Leçon 228.   Confiance et estime de soi    

    Si, comme nous l’avons vu précédemment, la haine de soi conduit à la haine d’autrui, le manque de confiance en soi conduit invariablement à la défiance ; inversement, l’amour de soi, mène à l’amour d’autrui, et la confiance en soi mène à la confiance en l’autre.

    Mais comment pourrions-nous avoir un tant soi peut confiance en nous-même, si par ailleurs,  nous vivons avec un très fort déficit d’estime de soi ? C’est peu de le dire, mais s’il est un trouble répandu dans notre  société, c’est bien celui-là. Exciter en permanence la comparaison, chercher à se montrer « à la hauteur » d’un autre, comme nous savons si bien le faire, au bout du compte ne fait que contribuer à créer une image du moi négative : on n’est jamais assez bon, assez beau, assez puissant, assez intelligent etc. ! Nul ! Et quand nous vivons centré sur l’ego, l’effet est dévastateur, il sape la confiance en soi. Le corollaire, c’est qu’on s’imagine alors qu’il faut démesurément gonfler son ego pour être quelqu’un. Comme les vedettes du show business, les stars de la télévision ou tous ces gens arrogants dans les affaires ou la politique, qui semblent tirer une incroyable assurance de leur enflure personnelle... Comme s’il y avait un rapport entre infatuation personnelle et la confiance en soi !

    Il y a assurément un lien subtil entre confiance en soi et estime de soi, mais quel est-il ? Est-ce que je dois me regarder dans la glace tous les matins en me faisant une petite harangue personnelle ? « Je suis fort, efficace, compétent, le meilleur… et je les écraserai tous !» La confiance en soi marche-t-elle à l’autosuggestion ?  Et si c’était tout à fait autre chose ? Et si elle n’avait rien à voir avec une quelconque comparaison avec autrui? Par-delà la psychologie naïve et les incantations verbale, qu’est-ce que la confiance en soi ?

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A. Estime de soi et image du moi

    Si par devers soi, nous n’avons que bien peu d’estime pour nous-même, c’est que nous entretenons un désamour qui provient d’un jugement. Je me juge ne méritant pas d’estime. Ce qui implique forcément une comparaison dans laquelle d’autres seraient plus méritants en termes d’estime d’eux-mêmes, mais je n’ai justement pas ce mérite. Psychologiquement ce méli-mélo mental est assez confus et doit être mis en lumière. Un premier biais d’approche serait d’examiner les sources historiques de cette étrange notion « d’estime de soi ».

    1) Indéniablement, il y a en Occident dans cette expression une provenance archaïque encore teintée au Moyen-âge de l’éthique de la chevalerie. C’est la noblesse qui tenait en « très haute estime » le héros, le brave et l’homme de valeur. Ce sont les chevaliers qui se battaient pour des questions d’honneur, pour qui l’honneur bafoué et souillé était pire que la mort. Voyez ce qu’en dit Hobbes dans Le Léviathan. Dans cette lignée, lhomme d’honneur  ne veut pas nécessairement passer aux yeux de tous pour un héros, mais il a souci de lui-même et souhaite être estimé à la hauteur de son mérite. Il tient à l’estime, car il se représente lui-même dans une adhésion indéfectible aux valeurs qu’il défend, comme autrefois le chevalier jurait allégeance et défendait son honneur à la pointe de l’épée.

    Dans la société féodale l’éthique de la chevalerie, tournait autour de quatre vertus. Il s’agissait de la vaillance, vertu militaire comme il se doit, du cavalier sur le champ de bataille. Mais aussi de la loyauté, le chevalier étant l’homme qui se met au service du roi. Tel Roland jurant sa foi et qui, même emporté dans la guerre, se refuse à toute manœuvre qui violerait le code de l’honneur en se livrant à des vilenies indignes de son rang. La largesse désigne elle la vertu de répandre des bienfaits  autour de soi, le chevalier devant être renommé non seulement pour ses victoires, mais aussi pour ses dons. Enfin, ce qui a donné lieu à bien des expressions artistiques, la courtoisie, accompagné de tout son cérémonial. En bref, ce sont les vertus caractéristiques de la noblesse. L’idéal chevaleresque dissimule, mais suppose chez  celui qui l’incarne une image du moi élevée, encadrée par une éthique ou un code. Et on peut observer que dans toute l’histoire humaine, sous des formes variées d’une culture à l’autre, c’est certainement dans la littérature chevaleresque que l’on trouve le plus magnifiquement sublimée l’image du moi.. Des serments héroïques, aux conquêtes nimbées de gloire, des tourments du devoir jusqu’aux décisions devant la mort. Au prix da la plus grande cruauté, car l’honneur impose les plus grands sacrifices. Dans pareil contexte, pour le héros tragique, qui par ses fautes ne mérite plus que le déshonneur, la honte et le mépris, il ne reste que l’issue du bannissement ou du suicide. « S’il vous reste encore de l’honneur, Monsieur, vous savez désormais ce que vous devez faire. Vous trouverez un révolver dans le tiroir du bureau » ! Un classique pour les répliques de théâtre, mais sur le fond, une figure très ancienne de la psyché humaine.

    Bref, si le mot estime vient du latin aestimare pour évaluer, ou apprécier, il demeure que son sens veut bien dire opinion favorable que l’on a d’autrui, opinion fondée sur ses mérites et ses vertus et rien ne peut permettre de le mieux le comprendre que de le relier à son ascendance aristocratique. Dans l’opinion, l’estime de soi conserve ces caractères et cela d’autant plus que son fondement psychologique est dissimulé sous les atours de la morale.

