l’univers. Cet aspect est présenté du point de vue de la vibration, spanda, du son. Cette étude est très développée sous forme de connaissance des mantras. Nâda est le premier mouvement produit par la conscience sous la forme d’idéation conduisant au Brahman-son, shabda-brahman dont dérivent toutes les idées, le langage dans lequel elles s’expriment, shabda, et les objets, artha, qu’elles représentent. Du point de vue des Tantras il existe une relation subtile entre le son et la forme, nâma-rûpa et tout objet est en définitive dans son essence une vibration, un son. L’univers tout entier est symphonique, parce que l’Univers est vibratoire. Bindu est le second aspect de l’émanation de Shakti. C’est littéralement « un point », l’état de la Conscience active dans lequel le « Je » s’identifie avec le « Cela » total. Bindu subjectivise « Cela » en un point de conscience. Lorsque la Conscience appréhende un objet comme différent d’elle-même, elle voit cet objet comme étendu dans l’espace, lorsque cet objet est complètement subjectivé, il est perçu comme un point sans étendue. On se représente Shakti comme enroulée autour de Shiva bindu, comme un serpent lové. ... pour le mûlâdhâra chakra. Shakti enroulée autour de Shiva et ne formant avec lui qu’un seul point est kundalini shakti. Kundala est un mot qui signifie anneau, repli. Shakti est lovée comme un serpent au repos et endormi. Sa puissance est en forme de spirale, qui est la forme même du Temps. Les Tantras parlent du développement de la ligne droite à partir du point qui, lorsqu’il a accompli son parcourt en tant que point, se voit modifié par la force en spirale de Mâyâ, de manière à former deux dimensions. Celle-ci reprend ensuite sa forme, montant comme une ligne droite au plan de la troisième dimension. Dire que Shakti est « lovée », c’est dire qu’elle est au repos sous la forme d’une énergie potentielle. L’Énergie cosmique enroulée autour de Shiva est appelée Mahâkundalini (la grande puissance lovée), ce qui la distingue de la même puissance cette fois logée dans le corps individuel qu’on appelle kundalini.

    Au terme de la procession des tattva, le « Je » et le « Cela », le processus de la dualité est achevé quand le « Cela » n’est plus perçu comme partie du Soi, mais comme s’opposant à lui et comme privé de lui : comme un objet extérieur. C’est le statut de l’avidya, l’ignorance. Donc, le premier état est transcendant, et dans la transcendance, « Je » et « Cela » sont mêlés, les éléments de l’expérience ne sont pas développés. Au stade intermédiaire, il existe une forme pure d’expérience dans laquelle « Je » et « Cela » sont éprouvés comme parties d’un Soi unique. Enfin, se produit l’état de Manifestation complète du monde relatif, et la coupure est complète entre « Je » et « Cela », dès lors, un objet extérieur est présent à la conscience d’un connaissant devenu autre que le sujet. De prakriti sortent tous ses effets, les vikriti, le mental, la matière, les multiples êtres qui peuplent l’Univers.  En oeuvrant comme prakriti, Shakti développe tout d’abord le mental (avec buddhi, l’intelligence, ahamkâra, l’ego, manas l’esprit pensant), et les cinq sens, les indriya. Puis la matière sensible bhûta, dans les cinq Eléments, Ether, Vent, Feu, Eau, Terre. Enfin, lorsque Shakti est entrée dans le dernier et le plus grossier des tattva, la Terre, la matière solide est formée et on dit que Shakti se repose. La voici à nouveau lovée et endormie dans la demeure du corps humain et son centre terrestre Mûlâdhâra chakra.

    Ce qui explique l’ascèse tantrique qui consiste à réveiller la kundalini pour que sa puissance irrigue de son énergie la totalité de l’être. Un chemin difficile qui requiert des qualités de maîtrise exceptionnelle, des techniques particulières, une longue préparation,  une grande prudence et la surveillance d’un instructeur qualifié ; si, comme les tantrikas, on choisit de procéder du bas vers le haut. En théorie, l’ouverture du canal qui relie les sept centres psychiques permet de disposer d’une immense énergie, sans commune mesure avec celle que nous tirons de la nourriture. Il y a toute la séduction de la puissance sexuelle dont est auréolé le tantrisme et celle des siddhis, les pouvoirs de la Conscience. Suffisamment pour piquer la curiosité les amateurs  de sensations fortes, mais la meilleure manière de sortir de la voie du chemin de l’Éveil et de ...  considérables. Au sujet des siddhis, Patanjali dans les Yoga-Sutras donne des avertissements très explicites. Les siddhis ne doivent surtout pas êtres recherchés pour eux-mêmes, car ils donneraient lieu à une inflation de l’ego considérable. Il est cependant exact que des manifestations peuvent se produire naturellement, sans avoir été délibérément recherchées, en corrélation avec l’un ou l’autre des chakras. Avec ou sans pratique particulière. Il existe des milliers de témoignages à ce sujet, y compris venant de personnes qui ne connaissait strictement rien de la théorie des chakras, mais qui ont commencé à s’y intéresser après une expérience d’ouverture de l’un d’entre eux. Pour essayer de comprendre ce qui leur était arrivé.