    2) Si, selon un mot d’Alain, Descartes reste de mémoire le « cavalier français » de la philosophie, comme en témoigne sa correspondance, il a aussi fréquenté les Grands de ce monde, tout laisse à penser que nous pourrions trouver des éléments de représentation médiévale de l’estime encore dans sa philosophie, voire même qu’il en assume les présupposé. Mais Descartes est philosophe, en lisant de près le Traité des Passions, nous sommes confrontés à une vision originale de l’estime de soi.

    A l’article 162 Descartes donne une définition de « la vénération ou du respect ». Or comme nous l’avons précédemment noté, cela pose problème pour autant que vénération et respect peuvent être distingués. Nous l’avons fait en disant qu’il ne fallait pas confondre l’admiration et le respect. S’il nous fallait pouvoir admirer quelqu’un pour le respecter, nous ne respecterions pas grand monde ! Au mieux, nous admirons une valeur exemplaire : un parangon d’intégrité, d’honnête, de courage, de puissance créative, un être humain qui s’est révélé exceptionnel et qui mérite d’être pris pour modèle, ensuite, c’est à la charge de la mémoire ou de l’histoire de porter cette vénération de génération en génération. Mais au pire, la vénération peut être entièrement dans l’illusion, dans le spectacle et la fiction médiatique, celle que la télévision fabrique autour d'une image pour fédérer la bêtise ambiante.  

    Par contre, nous disions que depuis Kant (ce qui n’est pas clair du tout) le respect, c’est avant tout le respect d’autrui. Mieux : le respect se rapporte à la dignité de la personne et cette dignité ne réclame pas l’élection d’une vertu extraordinaire  ni une performance spéciale qui serait digne d’admiration. Le respect va à tout être humain pour autant qu’il est selon Kant une fin en soi et non un simple moyen. Ce qui est une prescription formelle de la raison.

    Une solution à cette difficulté serait de dire que le respect, n’a rien de formel : nous nous inclinons intérieurement (le namaskaram de l’Indien) devant la dimension spirituelle présente dans la personne d’autrui. Comme la présence spirituelle est infiniment plus vaste et plus essentielle que l’apparence ou l’ego, il y a dans le respect une reconnaissance de l’âme et donc, il est parfaitement juste de dire « la vénération ou le respect ».

    Quel est le point de vue de Descartes ? Il écrit que la vénération ou le respect « est une inclination de l’âme non seulement à estimer l’objet qu’elle révère, mais aussi à se soumettre à lui avec quelque crainte, pour tâcher de se le rendre favorable ». En première lecture, rien de plus facile, de plus primaire que de personnaliser les choses, et nous reviendrions alors vers la mythologie chevaleresque et l’attitude dévote du petit peuple devant la puissance des Seigneurs. Mais avec un peu plus de subtilité, nous verrions que seule la dimension spirituelle importe, c’est l’aura du seigneur plus que sa personne qui compte. Une puissance spirituelle qui rayonne dans la Nature. Or chez Descartes, très clairement, le sentiment de vénération se rapporte justement avant tout aux causes libres présentes dans la nature. Quand il discute dans l’article 152 des Passions de l’Ame la question de savoir de quelle façon nous sommes en droit de nous estimer ou bien de nous mépriser, il répond que c’est entièrement dans l’usage que nous faisons de notre libre-arbitre. Il n’y a qu’un seul point à prendre en compte dans le jugement porté sur soi-même, celui : « qui nous puisse donner juste raison de nous estimer, à savoir l’usage de notre libre arbitre, et l’empire que nous avons sur nos volontés ». Qu’est-ce qui est estimable par-dessus tout ? Le don magnifique du libre-arbitre déposé en tout être humain. Or c’est une  grandeur qui ne doit rien à la gloriole de la reconnaissance, au pouvoir sur autrui ou à l’opinion flatteuse de l’ego que nous aimons tellement voir confirmer. Non. C’est infiniment plus modeste. Plus humble et plus précieux à la fois. Ce qui est difficile à comprendre et tout à fait singulier dans la générosité  : « je crois que la vraie générosité, qui fait qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu'il connaît qu'il n'y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu'il en use bien ou mal, et partie en ce qu'il sent en soi-même une ferme et constante résolution d'en bien user, c'est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures ; ce qui est suivre parfaitement la vertu ». (texte)

    Ce qui est très important dans ce texte, d’une immense importance c’est lautoréférence du sujet dans l’estime de soi. Il ne s’agit pas, comme dans l’image du moi de se préoccuper de l’opinion d’autrui qui me rendrait estimable sous tel ou tel jour, sous tel ou tel aspect. Je ne vaudrais devant moi-même que ce que j’aurais pu gagner en valeur devant les autres. Leçon stoïcienne : au fond rien de m’appartient. Et c’est à prendre tel quel. M’appartient juste la libre disposition de soi à entreprendre ce qui me semble être le meilleur. Et si je m’en tiens là, aucun doute, la suite du texte découle de source : je n’ai aucune raison de mépriser les autres : « Ceux qui ont cette connaissance et sentiment d'eux-mêmes se persuadent facilement que chacun des autres hommes les peut aussi avoir de soi, parce qu'il n'y a rien en cela qui dépende d'autrui. C'est pourquoi ils ne méprisent jamais personne ; et, bien qu'ils voient souvent que les autres commettent des fautes qui font paraître leur faiblesse, ils sont toutefois plus enclins à les excuser qu'à les blâmer, et à croire que c'est plutôt par manque de connaissance que par manque de bonne volonté qu'ils les commettent ». En quoi Socrate avait parfaitement raison. En matière d’estime de soi aucune comparaison ne vaut, la dimension spirituelle en tout être humain est partout la même. Tout le reste est mondain, très relatif et de peu d’importance. Ainsi, ceux qui ont découvert le sens véritable du Soi « ne pensent point être de beaucoup inférieurs à ceux qui ont plus de bien ou d'honneurs, ou même qui ont plus d'esprit, plus de savoir, plus de beauté, ou généralement qui les surpassent en quelques autres perfections, aussi ne s'estiment-ils point beaucoup au-dessus de ceux qu'ils surpassent, à cause que toutes ces choses leur semblent être fort peu considérables, à comparaison de la bonne volonté ».

B. Du sabotage interne à l'optimisme

    Voilà qui méritait d’être souligné. Reste à considérer de plus près cette « bonne volonté » dont nous parle Descartes et qui est très souvent mal interprétée. Il faudrait inverser les mots, chez Descartes ce serait la volonté bonne, et non la « bonne volonté » au sens le plus courant aujourd’hui. Que dis-t-on (le on de l’opinion) à celui qui manque de confiance en lui ? « Avec de la volonté on peut toujours » ! Si cela veut dire « en faisant des efforts », c’est stupide. La véritable confiance en soi donne une énergie qui fait oublier « l’effort » que nous ressentons d’autant plus vivement comme résistance conflictuelle… quand justement nous manquons de confiance en soi. Si c’est la recommandation du genre : « allez, un peu de bonne volonté ! » que l’on oppose à une mauvaise volonté évidente, c’est encore une autre sottise. Ce n’est pas en demandant d’y mettre un peu plus d’entrain que l’on peut faire retrouver de la confiance en soi à quelqu’un qui patauge dans la négativité. Il suffit d’observer pour remarquer à quel point ce genre de formules tombe à plat. Mais il y a cependant un intérêt à rechercher le rapport encore la négativité qui s’exprime dans la mauvaise volonté et le manque de confiance en soi.

    1) Le pédagogue qui exige de « faire des efforts » (voir dans les appréciations du carnet de note !) sans insuffler d’enthousiasme, de passion, qui en reste à une sorte de relance mécanique dépourvu de motivation vraie et vivante ne sait plus ce qu’est l’éducation. Cela ne marcherait même pas avec le sport ! Et on ne voit vraiment pas comment ce genre de stimulus à vide pourrait en quoi que ce soit redonner de la confiance en soi.

    Confiance en soi veut dire essentiellement coïncidence avec soi  et coïncidence avec la vie. Comme nous l’avons déjà montré, c’est de la parfaite coïncidence avec soi que jaillit la Force et inversement, c’est quand il y a non-coïncidence, division entre soi et soi, conflit intérieur, qu’apparaît la faiblesse. En coïncidant avec elle-même la vie s’éprouve comme Force, elle s’éprouve et se sent vivante, elle puise en elle-même toute l’énergie qui la porte. Toutes les attaques, toutes les stratégies qui sapent la confiance en soi se rangent sous une seule et même rubrique, celle de la division entre soi et soi.

    Celle-ci est bien évidemment produite par le jugement, non le jugement de fait, mais le jugement de valeur et surtout le jugement moral. Si vous répétez à tous les jours à un enfant qu’il est nul, il va vous croire… et le devenir. Il intègrera le jugement à l’image qu’il a de lui-même et il programmera ses actes conformément à ce qu’il croit. Et il avancera dans la vie en doutant perpétuellement de lui-même. Tout être humain chemine dans l’enfance dans une période sensible dans laquelle il structure son ego en fonction de son expérience passée. En d’autres termes, s’identifie très fortement à une image du moi sortie de l’usine du mental, image qu’il croit être lui-même. L’esprit est très sensible aux influences, à ce qui touche à l’image qu’il a de lui-même, livré à lui-même, il est malléable. Sans connaissance de soi, il n’a pas le discernement qui lui permettait de rejeter l’image du moi. Elle demeure donc à tire de conditionnement, et elle s’affiche en pleine figure dès qu’il n’y a plus de contrôle.

    Rien que de très banal : chacun s’identifie à son ego, sans bien sûr avoir la moindre idée de ce qu’est l’ego, en étant incroyablement persuadé que toutes les histoires qu’il se raconte et qui donnent une consistance à son « moi » forment son intériorité la plus vivante. Et bien sûr, pour s’enfoncer toujours plus dans l’illusion, chacun croit bien se connaître, parce qu’il pense beaucoup ! Qu’il se fait des idées et que jamais il ne lui vient à l’esprit de les remettre en question, - persuadé qu’il est que tout ce qui lui passe par la tête est forcément vrai. Pour faire simple cela donne ce que nous avons appelé le monologue de l’ego, une voix dans la tête du genre : « Je me connais mieux que quiconque ! Je pense vraiment beaucoup. Toutes ces pensées qui bourdonnent dans ma tête toute la journée, tous ces films que je me repasse dans mon esprit !  Alors, quand quelqu’un se moque de moi, ou me fait une remarque désagréable, ça me met très en colère. C’est pas vrai. C’est pas ce que je me dis tout le temps. Je ne suis pas comme ça, moi. Et je réagis au quart de tour. Il m’a traité d’idiot(e), alors que par rapport à moi c’est un crétin. Il me sape le moral… D’ailleurs les gens sont tout le temps à me juger et ils se trompent. Alors comment voulez-vous avoir confiance en soi ? etc. blabla bla» Et on pourrait laisser déblatérer longtemps ce bavardage confus que nous appelons « pensées » et reconnaître avec quelle habileté machiavélique le mental devient tyrannique. Cela s’appelle faire du sabotage interne, ce qui relève de l’inconscience ordinaire.