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    Comme nous venons de le voir, le sujet des chakras est très complexe. Les opinions sont contrastées. Il y de quoi rigoler bêtement -niveau télé-réalité- pour tous ceux qui n’y comprennent rien et n’y voient que du « folklore hindouiste ». Et c’est tant mieux car ceux-là sont immatures et très loin de pouvoir se poser de vraies questions. Alors qu’ils restent avec leurs préjugés, ils ne sont pas prêts à se réveiller. Côté universitaire il n’y a que de très timides approches. Registre « érudition du sanskrit ». Ce qui permet de faire l’économie de la vérité. Côté psychologie, les freudiens sentent bien que les Tantras leur piquent leur sujet de prédilection, le sexe, mais ils préfèrent camper sur leurs positions et ignorer. Si nous étions méchant, nous dirions que la psychologie freudienne a été d’un amateurisme inconséquent et irresponsable. Mais bon, Freud ne s’est pas documenté et il a installé très vite un système très dogmatique. Le courant de la psychologie analytique de C.G. Jung est beaucoup plus ouvert. Comme la psychologie transpersonnelle. Jung a été écrit un livre sur la psychologie de la kundalini. Quant à Maslow, soyons honnête, sa pyramide n’est visiblement qu’une ébauche de quelque chose de beaucoup plus fouillé, d’une description qui a été peaufinée dans une tradition millénaire en Inde et au Tibet. Qui mériterait d’y être incorporé pour obtenir une psychologie intégrale.

    Ne parlons pas de la philosophie universitaire, elle est enfermée dans sa tour d’ivoire et semble ne plus savoir produire que du commentarisme. Et attention, hors de l’Occident, point de salut ! ... dans le Tantrisme une métaphysique de très haute volée. Et pas seulement. Une exploration de la conscience menée pendant des siècles avec rigueur, avec des techniques très sophistiquées, entre pratique sous la conduite d’un maître compétent et confirmation des expériences dans l’étude des textes dans lesquelles des connaissances ont été rassemblées. Avec un grand soin et un luxe de détails. Nous pourrions presque dire un travail « scientifique », si le mot n’avait pas été dérobé par l’approche objective du savoir depuis la Modernité. Approche qui est totalement inadéquate sur ce terrain. Wilber clarifie la question en distinguant le quadrant subjectif individuel (SG) et le quadrant objectif individuel (SD). Il va falloir un jour ou l’autre s’en rendre compte, toute la ténacité que l’Occident a déployé pour fouiller l’univers au moyen de l’approche objective ; et bien, l’Orient l’a déployé avec un zèle extraordinaire pour explorer la conscience. Les approches ne sont pas contradictoires, elles sont complémentaires. Elles sont chacune leur place dans une vision intégrale comme dirait Ken Wilber.

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Vos commentaires

Questions:

1. Ne trouve-t-on pas dans le langage ordinaire des des expressions communes associés aux centres psychique? Exemple : "Avoir la gorge nouée".  Chercher.

2. Idem, ne peut-on relever dans formes d'expériences qui implicitement relèvent des centres psychiques? Chercher.

3. Quelles son les incidences qu'une telle doctrine pourrait avoir sur la psychologie?

4. Faire une recherche sur la symbolique du premier centre, en relation avec la psychologie transpersonnelle.

5. Faire une recherche sur la symbolique du second centre en relation avec la doctrine de Freud.

6. Mettre en correspondance ce qui est dit ici du troisième centre et la doctrine platonicienne tripartite de l'âme.

7. Rechercher dans la mystique des éléments en relation directe avec le septième centre psychique.

 

  © Philosophie et spiritualité, 2014, Serge Carfantan,
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