     Dans une société éclairée, très tôt dans l’éducation, on donnerait à l’enfant les moyens de comprendre ces processus, pour ne pas entrer dans le carnaval de souffrances qu’ils génèrent. On l’aiderait à faire sa route dans la connaissance de soi. Et ce serait la dimension verticale la plus noble de la Culture. Cependant, on peut aussi imaginer une société qui chercherait à ne former que des « techniciens » sans se préoccuper de la dimension spirituelle de l’être humain. Qui formerait à la chaîne des ingénieurs, des informaticiens très pointus et compétents dans leur domaine, mais très stupide dans la connaissance d’eux-mêmes, ignorants et vivant dans une grande confusion. Dans une structure mentale dysfonctionnelle. On peut fabriquer des politiques, des scientifiques, des artistes, des savants avec pour chacun une habileté, mais par ailleurs complètement immatures. Spirituellement inculte ou d’un niveau de conscience primitif. N’ayant d’estime d’eux même que dans la comparaison et l’émulation sociale sur le mode de l’étalage des apparences,  de la performance de celui qui sera le plus à même de dépasser les autres et de les écraser. Comme l’image du moi est fabriquée à partir de la comparaison avec l’autre, exciter sans cesse la comparaison, c’est la renforcer, donc renforcer l’ego. Avec le cortège de son insanité. Faire sentir que l’on n’est pas aussi bon que l’autres, pas à la hauteur, pas aussi séduisante, pas aussi belle, pas aussi puissant, aussi rusé, aussi cynique etc. Bref, moins que rien. Minable. De sorte que chacun en vienne à croire que pour retrouver sa confiance, il doit gonfler son ego et être encore pire que celui à qui il se compare. Ou se résigner à vivre dans une image racorni, pitoyable et désastreuse qui, tant qu’elle sera là, minera de l’intérieur toute confiance.  Et bien sûr, dans un cas comme dans l’autre ce n'est qu’une surenchère dans l’illusion, mais redoutablement efficace.

    2) C’est là que l’on se sent ragaillardi quand, quittant les fadaises qui traînent dans la mentalité de cette époque, on se replonge dans un livre qui parle enfin de la véritable culture et de la véritable confiance en soi. Allez. Ne boudons pas notre plaisir, et offrons nous quelques pages d’Emerson. Bien sûr dans ses essais, La Confiance en soi. Une lecture tonique appréciée par Nietzsche qui aimait beaucoup la vigueur d’Emerson, vigueur que l’on retrouve aussi chez son disciple Thoreau. Une vraie et joyeuse vitalité.

Dès le début, Emerson évoque l’inspiration poétique qui fait qu’à la lecture quelques vers nous surprennent et qu’alors en nous, « l’âme entend une sorte d’avertissement, quel que soit le sujet traité ». Mais le poète amateur peut toujours craindre le jugement d’autrui. Et il faut dire que nous vivons dans un époque très cynique propre à saper tout enthousiasme et où l’exercice de la négativité passe même pour de l’humour. C’est le profil bas du dernier homme, le règne du nihilisme passif,  (texte) celui qui, fatigué de tout, désabusé, susurre sans arrêt : des « bof » et des « à quoi bon ? » Mais, dit Emerson, il faut croire « dans ce qui est vrai pour vous au plus secret de votre cœur », tôt ou tard dans ce que vous faites, la graine va germer et la vérité qu’elle porte s’imposera à tous les hommes. C’est en cela que consiste une étincelle de génie. N’ayez donc pas de crainte et « exprimez votre conviction profonde ». Aussi loin que nous remontions dans l’histoire humaine, nous voyons que les grands créateurs ne se sont pas contentés de répéter ce que les autres pensaient, mais se sont efforcés de penser par eux-mêmes. Ainsi, « l’homme devrait apprendre à détecter et à observer cette lueur qui, de l’intérieur, traverse son esprit comme un éclair », suivre sa trace et son impulsion. C’est ce que nous avons appelé suivre la Nécessité intérieure. Comme Bergson le dit à propos de l’acte libre, le soulèvement volcanique de la conscience qui parfois vient briser la croûte des habitudes pétrifiées du moi social. Quand enfin nous avons l’audace d’être ce que nous sommes vraiment. Non pas un être humain de seconde main pétri de conformisme. Il faut alors rejeter toute comparaison avec autrui.

    « Il arrive un moment où, dans son éducation, chacun parvient à la conviction que l’envie est ignorance ; que l’imitation est suicide, qu’il doit s’accepter comme tel pour le meilleur et pour le pire, comme le lot qui lui est dévolu ». Celui qui rate cette invitation que la vie lui offre risque fort de traîner dans son existence au lieu de vraiment la vivre.

    Il faudrait recopier presque tout le texte qui suit. Par exemple le malheur, c’est que « nous ne nous exprimons qu’à demi, et nous avons honte de cette idée divine que chacun de nous représente ». Et pour prolonger Descartes : « L’homme est joyeux et satisfait lorsqu’il a mis tout son cœur à l’ouvrage et fait de son mieux, mais ce qu’il a dit ou fait autrement ne lui apportera pas la paix ».

    Et s’il fallait extraire un passage d’Emerson pour écrire une prosopopée de la confiance en soi, on pourrait reprendre celui-ci :

« Aie confiance ne toi : chaque cœur vibre à cette corde de fer. Accepte la place que la divine providence a trouvée pour toi, la société de tes contemporains, l’enchaînement des faits. Les grands homme sont toujours fait ainsi, et, tels des  enfants se sont abandonnés au génie de leur époque, révélant par là même que ce qu’il percevaient comme absolument digne de confiance résidant dans leur cœur, se manifestait par les mains et prédominait dans tout leur être… Ne soyons pas des êtres faibles et infirmes dans un coin protégé, non pas des lâches fuyant une révolution, mais des guides, des rédempteurs et des bienfaiteurs». (texte)

    Nous avons vu dans une leçon précédente ce qu’il pouvait y avoir d’affligeant dans la convergence type de notre époque entre un total conformisme et son alignement intégral sur le consumérisme ambiant. Ce qui est très tonique chez Emerson (et Thoreau) c’est un anti-conformisme décapant. Il faut le lire dans le texte. C’est la société des « actionnaires » qui s’accorde pour enlever « liberté et culture ». « La vertu la plus prisée est le conformisme. Elle n’a qu’aversion pour la confiance en soi. Elle n’aime pas les réalités et les créateurs, mais les noms et les usages. Celui qui voudrait être un homme doit être non-conformiste ». (texte) Non pas comme on le comprend aujourd’hui dans la bêtise de la provoc’ qui n’est qu’une autre forme de conformisme, mais dans le souci de l’indépendance d’esprit. « J’ai honte lorsque je pense à la facilité avec laquelle nous capitulons devant les insignes, les noms, l’importance des institutions mortes ». De la même manière nous capitulons devant les apparences, dans un souci évident de reconnaissance. A quoi Emerson répond : « Ma vie existe pour elle-même et non pour la parade. Je préfère de beaucoup qu’elle existe en mode mineur afin d’être égale et authentique, plutôt que de briller d’un éclat instable. Je souhaite qu’elle soit douce et saine et n’ait nul besoin de régime ou de saignées ». (texte)

    A une époque tel que la nôtre où tout est fait pour infantiliser les esprits, où nous passons notre temps à déléguer vers des « spécialistes, de « conseils », des « experts » (texte) et des « coach » en tout genre pour leur remettre nos décisions pour qu’il en prennent soin à notre place, il faudrait enfin se réveiller. « Ce que je dois faire est tout ce qui me concerne, non ce que pensent les gens. Vous trouverez toujours des gens pour penser qu’ils savent ce qu’est votre devoir, mieux que vous ne savez nous-même. Il est facile de vivre selon l’opinion du monde ; il est facile dans la solitude, (texte) de vire selon la nôtre, mais il a de la grandeur, celui qu au milieu de la foule garde avec une suavité parfaite l’indépendance de la solitude ». Dans la confiance véritable, l’appui ne vient pas des « autres » mais de Soi. Un Soi qui ne devrait pas se dissoudre dans l’opinion du monde et dans la foule de tous ces « autres » à qui nous devrions quémander ce qu’il faut penser, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut croire, ce qu’il faut aimer etc. – toujours à notre place. Si je me préoccupe autant de l’opinion des autres, qui donc est aux commandes de ma propre vie ? Qu’est-ce que vous pensez VOUS ? Et il faut reconnaître que sur ce plan Emerson y va fort : « si vous soutenez une Église morte, si vous adhérez à une société biblique morte, si vous votez pour un grand parti, qu’il soit pour ou contre le gouvernement, … dernière ces écrans, j’ai du mal à cerner l’homme que vous êtes ». Est-il bien vivant ou bien est-ce que votre abnégation totale pour le système est une démission ? Je cite sur la même page, si c’est le cas, alors... c’est : « autant d’énergie retirée de votre vie propre ». Page 96-97 Emerson va jusqu’à soutenir que vous avez même le droit de vous contredire ! Pourquoi faudrait-il rester cohérent quand on s’est trompé ? « Exprimez ce que vous pensez en paroles fortes !» 

    Pas étonnant que Nietzsche ait eu de la sympathie pour Emerson, lui qui était toujours à la recherche d’une future vigueur. Dire qu’Emerson est porte-parole de « l’optimisme » est en un sens est réducteur, car ce mot évoque une doctrine opposée au « pessimisme », or Emerson soulève d’abord une énergie, l’énergie qui porte la confiance en soi.

C. Le point d’appui de la confiance

 

     Nous sommes en train de comprendre qu’au fond, lorsque nous parlons d’estime de soi, il est indispensable de savoir de quel « soi » il est question. De même, quand nous parlons de confiance en soi, il est essentiel de mettre en lumière ce qui est pointé par le mot « soi ». Tout le problème est là. C’est la question flamboyante. Il faut par exemple remarquer que lorsque Descartes évoque l’estime de soi, il désigne une dimension spirituelle de l’être humain qui semble au fond très impersonnelle en comparaison de l’idiosyncrasie habituelle du moi et de ses attributs, qui est très personnelle.  Et si c’était là tout l’enjeu de la confiance en soi ?

     1) Ne quittons pas Emerson : « Quel est l’Être de Confiance ? Quel est à l’origine le Soi sur lequel peut être fondée une confiance universelle ? Quels sont la nature et le pouvoir de cette étoile qui échappe à la science, sans parallèle, sans élément calculable, qui projette un rayon de beauté, même sur des actions dérisoires et impures lorsque la moindre marque d’indépendance apparaît ? ». (texte) Et bien sûr, la réponse se trouve dans un mot quelque peu intimidant : le génie. Et c’est là qu’apparaît immédiatement en séries les contresens habituels de l’opinion. En restant bloqué comme nous le sommes socialement, dans une image du moi négative, nous entretenons le jugement: « jamais assez bien, jamais à la hauteur etc.  » et le corrélat, c’est bien sûr l’admiration que nous vouons à d’autres, des « stars », qui elles sont au firmament, tandis que nous autres mortels rampons à ras de terre ! Il y a parait-il des gens qui possèderait la qualité soi-disant « personnelle » du génie, qui seraient  voués à l’admiration des foules et d’autres qui en serait dépourvus, voués à la médiocrité. C’est un refrain répété partout dont la rengaine n’a rien d’historique car la source est égotique.

Tout le processus est typiquement égotique et génère à l’évidence un terrible manque de confiance en soi issu de la faiblesse ou à l’inverse une complète surestimation, elle aussi issue d’un jugement sorti de la fiction personnelle. L’élève malheureux en classe qui, se comparant aux autres a honte de lui-même, rentre la tête dans les épaules et se considère comme nul  (notez à quel point on assassine la confiance aujourd’hui avec ce mot) est en train de nourrir le fictitious self, le soi fictif, l’ego. Mais, ce qui est remarquable, c’est que c’est exactement le même processus, par lequel on fait mousser dans les medias une pseudo célébrité dans une niaiserie de superlatifs qui nourrissent aussi le soi fictif ; et comme l’identification à l’ego est sans cesse relancée et encouragée, bien sûr cela marche ; dans un sens comme dans l’autre. La « célébrité » ne se sent plus, gonflée d’une énergie illusoire, se prend pour le nombril du monde et se met à délirer. Ce qui semble au regard de l’opinion produire en apparence une « confiance en soi » extraordinaire (quel culot monstre il a ou elle a !), mais qui n’a pas la moindre réalité dans l’Être, qui n’est que de la fiction et qui s’écrouera quelques temps après. Une exaltation fictive est par nature vouée à la dépression et inversement ; c’est la loi de la dualité, sans aucun rapport avec l’Unité de la Force véritable, de l’Énergie vivante et la Joie réelle. Qui ne connaissent pas la division interne, les méandres et les complications par lesquelles nous perdons la coïncidence avec nous-même. Il faut donc revenir au sens spirituel du génie et balayer d’un revers de main les illusions qui nous le dissimulent. Revenir « à cette source, à la fois du génie, de la vertu et de la vie, que nous appelons Spontanéité ou Instinct » (encore un passage très nietzschéen). La Spontanéité est l’intelligence créatrice dans sa libre expression, ce que nous libérons quand, prenant réellement appui en nous-même, nous permettons à la Vie de s’écouler en nous sans restriction. Ce qui veut dire, de manière totalement indissociable, tout à la fois Énergie et Intuition. Non pas seulement dans l’art, qui n’est en fait que son champ d’expression le plus élevé, mais dans l’Acte quotidien. C’est de cela dont nous parlions dans une leçon précédente au sujet de l’action juste. Le second mot employé par Emerson est Instinct. Il y a dans la tradition occidentale une répugnance à reconnaître une valeur intuitive et créative à l’instinct. Terme trop marqué par l’animalité, le non-pensant chez l’animal, tandis que la pensée serait forcément réflexive et réservée à l’homme. Nous avons montré que ces jugements devaient être très largement révisés. Il existe une intelligence non-verbale, comme existe aussi une aptitude intuitive qui excède la rationalité. La Vie, quand elle cohère avec elle-même, comme elle le fait naturellement chez l’animal, a sa propre Énergie, sa propre Intelligence et même sa propre Vertu, qui n’est plus alors située dans la dualité pensée par la morale. Ce qu’Emerson écrit ici est d’une prodigieuse importance métaphysique. Il ne faut surtout pas y voir une sorte « d’optimisme » au sens ordinaire, pendant exact du pessimisme, les deux à verser dans le même sac des constructions mentales.

Que nous dit Emerson ? Que la Vie porte en elle « cette sagesse première comme intuition », dont « tous les enseignements postérieurs ne sont que répétition ». Que nous portons en nous cette sagesse première, qu’elle est précisément notre nature essentielle et notre Soi véritable. Et c’est là que s’origine depuis toujours la confiance en soi. Ce qui n’a strictement rien à voir avec l’ego, mais tout à voir avec l’Être. « En cette force profonde, le fait ultime au-delà duquel ne peut aller l’analyse, toutes choses trouvent leur origine commune ». Force non relative. N’ayant aucun rapport avec le monde, le monde de la représentation construit par le mental humain, mais en même temps l’enveloppant et le soutenant de l’intérieur. « Ce sens de l’être qui (nous ne savons pas comment) s’élève dans l’âme au aux heures de paix ». Il est un avec toutes choses. Ainsi, « nous partageons tout d’abord la vie par laquelle les choses existent et ensuite nous les voyons comme apparence dans la nature », mais hélas, « nous oublions que nous avons partagé leur cause. C’est là qu’est la source de l’action et de la pensée»… « Nous nous trouvons dans les bras d’une immense intelligence qui fait de nous les récepteurs de sa vérité et les organes de son activité». Toutefois, à partir du moment où l’esprit se met à inventer la séparation, il se conçoit comme une entité séparée, et cela porte déjà préjudice, car il se prive par avance  d’entrer dans une expérience réelle de lui-même. Car comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, la séparation n’existe pas. Ce n’est qu’une idée. Non un fait.

Et pourtant, et pourtant… chaque conscience est dans ce même espace une entité monadique, de sorte que chacune est seule à expérimenter ce qu’elle expérimente, et pour chacune d’entre elle, ce qu’il y a de plus vif dans le vécu est toujours singulier. De sorte que l’on peut aussi dire que chaque conscience est  solitude absolue. Une existence unique et originale, un destin unique et original,  une expérience de l’âme unique et originale. Sans avoir jamais été séparée de quoi que ce soit, ni de qui que ce soit et par-dessus tout de cette Vie qui supporte toute existence. C’est cette singularité (R) au sein d’une vie unique qui doit se retrouver et être pleinement vécu dans la confiance en soi.

Ce qui nous mène dans le texte d’Emerson à ce qu’il pense être « la plus grande vérité sur le sujet » : « Quand le bien est près de vous, quand vous avez la vie en vous, ce n’est pas par une voie connue ou liée à l’habitude ; vous n’y discernez point les traces de pas d’un autre ; vous n’y verrez point le visage humain, vous n’entendrez aucun nom ; la voie, la pensée, le bien seront totalement étrangers et neufsLa voie vient de l’homme, elle ne va pas vers l’homme ». La Vie porte en elle son auto-référence, le moment même où nous nous sentons le plus vivant, c’est celui où nous sentons portés par la vie, ce qui veut dire que la confiance en soi est identique au jaillissement du Nouveau. Ce pouvoir qui « réside dans l’instant du passage de l’ancien au nouveau ». Une coïncidence avec Soi si pleine et si entière qu’en est banni toute comparaison, et tout appui sur l’autorité d’un autre. Et bien sûr, les êtres humains qui ont cette forme de créativité sont aussi ceux auprès de qui nous retrouvons confiance. Alors qu’ils nous invitent par leur présence même à la retrouver en nous-même. Dans l’âme. A la limite : « dans la mesure ou l’âme est présente, le pouvoir sera là non pas confiant mais agissant ».  

2) C’est un paradoxe : la confiance en soi, en apparence semble réclamer un appui, et nous croyons de bonne foi devoir la quémander auprès des autres, mais le véritable appui de la confiance est sans appui externe, il réside dans la Vie elle-même et son expansion dynamique et créative. Énergie indifférenciée qui est sans forme, mais donne naissance à toutes les formes. Donc nécessairement Vacuité et potentialité pure. Et l’on voit bien par là l’erreur la plus dramatique des psychologues dans les conseils pour redonner confiance. A celui qui vit accablé par une image du moi calamiteuse, qui sape par avance toute confiance, ils voudraient inculquer une autre image du moi, mettons celle d’un battant, d’un guerrier, lui fabriquer un ego de boxeur (c’est toi le meilleur Joe !). Et autres sottises du même acabit au féminin. Rentrées dans le crâne d’une petite fille avec moult incitations, publicité et conditionnement. De quoi lui coller une névrose dès la petite enfance. Une fabrique industrielle de la culpabilité dont le seul résultat est de produire partout du malaise. Un mal-être suicidaire. De générer de la souffrance.

Et si nous renoncions à toute image ? Et si nous jetions à la poubelle toute image de nous-même et d’autrui ? Pour accepter fondamentalement de n’être rien de « spécial » ? Ni ceci, ni cela en particulier. De n’être positivement rien comme la Vacuité créatrice qui œuvre dans l’univers ? Simultanément, accepter de ne plus enfermer quiconque dans une boîte conceptuelle avec une étiquette. Comprendre que, comme soi-même, l’autre n’est pas défini par une forme. L’âme a des replis qui vont à l’infini disait Leibniz. Ne pas enfermer dans une forme, c’est reconnaître la grandeur qui dépasse toutes les formes. Ne pas voir seulement la vague, mais voir l’océan dans la vague.

Surtout, il est essentiel de ne plus avoir besoin du fouet d’un devoir être pour être ce que nous sommes. Cette manie de chercher à être différent de ce que nous sommes déjà en imitant un modèle. Et si c’était une grave erreur d’instiller dans les esprits l’idée qu’ils devront entrer dans un moule particulier, dans une forme définie? Et s’il n’était pas nécessaire de devenir « quelqu’un » pour être soi-même ? Et si…  c’était justement dans la simplicité que résidait la coïncidence totale avec la Vie et la confiance en soi ? L’énergie débordante et l’enthousiasme ?

Alors tout ce que l’on enseigne à l’heure actuelle sur le sujet serait faux et archi faux. L’indication que, fondamentalement, l’éducation actuelle fait fausse route et que le mental collectif dans lequel nous vivons est gravement dysfonctionnel. Ce qui peut facilement s’observer dans le malaise ambiant, le manque d’énergie et d’enthousiasme caractéristique de notre époque. Le manque de confiance en soi est une maladie postmoderne. Marque de l’ignorance.

Si nous acceptons de renoncer à toute image, nous coupons à sa racine à la fois la mauvaise herbe qui alimente la perte de confiance, autant que la gloriole égotique d’une fausse confiance, qui n’est qu’une gonflette psychologique. Une forme d’autohypnose. L’envers du moral à plat de la perte de confiance en soi, généré lui aussi par une image. Illusion symétrique reposant sur la même cause. Une représentation de soi mise en lieu et place de la réalité, alors qu’elle n’est qu’une représentation, une construction mentale et rien de plus. Juste une pensée à laquelle nous pouvons ou pas nous identifier. Rien de plus qu’une pensée, à laquelle nous pouvons très bien ne pas nous attacher, pour la laisser filer au vent. Encore une fois, nous retrouvons ici un résultat souvent dégagé ailleurs, toute la question tient à l’identification et l’identification est à la racine de l’illusion.

Il est extrêmement libérateur pour un enfant de comprendre qu’il n’a pas à forcer son devenir, à se torturer pour un jour (lointain dans le futur) avoir le droit d’exister dans une forme acceptable. C’est du terrorisme intellectuel. C’est très cruel et un projet pareil fera de l’éducation un enfer. De quoi saper par avance toute créativité. L’image du moi ne sera jamais le Soi réel. Qui n’ai rien à voir avec la représentation et donc, avec toutes les images que le mental produit et que nous prenons pour une connaissance de nous-même. Mais elles ne sont que des croyances invétérées. Et plus nous mettons de réalité dans des croyances, plus nous mettons des barrières, plus nous noyons l’esprit dans des abstractions confuses qui n’ont plus qu’un très vague avec la Vie.  Si nous nous sentions à chaque instant en phase avec la Vie, nous n’aurions pas cette adoration fanatique pour les croyances. Emerson va jusqu’à dire ceci, toujours dans le texte de La Confiance en soi : « Tout comme les prières des hommes sont une maladie de la volonté, leurs croyances sont une maladie de l’intellect !»  Et c’est vrai sur un plan psychologique, au-delà des religions dogmatiques, parce que l’inquisiteur en chef, c’est l’ego et rien d’autre. Et il n’a jamais, au grand jamais, été à la source de la confiance en soi. Contrairement à ce que nous croyons. L’ego trouve un intérêt évident dans le fait de semer le doute et dans le manque de confiance, car c’est seulement là qu’on l’écoute ! Il a tout intérêt à nous faire douter de nous même car c’est la seule manière pour lui d’exercer son empire. Dans la pleine confiance, dans l’Énergie de la vie, dans l’enthousiasme créateur, il est balayé. Il n’a pas son mot à dire. Ou il n’arrive qu’après, en douce. Pour commenter. Pour se refaire une identité sur la base d’une « performance », en fabriquant dans un acquis une « fierté » à partir de la joie. Mais la joie ne lui appartient pas et elle ne lui appartiendra jamais. Elle le déborde et elle le dissout. En fait, comme nous n’avons vu, dans les moments les plus heureux de l’existence l’ego n’est pas là.

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Nous voyons donc maintenant très clairement pourquoi on se fourvoie en laissant croire qu’en gonflant l’ego on trouvera plus de confiance, mais cette illusion est une maladie mentale universellement répandue. Elle dégorge de la politique politicienne, elle dégouline des émissions de télé-réalité, elle suinte à travers les paroles suaves des coachs les plus malhonnêtes, elle empeste dans les milieux de la finance ou sévissent les intellects de brillants calculateurs, mais complètement ignares en matière spirituelle.

Force est de constater aussi les méfaits provoqués par le jugement, qu’il soit dirigé vers autrui, ou retourné contre soi, il fait écran et dessèche l’affection. Quand le jugement prend la place de l’amour, l’estime prend une énorme importance. Or la plupart du temps, l’estime de soi devient très problématique. Et l’ego adore les problèmes, c’est sa nourriture préférée. Il s’en délecte et il les rumine. Ce qui n’arrange pas la confiance en soi. Donc ne demeure qu’une évidence : la confiance en soi prend sa source dans l’amour, dans l’amour que la vie voue à elle-même. Mais si on fait de l’amour de soi une obligation, un devoir-être, il va aussitôt s’enfuir par la fenêtre. « Pour avoir confiance en toi, tu dois t’aimer ! » Quelle horreur ! L’amour ne se commande pas. Mais si je puis comprendre pourquoi je me déteste, si je peux démêler les fils embrouillés du mental, alors, alors, peut être que je pourrais enfin me laisser être. Et l’amour sera là. Et la confiance aussi.

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Questions:

1.  Le manque de confiance est-il seulement de l'ordre d'un problème relationnel?

2.  Peut-on imaginer une volonté sans confiance en soi?

3.  L'auto-suggestion conduit-elle à la confiance en soi?

4.  Dans une société divisée contre elle-même, la confiance en soi demeure-t-elle possible?

5.  Être confiant, est-ce inconsciemment se soumettre et suivre un ordre?

6.  La confiance en soi peut-elle être le résultat d'une contrainte ou d'un effort?

7.  En quel sens peut-on dire que le mental est très doué pour faire du sabotage interne?

 

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  © Philosophie et spiritualité, 2013, Serge Carfantan,
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